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Dans Autofiction et dévoilement de soi, Madeleine Ouellette-Michalska livre une réflexion sur les pratiques autofictionnelles, propres à la littérature et la culture contemporaines. L’époque contemporaine, dite postmoderne, est marquée notamment par l’abolition des frontières ; l’autofiction serait précisément issue d’une double abolition des frontières : celle séparant le privé du public, puis celle distinguant fabulation romanesque et véridiction du pacte autobiographique. C’est ce qu’expose d’abord l’auteure, pour ensuite se pencher sur des aspects liés, comme l’écriture des femmes et l’érotisme. Puis, les pratiques autofictionnelles sont situées dans la tradition littéraire ; on souligne par exemple la mise à l’avant-plan de la subjectivité et de l’intimité inhérente à la correspondance. Pour étayer ses propos, l’auteure s’appuie aussi bien sur Doubrovsky (l’inventeur du terme autofiction), Sartre, Bianchotti, qu’Arcan, Ernaux ou Millet, de même que sur Aquin, Chen ou Duras. À propos de la subjectivité épistolaire, c’est Héloïse et la religieuse portugaise qui font modèle. Enfin, Foucault, Lipovetsky, Scarpetta et Lejeune sont convoqués, le temps d’un détour théorique.

L’autofiction n’emporte pas l’adhésion de tous. Aussi, on ouvre l’essai avec une attente certaine : s’agit-il d’une défense, ou d’une condamnation ? Pas de position franchement exprimée ici. Plutôt une attitude d’ouverture, en phase avec la posture réflexive. On note même, paradoxalement, un certain désengagement du sujet. En effet, l’écriture informe peu de la position de la locutrice ; la majorité des phrases sont déclaratives et le texte ne recèle pratiquement pas de marqueurs de relation, qui accompagnent et guident la lecture. On arguera que c’est voulu ; il n’empêche, c’est la modalisation d’un énoncé par une subjectivité qui donne sens au discours. La synthèse revient donc à la lectrice.

À certains égards, l’autofiction est positivée. Prenant sa défense, l’auteure affirme que l’on […] conclut […] trop rapidement que toute littérature personnelle n’est que ressassement narcissique ou déferlement intime (p. 44), et elle qualifie la confession de libératrice (p. 24). Ailleurs, l’autofiction est désignée comme une forme permettant de […] penser autrement le sujet et son rapport à la subjectivité, [et] voir d’un autre oeil la frontière entre le réel et sa représentation, la fabulation et ses effets de vérité (p. 78).

Mais le plus souvent, elle est évaluée négativement. Dans le chapitre où Sartre, Ernaux et Arcan sont discutés, les deux premiers sont défendus par l’auteure, mais Arcan se voit accusée de […] dir[e] trop. L’esprit du temps (p. 59) est alors identifié comme responsable de cette dérive. Ainsi, l’autofiction est plus souvent qu’autrement associée à la déchéance. Le discours qui finit par dominer est assimilable au claironnement sur la perte de repères entendu de plus en plus souvent : le moi serait […] pris de vertige face à l’absence de critères et à la profusion des choix (p. 144). On se demande chez qui le brouillage des genres littéraires peut soulever tant d’inquiétudes (p. 29).

Il apparaît donc que […] l’autofiction ouvre sur des pratiques qui prêtent à des accomplissements littéraires exemplaires, mais aussi à des excès tenant de l’indiscrétion ou du mauvais goût (p. 76). Mais de quel goût est-il question ? La question demeure.

Enfin, on note que certaines affirmations devraient être nuancées, comme celle-ci où il est dit […] que [l’autofiction] soulève [de l’opposition] en milieu académique (p. 143), alors qu’elle y est étudiée.