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Introduction

Selon un rapport produit par la commission scolaire de Montréal (CSDM, 2000), la population immigrante montréalaise augmente et se diversifie constamment. Depuis quelques années, la proportion d’élèves allophones qui éprouvent de sérieuses difficultés d’intégration est relativement stable, c’est-à-dire environ 20 % (Bisaillon, 2000). La situation aurait évolué favorablement au cours de la dernière décennie. En effet, selon le ministère de l’Éducation (MEQ, 1996), le taux d’élèves déclarés EHDAA[1], après avoir bénéficié de mesures d’accueil et de francisation, est passé progressivement de 29,4 % en 1989 à 21,4 % en 1993. Ces chiffres démontrent qu’un grand nombre d’élèves immigrants allophones réussissent à apprendre et obtiennent des résultats très satisfaisants. Afin de continuer à augmenter le taux de réussite, on se doit d’analyser régulièrement les besoins de cette population et d’adapter les services scolaires qui lui sont offerts.

Au cours des quatre dernières décennies, de nombreuses études ont été menées dans le but d’identifier les facteurs exerçant une influence significative sur la performance académique, et plus particulièrement sur l’apprentissage de la langue écrite. Plusieurs études ont mis en relief l’influence de facteurs liés aux pratiques de littératie sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Pour nous, l’intérêt de ces études est qu’elles portent sur des facteurs contribuant non seulement à l’explication des échecs scolaires et au dépistage des élèves à risque, mais aussi à la solution aux problèmes. En effet, il est généralement admis que des facteurs tels les aptitudes intellectuelles et les caractéristiques neurophysiologiques exercent une influence de premier ordre sur les apprentissages en général. Cependant, l’enseignant ne peut agir sur ces facteurs, alors qu’il peut tenter, après avoir dépisté des élèves à risque, d’intervenir à un autre niveau, en influençant certains aspects attitudinaux et conceptuels tels le sentiment de compétence, les représentations de la nature et des fonctions de la lecture et de l’écriture, les attitudes envers la lecture et l’écriture ainsi que les pratiques de littératie.

Le développement de la littératie, surtout chez les enfants allophones, mérite d’être étudié, car les pratiques de littératie dans la langue du pays d’accueil donnent accès à la culture de celui-ci et s’avèrent un puissant outil d’intégration pour les immigrants. Les perceptions de ces derniers, ainsi que leurs représentations, habitudes et attitudes concernant la littératie constituent autant de domaines qu’il convient d’explorer dans le cadre d’une étude comme la nôtre.

Notre objectif est, d’une part, d’identifier lesquelles parmi ces variables présentent un lien significatif avec le rendement en lecture et en écriture chez les élèves allophones montréalais et, d’autre part, de proposer un instrument de dépistage des élèves à risque au sein de cette même population en regard de leurs représentations, attitudes et pratiques de littératie ; instrument qui pourrait aussi orienter les interventions de l’enseignant par la suite.

Problématique

La notion de littératie

Au cours des dernières décennies, la conception de la compétence en lecture et en écriture a considérablement évolué. On est passé d’une conception des compétences basée sur des habiletés et sous-habiletés examinées à travers les aspects mécaniques de la lecture et de l’écriture, à une vision plus large, incluant non seulement l’habileté à lire et à écrire correctement, mais aussi les pratiques reliées à la langue écrite, les usages qu’on en fait et les habiletés « littéraires » démontrées dans un contexte de participation sociale. Le terme « littératie » désigne cette conception plus globale des compétences et pratiques reliées au domaine de la langue écrite.

La littératie chez les groupes ethniques minoritaires

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la littératie chez les minorités ethniques. Ogbu (1987) observe qu’un nombre disproportionné des membres de groupes ethniques minoritaires n’atteignent pas un niveau fonctionnel de littératie. Il remet alors en question les hypothèses d’autres chercheurs qui attribuent ces difficultés à des différences de caractéristiques telles les styles cognitifs, les styles d’interaction, les styles d’enseignement et d’apprentissage. Il affirme que le problème est plutôt issu du fait que ces enfants proviennent d’un segment de la société dont les membres n’ont pas l’opportunité de développer et d’utiliser leurs habiletés en littératie de manière signifiante et gratifiante. Les groupes minoritaires, qui éprouvent des difficultés dans l’acquisition de la littératie, seraient ceux qui font face à des ouvertures historiquement limitées dans les domaines requérant des habiletés de haut niveau en littératie et offrant une gratification adéquate.

Huebner (1987) affirme qu’il existe plusieurs sortes de littératie et de prélittératie, et que chacune fait appel à un ensemble spécifique d’habiletés cognitives. Ce sont les fonctions de la littératie qui déterminent les habiletés utilisées et développées à travers les pratiques de littératie dans la langue maternelle. Son étude suggère que les traditions linguistiques ancestrales retenues par la famille et la communauté continuent d’influencer le développement de la littératie, longtemps après que le contexte social se soit transformé. Heath (1991) et Ferdman (1990) abondent en ce sens. Ces chercheurs soutiennent que la littératie est définie par la culture, ce qui influence évidemment la façon de s’engager dans l’acquisition de la littératie.

Il y a donc lieu d’examiner certains aspects du contexte qui contribuent à créer des conditions facilitant le développement des pratiques de littératie de haut niveau et l’amélioration de la performance en lecture et en écriture chez les minorités ethniques.

Les facteurs corrélés ou liés aux compétences en littératie

Il est généralement admis que les compétences en littératie sont influencées par de nombreux facteurs (Dickinson et McCabe, 2001 ; Linnakylä, Malin et Taube, 2004). Ceux-ci peuvent être :

  • d’ordre cognitif : la conscience phonologique (Byrne, Fielding-Barnsley et Ashley, 2000), la conscience de l’écrit (Lazo, Pumfrey et Peers, 1997), la connaissance des lettres (Schneider, Roth et Ennemoser, 2000), la représentation du processus de lecture (Borko et Eisenhart, 1986), le développement langagier (Nation et Snowling, 2004), la mémoire (Tijms, 2004) ;

  • d’ordre affectif : l’intérêt et l’attitude envers l’écrit (Wood, 2002), le sentiment de compétence (Bandura, 1986 ; Bong, 2001), la valeur accordée à l’écrit (Dreher, 2003), la relation maître-élève (Bohn, Roehrig et Pressley, 2004) ;

  • d’ordre social : les croyances, attitudes et pratiques du milieu familial et culturel (Wood, 2002), le climat de classe (Bohn, Roehrig et Pressley, 2004) ;

  • d’ordre didactique : les méthodes et stratégies d’enseignement (Pressley, Rankin et Yokoi, 1996).

Ces facteurs sont souvent corrélés entre eux, au moins de façon modérée. Par exemple, le milieu familial exerce une influence certaine sur la motivation de l’enfant et son engagement dans des activités de lecture, ce qui, à son tour, influence le développement des compétences en littératie (Wood, 2002).

Le degré d’exposition et l’intérêt pour l’écrit sont déterminés par les adultes qui prennent soin des enfants durant les premières années de leur vie. Les attitudes, les croyances, le niveau d’habileté en lecture des adultes conditionnent le type d’expérience et la richesse des interactions avec l’écrit que les enfants auront la chance de vivre (Burns, Espinosa et Snow, 2003, p. 77).

Étant donné que notre étude ciblait des élèves allophones déjà engagés depuis quelques années dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, nous avons choisi de nous intéresser aux cinq variables suivantes : le sentiment de compétence, les représentations de la nature des tâches de lecture et d’écriture, les représentations des fonctions de la lecture et de l’écriture, les attitudes vis-à-vis des tâches de lecture et d’écriture ainsi que les pratiques de littératie de la famille.

Le sentiment de compétence

Les chercheurs ont examiné un grand nombre de facteurs exerçant une influence directe ou indirecte sur la performance en lecture et en écriture. Des études indiquent que le sentiment de compétence doit être considéré comme un de ces facteurs (Henk et Melnick, 1995 ; Henk, Bottomley et Melnick, 1997 ; Bandura, 1981, 1982 ; Pajares et Valiante, 1997 ; Shell, Colvin et Bruning, 1995). Bandura (1986) définit ainsi le sentiment de compétence : « la perception de soi par laquelle cette personne, avant d’entreprendre une activité qui comporte un degré élevé d’incertitude quant à sa réussite, évalue ses capacités à l’accomplir de manière adéquate » (p. 55). La perception de la compétence est donc l’évaluation qu’une personne fait de sa capacité de réussir une activité et non pas de la possibilité actuelle de réussir cette activité (Viau, 1994). La possibilité de réussir peut être affectée par des facteurs externes (temps accordé, climat de la classe, etc.), alors que le sentiment de compétence dépend de facteurs internes. Pour qu’un individu ait le goût de s’engager dans une tâche, celle-ci doit représenter un défi qu’il se croit capable de relever. Le sentiment de compétence influence les choix posés par l’élève, les efforts qu’il déploie, la persistance et la persévérance qu’il exerce face aux difficultés et l’anxiété qu’il ressent (Pajares et Valiante, 1997). Dans cette perspective, il s’avère important de connaître la perception des apprenants face à leur propre compétence. Elle nous indique la performance anticipée par l’enfant lui-même et elle peut faciliter la prévention et la compréhension de certains comportements face à une tâche ainsi que sa performance.

