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La place grandissante des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la société actuelle nous oblige à réviser les programmes de formation de presque toutes les professions afin de prendre en compte les nouvelles exigences de formation, les nouveaux outils, les nouvelles stratégies de travail ainsi que les nouveaux rôles que nous seront appelés à tenir dans la société du savoir émergente. Former les maîtres et les formateurs à l’intégration pédagogique des TIC constitue une de nos préoccupations majeures puisque la façon dont seront formés les citoyens de demain en dépend. La recherche dans le domaine suggère des pistes d’utilisation des TIC, intégrant, dans une pédagogie par projet, des modèles d’intervention de nature socioconstructiviste, des activités d’apprentissage collaboratives et des activités d’objectivation/métacognition individuelles autant que collectives.

Cependant, l’adoption de ces pratiques pédagogiques est complexe. Elle requiert une transformation, certes, des stratégies d’enseignement, mais aussi des valeurs pédagogiques et de la vision qu’a l’enseignant de son rôle. Comment peut-on ou devrait-on former les maîtres à ces transformations profondes ? Peu de chercheurs ont encore analysé les pratiques et les problèmes de la formation des maîtres aux TIC. La plupart des travaux tant en Europe que dans le continent nord-américain décrit les projets d’intégration des TIC et les pratiques actuelles tout en mettant l’accent sur les fondements et les retombées positives attendues, atteintes ou pas. Mais, il y a, en réalité, peu d’analyses critiques et prospectives prenant en compte différents contextes de formation qui permettraient d’orienter la formation des maîtres. Enfin, les recherches réalisées ont eu peu d’impact sur la formation des maîtres (Conseil supérieur de l’éducation, 2000).

Aussi, un certain nombre de questions parmi lesquelles les suivantes nous paraissent-elles essentielles : Quel est l’état actuel de la recherche sur la formation des maîtres à l’intégration pédagogique des TIC ? Quel est l’impact de l’intégration des technologies en formation des maîtres ? Quelles sont les stratégies de formation des maîtres les plus prometteuses ? Quelles sont les facteurs de résistance à l’intégration pédagogique des TIC ? Quelles sont les perspectives et les besoins pressants de la recherche portant sur la formation à l’intégration pédagogique des TIC ?

Ce numéro vise à répondre à ces questions à partir de recherches et de travaux récents réalisés tant en Europe qu’au Canada par les auteurs invités. Pourtant, avant de présenter leurs différentes contributions, il nous paraît essentiel de les resituer par rapport à l’histoire du domaine des technologies éducatives et des différents domaines contributifs, d’une part, et à l’évolution des pratiques et des recherches en formation des maîtres, d’autre part.

Un peu d’histoire

Comment se sont articulés à travers le temps les différents cadres de référence qui, aujourd’hui, constituent ce domaine ? Nous nous arrêterons aux principaux champs – psychologie, pédagogie, communication, technologies et systémique – et nous identifierons quelques dates repères, des charnières, qui forment des moments forts d’une évolution bien qu’aucune étape n’efface entièrement la précédente.

Jusqu’au début des années 1970, les moyens audiovisuels sur lesquels se fonde une certaine approche de la connaissance et de l’apprentissage – la pédagogie audiovisuelle – apparaissent encore limités : le document imprimé ou le stencil, le transparent de rétroprojection, la diapositive, le montage audiovisuel, le film, le laboratoire de langues. Du point de vue théorique, ces moyens ne possèdent encore aucun statut propre. On observe, d’ailleurs, une confusion entre la technique – les moyens de stockage, de diffusion et de restitution –, les modalités perceptives de réception et les registres de représentation utilisés. Par exemple, l’expression « audiovisuel » rend compte des différentes modalités perceptives, mais en aucun cas de registres et de fonctionnements sémiocognitifs distincts. Les moyens audiovisuels demeurent sous l’étroite dépendance d’une pédagogie pour laquelle les fonctions vicariante, désignative et motivationnelle de l’audiovisuel suffisent à justifier son efficacité pédagogique. Faute de statut théorique propre, ils sont considérés comme des adjuvants au service d’une pédagogie discursive, écrite ou orale, et sont, au sens propre, des auxiliaires, terme qu’a consacré à l’époque la pédagogie elle-même.

Les années 1970 marquent un premier tournant : la télévision connaît une large diffusion et acquiert réellement le statut de moyen de communication de masse. Comme tout média, elle est un des objets privilégiés des théories de la communication alors en plein essor, notamment sous l’influence de la sémiologie structurale (Barthes, 1964 ; Eco, 1968). À cette époque, l’école découvre l’impact sur le public scolaire de la télévision et des savoirs informels qu’elle diffuse. Qu’on se souvienne de L’école parallèle (Porcher, 1973), plaidoyer pour une intégration en classe des mass média et, plus particulièrement, de la télévision. L’école et les sciences de l’éducation intègrent alors les médias et l’éducation aux médias dans le domaine du savoir scolaire. Mais en adoptant ces objets, la pédagogie intègre en même temps le savoir et les connaissances de leur domaine d’origine. Les médias introduisent au sein des sciences de l’éducation, comme un cheval de Troie, leur statut propre, théorisé et modélisé par les sciences de la communication et, surtout, par la sémiologie structurale : l’analyse de l’image, du film et des pratiques médiatiques prises comme langage font partie de la formation initiale et continue des enseignants. Les introductions à la sémiologie de l’image, de la bande dessinée, de l’image animée et du récit, etc. – toutes destinées au public des enseignants – sont légion et, dès les années 1970, la collection de la Ligue française de la formation permanente des enseignants s’y consacrera entièrement.

Notons que, dès 1960, la systémique est prise en compte par un certain nombre de chercheurs en technologie éducative (Banathy, 1968). Pourtant, ce n’est qu’au cours des années 1970 qu’elle se développera vraiment (Checkland, 1981). Il devient ainsi possible et légitime d’intégrer les champs disciplinaires de la technologie éducative. La multidisciplinarité de l’approche du technologue de l’éducation lui sera, par contre, souvent reprochée par les collègues des autres domaines des sciences de l’éducation, qui voient d’un oeil critique ses talents d’homme orchestre.

