Corps de l’article

Depuis plusieurs décennies, les chercheurs en développement de l’enfant et en éducation ont mis de l’avant l’importance de tenir compte des facteurs de risque susceptibles d’entraver l’adaptation et la réussite scolaire de l’enfant (Rutter, 1979). Ce concept de risque peut prendre des sens variés. Il peut référer à un effet négatif probable, à une variable susceptible de prédire la manifestation de comportements problématiques ou encore à une description de conditions de vie difficiles (Rauth, 1989). En général, le risque est défini en prenant en considération les facteurs qui permettent de faire des prédictions spécifiques liées à un fonctionnement ultérieur inadapté sur le plan socioaffectif, comportemental ou scolaire (Trudel, Puentes-Neuman et Ntbutse, 2003). Ainsi, une grande quantité de chercheurs militent en faveur de l’inclusion des facteurs de risque dans l’analyse des conditions pouvant intervenir dans l’adaptation de l’élève à l’école (Cicchetti, 1990 ; Reynolds, Ou et Topitzes, 2004 ; Sameroff, Gutman et Peck, 2003). Sur le plan international, de nombreuses initiatives tentaient d’arrimer les interventions préventives introduites avant l’entrée de l’enfant à l’école avec des actions mises en place en début de scolarisation. Bon nombre de ces études ont conclu que, bien que les effets de la prévention soient significatifs à court et à moyen termes, le maintien de ces effets nécessite une intervention soutenue en cours de scolarisation. De plus, les variables responsables du succès et de l’adaptation scolaire de l’élève sont nombreuses et entretiennent des relations complexes entre elles (Early Child Care Research Network - NICHD, 2004 ; Ramey et Ramey, 1998). Au Québec, cette notion d’enfant à risque trouvait écho particulièrement dans les milieux de la santé et des affaires sociales, et donnait lieu à des initiatives de prévention, concentrées surtout sur la période préscolaire (Verlaan, Tremblay, Saysset et Boivin, 1998). La majorité des programmes de prévention visent à habiliter les parents dans leur rôle parental ou à stimuler l’enfant en vue de son entrée à l’école. Cependant, aucune structure formelle d’organisation des services ne tenait compte de l’élève chez qui le risque n’était pas encore manifesté par des difficultés d’apprentissage, d’adaptation ou de comportement. Ainsi, à son entrée dans le milieu scolaire, l’enfant cumulant des facteurs de risque d’échec ou de mésadaptation entamait son parcours scolaire en attente d’une classification lui permettant d’obtenir des services spécialisés.

En 2000, le ministère de l’Éducation du Québec mettait de l’avant le concept d’élève à risque. Cette nouvelle catégorie d’élèves regroupait les enfants qui présentent des retards d’apprentissage ou des difficultés pouvant mener à l’échec (MÉQ, 2000 – définitions). Des difficultés sur les plans comportemental, émotionnel, social et développemental, ainsi que des difficultés d’apprentissage et la déficience intellectuelle faisaient partie de cette définition. Également, les conditions de vie des élèves devenaient un facteur avoué de risque pouvant mener à des interventions particulières en vue de favoriser la réussite de tous. Une telle classification des élèves impliquait aussi une nouvelle façon de conceptualiser la problématique de la clientèle visée, de planifier les interventions et d’en mesurer les effets. Dès lors, le concept de risque a fait son entrée dans les écoles, et la recherche réalisée dans les milieux scolaires a tenu compte de cette nouvelle conceptualisation afin de répondre aux besoins et aux réalités des milieux.

Depuis son introduction dans le système scolaire québécois en 2000, le concept d’élève à risque est demeuré central dans la planification des services en milieu scolaire. Cependant, dans son dernier document à ce sujet, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2006) établit une différence entre les élèves à risque et les élèves en difficulté d’adaptation et d’apprentissage, sans toutefois définir ce qui correspond désormais à la classification d’élève à risque.

Cette évolution vers la prise en compte du statut de risque de l’élève se retrouve aussi sur le plan national. Ainsi, le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada commanditait des travaux concernant le phénomène de risque et de la résilience chez les élèves (Programme pancanadien de recherche en éducation – PPRE, 2001). Le monde de l’éducation a montré un intérêt renouvelé pour les problématiques d’adaptation des élèves tenant compte à la fois des caractéristiques individuelles et contextuelles impliquées dans la réussite scolaire.