La théorie de l’auto-efficacité de Bandura (1977, 1982) prédit que l’auto-perception que l’enfant a de son habileté à accomplir une tâche aura un impact sur sa capacité actuelle et future à l’exécuter correctement. Bandura identifie quatre facteurs pris en considération par le sujet qui auto-évalue sa compétence : performance, comparaison par observation, rétroaction sociale et états physiologiques. L’information acquise par l’élève grâce à ces quatre facteurs ne détermine pas automatiquement le sentiment de compétence. L’effet de cette information dépend plutôt de l’évaluation cognitive que l’individu en fait.

Plusieurs études sur la relation entre le sentiment de compétence et la performance en lecture ou en écriture suggèrent que ces deux variables sont reliées (Henk et Melnick, 1995 ; Henk, Bottomley et Melnick, 1997 ; McCarthy, Meier, et Rinderer 1985 ; Pajares et Johnson, 1994 ; Shell, Colvin et Bruning, 1995 ; Shell, Murphy et Bruning, 1989 ; Pajares et Valiante, 1997). Les auteurs considèrent que le sentiment de compétence est un facteur qui influence significativement la performance en lecture et en écriture.

Pour évaluer le sentiment de compétence, nous avons traduit le Reader Self-Perception Scale (RSPS) (Henk et Melnick, 1995) et le Writer Self-Perception Scale (WSPS) (Henk, Bottomley et Melnick, 1997). Ces instruments ont respectivement été validés en 1992 et en 1997. Nous y avons ajouté quelques énoncés concernant des aspects de la lecture et de l’écriture non traités par Henk et ses collaborateurs. Les questionnaires s’adressent à des élèves des 2e et 3e cycles du cursus primaire (9 à 12 ans) qui, à l’aide d’une échelle graduée de réponses, expriment leur accord ou leur désaccord avec une série d’énoncés portant sur l’une ou l’autre des quatre composantes du sentiment de compétence nommées plus haut, en lecture et en écriture.

Les représentations de la nature des tâches de lecture et d’écriture

Plusieurs chercheurs jugent que la conception que l’enfant se fait de l’acte de lire et d’écrire influence son apprentissage et, par conséquent, sa performance (Meyers et Paris, 1981). L’enfant, qui voit l’activité de lecture comme un exercice à exécuter pour faire plaisir à l’enseignante et qui ne comprend pas la nature du processus de lecture, n’abordera pas cette activité de la même façon que celui qui a une représentation claire de l’acte de lire. L’enfant qui perçoit la lecture comme un processus de décodage et celui qui la perçoit comme un processus de recherche de sens n’emploieront pas les mêmes stratégies pour identifier un mot inconnu.

Filby et Barnett (1982) ont étudié comment les enfants de sept et dix ans comprennent et évaluent ce qu’est un « bon » lecteur. Les auteurs ont d’abord observé que l’environnement pédagogique influence beaucoup les représentations des élèves et les facteurs dont ils tiennent compte dans leur évaluation. Ils ont aussi constaté que les élèves plus faibles ont des représentations moins précises de la lecture, du niveau de difficulté des tâches proposées et des habiletés mises en jeu.

Johns (1974) ainsi que Borko et Eisenhart (1986) ont examiné les représentations de la lecture chez des élèves de huit et neuf ans. Selon les résultats de ces études, les bons lecteurs ont tendance à définir la lecture comme un processus de reconnaissance de mots et de recherche de sens, alors que les mauvais lecteurs identifient généralement la lecture à des procédures académiques, donnent des réponses vagues ou encore aucune réponse. Canney et Winograd (1979) abondent en ce sens. Ils ont aussi constaté que plus les élèves avancent en âge, plus les bons lecteurs se concentrent sur le sens alors que les mauvais lecteurs restent centrés sur le décodage dans leur définition de la lecture.

D’autres recherches ont démontré qu’il existe un lien entre les représentations que se font les élèves de la tâche d’écriture et leur performance. Graham, Schwartz et MacArthur (1993) ont noté, dans une étude menée auprès d’enfants de dix à quatorze ans, que les élèves en difficulté d’apprentissage ont des représentations et des conceptions moins matures de l’écriture et du processus d’écriture que les élèves plus forts. Dans leur étude, les bons scripteurs accordent plus d’importance aux stratégies de planification et de révision, alors que les mauvais scripteurs mettent plutôt l’accent sur la propreté des travaux et les erreurs d’orthographe. Les bons scripteurs tendent à définir un bon texte par son contenu alors que les mauvais scripteurs tendent à le définir autant par la forme (calligraphie, orthographe, présentation) que par le contenu. Ces résultats confirment ceux obtenus dans des études antérieures (Englert, Raphael, Fear et Anderson, 1988 ; Wong, Wong et Blenkinsop, 1989).

En résumé, les recherches suggèrent fortement que les représentations des actes de lecture et d’écriture sont étroitement liées au rendement dans ces domaines. Cependant, il est difficile de déterminer s’il s’agit d’une relation causale et, si tel est le cas, dans quel sens elle s’exerce. La présente étude ne permet pas de répondre à cette question, mais celle-ci constitue à notre avis un sujet de recherche future fort intéressant.

Nous avons choisi de recueillir l’information concernant les représentations des élèves sur la nature de la lecture et de l’écriture par un instrument produisant une information de nature descriptive. Nous avons traduit le CantrilSelf-Anchoring Scale (Cantril, 1965). Cet outil permet de découvrir comment le sujet se perçoit comme scripteur ou lecteur et d’examiner les représentations qu’il se fait de la nature des actes d’écriture et de lecture.

Les représentations des fonctions de la lecture et de l’écriture

Selon Bandura (1986), les perceptions de l’utilité d’une activité sont reliées au sentiment de compétence, car cette perception détermine en partie la valeur de ladite activité.

Viau (1994) considère le concept de perspective future comme l’étalement des buts à court, moyen et long terme dans l’avenir d’une personne. Ce concept permet de mieux comprendre la relation entre les buts d’un élève et sa perception de la valeur d’une activité.

[…] un élève dont les aspirations sont claires et dont les buts pour les réaliser sont bien étalés dans le temps est plus en mesure de percevoir la valeur d’une activité, même si celle-ci ne lui offre pas des récompenses immédiates. En revanche, un élève qui a une perspective future limitée et dont les buts sont confus et peu structurés n’a pas de point de référence pour juger de la valeur d’une activité, surtout si celle-ci ne lui apporte pas de satisfaction immédiate.

Viau, 1994, p. 48

Comme les activités scolaires exigent du travail, de la persévérance et un engagement cognitif, elles exercent peu d’attraction, sinon pas du tout, sur ce dernier type d’élèves.

Toujours selon Viau (1994), les buts scolaires se subdivisent en buts d’apprentissage et buts de performance. Les buts d’apprentissage sont ceux que l’on vise quand on s’adonne à une activité pour acquérir des connaissances ou des habiletés (motivation intrinsèque), alors que les buts de performance sont ceux que l’on vise quand on veut obtenir une reconnaissance de ses performances par les pairs, les enseignants ou la famille (motivation extrinsèque).

Pajares et Johnson (1994) rapportent un indice de corrélation assez élevé (0,55) entre la perception de l’utilité de l’écriture et la performance chez les étudiants universitaires. MacArthur, Graham, Schwartz et Schafer (1995) ont observé que des élèves âgés de dix ans présentant des troubles d’apprentissage ont significativement amélioré leur performance en écriture quand on leur a présenté des tâches d’écriture dont ils percevaient l’utilité.

Plusieurs chercheurs s’entendent donc pour dire que la perception de la valeur d’une activité constitue un élément important de la motivation qui influence signi-ficativement le niveau d’engagement et le degré de persévérance. Chez les jeunes élèves du cursus primaire, les buts d’apprentissage et ceux à court terme semblent jouer un rôle prédominant, alors que chez les élèves plus âgés, les buts de performance et ceux à long terme prennent autant, et parfois même plus d’importance.