Les années 1980 semblent un autre repère majeur. Certains pédagogues et sémiologues commencent à prendre conscience du fait que le langage verbal n’est pas la seule voie d’accès au savoir et à la connaissance. Pour ces chercheurs, les autres médiations sémiotiques – la communication audiovisuelle –, loin d’être des béquilles ou de simples « traducteurs », peuvent être à la base d’apprentissages. Si le dispositif et l’artefact technologiques contribuent à la configuration du message et, en définitive, à son sens et à sa signification, ils sont aussi des technologies intellectuelles, des outils cognitifs au sens où ils déterminent le développement d’aptitudes mentales spécifiques. Plusieurs recherches explorent cette perspective (Communications, 1981). La question posée est celle-ci : quel rôle pourrait jouer la communication audiovisuelle dans les processus cognitifs comme dans les mécanismes d’apprentissage ? La psychologie et les courants cognitivistes ne sont pas étrangers à cette évolution à laquelle les travaux de Bruner (1960) et de Salomon (1969) ont largement contribué.

Mais c’est aussi le moment, où sous l’influence de l’informatique, les sciences cognitives connaissent un regain sans précédent : les processus cognitifs s’étudient selon le formalisme du traitement de l’information et l’on se met à rêver d’un traitement intelligent de l’information par les ordinateurs. On parle alors de technologies de l’intelligence, d’outils cognitifs (Lajoie et Derry, 1993) ou de technologies intellectuelles (Lévy, 1994) redécouvrant les concepts de certains anthropologues (Leroy-Gouran, 1964 ; Goody, 1979) ou de psychologues comme Vygotsky. On reprend alors, dans une perspective nouvelle, les travaux sur l’intelligence artificielle amorcés dans les années 1950 et 1960, et abandonnés alors en raison des limites technologiques. Enfin, les sciences de la communication se distancient peu à peu du modèle structural pour adopter le modèle pragmatique de la linguistique de l’énonciation : elles intègrent avec le sujet de l’énonciation la dimension relationnelle du langage, tous deux bannis par le structuralisme saussurien.

Dans les années 1990, l’évolution des sciences de la communication se poursuit. Celles-ci intègrent comme l’une de leurs problématiques majeures le rapport entre les formes de communication et le mode de constitution des connaissances : la sémiotique s’oriente vers une sémiotique cognitive. L’articulation entre la psychologie et la sémiotique se fait plus nette. Par ailleurs, l’informatique personnelle qui avait favorisé les postes individuels et isolés s’oriente vers la mise en réseau de machines et, donc, de leurs utilisateurs : la télématique voit le jour, d’abord sous la forme simplifiée du vidéotexte ou du minitel, puis, à la fin de la décennie, avec le développement grand public du réseau Internet. La pédagogie saisit l’occasion pour rappeler les monstres sacrés des pédagogies dites actives (correspondance scolaire, pédagogie de projet, collaboration) tandis que la psychopédagogie développe les concepts de cognition distribuée, de communauté de pratiques, etc.

Mais cette lente évolution et cette convergence progressive de différents cadres de références et du développement technologique a produit un profond changement de paradigme au sein du domaine. Si longtemps l’on a « médiatisé » des contenus d’enseignement, c’est aujourd’hui l’ensemble du dispositif de formation qui se voit médiatisé à travers les dispositifs technopédagogiques.

Le déterminisme de l’objet empirique : changer de paradigme

La dénomination même de technologies éducatives renvoie, contrairement à ce qu’on observe dans de nombreux champs des sciences de l’éducation, à des objets empiriques et non à un domaine, à un champ théorique, voire à une pratique. Cette confusion entre l’objet empirique et l’objet théorique date des premières analyses des auxiliaires audiovisuels puis des médias éducatifs. On a longtemps parlé et l’on parle encore, par exemple, de la télévision comme d’un tout, d’un média global, sans jamais prendre en compte la diversité des textes télévisuels – le documentaire, l’information, les films, les séries, etc. – et des discours – le raconter, l’exposer, l’enseigner, etc. (Bronckart, 1996). De la même façon, on traitera rarement de divers registres sémiotiques, des différents systèmes de représentations qui constituent ces différents textes et discours télévisuels (Meunier et Peraya, 1993 ; Duval, 1997 ; Peraya, 2000). Changer de paradigme devenait donc nécessaire et, dans cette voie, la tentative récente pour fonder le concept de dispositif de formation médiatisées (Jacquinot et Montoyer, 1999 ; Peraya, 1999) constitue un moment important.

Les technologies de l’information et de la communication, l’Internet et les hypermédias notamment, sont souvent considérées comme les nouveaux médias éducatifs. Cependant, l’opposition entre « anciennes » et « nouvelles » technologies, entre l’analogique et le numérique, fracture toujours le domaine comme en témoignent les multiples programmes de formation initiale ou continue des enseignants [1]. Pourtant, à condition de posséder un modèle théorique suffisamment général des dispositifs médiatiques, rien n’empêche effectivement de considérer ces technologies comme des médias éducatifs et d’analyser, d’une part, les traits qu’elles partagent avec les médias plus classiques et, d’autre part, leurs caractéristiques propres. On peut alors observer les nouvelles formes de médiation qu’elles introduisent dans la communication des savoirs et l’organisation des apprentissages (Larose et Peraya, 2001).

La formation des maîtres : évolution des pratiques et de la recherche

Nous décrirons brièvement ici l’évolution de la recherche et des pratiques de formation des maîtres afin d’offrir un recul historique et de permettre ainsi de mieux saisir les tendances actuelles et la nature systémique de l’innovation pédagogique avec les TIC. Il sera alors plus facile de comprendre la portée des travaux présentés et d’identifier des prospectives de développement.

1960-1970 : les premières applications informatiques

Les années 1960 ont vu apparaître les premières applications ou utilisations pédagogiques de l’ordinateur (APO ou UPO) limitées toutefois aux laboratoires de recherche et aux classes pilotes d’un petit nombre d’innovateurs. Pourtant, les trois courants épistémologiques qui animent nos pratiques actuelles guidaient déjà ces premiers travaux. Le plus répandu est le courant béhavioriste inspiré des travaux de Skinner (1958) qui, avec l’utilisation des machines à enseigner, préconisait une individualisation de l’enseignement. La planification et la structuration des contenus jouent ici un rôle essentiel. C’est l’époque des leçons micrograduées construites en fonction de l’acquisition d’objectifs strictement définis et dispensant une rétroaction plus ou moins élaborée afin de guider l’apprenant vers les bonnes réponses. La pédagogie de la maîtrise (Bloom, 1968) s’est d’ailleurs fortement inspirée de cette approche. Les environnements de production de cours informatisés de type (EAO) et enseignement géré par ordinateur [2] (EGO) prennent leur envol.