Dans ce contexte de dynamisation de la recherche sur les élèves à risque et face à la multiplicité de conceptions que cette appellation suscitait, un colloque consacré à la thématique des élèves à risque a été tenu au printemps 2004 dans le cadre du congrès de l’Association canadienne-française pour l’avancement de la science (ACFAS). L’intérêt des chercheurs et la richesse des travaux dans le domaine nous amenaient à lancer, en 2005, l’appel de communications visant la constitution d’un numéro thématique de la Revue des sciences de l’éducation sur l’élève à risque dans l’école d’aujourd’hui. L’objectif était de recueillir un corpus de connaissances actuelles et variées au sujet des élèves à risque dans nos écoles. Si l’on juge par la réponse que cet appel de communications a générée, le sujet des élèves à risque est très actuel.

Les sept articles retenus pour ce numéro thématique permettent d’envisager la recherche sur les élèves à risque sous quatre angles principaux : la définition du concept d’élève à risque, le raisonnement et le processus d’apprentissage chez les élèves à risque, l’adaptation et les milieux de vie, ainsi que les interventions éducatives. Dans une perspective où les risques ne se situent pas exclusivement dans la période préscolaire ou au début de la scolarisation, nous avons pris soin, dans notre sélection, de présenter des études menées aux différents ordres d’enseignement. Nous avons aussi tenu compte des approches méthodologiques que nous voulions variées et novatrices et avons réuni des études qui présentent un regard renouvelé sur les problématiques, les processus d’apprentissage et l’intervention.

Au sujet de la définition de l’élève à risque

Un premier constat dans l’ensemble des travaux concerne la variété de définitions du concept d’élève à risque qui s’en dégage. Dans la première section de ce numéro thématique, Tessier et Schmidt présentent une recension des écrits scientifiques et professionnels, dans le but de retracer l’origine et la nature du concept d’élève à risque et son utilisation dans le milieu scolaire. Leur analyse révèle l’hétérogénéité de l’utilisation de ce concept dans les écrits de recherche qui prend sa racine dans les positions épistémologiques avec lesquelles on approche le concept de risque. Cette analyse est importante, car elle situe le concept de façon spécifique dans le domaine de l’éducation. Les auteurs concluent que Les définitions de type institutionnel, descriptif et prédictif apparaissent plus viables et compréhensives pour la pratique en milieu scolaire, en autant qu’elles s’insèrent dans un cadre épistémologique d’ordre écosystémique.

Dans ce numéro thématique, les approches privilégiées par les chercheurs pour définir les élèves à risque, parmi les cinq identifiées dans la recension de Tessier et Schmidt (dans le présent ouvrage), sont : descriptive, prédictive et écologique. Trois recherches sur les six présentées (Mary et Theis ; Rousseau et Vézina ; Lessard, Fortin, Joly, Marcotte et Potvin) ont défini l’élève à risque selon le type descriptif, le plus fréquent selon la recension réalisée ; deux d’entre elles ont opté pour l’approche prédictive (Morin et Montésinos-Gelet ; Cartier, Butler et Janosz) et une se situe dans l’approche écologique (Puentes-Neuman, Trudel et Breton).

Dans l’approche descriptive, deux des trois études se fondent sur la définition de l’élève à risque telle que proposée par le MÉQ (2000). Les auteurs Mary et Theis étudient le raisonnement statistique des élèves à risque du primaire. Les chercheurs situent le risque dans deux des aspects inclus dans le concept selon le MÉQ, soit le retard scolaire des élèves ou les difficultés pouvant les mener à l’échec. L’étude de Rousseau et Vézina porte sur la tâche globale comme organisation innovante pour une plus grande réussite des élèves à risque. Ces auteurs se réfèrent à l’aspect difficulté grave contenu dans la définition du MÉQ pour situer les élèves à risque. La troisième étude de type descriptif, celle de Lessard et ses collaborateurs, qui décrit le cheminement de décrocheurs et de décrocheuses, se centre de façon prospective sur le vécu des élèves pour identifier ceux qui étaient à risque de décrocher de l’école. Cette étude permet de voir comment les facteurs de risque se sont conjugués pour aboutir à l’abandon scolaire.