Les questionnaires que nous avons élaborés sur les fonctions de la lecture et de l’écriture explorent les représentations que les élèves se font des fonctions de ces tâches. Ils comportent des énoncés sur les buts d’apprentissage et de performance à court, moyen et long terme ; ces buts représentent l’utilité des tâches d’écriture et de lecture. Ces questionnaires sont inspirés d’un outil développé par un groupe de recherche (Beer-Toker, à paraître). L’échelle de réponses est identique à celle des questionnaires portant sur le sentiment de compétence.

Les attitudes vis-à-vis des tâches de lecture et d’écriture

Plusieurs chercheurs s’accordent à dire que les variables affectives devraient être examinées de plus près par ceux qui s’intéressent aux processus cognitifs et autres opérations qu’impliquent des tâches complexes comme la lecture et l’écriture (Reed et Schallert, 1993). On accepte généralement, aujourd’hui, que les attitudes de l’apprenant constituent un élément essentiel du processus d’apprentissage. Gilmore (1986) insiste sur l’importance du « vouloir » dans l’apprentissage. Il souligne que la difficulté de la tâche a souvent beaucoup plus à voir avec l’intérêt, l’engagement et l’attitude de l’apprenant face à la tâche qu’avec les caractéristiques inhérentes à celle-ci.

De nombreuses études ont examiné la corrélation entre l’attitude et la performance en lecture et sont arrivées à la conclusion que l’attitude envers la lecture est un facteur central qui affecte la performance dans ce domaine (Wixson et Lipson, 1990 ; Purves et Beach, 1972 ; Walberg et Tsai, 1985). D’autres études arrivent à des conclusions semblables, à savoir que les bons lecteurs ont des attitudes plus positives envers la lecture que les mauvais lecteurs (Askov et Fischbach, 1973 ; Groff, 1962 ; Hake, 1969 ; Kennedy et Halinski, 1978 ; Shepps et Shepps, 1971 ; Zimmerman et Allebrand, 1965 ; McKenna et Kear, 1990). Alexander et Filler (1976) affirment que les sentiments d’un élève face à la lecture déterminent dans une large mesure son succès dans ce domaine.

Il en va de même pour l’écriture. Dans une étude menée en 1985, Faigley, Cherry, Jolliffe et Skinner concluent que les attitudes jouent un rôle crucial en écriture. Knudson (1995) a mené une recherche auprès d’élèves de six à douze ans. Ses résultats confirment ceux des recherches antérieures et indiquent que l’attitude envers l’écriture est un bon prédicteur de la performance. Une étude longitudinale menée par Mavrogenes et Bezruczko (1993), sur une période de cinq ans (de la maternelle à la 4e année), conclut que l’attitude, l’effort et la motivation sont fortement corrélés avec la performance en écriture.

À partir de ces écrits, il semble y avoir un consensus général sur l’existence d’une corrélation entre les attitudes et la performance dans les tâches de lecture et d’écriture. Cependant, les indices de corrélation observés dans la plupart des études sont modérés et ne démontrent ni l’existence, ni la direction d’une relation causale entre l’attitude et la performance. Notre étude n’examine pas cette relation causale et les recherches actuelles n’offrent pas de réponse à ces questions. Cependant, elles suggèrent fortement qu’il serait profitable de développer chez les élèves des attitudes positives envers la lecture et l’écriture.

Pour examiner les attitudes des élèves vis-à-vis de la lecture, nous avons traduit le Elementary Reading Attitude Survey (ERAS) (McKenna et Kear, 1990). Quant à l’écriture, nous avons transposé les questions du ERAS au domaine de l’écriture. Chaque questionnaire comprend une série d’énoncés explorant les sentiments et les réactions du sujet lorsqu’il s’adonne à la lecture ou à l’écriture, comme activité académique et de loisirs. L’élève exprime son niveau de satisfaction ou d’insatisfaction au moyen d’une échelle graduée de réponses.

Les pratiques de littératie familiale

On sait, grâce entre autres aux écrits de Heath (1986), que l’apprentissage, même s’il découle directement de la relation pédagogique qui s’établit entre l’apprenant, l’enseignant et la matière, est aussi grandement influencé par plusieurs facteurs externes, notamment la famille. Celle-ci joue un rôle déterminant dans le développement des représentations, attitudes et pratiques de l’enfant face à tous les aspects de la vie scolaire, particulièrement la lecture et l’écriture.

De nombreuses recherches ont été consacrées à la relation qui existe entre le milieu familial et la performance académique. Wigfield et Asher (1991) constatent qu’un grand nombre d’études portant sur la performance académique ont démon--tré que l’environnement familial exerce une influence critique sur la motivation et la performance académique des enfants. Par exemple, Coleman Campbell, Hobson et al. (1966) ont observé que l’environnement familial a plus d’importance que l’environnement scolaire en tant que facteur déterminant de la performance.

En ce qui concerne plus particulièrement la lecture, les recherches indiquent une relation positive entre la disponibilité de matériel de lecture adéquat à la maison et l’habileté à lire (Lamme et Olmstead, 1977 ; Sheldon et Carillo, 1952 ; Durkin, 1966 ; Wigfield et Asher, 1991). La façon dont les parents s’impliquent dans les activités de lecture a aussi une grande importance. Ainsi, le modèle fourni par les parents, la lecture qu’ils font à leurs enfants, les visites à la bibliothèque, l’aide à l’apprentissage, la supervision, ainsi que les encouragements qu’ils prodiguent influencent favorablement le développement de l’habileté à lire (Ransbury, 1973 ; Bing, 1963 ; Brezinski, 1964 ; Dix, 1976 ; Davé, 1963 ; Bloom, 1981).

Il faut souligner que la pauvreté économique et un faible niveau d’éducation des parents ne créent pas invariablement un milieu où la stimulation intellectuelle est faible (Auerbach, 1995). Les pratiques de littératie ainsi que les valeurs et croyances qui s’y rattachent varient considérablement à l’intérieur même des classes socioéconomiques et des divers groupes ethniques. Bien que la probabilité soit plus grande de rencontrer un environnement stimulant pour la lecture dans les familles de classe moyenne ou supérieure, l’environnement familial « littéraire » est un facteur plus important que le statut socioéconomique (Hansen, 1969 ; Krus et Ruben, 1974). Iverson et Walberg (1982) avancent même que les performances en expression orale, en lecture et en arithmétique ont un lien de corrélation plus élevé avec le milieu familial qu’avec les aptitudes intellectuelles et la motivation.

Il existe toutefois peu d’études concernant l’influence du milieu familial sur la performance en écriture. Knudson (1995) note que les élèves du primaire considèrent qu’ils apprennent à écrire surtout à la maison, particulièrement au premier cycle du primaire. L’auteure estime donc que si les parents ont des connaissances et des croyances positives concernant l’écriture, ils seront plus en mesure d’aider leurs enfants et de leur transmettre comment et pourquoi ils devraient apprendre à bien écrire.

Taylor (1995) souligne que des études ethnographiques ont démontré que la littératie se développe différemment selon la culture. Dans une étude menée auprès d’enfants de neuf et dix ans, Okagaki et Frensch (1998) comparent la relation entre les attentes, attitudes et pratiques parentales et le rendement académique des enfants chez divers groupes ethniques. La principale conclusion tirée à la suite de cette étude est que les croyances et les conduites des parents sont significativement reliées à la performance académique de leurs enfants, mais que les relations entre certaines croyances spécifiques et les résultats scolaires varient d’un groupe ethnique à l’autre.

Somme toute, il semble que les chercheurs s’accordent maintenant à dire que les comportements des parents au foyer, bien plus que les caractéristiques socio-économiques, sont des prédicteurs puissants de l’attitude et de la performance des enfants en lecture. Les facteurs les plus significatifs sont la présence de livres à la maison, les activités de lecture partagées par les parents et les enfants, le support et l’encouragement accordés par les parents et, finalement, le modèle fourni par les parents.

Nous avons élaboré deux questionnaires, inspirés d’un outil conçu par Beer-Toker (à paraître), comprenant une série d’énoncés sur les pratiques de littératie de la famille. L’échelle de réponses réfère à la fréquence à laquelle les pratiques sont observées dans le milieu familial.

Objectifs de la recherche

Parmi les variables qui influencent l’apprentissage et la réussite en lecture et en écriture, nous avons écarté celles de nature constitutionnelle (aptitudes intellectuelles et caractéristiques neurophysiologiques) pour nous intéresser aux variables de nature attitudinale et conceptuelle qui présentent un intérêt particulier, vu notre échantillon constitué d’élèves allophones âgés de neuf à douze ans.