Le deuxième courant, cognitiviste, certes moins répandu, avait aussi ses partisans pour qui l’ordinateur est un outil cognitif : il aide à organiser les connaissances et à les construire. Les études d’Engelbart (1962), notamment, relèvent de ce courant ; la souris comme les hypertextes en sont des exemples probants. Les travaux en intelligence artificielle (Minsky et Papert, 1968) se sont aussi développés, mais ont connu un fort ralentissement en raison des limites technologiques de l’époque. Le courant constructiviste enfin, a été soutenu par les travaux de Bruner (1960) sans avoir vraiment pris son essor dans le domaine des applications pédagogiques de l’ordinateur. Notons que Papert et son approche LOGO se situent à mi-chemin entre le cognitivisme et le constructivisme.

La popularité des approches béhavioristes s’expliquerait, selon nous, par le fait qu’elles ne représentent pas un changement radical dans la culture – valeurs et pratiques pédagogiques – des enseignants, des administrateurs et des apprenants d’alors. Quant aux deux autres courants évoqués, ils rompent avec les valeurs et les pratiques des institutions éducatives, et nécessitent pour les acteurs, de s’approprier de nouvelles stratégies d’enseignement-apprentissage. Ils impliqueraient un coût et des difficultés plus élevés tandis que le cadre béhavioriste permettait de changer d’outil sans changer de pratique. Plusieurs recherches de ce numéro font d’ailleurs référence à ce premier stade du modèle de l’innovation (Chin, 1976).

La faible diffusion des activités pédagogiques utilisant l’ordinateur explique sans doute que la formation initiale et continue des enseignants ne constitue pas encore à ce moment un objet de recherche. Il faudra attendre la prochaine décennie pour voir apparaître des travaux sur le sujet.

1970-1980 : amorce d’une diffusion à plus large échelle

Avec l’arrivée de l’ordinateur personnel, on assiste à une certaine diffusion de l’ordinateur dans les écoles et aux premières utilisations pédagogiques en contexte scolaire. Des langages auteurs et systèmes auteurs comme PLATO et TICCIT ont permis à certains enseignants innovateurs de développer des activités d’enseignement programmé. Pour les raisons évoquées précédemment, les approches béhavioristes dominent encore même si cognitivistes et constructivistes ont eux aussi été attirés par le renouveau pédagogique de l’approche LOGO ou par les impacts de l’apprentissage de la programmation comme activité d’éducation intellectuelle.

L’évolution importante touche essentiellement la diffusion de l’innovation technologique qui quitte alors l’enceinte des laboratoires. On mesure le succès de l’implantation des TIC au ratio « nombre d’étudiants par ordinateur » et la recherche consiste surtout à développer des activités, des outils pédagogiques, à démontrer les impacts positifs de l’ordinateur, comme s’il agissait d’un média unique à l’origine de pratiques et d’usages homogènes (Clark, 1983). Malgré ces limites, ce contexte a favorisé le développement d’activités de formation initiales et professionnelles à l’utilisation de l’ordinateur en classe autant que la contribution, à cette évolution, des institutions locales, nationales et internationales.

Les premiers cours de formation aux applications pédagogiques de l’ordinateur développés dans les années 1970 étaient centrés presque exclusivement sur l’appropriation de l’outil et de la culture informatique, d’une part, sur la programmation, d’autre part [3]. On formait surtout les enseignants à développer eux-mêmes leurs logiciels. Si les compétences technologiques étaient à l’avant-plan, les études réalisées à l’époque (Tickton, 1970) ouvraient cependant la porte à l’intégration des technologies en salle de classe et en formation des maîtres : à la charnière des années 1970 et 1980 apparaissent les premières typologies des applications pédagogiques de l’ordinateur à travers les outils utilisés. L’ouvrage de Kearsley (1980), une référence durant de nombreuses années, témoigne fort éloquemment de cette confusion entre l’outil et son utilisation pédagogique.

Les modèles d’implantation de l’innovation (Savoie-Zajc, 1993 ; Bonami et Garant, 1996) appliqués à l’intégration pédagogique des TIC fournissent un angle d’analyse très riche de ce processus complexe. Ils permettent de comprendre que si les premiers efforts de formation des maîtres aux TIC ont connu un succès bien mitigé, c’est surtout parce qu’on traitait la question isolément, sans prendre en compte la complexité de l’intégration de l’ordinateur en salle de classe et qu’on s’intéressait aux compétences techniques, souvent hors contexte. Le modèle dominant est celui de la professionnalisation défini par Bonami et Garant (1996) comme l’intégration de l’innovation par la seule formation.

Former les enseignants en tant qu’agents de diffusion de l’innovation au sein de leur contexte local n’a guère donné les résultats escomptés. Le manque de temps, de soutien, de ressources, de reconnaissance par leur institution sont des facteurs qui ont passablement réduit l’efficacité de cette pratique. Le modèle de l’émergence de l’innovation par un soutien et une aide de proximité est encore dans les limbes.

1980-1990 : les premières formes d’intégration

Cette décennie voit le retour des tendances cognitivistes et constructivistes en gestation durant les années 1960-1970 et l’on observe la volonté de généraliser ces modèles. Ainsi, les environnements et les activités d’apprentissage de type LOGO sont utilisés plus largement dans les écoles primaires, ce qui conduit les chercheurs à relever les difficultés rencontrées lors de l’implantation en classe de ces pratiques de type constructiviste (Pea, Kurland et Hawkins, 1985). Les expériences encadrées par des chercheurs réussissaient, mais celles qui ne bénéficiaient ni d’un support ni d’une culture institutionnelle appropriés restaient sans résultats probants. L’enthousiasme des enseignants et de la communauté LOGO s’infléchit, et la popularité de LOGO s’éteint peu à peu. Le mode d’évaluation et les critères, hérités des approches traditionnelles, ont sans doute contribué à ce processus. Il aurait fallu définir de nouveaux modes d’évaluation adaptés à ces nouveaux apprentissages (Papert, 1985).

Malgré les critiques importantes adressées aux pratiques pédagogiques béhavioristes par des chercheurs, elles se perpétuent dans la grande majorité des salles de classe. Exerciseurs, leçons informatisés, quizz, tests et quelques simulations constituent la base des pratiques dites « innovantes ». Les logiciels outils [4] – traitement de texte, tableur, base de données, traitement graphique – se répandent et l’ont voit alors l’enseignant et l’étudiant utiliser l’ordinateur pour produire des documents, activités de support, d’évaluation ou de production médiatrices d’apprentissages.

L’évolution de la capacité de stockage et de traitement des données a permis de réaliser des interfaces visuelles plus riches et intégrant, enfin, certains des outils, dont la souris, inventés vingt ans plus tôt par Englebart (1962). C’est aussi l’époque où naissent les hypertextes, les hypermédias et les multimédias et, chez des pionniers, les premiers forums et news groups. L’implantation des activités pédagogiques devient une préoccupation importante ; on intègre alors les facteurs organisationnels et humains complexes impliquant les attitudes et les représentations des participants.