Deux des études ont adopté une approche prédictive pour identifier les élèves à risque, dont l’une repose sur les caractéristiques des élèves et l’autre sur les caractéristiques de l’école. L’article de Morin et Montésinos-Gelet a pour objectif de valider l’impact d’un programme d’orthographes approchées en maternelle sur le développement des habiletés d’enfants à risque en littéracie. Ces chercheuses souscrivent à une définition prédictive du risque, faisant la sélection des élèves au regard de leurs faibles performances à l’une des tâches reliées aux habiletés ultérieures de lecture et d’écriture. L’article de Cartier, Butler et Janosz porte sur la description de portraits d’autorégulation lors de l’apprentissage par la lecture d’élèves du secondaire scolarisés dans des écoles de milieux défavorisés. Les élèves sont identifiés comme étant à risque à partir de la probabilité qu’ils ont de cumuler des retards scolaires, compte tenu de leur fréquentation d’une école de niveau socioéconomique faible.

Enfin, une étude se situe dans l’approche écologique pour identifier les élèves à risque.

L’article de Puentes-Neuman, Trudel et Breton présente une analyse des facteurs de risque et de protection chez des élèves réputés à risque en raison des événements stressants vécus par la famille. Ici, la manifestation du risque se traduit par le fait d’appartenir à une famille qui vit des événements stressants, ainsi que par la perception que ces enfants ont de leur propre santé mentale.

Les définitions retenues par les chercheurs de ce numéro thématique illustrent bien l’hétérogénéité qui prédomine dans le domaine d’étude des élèves à risque et appelle à la poursuite du travail de clarification dans ce domaine.

Au sujet des impacts pour les élèves à risque et les intervenants éducatifs

En lien avec les définitions variées du concept de l’élève à risque, ce numéro thématique propose des échantillons de la recherche actuelle qui reflètent la diversité des études qui se font dans le domaine. On retrouve des recherches sur les différents ordres d’enseignement, abordant des thématiques variées : l’intervention précoce en maternelle (Morin et Montésinos-Gelet), l’adaptation sociale au début du primaire (Puentes-Neuman, Trudel et Breton), le raisonnement des élèves vers la fin du primaire (Mary et Theis), les processus d’autorégulation de l’apprentissage par la lecture dans l’ensemble du secondaire (Cartier, Butler et Janosz), les voies spécialisées d’enseignement au secondaire (Rousseau et Vézina) et même les élèves ayant abandonné l’école (Lessard et collab.). Enfin, les méthodologies de recherche sont variées, autant qualitatives que quantitatives.

Sur le plan de l’intervention éducative, ce numéro présente des études centrées sur les aspects didactiques liés à la tâche (Morin et Montésinos-Gelet, Mary et Theis), ainsi que sur des aspects psychopédagogiques (Cartier, Butler et Janosz ; Rousseau et Vézina). On y retrouve des modèles de service, avec un modèle organisationnel unique (Rousseau et Vézina). Également, plusieurs milieux de vie des élèves sont étudiés, puisque les échantillons proviennent tant des milieux socioéconomiques moyens (Morin et Montésinos-Gelet) que des milieux défavorisés (Cartier, Butler et Janosz). Les liens avec le milieu familial (Puentes-Neuman, Trudel et Breton) ou le cheminement scolaire (Lessard et collab.) sont analysés.

Les principaux constats qui s’en dégagent montrent l’importance de sensibiliser les intervenants scolaires non seulement à la façon dont s’observe le risque chez les élèves dans leur milieu familial ou scolaire, mais également à l’expérience subjective que ces derniers vivent. Des articles comme ceux de Mary et Theis et de Cartier, Butler et Janosz suggèrent toute l’importance d’écouter les élèves, de considérer leur point de vue, afin de mieux les accompagner dans leur apprentissage. Cela vaut aussi pour les enseignants, comme on le voit dans l’article de Rousseau et Vézina. Par ailleurs, bien que la plupart des études portent spécifiquement sur la description des processus, des cheminements, des perceptions ou des changements chez les élèves à risque, elles analysent ou interprètent toutes les résultats en lien avec le contexte scolaire ou familial. On peut donc observer la tendance proposée par Tessier et Schmidt d’étudier la problématique des élèves à risque dans une perspective écosystémique. Les constats dégagés de ces études ont des implications importantes pour la formation continue des enseignants, ainsi que pour la formation initiale.