Notre étude porte sur cinq variables (et leurs composantes) présentant un lien avec la réussite en lecture et en écriture :

  • le sentiment de compétence : perception de la performance, comparaison par observation, états physiologiques, rétroaction sociale ;

  • les représentations des fonctions de la lecture et de l’écriture : buts d’apprentissage et buts de performance, perspectives futures ;

  • les représentations de la nature des tâches de lecture et d’écriture : lecture (décodage et recherche de sens), écriture (contenu et forme) ;

  • les attitudes vis-à-vis des tâches de lecture et d’écriture : en tant qu’activité académique et de loisirs ;

  • les pratiques de littératie familiale : pratiques de l’enfant, modèles des parents, interactions.

Ces variables ne peuvent expliquer tous les écarts de performance entre les élèves. Cependant, l’intérêt d’étudier ces cinq domaines réside dans le fait que l’enseignant peut y exercer une action en vue de créer des conditions facilitant le développement d’attitudes positives ainsi que de représentations et pratiques de littératie de haut niveau. En comparant les scores obtenus dans les divers questionnaires à l’évaluation académique des élèves faite par les enseignants, nous tenterons de vérifier s’il existe un lien entre chacune de ces variables et les performances des élèves allophones montréalais en lecture et en écriture.

Dans cette étude, nous nous sommes posés la question suivante :

Pour la population allophone de l’école primaire montréalaise, quelles sont, parmi les variables et sous-variables nommées plus haut, celles qui présentent un lien de corrélation significatif et discriminatif avec le rendement en lecture et en écriture (tel qu’évalué par l’enseignant) ?

Nous espérons que les résultats obtenus au moyen de divers questionnaires nous permettront d’identifier les variables les plus fortement corrélées avec le rendement en lecture et en écriture, et de sélectionner les questions et énoncés présentant les indices de corrélation les plus élevés avec ce rendement. Nous utiliserons ces résultats pour élaborer un questionnaire qui se voudra non seulement un outil de dépistage des élèves à risque chez les élèves allophones des écoles primaires montréalaises, mais surtout un outil qui permettra de mieux orienter les interventions des enseignants et autres intervenants du milieu scolaire.

Méthodologie

Les sujets

L’étude a été menée auprès de 150 élèves des 2e et 3e cycles du primaire (9 à 12 ans), dans deux écoles montréalaises à forte concentration allophone. L’une de ces écoles est située dans un milieu économiquement faible, alors que l’autre se trouve dans un milieu moyen. Comme la composition ethnique et culturelle de notre échantillon était fort diversifiée, il nous a été impossible, faute d’échantillon assez large, d’étudier des caractéristiques culturelles particulières en lien avec l’un ou l’autre aspect de la littératie.

Les sujets ont été répartis selon leur rendement académique évalué par le titulaire de chaque groupe. Les titulaires ont fourni une liste des résultats inscrits au dernier bulletin, en lecture et en écriture. Ils ont, de plus, identifié les élèves qui se distinguaient, de manière positive ou négative, dans chacun des domaines suivants : la lecture orale et la compréhension en lecture, l’orthographe, le vocabulaire, la syntaxe et les idées en écriture. Ces données nous ont permis de regrouper les sujets de la façon suivante : en lecture, on retrouve cinq catégories de rendement (très faible, faible, moyen, moyen fort, fort) comprenant entre 5 et 69 sujets ; en écriture, on retrouve quatre catégories de rendement (faible, moyen, moyen fort, fort) comprenant entre 7 et 59 sujets.

Les instruments

Nous avons utilisé douze questionnaires, lesquels ont été brièvement décrits dans la problématique. En voici la liste :

  1. Le sentiment de compétence

    Comment je lis : échelle d’autoperception du lecteur (RSPS) + complément (items ajoutés)

    Comment j’écris : échelle d’autoperception du scripteur (WSPS) + complément (items ajoutés)

  2. Représentations de la nature des tâches de lecture et d’écriture

    Mes idées sur la lecture : échelle descriptive de Cantril

    Mes idées sur l’écriture : échelle descriptive de Cantril

  3. Représentations des fonctions de la lecture et de l’écriture

    À quoi ça sert de lire ? : échelle d’évaluation de l’utilité de la lecture

    À quoi ça sert d’écrire ? : échelle d’évaluation de l’utilité de l’écriture

  4. Attitudes vis-à-vis des tâches de lecture et d’écriture

    Comment te sens-tu quand... : échelle d’évaluation des attitudes vis-à-vis de la lecture (ERAS)

    Comment te sens-tu quand... : échelle d’évaluation des attitudes vis-à-vis de l’écriture (adaptée du ERAS)

  5. Pratiques de littératie familiale

    La lecture à la maison : échelle d’évaluation des pratiques et valeurs de la famille

    L’écriture à la maison : échelle d’évaluation des pratiques et valeurs de la famille

La démarche

Les questionnaires ont été administrés de manière collective par des chercheurs de l’Université de Montréal. Les groupes étaient constitués d’environ 25 élèves à la fois. Les examinateurs ont souligné aux élèves l’importance de répondre honnêtement aux questions. Ils ont expliqué que les résultats étaient confidentiels et anonymes, et que les questionnaires n’évaluaient ni les compétences, ni les connaissances. Ils ont affirmé que le but des questionnaires était de mieux connaître les goûts et les intérêts des élèves du cursus primaire, car nous croyions obtenir des réponses plus honnêtes s’il n’était pas fait mention du rendement académique.

Une période d’environ 90 minutes fut nécessaire pour que chaque groupe puisse compléter les questionnaires. Les examinateurs ont donné les consignes et les explications oralement. Au début de chaque questionnaire, ils ont donné quelques exemples et ont lu les premières questions avec les élèves pour les aider à démarrer. Par la suite, les élèves ont lu seuls les questions et demandé de l’aide au besoin.

Analyse des résultats

Les 193 réponses aux douze questionnaires ont été saisies pour chacun des 150 sujets. Pour chacune de ces réponses, nous avons établi un indice de corrélation avec le rendement en lecture ou en écriture (sauf pour les questionnaires de type descriptif, traités par une analyse qualitative). Nous avons choisi d’exclure les résultats des sujets dont le rendement se situe dans la moyenne ; en procédant ainsi, nous pensons pouvoir identifier plus facilement les items qui permettent de discriminer les sujets à rendement faible et à rendement fort.

Nous présenterons et commenterons séparément les résultats obtenus en lecture et en écriture, en abordant à tour de rôle chacun des sous-thèmes étudiés tout au long de ce travail : sentiment de compétence, représentations de la nature des tâches, représentations des fonctions des tâches, attitudes vis-à-vis des tâches et pratiques de littératie familiale.

Nous avons d’abord procédé à des analyses descriptives (tableaux de fréquences et tableaux croisés) pour dégager un portrait général de l’échantillon. Nous avons ensuite utilisé le coefficient de corrélation de Pearson pour mesurer l’importance de la relation entre le rendement en lecture et en écriture des sujets et les différentes variables. La valeur P a été établie à 5 % pour la plupart des analyses tandis que pour un petit nombre d’entre elles, la valeur était établie à 1 %. Les sujets pour qui certaines valeurs manquaient ont été exclus des analyses correspondantes.

Pour élaborer notre outil final de dépistage des élèves à risque, nous n’avons conservé, à trois exceptions près, que les énoncés présentant un indice de corrélation égal ou supérieur à 0,3 avec un facteur de probabilité d’erreur de 5 % (p = 0,05). Nous avons établi le score moyen obtenu par chaque catégorie de rendement aux deux questionnaires finaux en lecture et en écriture.

Pour les données de nature descriptive, nous avons procédé au dénombrement et établi le pourcentage de sujets par catégorie de rendement qui ont fourni chaque type de réponse. Cette méthode nous a permis de dégager les similarités et les différences entre les réponses des sujets, selon leur rendement.

Lecture

Sentiment de compétence

Nous avons mesuré le sentiment de compétence en lecture à l’aide du RSPS (Henk et Melnick, 1995), en y ajoutant quelques énoncés supplémentaires. Les énoncés se regroupent en quatre échelles traitant respectivement du progrès, de la comparaison par observation, de la rétroaction sociale et des états physiologiques.

Le tableau 1 présente les scores moyens, répartis selon le rendement, pour chacune des échelles du RSPS. On y compare ces résultats à l’échelle normative du RSPS. Comme Henk et ses collaborateurs ne déterminent que trois niveaux de rendement (faible, moyen et fort), nous avons regroupé nos catégories 1 et 2 (très faible et faible) et les catégories 3 et 4 (moyen et moyen fort). Nous avons inclus les sujets de la catégorie 4 dans la catégorie des moyens parce que les notes de lecture de notre échantillon étaient très élevées et qu’un grand nombre de sujets (n = 63) se retrouvaient dans la catégorie 4.

Tableau 1

Scores moyens sur le sentiment de compétence en lecture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du RSPS

Scores moyens sur le sentiment de compétence en lecture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du RSPS

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Les écarts entre les scores des sujets faibles et forts sont plus minces que ceux obtenus par Henk et ses collaborateurs, ce qui contribue à expliquer le faible pouvoir de discrimination du RSPS, administré dans sa forme intégrale pour notre échantillon.