Durant ces vingt premières années, la formation des maîtres aux TIC s’est faite dans l’urgence, pour l’appropriation de l’outil sans que soit vraiment développée une réflexion critique sur les orientations et les stratégies pédagogiques mises en place. La recherche s’intéressait peu, quant à elle, à la formation des maîtres ou des formateurs : elle tentait surtout de justifier le recours à l’utilisation de l’ordinateur en montrant ses effets potentiels et en le comparant à une pédagogie traditionnelle. Ces travaux n’ont produit que des résultats mitigés et, plus intéressant, un débat sur la pertinence des études comparatives [5]. Enfin, on explorait de nouvelles pistes d’utilisation en s’inspirant des courants pédagogiques constructivistes. Outil de production, l’ordinateur devenait aussi un outil de communication et de construction de connaissances tant individuelles que collectives.

1990-2000 : l’explosion des TIC

L’évolution rapide des technologies voit le développement à plus grande échelle des activités pédagogiques basées sur les hypertextes, les hypermédias et les multimédias. Ce passage intermédiaire n’aura duré que quelques années.

L’explosion du réseau Internet à travers le monde et pour l’ensemble des activités personnelles et professionnelles s’avère l’apport technologique majeur de cette décennie. Encore une fois, on voit les pédagogues pionniers et les chercheurs s’approprier l’innovation technologique. L’utilisation des outils de base que sont les forums de discussion, le courriel et la consultation de pages web se sont rapidement répandues : le terme TIC s’impose. Le concept de culture informatique connaît un regain d’intérêt et son sens s’élargit progressivement à une culture du digital (Larose et al., dans ce numéro). Ainsi, il apparaît essentiel que chacun soit outillé pour produire des cours et des activités sous forme de pages ou de sites web. La production d’artefacts par les élèves devient en soi une activité d’apprentissage qui leur permettra de participer à l’émergente société du savoir.

En même temps, le courant pédagogique constructiviste se renforce sous la forme des pédagogies actives et se trouve associé au développement des communautés d’apprentissage réseautées. Le discours des chercheurs se nourrit de plus en plus clairement aux approches pédagogiques de nature socioconstructiviste qui paraissent l’une des conditions d’intégration réussie des TIC à la pratique pédagogique. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres car, nous croyons l’avoir montré, la culture pas plus que les pratiques dominantes ne sont celles du socioconstructivisme ; elles restent celles d’une pédagogie plus traditionnelle de type béhavioriste-positiviste (Viens et Rioux, 2002).

Il faut encourager le développement d’une nouvelle culture et préparer progressivement (Breuleux, Laferrière, Erickson et Lamon, dans ce numéro) l’ensemble des intervenants et des institutions – le rôle des directions d’école, par exemple, ne peut être négligé, comme le montrent ici même IsaBelle, Lapointe et Chiasson – si l’on désire intégrer les innovations tant pédagogiques que technologiques à plus large échelle et de façon efficace à long terme. Cela dit, il faut évidemment rester critique face à ces nouvelles approches pédagogiques et tenter de trouver dans quels contextes et pour quels types de compétences, elles se montrent pertinentes. Quant aux pratiques de formation des maîtres de cette décennie, elle sont plus systématiques et prennent de plus en plus compte de la préparation des enseignants par l’exposition à une pratique d’apprentissage construite sur des principes pédagogiques à acquérir. Ainsi, les effets de modelage sont au coeur de la recherche proposée, dans ce numéro, par Larose, Lenoir, Karsenti et Grenon. Mais la formation des maîtres connaît également une profonde réorientation méthodologique dont se fait l’écho le présent ouvrage : si les chercheurs sont le plus souvent acteurs du dispositif qu’ils analysent, la recherche-action s’adjoint une forte composante de formation (Charlier et Charlier, 1998 ; Charlier et Peraya, à paraître). Le modèle qui semble prévaloir aujourd’hui est bien celui de la recherche-action-formation qui prend en compte progressivement d’autres dimensions – institutionnelles, organisationnelles, psychosociales, affectives, etc. – que celles directement liées à la formation stricto sensu.

Présentation des chapitres

Le texte de Larose, Karsenti, Lenoir et Grenon « Les facteurs sous-jacents au transfert des compétences informatiques construites par les futurs maîtres du primaire sur le plan de l’intervention éducative » présente les résultats d’une recherche réalisée auprès d’enseignants du primaire ainsi que d’étudiants du programme de formation initiale à l’enseignement au préscolaire et au primaire de l’Université de Sherbrooke. Les auteurs analysent, d’une part, les facteurs qui favorisent ou handicapent l’intégration des TIC dans la pratique des enseignants et, d’autre part, l’impact de l’effet de modelage de la formation pratique sur la reproduction des modèles d’utilisation des TIC.

L’intérêt de cette étude réside dans l’approfondissement de résultats de recherches antérieures relatives aux conditions déterminant l’usage et l’intégration des TIC par les enseignants. Le rapport des enseignants aux TIC est un « reflet contextualisé du rapport avec le matériel didactique en général », avec leur rapport au savoir, de leurs modèles d’intervention privilégiés ainsi que des représentations qui y sont liées. Les auteurs analysent aussi le rapport à la discipline, le cloisonnement et la hiérarchie disciplinaires, obstacles fréquents au développement de pratiques intégratives. Enfin, l’exposition des étudiants aux discours et aux pratiques d’utilisation des TIC de leurs enseignants peut contribuer, dans certains cas, au transfert des compétences informatiques sur le plan des pratiques professionnelles des novices.

L’un des résultats concerne l’impact du niveau social des écoles sur le type d’usages et de produits technopédagogiques : les écoles défavorisées utilisent surtout les exerciseurs et le traitement de texte pour soutenir les apprentissages de base en mathématiques et en expression écrite, tandis que les écoles des milieux plus favorisés intègrent Internet et les cédéroms comme soutien à la recherche en sciences humaines et en sciences de la nature. Quant à l’exposition aux TIC en cours de formation (BEPP), elle demeure assez faible comme d’ailleurs le pourcentage d’étudiants utilisant l’informatique ou les applications en réseau au cours de leurs stages (38 %). Et dans ce cas, ce sont essentiellement les enseignements du français et des mathématiques qui se trouvent concernés. Pour les novices, les pratiques des enseignants en milieu de stage semblent un facteur de modélisation plus important que les activités au sein de leur parcours universitaire. Enfin, ce sont les pratiques privées qui bénéficieraient de l’effet positif de cette exposition tant en formation initiale que pratique.

