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Comme pour tout écrit empruntant la voie historique, j’ai fait de ce livre une lecture disciplinée, linéaire, soucieuse de ne rien échapper qui aurait pu m’éloigner d’un fil conducteur. Mais des relectures se sont vite imposées, non pas que l’ouvrage manque d’unité bien au contraire, mais parce qu’il est parsemé de pistes de réflexion qui sont autant d’invites à établir des rapprochements avec l’expérience personnelle en éducation des adultes, avec le questionnement actuel des éducateurs d’adultes dans leur formation continue, et bien sûr avec le développement de l’éducation des adultes au Québec. Les auteurs ouvrent le voyage en rappelant l’engagement des éducateurs d’adultes dans le mouvement social et clôturent le voyage en rappelant la nécessaire quoique laborieuse « réflexion politique sur le rôle de transformation sociale que joue la formation » aujourd’hui encore. Sous la plume de ces auteurs, l’approche historique est décidément stimulante et interpellante.

Le parcours historique admirablement contextualisé auquel nous convient les auteurs, en suivant les méandres du long processus de démocratisation du savoir comme stratégie de régulation sociale, permet de mieux comprendre le travail officiel ou en coulisse (en particulier du milieu associatif) des acteurs et promoteurs de l’éducation et de la formation des adultes. La mise en lumière, en premier lieu des questions-sources de l’éducation et de la formation des adultes puis de l’édification en paradigme de ses finalités en fonction des réalités sociales qui les inspirent, permet de mieux saisir ce qui se cache derrière l’évolution de la terminologie (éducation populaire, éducation permanente, éducation continue, éducation tout au long de la vie) sensée refléter la direction et la mission de l’éducation des adultes d’une époque. La récurrence de ces questions-sources, toutefois témoigne de la difficulté qu’éprouve la société à synchroniser ses progrès économiques et sociaux et l’innovation éducative pour ses publics adultes.

L’ouvrage se divise en trois parties. La première présente les racines et fondements de l’éducation et de la formation des adultes : une exploration y est faite des sources ayant mis en question les finalités de l’éducation et de la formation des adultes, ses contenus et ses approches de même que la spécificité du public adulte dont la défense est sans cesse à reprendre. Dans la seconde partie est examinée l’évolution des pratiques. Pour comprendre cette évolution non linéaire, les auteurs recourent à l’analyse des influences sociologiques et politiques qui ont balisé « un triple processus d’institutionnalisation, de rationalisation et de marchandisation » de la formation des adultes et ils en tracent très clairement la trajectoire.

Enfin, dans la troisième partie, sans chercher un approfondissement ni une analyse critique des théories et des approches en formation des adultes, les auteurs présentent les principales problématiques qui retiennent, actuellement, l’attention des chercheurs. Deux domaines sont examinés : celui de la compétence comme finalité et paradigme de la formation des adultes et celui de l’apprentissage qui se déploie sur quatre axes : l’évolution des pédagogies en lien avec les conditions d’apprentissage ; l’écologie de l’apprentissage et le lien formation-travail ; l’apprenant, son rapport au savoir et son processus d’apprentissage et enfin, les dispositifs de formation. Cette analyse mène au constat de faiblesses dans le savoir constitué qui laissent le champ libre à une conception strictement opératoire de la formation et l’éloignent de sa mission éducative. Constat qui laisse entrevoir le passage obligé par le développement de conceptualisations et de théories propres à l’adulte si l’on veut échapper à cette conception réductrice et à long terme appauvrissante qui tend à dominer la scène actuellement. Les auteurs concluent en ouvrant la réflexion sur deux enjeux. En premier lieu l’intérêt actuel pour les savoirs professionnels en devoir de transcender « la seule intention sociale de professionnalisation » pour une vision plus écologique de l’apprentissage et de la formation. En second lieu, « l’ancrage de la formation des compétences dans une situation plus large et pour tout dire plus collective que sa définition opératoire », qui rappelle l’inscription éminemment sociale de l’éducation et de la formation des adultes.

En prime, ce brillant exposé débouche sur une mise en dialogue des auteurs avec deux praticiens (Robert Voinot et Jacqueline Magnier) dans une section consacrée aux commentaires et questions de ces derniers, suivis des réponses des chercheurs.

Dense. Rigoureux. Éclairant. Voilà qui résume l’impression que laisse la lecture de ce tracé historique et de cette mise en question du sens de l’éducation et de la formation des adultes, de ses sources, de ses détournements, voire de ses dérives. Dense et tout à la fois d’articulation fluide, un livre qu’il convient lire de façon linéaire et exhaustive d’abord mais qu’on est vite tenté de relire en sélectionnant les passages qui nous interpellent ou qui incitent à l’approfondissement. Rigoureux par la contextualisation minutieuse des nombreux liens soumis à un éclairage sociologique, économique, philosophique. Éclairant, enfin, grâce à la mise à distance nécessaire qu’il fournit pour dévoiler les influences, les références, les lacunes du domaine et mettre en évidence les principaux enjeux. Bref, voilà un ouvrage utile, voire nécessaire pour une analyse prospective de la place et de la mission de l’éducation et de la formation des adultes. Une analyse dont ne saurait faire l’économie tout programme le moindrement sérieux, dédié à la formation des éducateurs et formateurs d’adultes, surtout s’il souscrit au paradigme de l’apprentissage tout au long de la vie.