Deux catégories d’énoncés présentent un lien modéré avec le rendement en lecture : comparaison par observation (r = 0,384) et progrès (r = 0,311), alors que les états physiologiques (r = 0,132) et la rétroaction sociale (r = 0,179) ont un lien considérablement plus faible avec le rendement.

Les indices de corrélation avec le rendement en lecture des énoncés individuels du RSPS sont plutôt faibles. Sur les 33 énoncés, seuls cinq obtiennent un indice de corrélation plus grand ou égal à 0,3. Afin d’élargir notre outil final, nous avons aussi retenu deux énoncés avec un indice s’approchant de 0,3. Parmi les énoncés retenus, quatre traitent de la comparaison par observation et trois traitent du progrès. Aucun ne traite des états physiologiques ni de la rétroaction sociale.

Parmi les énoncés que nous avons ajoutés au RSPS, seul celui qui traite du progrès en compréhension de texte présente un indice plus grand ou égal à 0,3. Lorsque nous ajoutons cet énoncé à ceux retenus dans le RSPS, l’indice global de corrélation avec le rendement en lecture est de 0,542, avec un facteur de probabilité d’erreur de 1 % (p = 0,01). Cet indice suggère un lien significatif entre le score global de ces huit énoncés et le rendement en lecture.

Représentations de la nature de la tâche de lecture

Rappelons brièvement que dans ce questionnaire (Cantril, 1965), on demande au sujet de situer, sur une échelle de 1 à 10, un bon lecteur (échelon 10) et un mauvais lecteur (échelon 1), puis de justifier ses choix. On lui demande ensuite de se situer lui-même sur cette échelle et de justifier sa réponse. Les réponses obtenues ont été regroupées en cinq catégories : la compréhension de texte, la qualité de la lecture orale, les intérêts et habitudes personnelles de lecture, les comportements en classe et habitudes de travail, les notes et autres résultats académiques. Le tableau 2 présente les pourcentages et le nombre absolu de sujets, répartis selon le rendement, qui ont inclus un type de réponse dans leurs descriptions. Dans les deux dernières colonnes, on indique le nombre total d’éléments de réponse utilisés par l’ensemble des sujets de chaque catégorie de rendement et le nombre moyen d’éléments de réponse par sujet.

Tableau 2

Pourcentages et nombre absolu de sujets, répartis selon le rendement, ayant mentionné certains éléments utilisés pour définir la nature de la tâche de lecture

Pourcentages et nombre absolu de sujets, répartis selon le rendement, ayant mentionné certains éléments utilisés pour définir la nature de la tâche de lecture

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Dans toutes les catégories de rendement, un pourcentage élevé de sujets indique les habiletés ou les difficultés de lecture orale dans leurs réponses. Les élèves forts ont plus tendance à mentionner les habitudes personnelles et leur intérêt pour la lecture que les élèves moyens et faibles, mais l’écart est moins prononcé qu’on ne pourrait s’y attendre, compte tenu du grand nombre d’études citées plus tôt qui ont démontré un lien significatif entre l’attitude, mesurée à travers les habitudes et les intérêts, et le rendement en lecture. Un pourcentage équivalent de sujets moyens et faibles mentionne cet élément (39 % et 40 %). Ces deux premiers éléments n’ont donc pas de valeur discriminante pour notre échantillon et ne seront pas retenus pour l’élaboration de notre questionnaire.

On retrouve un pourcentage beaucoup plus élevé d’élèves qui mentionnent les habitudes de travail et l’effort chez les sujets forts (19 %) que chez les sujets faibles (10 %). Ces résultats vont à l’encontre de ceux obtenus par Borko et Eisenhart (1986) qui avaient conclu que les mauvais lecteurs ont tendance, plus que les bons lecteurs, à définir la lecture et la compétence en lecture par des conduites appropriées en classe. Par ailleurs, nous estimons que cet élément de réponse n’est pas mentionné assez souvent pour avoir une fonction discriminante.

Les réponses qui définissent la lecture par rapport aux notes et aux résultats académiques n’apportent pas d’informations particulièrement discriminantes. Les forts et les moyens mentionnent cet élément un peu plus souvent que les faibles, mais l’écart ne nous paraît pas significatif.

Au fur et à mesure que le rendement augmente, plus de sujets (faibles : 15 % ; moyens : 27 % ; forts : 39 %) mentionnent la compréhension de texte dans leur description d’un bon et d’un mauvais lecteur. Ces résultats confirment ceux d’études antérieures citées plus tôt. Nous estimons que les écarts sont assez prononcés pour suggérer que l’absence de cet élément de réponse peut être considéré, en conjonction avec d’autres résultats, comme une variable discriminante contribuant au dépistage des élèves à risque.

Il est à noter que les élèves forts ont tendance à inclure plus d’éléments dans leurs réponses (en moyenne : 2,1) que les élèves moyens (en moyenne : 1,8) et que les élèves faibles (en moyenne : 1,5). Cette tendance confirme les résultats obtenus par Borko et Eisenhart (1986) qui ont observé que les bons lecteurs donnent des définitions plus complètes du processus de lecture que les mauvais lecteurs.

L’ensemble de ces résultats indique qu’un questionnaire de type descriptif peut fournir des informations modérément utiles au dépistage des élèves à risque. Les élèves qui éprouvent des difficultés en lecture risquent de se retrouver parmi ceux qui donnent des réponses unidimensionnelles sans mentionner la recherche de sens.

En administrant ce questionnaire sous la forme de l’échelle de Cantril, nous avons fait face à certaines difficultés. Plusieurs élèves se montraient très réticents à nommer un « mauvais » lecteur. Même lorsqu’on leur suggérait d’écrire un nom fictif, ils éprouvaient des difficultés à remplir le questionnaire. De plus, la formulation en amenait plusieurs à justifier leur choix par les causes de succès ou d’échec scolaire, plutôt que par les caractéristiques qui permettent de distinguer un bon d’un mauvais lecteur.

Nous suggérons donc de formuler la question différemment. On pourrait demander : « Qu’est-ce que ça veut dire pour toi, être bon en lecture ? Qu’est-ce que ça veut dire, être mauvais en lecture ? » ou encore : « Si tu étais un enseignant, sur quoi te baserais-tu pour décider si un élève est un bon ou un mauvais lecteur ? » Ces questions, plus précises, permettraient d’obtenir des réponses plus éclairantes sur les représentations de l’acte de lire.

Représentations des fonctions de la tâche de lecture

Nous avons examiné les représentations des sujets au moyen d’un questionnaire comprenant huit énoncés traitant de l’utilité de la lecture à l’école, dans la vie de tous les jours et dans le futur à moyen terme (études) et à long terme (emploi).

Parmi les huit énoncés qui forment ce questionnaire, seuls deux énoncés ont obtenu un indice de corrélation plus grand ou égal à 0,03. Ces énoncés traitent de l’utilité de la lecture dans la vie de tous les jours et pour le futur (emploi). Le seul autre énoncé qui obtient un indice significatif, quoique modéré (0,228), concerne l’utilité de la lecture dans la poursuite des études.

Attitudes vis-à-vis de la lecture

Pour mesurer les attitudes vis-à-vis de la lecture, nous avons utilisé le ERAS (McKenna et Kear, 1990). Ce questionnaire comprend deux sections : l’une consa-crée à la lecture comme activité de loisirs, et l’autre comme activité académique. Le Tableau 3 présente les scores moyens répartis selon le rendement et le rang centile que McKenna et Kear accordent à chacun de ces scores pour des élèves de 5e année.

Tous les scores moyens augmentent avec le rendement en lecture. L’écart entre les sujets faibles, moyens et forts est encore plus évident quand on observe les rangs centiles. Ces résultats indiquent un lien significatif entre les attitudes vis-à-vis de la lecture et le rendement en lecture.

En regroupant les questions du ERAS de trois façons différentes (les questions 1 à 10 sur la lecture comme activité de loisirs, les questions 11 à 20 sur la lecture comme activité académique, toutes les questions ensemble), l’analyse statistique permet d’obtenir les indices globaux de corrélation suivants avec le rendement en lecture : activité de loisirs : 0,134 ; activité académique : 0,290 ; total : 0,231. Les questions portant sur l’attitude vis-à-vis de la lecture comme activité académique semblent être plus utiles au dépistage des élèves à risque que celles portant sur la lecture comme activité de loisirs.

Parmi les 20 questions du ERAS, nous n’avons retenu que les trois énoncés qui présentent l’indice le plus élevé ; ces énoncés traitent tous de la lecture comme activité académique.