Les auteurs concluent par une double interrogation : l’intégration des TIC permettra-t-elle de modifier les pratiques pédagogiques ? Serait-ce une évolution de la fonction enseignante qui permettra une meilleure intégration des TIC ? Les questions d’origine sont sans doute de mauvaises questions. La réponse viendra, selon nous, de l’analyse de l’articulation entre ces deux pôles : intégration des TIC et modification de la fonction de médiation propre au métier d’enseignant.

La contribution de Boudreau « Vers une intégration pédagogique de la vidéoconférence dans la formation des maîtres » cherche à évaluer le potentiel pédagogique de la vidéocommunication et ses conditions d’intégration à la formation initiale des enseignants. L’autrice prend comme point de départ la nécessité d’intégrer la vidéocommunication dans la formation des maîtres : d’une part, il s’agit d’une technologie qu’ils auront sans doute à utiliser dans leur pratique professionnelle ultérieure et, d’autre part, il s’agit d’une technologie qui peut être intégrée à la formation des maîtres et qui, à ce titre, relève à la fois de la pédagogie scolaire et universitaire. Enfin, ici aussi il sera question de l’effet de modelage des pratiques de formation, puisque l’utilisation de la vidéoconférence dans les programmes de formation des maîtres est vue comme un des facteurs favorisant son usage par les enseignants une fois en poste. Si pour Bourdeau, à la suite, notamment, de Tardif , le principal problème est d’ordre pédagogique et non technologique, il s’agit non pas d’utiliser les technologies, mais de les intégrer ; dans cette perspective, le développement d’un scénario pédagogique constitue sans doute un moyen à privilégier. D’où l’intérêt pour l’autrice d’analyser, à partir de plusieurs types de données (observation de classes, enregistrements, analyse d’entretien, etc.), plusieurs « formules » pédagogiques interactives mises en oeuvre dans un dispositif de vidéocommunication. Les résultats finaux proposent trois grandes familles de facteurs conditionnant le potentiel de cette technologie : le dispositif technologique lui-même, la place de l’interactivité dans les situations pédagogiques et les formules pédagogiques appropriées.

Les conclusions n’étonneront guère même si certains aspects – l’efficacité des formules pédagogiques et la meilleure performance de l’exposé magistral par exemple – mériteraient d’être mieux explicités : ils confortent la majorité des études consacrées à la vidéocommunication, principalement en milieu d’entreprise comme en témoigne une récente étude de grande qualité (Carles, 2001). On pourrait aussi avancer que cette recherche s’identifie à cette tendance évoquée ci-dessus qui consiste à ne pas interroger le dispositif médiatique lui-même et à le considérer comme un « outil » de transmission et de diffusion, de téléprésence qui devrait se substituer au « face à face ». On connaît le débat entre les théoriciens de la formation à distance : la distance doit-elle être vaincue, effacée ou, au contraire, doit-elle être considérée comme une particularité inaliénable de ce type de systèmes de formation ? Dans le premier cas, il faut trouver des dispositifs palliatifs ; dans l’autre, il faut, à l’inverse, profiter de la distance pour favoriser l’autonomie de l’apprenant. Peut-être qu’une nouvelle forme de télépresence doit être inventée ?

La contribution de Carugati et Tomasetto « Le corps enseignant face aux technologies de l’information et de la communication : un défi incontournable » tranche avec la précédente tant par la problématique que par la méthode. Comme le montre l’histoire des technologies, de nombreuses innovations ne parviennent jamais à modifier de façon durable les usages et les pratiques pédagogiques. Dès lors, ne faudrait-il pas interroger et tenter de mieux comprendre la notion de « résistance aux technologies » introduite à l’origine en 1995 par Bauer.

Les auteurs présentent une intéressante analyse de la documentation. Ils critiquent l’approche clinique des attitudes des enseignants et cherchent à dépasser l’analyse intra-individuelle classique dont le syndrome de phobie de l’ordinateur semble une thématique récurrente. Ils rappellent aussi un courant de recherche majoritairement anglophone qui, depuis les années 1970, a documenté le vécu et le senti des enseignants face aux technologies. On explore donc, à côté de l’anxiété, d’autres dimensions comme celle de la perception de sa propre performance face à l’ordinateur (self-confidence et self-efficacy). La formation peut jouer un rôle déterminant en ce qui concerne la réduction du facteur d’anxiété et, en conséquence, elle le pourrait aussi sur une meilleure acceptation de l’innovation. Pour d’autres chercheurs encore, ce sont les dimensions symboliques qui seraient, plus que les compétences et l’expertise informatiques, un facteur prédictif de l’intention d’utiliser l’ordinateur à l’école. Enfin, selon les auteurs, l’approche des représentations sociales permet d’intégrer ces différents aspects – attitudes, conceptions, théories naïves – dans des « architectures de cognitions complexes » et d’expliquer, au regard du conflit sociocognitif, les contradictions auxquelles sont confrontés les enseignants.

La recherche vise à vérifier l’effet des trois variables sur les attitudes plus au moins positives des sujets face aux TIC : a) le degré d’expertise ; b) la position idéologique selon laquelle l’usage des TIC est motivé ou non par des impératifs commerciaux ; c) la perception d’aspects mystérieux et inexplicables liés aux TIC. En général, les hypothèses se trouvent confirmées : l’expertise, une croyance idéologique, le sentiment de mystères et d’inexplicable jouent une fonction organisatrice dans les attitudes des enseignantes mais selon des poids différents. Par exemple, une croyance de nature idéologique se révèle plus fondamentale que l’expertise pour évaluer l’efficacité ou le danger que représenteraient les TIC. Cela dit, certaines pistes de recherche auraient mérité un approfondissement.

C’est à l’analyse des représentations des acteurs du processus d’innovation que nous convie encore la contribution d’IsaBelle, Lapointe et Chiasson « Pour une intégration réussie des TIC à l’école : de la formation des directions à la formation des maîtres ». À l’origine de cette étude, ce même constat, à savoir qu’il y a une croissance importante des TIC et une exploitation relativement peu développée en milieu scolaire, est partagé par maintes recherches. La documentation identifie bien certains facteurs déterminant l’utilisation des TIC chez les enseignants, dont le soutien dont ils devraient pouvoir bénéficier tout au long du processus d’intégration. Or, selon les auteurs, le soutien des directions et de l’administration leur fait le plus souvent défaut, sans doute par manque de formation. Telle est la problématique posée : quel soutien peuvent offrir les directions ? Sont-elles en mesure de mener à bien la mutation des établissements dont elles ont la responsabilité  ?