Les thématiques abordées

Voici les principaux apports des recherches regroupées selon les trois grandes thématiques de ce numéro spécial. La première thématique concerne le raisonnement des élèves à risque et leur processus d’apprentissage. L’article de Mary et Theis analyse en profondeur les raisonnements d’élèves du troisième cycle du primaire en difficulté d’apprentissage face à une situation-problème statistique. Cette étude est novatrice sur deux plans : elle aborde la résolution de problèmes statistiques au primaire, ce qui est très peu fréquent dans les écrits de recherche, puis elle le fait auprès d’élèves en grande difficulté d’apprentissage. L’analyse des raisonnements des élèves permet de bien comprendre les solutions que ceux-ci proposent, ainsi que de saisir les difficultés que les élèves rencontrent en cours de résolution et la façon dont les solutions évoluent en lien avec les interactions dans la classe. Pour sa part, l’article de Cartier, Butler et Janosz présente une vaste enquête des pratiques d’autorégulation de l’apprentissage par la lecture chez les élèves du secondaire de milieux défavorisés. Cette étude est importante, car elle propose d’abord un modèle original de l’apprentissage autorégulé dans des situations scolaires. De plus, elle trace des portraits détaillés et cohérents de la perception que les élèves du secondaire en milieux défavorisés ont de leurs processus d’apprentissage par la lecture. Enfin, l’analyse réalisée fait état des différences dans les stratégies et les processus présents chez les élèves les plus jeunes et les plus vieux du secondaire. Ces deux articles s’intéressent aux mécanismes cognitifs impliqués dans l’apprentissage et la réussite de l’élève à risque, et montrent l’importance de s’intéresser à ces démarches et à ces modes de pensée dans la compréhension des forces et des besoins de l’élève.

La deuxième thématique rassemble des études qui portent sur l’adaptation et les milieux de vie des élèves à risque. Puentes-Neuman, Trudel et Breton examinent la contribution des facteurs individuels et familiaux de la période préscolaire jusqu’à l’adaptation des élèves au début du primaire. Ici, la manifestation du risque se traduit par la perception que les élèves ont de leur propre santé mentale. Cette analyse, centrée sur la personne, trace le portrait des élèves en mettant à contribution plusieurs sources d’information (enseignants, élèves, parents) et suggère de tenir compte des facteurs intra-individuels et contextuels dans l’étude de l’adaptation des élèves à risque.

Pour sa part, l’étude de Lessard et de ses collaborateurs retrace le cheminement d’élèves identifiés à risque en raison du cumul de facteurs familiaux, personnels et scolaires et chez qui le risque a abouti au décrochage scolaire. Sur la base du discours des jeunes, on apprend combien les événements de vie occupent une place prépondérante dans leur adaptation. Deux constats sont particulièrement pertinents : l’impact du milieu familial sur la qualité de l’adaptation et de la réussite de l’élève, ainsi que l’importance que les intervenants scolaires soient sensibles à la subjectivité des élèves. De ces deux études se dégage l’importance de porter une attention spécifique aux perceptions subjectives des élèves afin de prendre la vraie mesure du risque encouru.

La troisième thématique touche les interventions éducatives auprès de l’élève à risque. Nous avons regroupé des initiatives originales et prometteuses qui visent à déjouer le risque et à promouvoir la réussite des élèves. L’article de Morin et Montésinos-Gelet examine les effets d’un programme novateur d’interventions préventives mises en place à la maternelle pour favoriser l’entrée dans l’écrit d’élèves jugés à risque de développer des difficultés en lecture et en écriture. Par son traitement des écrits de recherche dans le domaine et par son ancrage dans les pratiques enseignantes, cette étude apporte plusieurs contributions importantes au regard de la prévention des difficultés en lecture et en écriture dès l’entrée à la maternelle, ainsi qu’au regard des préoccupations relatives au développement de la litéracie précoce. Par l’accompagnement offert aux enseignantes engagées dans l’implantation du programme de prévention, cette étude est un exemple de la synergie possible entre la recherche et la pratique. En ce sens, l’article de Rousseau et Vézina fait également état du souci des chercheurs de tenir compte des pratiques existantes dans les milieux afin de mieux comprendre les processus d’intervention auprès des élèves. Dans cette étude, les auteurs examinent les perceptions et les déclarations de pratiques d’intervenants qui privilégient une approche de tâche globale en contexte de Centre de formation au recyclage (CFER). L’analyse est centrée sur l’organisation de la tâche de l’enseignant et du quotidien de l’élève. Cette organisation a pour but de faciliter l’intégration socioprofessionnelle des jeunes en grande difficulté d’apprentissage, en leur offrant un encadrement qui mise sur la qualité de la relation maître-élève et sur la valorisation des compétences qui font écho, pour le jeune, à ses activités professionnelles futures.