Tableau 3

Scores moyens sur les attitudes en lecture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du ERAS pour des élèves de 5e année

Scores moyens sur les attitudes en lecture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du ERAS pour des élèves de 5e année

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Pratiques de littératie familiale

Pour explorer les pratiques de littératie familiale en lecture nous avons élaboré nous-mêmes un questionnaire qui traite des modèles proposés par les parents, des habitudes propres du sujet et des interactions au sein de la famille.

Parmi les 26 énoncés et sous-énoncés de ce questionnaire, nous en avons retenu sept pour notre outil final. Sur ces sept énoncés, quatre ont trait au modèle proposé par l’un ou l’autre des parents, et trois ont trait aux pratiques de l’enfant lui-même. Ces résultats viennent confirmer ceux obtenus par des études antérieures, citées plus tôt, qui soulignent l’influence importante de l’environnement littéraire à la maison et des modèles proposés par les parents sur le rendement en lecture.

Sommaire

À la suite de l’analyse des indices de corrélation avec le rendement en lecture de tous les items, couvrant les cinq volets étudiés, nous avons retenu 20 questions ou énoncés pour notre questionnaire final en lecture. L’indice global de corrélation entre ce nouveau questionnaire et le rendement en lecture est de 0,651. Cet indice de corrélation est très significatif et permet de croire que le questionnaire final peut aider à discriminer les élèves faibles des élèves moyens et forts.

Nous avons construit une échelle de moyennes permettant de situer un élève dans l’une des cinq catégories de rendement, à partir de son score total. Nous sommes conscientes que cette échelle de moyennes a une valeur très limitée, vu la faible taille de notre échantillon et qu’elle devrait être utilisée avec précaution, à titre indicatif seulement.

De plus, nous recommandons d’utiliser un autre questionnaire de type descriptif portant sur les représentations de la nature de la tâche d’écriture afin de compléter les informations obtenues au moyen du questionnaire quantitatif.

Écriture

Le sentiment de compétence

Nous avons évalué le sentiment de compétence en écriture à l’aide du WSPS (Henk, Bottomley et Melnick, 1997), en y ajoutant quelques énoncés supplémentaires. Les énoncés se regroupent en cinq échelles traitant respectivement du progrès général, du progrès spécifique, de la comparaison par observation, de la rétroaction sociale et des états physiologiques.

Le Tableau 4 présente les scores moyens, répartis selon le rendement, pour chacune des échelles du WSPS. On y compare ces résultats à l’échelle normative du WSPS. Comme Henk ne détermine que trois niveaux de rendement (faible, moyen et fort), nous avons regroupé nos catégories 4 et 5 (fort et très fort).

Comme pour le questionnaire sur la lecture, nous remarquons que les écarts entre les scores des sujets faibles et forts sont plus minces que ceux obtenus par Henk. Lorsque l’on regroupe les 38 énoncés selon les cinq catégories du WSPS, trois échelles présentent un indice global de corrélation avec le rendement en écriture plus grand ou égal à 0,4 : comparaison par observation : 0,429 ; progrès général : 0,401 ; rétroaction sociale : 0,419. Il semble donc que pour notre échantillon, ces trois échelles aient un lien significatif avec le rendement académique en écriture, alors que les états physiologiques (0,222) et le progrès spécifique (0,284) ont un lien plus faible.

Tableau 4

Scores moyens sur le sentiment de compétence en écriture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du WSPS

Scores moyens sur le sentiment de compétence en écriture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du WSPS

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Nous avons aussi examiné l’indice de corrélation avec le rendement en écriture de chacun des énoncés du questionnaire WSPS. En général, les indices de corrélation sont faibles ou modérés. Parmi les 38 énoncés du WSPS, seize présentent un indice de corrélation plus grand ou égal à 0,3. Parmi ceux-ci, six traitent de la comparaison par observation, cinq de la rétroaction sociale et cinq du progrès général. Aucun ne traite du progrès spécifique ni des états physiologiques.

Parmi les cinq énoncés que nous avons ajoutés au WSPS, deux énoncés qui traitent de l’orthographe présentent un indice plus grand ou égal à 0,3. Lorsque nous ajoutons ces deux énoncés à ceux retenus dans le WSPS, l’indice global de corrélation avec le rendement en écriture est de 0,544, avec un facteur de probabilité d’erreur de 1 % (p = 0,01), ce qui suggère un lien significatif entre le score global de ces dix-huit énoncés et le rendement en écriture.

Représentations de la nature de la tâche d’écriture

Rappelons que dans ce questionnaire, le sujet doit décrire un bon scripteur et un mauvais scripteur, ainsi que se décrire lui-même en tant que scripteur. Les réponses ont été regroupées en cinq catégories : contenu, forme, intérêts et habitudes personnelles d’écriture, comportements en classe et habitudes de travail, notes et autres résultats académiques.

Le tableau 5 présente les pourcentages et le nombre absolu de sujets, répartis selon le rendement, qui ont inclus chaque type de réponse dans leurs descriptions. Dans les deux dernières colonnes, on indique le nombre total d’éléments de réponse utilisés par les sujets de cette catégorie et le nombre moyen d’éléments de réponse par sujet.

Dans toutes les catégories de rendement, une proportion importante des sujets incluent dans leur définition des éléments ayant trait à la forme. Très peu de sujets de rendement moyen (5 %) mentionnent les habitudes personnelles et l’intérêt dans leurs représentations des bons et mauvais scripteurs. Les pourcentages sont plus élevés et assez rapprochés chez les sujets faibles et forts. Ces deux premiers éléments n’ont donc pas de valeur discriminante pour notre échantillon et ne seront pas retenus pour l’élaboration de notre questionnaire.

Tableau 5

Pourcentages et nombre absolu de sujets, répartis selon le rendement, ayant mentionné certains éléments utilisés pour décrire la tâche d’écriture

Pourcentages et nombre absolu de sujets, répartis selon le rendement, ayant mentionné certains éléments utilisés pour décrire la tâche d’écriture

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Le pourcentage de sujets faibles qui mentionnent les habitudes de travail (comportement en classe, effort, étude) est significativement plus élevé que chez les sujets de rendement moyen et fort. Quant aux notes et résultats, les sujets forts ont plus tendance à les mentionner que les sujets faibles et moyens, mais l’écart entre les forts et les faibles ne paraît pas significatif.

Toute proportion gardée, beaucoup plus de sujets forts (42 %) incluent dans leur description des éléments ayant rapport au contenu. Le pourcentage descend à 24 % chez les sujets moyens, et à 4 % chez les sujets faibles. Ces résultats confirment ceux obtenus par Graham, Schwartz et MacArthur (1993) qui ont observé que les bons scripteurs tendent, plus que les mauvais scripteurs, à définir un texte par son contenu. Nous estimons que les écarts sont assez prononcés pour suggérer que l’absence de cet élément de réponse (qualité du contenu) peut être considéré, en conjonction avec d’autres résultats, comme une variable contribuant au dépistage des élèves à risque pour notre échantillon.

De plus, nous avons constaté que les sujets forts utilisent plus d’éléments pour justifier leur choix d’un bon et d’un mauvais scripteur, confirmant ainsi les résultats de Wong, Wong et Blenkinsop (1989), qui ont constaté que les bons scripteurs donnent des définitions de la tâche d’écriture plus complètes et mieux articulées. Cependant, les sujets faibles et moyens utilisent en moyenne le même nombre d’éléments dans leurs descriptions. On ne peut donc considérer cette variable, par elle-même, comme un facteur de discrimination et de dépistage des élèves à risque pour notre échantillon.

Nos résultats suggèrent qu’un questionnaire de type descriptif permet d’obtenir des renseignements modérément utiles au dépistage des élèves à risque. Les élèves qui éprouvent des difficultés en écriture risquent de se retrouver parmi ceux qui ne mentionnent pas le contenu dans leur définition de l’écriture, manifestent un manque d’intérêt, expriment un dégoût pour l’effort requis par l’acte d’écrire et donnent une définition unidimensionnelle de l’écriture.

Pour l’administration de ce questionnaire, nous avons fait face aux mêmes difficultés qu’en lecture. Nous suggérons donc de formuler la question différemment. On pourrait demander : « Qu’est-ce que ça veut dire pour toi, être bon en écriture ? Qu’est-ce que ça veut dire, être mauvais en écriture ? » ou encore : « Si tu étais un enseignant, sur quoi te baserais-tu pour décider si un texte est bon ou mauvais ? » Nous croyons pouvoir obtenir ainsi des réponses plus éclairantes sur les représentations que se font les sujets de l’acte d’écrire.

Représentations des fonctions de la tâche d’écriture

Nous avons examiné les représentations des sujets concernant les fonctions de l’écriture au moyen d’un questionnaire comprenant huit énoncés traitant de l’utilité de l’écriture à l’école, dans la vie quotidienne et dans le futur à moyen terme (études) et à long terme (emploi).