La contribution fait la revue la documentation sur le leadership d’une direction d’établissement, aux conditions structurelles, organisationnelles et culturelles favorisant l’intégration des TIC à la pratique scolaire. Dans cette perspective il est vrai, les figures professionnelles du directeur et des administrateurs présentent des lacunes importantes et les programmes de formation ne paraissent guère adaptés.

La recherche, descriptive, cherche à analyser la perception qu’ont les directions d’école primaire de leurs compétences pédagogiques et technologiques en matière de TIC. L’enquête a été menée au Nouveau-Brunswick à partir de l’administration d’un questionnaire portant sur l’identification des répondants, sur leur formation aux TIC, sur la perception de leur capacité à aider les enseignants et, enfin, sur leur perceptions générales envers les TIC. Presque tous les répondants utilisent les ordinateurs à des fins professionnelles – administratives – mais ceux qui possèdent un ordinateur à domicile semblent favoriser l’usage personnel plus que professionnel. Enfin, si certains usages sont largement répandus,dont celui du courrier électronique, la recherche de l’information sur Internet et l’utilisation de cédéroms éducatifs comme la mise ne oeuvre d’activités pédagogiques sur Internet sont bien moins fréquentes. L’usage paraît donc strictement lié à leur fonction de direction, ce que confirme l’analyse de la perception de leur capacité à aider les enseignants.

La seconde partie de la recherche analyse, chez des répondants, les relations entre leurs perceptions des TIC, l’utilisation de TIC et leur sentiment d’être capables d’aider les enseignants. Les principaux résultats montrent que le degré d’utilisation personnelle des TIC détermine la croyance en la facilité d’utilisation des TIC dans le cadre de pédagogie innovatrice et la vision positive de l’avenir des TIC dans le système éducatif. Les analyses plus fines tendent à montrer l’influence du sentiment de compétence sur le degré d’aisance qu’ont les directions à assumer leur leadership dans le processus d’intégration pédagogique des TIC. Ces résultats rappellent l’analyse du sentiment d’autoefficacité central dans le recherche de Deaudelin et al. (voir ci-dessous). Mais comme plus de 90 % des répondants occupent aussi un rôle d’enseignant, ces résultats doivent être considérés avec une certaine prudence. Enfin, le texte présente quelques pistes de recherches toutes axées sur le rôle de chef de file des directions d’école dans le processus d’intégration réussie des TIC.

Dans leur contribution « Vers une approche intégrée des technologies de l’information et de la communication dans les pratiques d’enseignement », Charlier, Daele et Deschryver interrogent l’innovation technologique. Celle-ci et les nouveaux outils apportent une « innovation de service » qui, comme dans d’autres services, permet de modifier la relation aux usagers, d’augmenter la qualité du service, de répondre à des besoins spécifiques, etc. en créant des projets d’usage plus adaptés.

Les premières questions débattues portent sur le sens de la formation aux TIC. L’originalité de la réponse et de la démarche proposée réside dans une conception qui dépasse le cadre strict de la formation, autrement dit, dans une approche intégrée de la formation qui tienne compte « des objectifs et des parcours individuels, mais aussi des projets des contraintes et ressources des institutions d’enseignement et qui, dans sa mise en oeuvre, articule formation et pratique, apprentissages techniques, expériences en classe, réflexion sur les pratiques et communication de celles-ci ».

La contribution analyse les effets d’une recherche-action-formation dans le cadre de trois dispositifs de formation : a) le projet européen Learn-Nett qui s’adresse à une communauté d’enseignants, de chercheurs et des étudiants en sciences de l’éducation de huit universités européennes ; b) un projet d’intégration et d’exploitation d’Internet pour l’apprentissage des sciences réalisé avec une douzaine d’enseignants de l’enseignement primaire et des deux premières années de l’enseignement secondaire en Belgique francophone ; c) le projet Form@Hetice qui visait à initier des actions de formation des formateurs destinées à soutenir une réforme de la formation initiale des enseignants en Communauté française de Belgique.

L’analyse elle-même, fondée sur une approche compréhensive et qualitative, se structure autour de cinq axes : l’articulation formation/pratique, le rôle des TIC, les apprentissages, le rôle du réseau, les rôles des formateurs. Nous retiendrons pour le premier de ceux-ci, l’observation de l’articulation entre les pratiques des TIC acquises durant la formation et celles développées par les étudiants dans leurs activités professionnelles et privées. Ce résultat mérite d’être signalé, car il semble montrer qu’on peut, dans certaines conditions, harmoniser et articuler des pratiques que de nombreuses recherches ont décrites comme peu, voire pas corrélées. Cette intégration s’observe aussi dans l’analyse des apprentissages. Nous relèverons, à propos des apprenants, l’importance de l’apprentissage collaboratif et de l’acquisition de compétences transversales liées à la communication et à la collaboration à distance. Notons aussi que les auteurs s’attachant à définir un « savoir enseignant », rappellent avec insistance que les enseignants eux aussi ont à apprendre. Quant au réseau, il soutient les processus tant de l’apprentissage collaboratif que de la mise en oeuvre de l’innovation pédagogique tandis que le rôle des formateurs varie selon les projets.

Le texte identifie de nouvelles pistes de recherches assurant la cohérence de la recherche proposée : l’articulation du diagnostic institutionnel et la construction participative du dispositif de formation ; l’articulation des pratiques locales et du réseau ; l’association de l’autonomie des enseignants et le soutien par les formateurs.

La contribution de Karsenti, Larose et Garnier « Optimiser la communication famille-école par l’utilisation du courriel » se propose de mieux comprendre différents aspects de l’intégration pédagogique des TIC au primaire. Les auteurs analysent plus particulièrement l’impact que peut avoir l’utilisation du courriel sur la communication famille-école, mais aussi parents-enfants.

Désireux de mieux comprendre différents aspects de l’intégration pédagogique des TIC au primaire, ces chercheurs ont mené une expérience pilote auprès de quatre enseignants et de leurs élèves de quatrième année. Ils visent à favoriser l’intégration pédagogique des TIC par un soutien technologique substantiel aux enseignants et ont, dans cette visée, conçu un site web pour leur classe et créé une adresse de courriel pour chaque élève sur une plateforme publique gratuite.