Parmi les énoncés de ce questionnaire, un seul a obtenu un indice de corrélation plus grand ou égal à 0,03. Cet énoncé se lit ainsi : « Savoir bien écrire, c’est utile dans toutes les matières, pas seulement dans les cours de français ». Il semble qu’en écriture, contrairement aux résultats obtenus en lecture, un but scolaire et rapproché ait un lien plus significatif avec le rendement qu’un but éloigné et de nature plus générale.

Les autres énoncés de ce questionnaire ont obtenu des indices de corrélation très faibles. Les représentations des sujets quant aux fonctions de l’écriture ne semblent pas avoir de lien significatif avec le rendement en écriture. Il est fort possible que les élèves de dix à douze ans n’aient pas encore développé une représentation claire des fonctions de l’écriture.

Attitudes face à l’écriture

Pour mesurer les attitudes vis-à-vis de l’écriture, nous avons adapté le ERAS (McKenna et Kear, 1990), lequel mesure les attitudes vis-à-vis de la lecture. Tout comme le ERAS, ce questionnaire comprend deux sections : l’une consacrée à l’écriture comme activité de loisirs, et l’autre à l’écriture comme activité académique.

Le Tableau 6 présente les scores moyens répartis selon le rendement et le rang centile que McKenna accorde à ces scores, pour des élèves de 5e année en lecture.

Tableau 6

Scores moyens sur les attitudes en écriture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du ERAS (lecture) pour des élèves de 5e année

Scores moyens sur les attitudes en écriture, répartis selon le rendement et comparés à l’échelle normative du ERAS (lecture) pour des élèves de 5e année

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Les scores moyens augmentent avec le rendement en écriture. L’écart entre les sujets faibles, moyens et forts est plus évident quand on observe les rangs centiles plutôt que les scores moyens. Ces résultats semblent indiquer un lien significatif entre les attitudes vis-à-vis de l’écriture et le rendement en écriture.

Les résultats obtenus par les sujets de notre échantillon sont généralement plus faibles que ceux obtenus dans l’étude de McKenna et Kear (1990), particulièrement en ce qui concerne l’écriture comme activité de loisirs. Il faut cependant noter que les rangs centiles fournis par ces auteurs se rapportent à la validation du ERAS, qui mesure les attitudes vis-à-vis de la lecture. Rien ne permet d’affirmer que les normes seraient les mêmes pour un questionnaire portant sur les attitudes vis-à-vis de l’écriture. En fait, il est permis de penser que les normes seraient beaucoup plus basses pour l’écriture comme activité de loisirs, car en général les gens consacrent une bien plus grande partie de leurs loisirs à la lecture qu’à l’écriture.

Parmi les 20 questions de cet instrument, une seule a obtenu un indice de corrélation avec le rendement en écriture plus grand ou égal à 0,3. La question se lit ainsi : « Aimes-tu faire des tests d’écriture ? » Toutes les autres questions ont obtenu un indice inférieur à 0,2. Ces résultats diffèrent largement de ceux obtenus lors d’études précédentes, qui avaient démontré que l’attitude est un bon facteur prédictif du rendement en écriture (Faigley, Cherry, Jolliffe et Skinner, 1985 ; Knudson, 1995 ; Mavrogenes et Bezruczko, 1993 ; Graham, Schwartz et MacArthur, 1993).

Même en regroupant les questions de trois façons différentes (activité de loisirs, activité académique, toutes les questions ensemble), on obtient des indices globaux de corrélation inférieurs à 0,3. Il semble que pour les sujets de notre échantillon, les attitudes vis-à-vis de l’écriture n’aient pas un lien très significatif avec le rendement en écriture.

Pratiques de littératie familiale

Pour explorer les pratiques de littératie familiale en écriture, nous avons élaboré un questionnaire qui traite des modèles proposés par les parents, des habitudes propres du sujet et des interactions au sein de la famille.

Contrairement à nos attentes, aucun des énoncés du questionnaire portant sur les pratiques de littératie familiale en écriture n’a obtenu un indice de corrélation avec le rendement en écriture plus grand ou égal à 0,3. La majorité des sujets, quel que soit leur rendement, voient souvent ou parfois leurs parents écrire à la maison, particulièrement des lettres aux amis et à la parenté.

Par contre, nous avons étudié le lien de corrélation entre les pratiques familiales en lecture et le rendement en écriture. Il appert que trois énoncés portant sur les pratiques de littératie en lecture à la maison ont un indice de corrélation plus grand ou égal à 0,3 avec le rendement en écriture : « Je lis à la maison » (0,349) ; « Mon père ou ma mère lit le journal » (0,349) ; « Je lis pour mon plaisir » (0,405).

Les pratiques liées à la lecture auraient donc un lien plus étroit avec le rendement en écriture que les pratiques liées à l’écriture. Ces résultats supportent la croyance populaire qui veut que l’on devienne meilleur scripteur en lisant beaucoup, car la lecture permet, entre autres choses, d’élargir ses connaissances, de développer son imagination, d’enrichir son vocabulaire et ses représentations orthographiques, et de se familiariser avec des structures de phrases correctes et variées. Cela s’applique particulièrement aux élèves qui apprennent à lire et à écrire dans une langue seconde, comme c’est le cas pour les sujets de notre échantillon.

Sommaire

À la suite de l’analyse des indices de corrélation avec le rendement en écriture de tous les items, couvrant les cinq volets étudiés, nous avons retenu vingt questions ou énoncés pour notre questionnaire final en écriture. L’indice de corrélation global de l’ensemble de ces questions avec le rendement en écriture est de 0,555, ce qui permet de croire que le questionnaire final peut aider à discriminer les élèves faibles des élèves moyens et forts chez les élèves allophones.

Nous avons construit une échelle de moyennes permettant de situer approximativement un élève dans l’une des cinq catégories de rendement, à partir de son score total. Nous sommes conscientes que cette échelle de moyennes a une valeur très limitée, vu la faible taille de notre échantillon. Elle devrait être utilisée avec précaution, à titre indicatif seulement.

Comme pour la lecture, nous recommandons d’utiliser un autre questionnaire de type descriptif portant sur les représentations de la nature de la tâche d’écriture afin de compléter les informations obtenues au moyen du questionnaire quantitatif.

Les langues parlées à la maison : leur lien avec le rendement en lecture et en écriture

Nos sujets, tous enfants de parents immigrants allophones, proviennent de foyers où la langue maternelle est autre que le français et l’anglais. Dans l’en-tête du questionnaire, ils devaient indiquer l’ordre de dominance du français, de l’anglais et de leur langue maternelle, comme outil de communication à la maison. Ils devaient aussi indiquer s’ils avaient appris à lire ou à écrire dans leur langue maternelle.

Nous avons établi l’indice de corrélation de chacune de ces variables avec le rendement en lecture et en écriture. Nous nous attendions à ce que l’usage prépondérant du français à la maison ait un lien positif avec le rendement en lecture et en écriture. Nous avions aussi envisagé la possibilité que les enfants sachant lire ou écrire dans leur langue maternelle fassent des transferts positifs dans leur apprentissage de la langue française écrite.

Contrairement à nos attentes, les résultats n’ont fourni aucune information significative. Par contre, même si l’utilisation du français comme principale langue de communication à la maison n’a pas obtenu un indice de corrélation significatif avec le rendement en lecture et en écriture, il est à noter que trois sous-énoncés ayant trait à la lecture en français ont obtenu des indices de corrélation significatifs avec le rendement en lecture.

Discussion

Cette étude avait un double objectif : d’abord, identifier des variables présentant un lien significatif avec le rendement en lecture et en écriture, puis proposer un outil de dépistage des élèves à risque au sein de la population allophone des écoles primaires de Montréal, en regard de leurs représentations, attitudes et pratiques de littératie. Cet outil vise aussi à aider les enseignants et autres intervenants du milieu scolaire à orienter leurs interventions auprès de ces élèves.

À l’aide de douze questionnaires administrés à 150 enfants allophones âgés de neuf à douze ans provenant de milieux socioéconomiques faibles ou moyens, nous avons étudié les liens de corrélation entre le rendement en lecture et en écriture et divers aspects de la littératie, à savoir : le sentiment de compétence, les représentations de la nature de la lecture et de l’écriture, les représentations des fonctions de la lecture et de l’écriture, les attitudes vis-à-vis de la lecture et de l’écriture et, finalement, les pratiques de littératie familiale.