Les enseignants ont adopté ce mode de communication avec un grand nombre de parents branchés, soit à la maison, soit au travail. De plus, ils ont apprécié la possibilité de communication directe, sans intermédiaire, avec des traces écrites. L’utilisation accrue du courriel a augmenté de façon substantielle leurs échanges avec les parents des élèves, tout en les libérant un peu plus le soir après l’école, car moins de parents venaient les rencontrer ou leur téléphonaient. Loin de les surcharger, cette façon de communiquer avec les parents plaisait grandement aux enseignants qui voyaient en eux des alliés importants pour les aider dans leur mission éducative auprès des jeunes. Quant aux parents non branchés, ils ne se sont guère vus pénalisés dans la mesure où les enseignants pouvaient dès lors leur consacrer plus de temps.

Outre la communication accrue entre la famille et l’école, l’expérience pilote a montré que plusieurs parents, « branchés » soit au travail soit à la maison (91 %), échangeaient avec leur enfant pendant la journée. Pour les parents ayant participé à l’expérience, il s’agissait d’un contexte de communication fort différent et leur participation à la vie scolaire au moyen des technologies a semblé un élément de motivation pour leur enfant : « il se sentait encouragé à bien faire à l’école ».

Les stratégies d’intégration des TIC sont au centre de l’apport de Deaudelin, Dussault et Brodeur « Impact d’une stratégie d’intégration des TIC sur le sentiment d’autoefficacité d’enseignants du primaire et leur processus d’adoption d’une innovation ». Les chercheurs s’intéressent au développement professionnel des enseignants qu’ils voient comme un facteur clé de l’implantation d’une innovation et de l’intégration des TIC. Une variable importante, pourtant, semblerait souvent sous-estimée : le sentiment d’autoefficacité professionnelle dont le développement a été corrélé avec des attitudes plus positives face à l’innovation et à l’intégration des TIC en classe. Ce sentiment sert aux auteurs d’indicateur de l’impact du développement professionnel des enseignants. Suivant Bandura (1997), ils prennent en compte tant le sentiment d’efficacité générale de l’enseignant que celui de son efficacité personnelle.

Cette recherche-action menée, de 1997 à 1999, avec huit enseignants du primaire vise à mesurer l’impact d’un projet de formation à l’intégration aux TIC sur ce double sentiment d’autoefficacité des enseignants et à analyser le processus d’adoption de l’innovation – apprentissage coopératif et intégration des TIC. Les auteurs se réfèrent au modèle d’adoption de l’innovation de Hall et Hord (1987), modèle fondé sur les préoccupations des acteurs engagés dans un processus d’innovation. Le modèle identifie sept niveaux de préoccupation auxquels est associé un certain niveau d’utilisation des TIC. Quant au sentiment d’efficacité des enseignants, il a été mesuré avec les instruments classiques dans le domaine.

Les résultats font voir un impact de la formation sur l’intégration de l’apprentissage coopératif et des TIC car, en référence au modèle CBAM, tous les participants ont progressé d’un ou de plusieurs niveaux – en fonction de leur niveau initial – du point de vue des préoccupations autant que de celui de l’utilisation de l’innovation. Pourtant, le niveau de préoccupation n’induit pas un niveau d’utilisation équivalent. L’enseignant peut développer un niveau de préoccupation et de sensibilité à l’innovation qui ne préjuge en rien de l’utilisation réelle qu’il en fait. Cela n’est pas sans rappeler la notion d’efficacité d’intervention qui, selon Schön (1983), se marque dans la réduction de la distance entre « théorie épousée » et « théorie pratiquée », notion sur laquelle Breuleux et al. reviendront dans leur contribution.

Par contre, les sentiments d’autoefficacité n’ont pas été significativement modifiés par la formation alors que cette variable était prise comme l’un des meilleurs indicateurs du succès de la formation. Trois explications sont avancées par les auteurs. Tout d’abord, le niveau d’adoption de l’innovation auquel sont parvenus les participants pourrait être insuffisant pour qu’ils se croient déjà en mesure d’avoir une influence sur leurs élèves. Des facteurs propres à l’apprentissage des technologies auraient pu encore jouer, notamment un recul sur l’échelle des niveaux du modèle CBAM à chaque apprentissage d’une nouvelle technologie. L’instrument de mesure pourrait même être mis en cause. Notons aussi que les enseignants atteignent un plus grand sentiment autoefficacité personnel que général.

Les auteurs suggèrent quatre pistes sur la base desquelles construire de nouveaux programmes de développement personnel : favoriser le transfert, mettre l’accent sur les communautés d’apprenants, susciter chez les enseignants une réflexion sur leur apprentissage et leur pratique, enfin, intervenir autant sur les croyances que sur les pratiques. On y reconnaît certaines orientations prises par d’autres recherches-actions, notamment, dans ce numéro, par Charlier, Daele et Deschryver.

Les pratiques en réseau dans la communauté enseignante sont au centre de la contribution de Breuleux, Erickson, Laferrière et Lamon « Devis sociotechniques pour l’établissement de communautés d’apprentissage en réseau pour l’intégration pédagogique des TIC en formation des maîtres ». Les auteurs présentent la synthèse de recherches dont les objectifs sont le développement des pratiques en réseau et de la collaboration ainsi que le renouvellement de la formation professionnelle des enseignants. Ils considèrent que l’utilisation des TIC dépend certes « des outils technologiques mais encore plus d’outils conceptuels qui donnent un sens et une orientation à l’intégration des TIC dans l’enseignement et l’apprentissage ».

La contribution porte sur cinq points particuliers : a) le renouvellement de la formation pédagogique par la collaboration ; b) le cadre de référence sous-jacent à l’intégration pédagogique des TIC ; c) la méthodologie du développement de communautés d’apprenants ; d) la composition et l’évolution de la participation au sein des communautés d’apprentissage et les principes de leur conception et e) l’interprétation des résultats en termes de conditions de réussite de l’intégration des TIC pour l’apprentissage de la pédagogie par la collaboration.

La recherche s’appuie sur les courants sociocognitivistes actuels et surtout sur les concepts de communauté d’apprentissage et de communauté de pratique ou de communauté professionnelle apprenante. Les auteurs ont expérimenté, à travers quatre sites ou quatre communautés (Québec, Montréal, Toronto et Vancouver) des « devis sociotechniques » définis par la composition des communautés et la description de leurs activités. Les auteurs s’appuient sur le modèle de formation professionnelle des enseignants élaboré par Laferrière, qui, en six étapes, va de la conscientisation des acteurs à une réelle coconstruction des connaissances.