Après avoir examiné, au moyen d’analyses statistiques, les indices de corrélation de chacune des questions avec le rendement en lecture ou en écriture, nous avons retenu celles qui présentent un indice de corrélation égal ou supérieur à 0,3 pour composer le questionnaire final. Nous sommes ainsi arrivées à construire deux questionnaires, un en lecture et un en écriture, comprenant chacun vingt questions, avec une échelle de réponses de type Likert. L’indice de corrélation global de ces questionnaires avec le rendement est de 0,651 en lecture et de 0,555 en écriture. Une échelle de moyennes aide les enseignants à situer leurs élèves dans l’une ou l’autre des catégories de rendement.

À chacun de ces questionnaires, nous avons ajouté des questions de type descriptif permettant d’examiner les représentations de la nature des tâches de lecture et d’écriture. L’interprétation des réponses à ces questionnaires requiert une analyse qualitative.

Avant de tirer des conclusions, rappelons que le jugement que nous poserons sur les outils utilisés lors de cette expérimentation ne portent pas sur la valeur que leur accordent les chercheurs qui les ont conçus dans un but différent du nôtre. Ce jugement ne concerne que la valeur de ces instruments en tant qu’outil de dépistage et ce, pour une population restreinte. De plus, comme notre échantillon est de taille plutôt réduite (150), les conclusions que nous tirons ne s’appliquent qu’à la population allophone montréalaise des 2e et 3e cycles du cursus primaire ou à des populations présentant des caractéristiques très semblables.

Considérons d’abord les questionnaires traitant du sentiment de compétence, soit le RSPS (Henk et Melnick, 1995) et le WSPS (Henk et al., 1997). En tant qu’outil de dépistage des élèves à risque chez les jeunes allophones montréalais, ces questionnaires nous paraissent trop longs et leur indice de corrélation avec le rendement académique est plutôt modéré. Quand on ne retient que les énoncés qui affichent un indice de corrélation égal ou supérieur à 0,3, on obtient un outil beaucoup plus rapide à administrer, affichant un indice global de corrélation avec un rendement sensiblement plus élevé.

En ce qui concerne le ERAS (McKenna et Kear, 1990) et sa forme adaptée à l’écriture, ces questionnaires ne semblent pas d’une grande utilité pour dépister les élèves à risque, à tout le moins en ce qui concerne notre échantillon. Nous n’avons retenu que trois questions dans le ERAS original (lecture), et une seule dans notre version adaptée à l’écriture.

Parmi les outils que nous avons utilisés, l’échelle de Cantril (1965) est le seul de type descriptif et il nous apparaît difficile à administrer en classe. Par contre, l’utilisation de ce questionnaire nous a permis d’établir que les données de nature descriptive fournissent des informations fort intéressantes sur les représentations des élèves et que ces dernières ont un lien avec le rendement en lecture et en écriture. Comme nous l’avons mentionné dans la discussion sur les résultats, nous croyons que ce questionnaire serait plus efficace si les questions étaient formulées différemment.

Les autres questionnaires que nous avons utilisés dans notre étude sont inspirés de documents variés et contiennent plusieurs énoncés de notre crû. Nous n’avons donc pas cherché à établir leur valeur en tant qu’outil de dépistage dans leur globalité. Nous nous sommes contentées d’établir l’indice de corrélation avec le rendement académique pour chacun des énoncés dans le but de choisir ensuite ceux qui présentaient un indice supérieur ou égal à 0,3.

Nos questionnaires finaux peuvent s’administrer en classe (environ 25 élèves), rapidement et facilement. S’ils sont utilisés en début d’année, nous croyons qu’ils pourront contribuer au dépistage d’élèves qui sont à risque en raison de représentations confuses, d’attitudes négatives ou de pratiques de littératie familiale limitées. En effet, en utilisant les deux questionnaires (lecture et écriture), on obtiendra des informations complémentaires qui permettront à l’enseignant d’identifier un ou des facteurs de risque sur lesquels il sera en mesure d’exercer une influence. Au besoin, les intervenants scolaires (enseignant, orthopédagogue, etc.) pousseront plus loin l’investigation afin d’obtenir des informations plus détaillées et d’être en mesure d’élaborer un plan d’intervention ou de rééducation approprié.

Bien entendu, notre outil final devra être validé auprès d’un échantillon beaucoup plus large avant de conclure qu’il peut servir au dépistage d’élèves à risque sur une grande échelle. Pour le moment, nous nous contenterons de conclure qu’il semble intéressant pour le dépistage d’élèves à risque au sein de la population allophone montréalaise âgée de neuf à douze ans et, aussi, pour orienter les interventions de l’enseignant.

Revenons maintenant à la question que nous avons posée au début de cette étude, à savoir quelles sont, parmi les variables et sous-variables étudiées, celles qui ont un lien significatif avec le rendement en lecture et en écriture. L’analyse des résultats nous amène à conclure que chez les élèves allophones montréalais de neuf à douze ans, plusieurs des variables et sous-variables étudiées ont un lien significatif avec le rendement en lecture. Nos résultats indiquent que chez les sujets, la perception du progrès accompli en lecture, la perception de soi comme lecteur à travers la comparaison avec les pairs, les représentations des fonctions et de la nature de la lecture, l’attitude vis-à-vis de la lecture comme activité académique et les pratiques de lecture à la maison sont des variables qui ont un lien significatif avec le rendement en lecture. Les variables qui n’affichent pas un indice de corrélation significatif sont la rétroaction sociale, les états physiologiques et les fonctions de la lecture vues comme buts à court terme. Quant à l’attitude vis-à-vis de la lecture comme activité de loisirs, il semble exister un lien très modéré entre cette variable et le rendement en lecture, alors que des études précédentes indiquaient un lien significatif. Il serait intéressant d’étudier en profondeur les causes de cet écart entre nos résultats et ceux des études antérieures. Les familles allophones à revenu faible ou moyen consacrent-elles moins d’argent à l’achat de livres pour enfants que les familles francophones et anglophones à revenu équivalent ? Si tel est le cas, est-ce parce qu’elles n’en ont pas les moyens ou est-ce parce que les parents ne lisent couramment ni le français ni l’anglais et ont difficilement accès à la littérature dans leur langue maternelle ? Ces familles ont-elles développé l’habitude de fréquenter la bibliothèque de leur quartier ? Si oui, y trouvent-elles des livres dans leur langue maternelle ?

En écriture, chez nos élèves allophones, la perception du progrès général, la perception de soi comme scripteur à travers la comparaison avec les pairs, la rétroaction sociale ainsi que les représentations de la nature de la tâche d’écriture semblent avoir un lien significatif avec le rendement dans ce domaine. Les états physiologiques et la perception du progrès spécifique, les représentations des fonctions de l’écriture et les attitudes du sujet vis-à-vis de l’écrit ne paraissent pas être liés significativement au rendement en écriture.

Contrairement à la lecture, les pratiques en écriture de la famille ne semblent pas avoir de lien avec le rendement en écriture. En effet, la majorité de nos sujets, sans égard au rendement en lecture, déclarent que leurs parents écrivent à des amis ou à des parents qui demeurent au loin, probablement dans leur pays d’origine. Si le modèle offert par les parents a eu un effet quelconque, il s’est alors exercé de façon plutôt uniforme chez toutes les catégories d’élèves. Il est possible qu’au sein d’une population ne présentant pas cette caractéristique particulière (avoir des amis et des parents résidant à l’extérieur du pays), la variable « modèle de parents qui écrivent » ait un effet plus significatif.

Cependant, nous avons établi un lien entre le rendement en écriture et certaines pratiques familiales de lecture, entre autres « Je lis pour mon plaisir » (0,405). Cela nous ramène aux questions posées plus haut, concernant l’accès à la littérature dans les foyers allophones. Pourquoi la variable « lecture pour le plaisir » exerce-t-elle un effet significatif en écriture et non en lecture ? Cette question mériterait qu’on s’y intéresse.

Conclusion

Comme objet de recherche future, il serait très intéressant de valider notre outil final auprès d’un large échantillon, tant allophone que francophone. On pourrait élargir l’échantillon suffisamment afin d’y inclure des populations présentant d’autres caractéristiques telles le milieu géographique et le statut socioéconomique. Il est possible que ce questionnaire s’avère efficace dans le dépistage d’élèves à risque et dans l’identification de facteurs de risque chez d’autres populations que la clientèle allophone montréalaise.

La validation de cet outil pourrait alors aider à dégager des pistes d’intervention à l’intention des parents et des enseignants d’élèves du 2e et du 3e cycles du primaire, comme l’ont fait Burns, Espinosa et Snow (2003) pour les enfants d’âge préscolaire. Dans cette même voie, l’hypothèse à vérifier serait la suivante : après avoir dépisté un élève à risque au moyen de l’outil proposé, une intervention portant sur les dimensions lacunaires contribuerait à l’amélioration du rendement en lecture et en écriture.