Au cours des cinq années d’expérimentation, cette méthodologie a conduit à définir des principes de conception de communautés d’apprentissage en réseau parmi lesquels les auteurs en distinguent quatre qui relèvent de l’ingénierie technique et neuf autres qui relèvent de l’ingénierie sociale. Dans leur évolution, les communautés ont nécessité des formes de soutien diverses : techniques, pédagogiques et administratives lors du premier cycle d’expérimentation, la pratique réflexive en réseau, la collaboration lors de la deuxième phase. Enfin, les enjeux de la pérennité du réseau et de son développement, et les activités de transfert de connaissances se développent principalement lors de la troisième phase d’expérimentation.

Ces différentes observations viennent corroborer et enrichir les dimensions (personnelle, professionnelle et sociale) du modèle de Bell et Gilbert relatif à la mise en oeuvre de dispositifs sociotechniques. L’utilisation d’outils de collaboration s’est avérée d’autant plus efficace que les pratiques pédagogiques étaient conçues et réalisées à des fins de coconstruction de connaissances dans des communautés d’apprentissage. Les auteurs reformulent les conditions liées à la dimension professionnelle du modèle. Visant à rendre leurs innovations pérennes et à réduire la distance entre théorie épousée et théorie pratiquée, ils définissent certaines autres conditions : mettre en oeuvre des situations authentiques, utiliser le forum de façon à ce que cela prenne un sens pour l’apprenant et faire participer d’autres apprenants du même groupe. Bref, prenant en compte les dimensions organisationnelle et interinstitutionnelle, ils enrichissent la définition de la dimension sociale du modèle. Au total, ce sont treize conditions qui permettent de faire évoluer progressivement la classe et les enseignants vers des communautés de pratique et d’apprentissage.

La contribution de Schürch « L’intégration des technologies de l’information et de la communication dans les projets de développement de régions enclavées » rompt quelque peu avec l’ensemble du volume. Si elle ne nous éloigne ni de la thématique de l’intégration des technologies ni de la formation à celles-ci, elle nous fait quitter les pratiques des enseignants pour nous conduire à celles du développement régional. Ce qui, pourtant, rapproche cette recherche des autres contributions, c’est la volonté, dans le cadre d’une recherche-action, d’aller au-delà de la formation et de prendre en compte une évolution du profil professionnel des acteurs – il s’agit ici de requalification – ainsi que l’ensemble de leur contexte dans ses dimensions psychologiques, sociales, idéologiques, organisationnelles, etc.

L’auteur s’interroge sur le statut actuel de la formation et sur la nécessité de la repenser sur la base de facteurs tels que l’éclatement de la dimension spatiale de la classe, la nouvelle identité du formateur, l’instauration de nouvelles règles dans la formation des formateurs. Une nouvelle pédagogie répondant aux caractéristiques de cette évolution a été mise en place dans le « Projet Poschiavo » [6] visant la formation d’une nouvelle figure professionnelle, l’assistant de pratique en formation à distance (APFD). Le projet Poschiavo se situe dans une vallée périphérique de Suisse italienne victime de dépeuplement et, donc, d’un net recul économique, culturel et linguistique. C’est dire si la notion de « territoire » trouve ici tout son sens. Durant sept ans, le projet s’est développé en tentant d’analyser le potentiel des TIC pour sauvegarder et développer les minorités linguistiques et culturelles. La mise en oeuvre s’est faite autour de deux axes principaux : a) la création de cette nouvelle figure professionnelle, l’APFD, et b) la possibilité pour la population de réaliser, grâce aux TIC, des projets de développement territorial (économique, culturel, environnemental, etc.) en s’organisant en groupes de projets.

Dans une première étape, l’auteur définit l’identité de l’APFD et met l’accent sur son rôle central dans l’articulation de la pratique et de la théorie. Il s’attache ensuite à décrire les objectifs de la formation ainsi que ses différentes phases. Il analyse la perception par les APFD du degré d’acquisition des objectifs de la formation. On notera que les deux objectifs les plus imparfaitement acquis ne sont pas les moindres puisqu’ils relèvent, soit de la méthodologie et du transfert (adapter la méthodologie aux situations différentes), soit de l’analyse socioculturelle (expliciter les références culturelles qui sous-tendent les prises de positions des interlocuteurs).

Dans une seconde étape, la contribution analyse les axes principaux autour desquels se structurent les activités de l’APFD. Parmi ceux-ci, le contexte socioculturel dans lequel s’insère l’activité de l’APFD paraît relativement important. Envisagé d’un point de vue psychosocial, il permet d’articuler l’identité de l’APFD et son rôle : témoin du territoire, mais aussi interprète, interface entre le territoire et l’institution promotrice du projet. Quant aux technologies, on ne s’étonnera pas de voir défendue une position en parfait accord avec les conceptions énoncées par ailleurs dans le volume : leur efficacité est déterminée par leur « degré d’intégration dans le contexte de référence des participants », le « contexte normativosymbolique » de la communauté, un code et des règles de communication partagées.

L’auteur conclut en cherchant à définir ce que pourrait devenir l’« ingénierie de l’innovation pédagogique » intégrant les facteurs technologiques, mais aussi psychologiques, sociaux, culturels et institutionnels. Elle s’appuierait sur un fort accompagnement de soutien individuel comme de groupe, sur une incitation à gérer et à planifier sa propre formation continue, sur une capacité à élaborer des projets, sur une articulation entre travail et formation, sur la maîtrise de la gestion du changement et de la diversité et, enfin, une expertise dans le domaine des TIC.

Conclusion

Ce numéro témoigne d’un courant qui se développe tant en Europe qu’en Amérique du Nord et qui, dans un dispositif de formation de formateurs, allie recherche-action et formation. Il s’agit de former de futurs formateurs à l’usage pédagogique des TIC, mais aussi d’observer et d’évaluer les pratiques, de répondre à de nombreuses questions relatives aux technologies elles-mêmes, à la pédagogie et à la méthodologie, aux formes d’apprentissage et, plus spécifiquement, aux formes de collaboration à distance, à la gestion et à l’introduction de l’innovation, etc.

Le volume réunit plusieurs recherches qui conduisent à considérer l’appropriation des TIC et la formation des enseignants en ce domaine selon des dimensions qui dépassent largement le seul point de vue pédagogique. À ce titre, il apporte une vision plus globale, systémique qui prend en compte, certes la pratique pédagogique et ses contraintes, mais également les représentations, les attentes et les réticences des différents acteurs, les facteurs culturels, organisationnels et institutionnels, enfin la conception et le sens qu’a pour chacun l’innovation.

Ce numéro thématique nous apprend qu’en matière d’innovation tant pédagogique que technologique, nous sommes tous partenaires du changement. Et quoi que cela nous coûte, c’est là, sans doute, le prix de la réussite.