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La scolarisation initiale : une opportunité de manifestation du risque ?

Le début de l’instruction formelle du jeune enfant implique des attentes explicites quant à l’acquisition de comportements adaptés liés à l’apprentissage et à la socialisation (Rimm-Kaufman et Pianta, 2000). Pour s’adapter positivement à ce nouveau contexte écologique, très différent du milieu de garde et de la famille, l’enfant doit déployer des habiletés reliées au travail et à l’apprentissage (ex. : terminer son travail, travailler de façon indépendante, être attentif aux instructions), des habiletés sociales et une bonne gestion de l’attention et des réactions émotionnelles (Howes, Matheson et Hamilton, 1994 ; Jimerson, Carlson, Rotert, Egeland et Sroufe, 1997). L’enfant est ainsi appelé à puiser dans ses ressources personnelles, ressources qui découlent à la fois de ses caractéristiques individuelles et de ce qu’il a construit au cours de la période préscolaire, particulièrement dans le cadre de la relation avec ses parents. Cependant, dès leur entrée à la maternelle, nombre d’enfants sont à risque de mésadaptation et d’échec. De plus, les élèves présentant des difficultés au cours du premier cycle du primaire ont des risques accrus d’abandon et d’échec scolaire au secondaire (ministère de l’Éducation du Québec, 2003).

Si la préparation au développement des aptitudes scolaires s’avère importante pour la réussite ultérieure de l’élève, ce sont surtout ses habiletés socioaffectives qui préoccupent les enseignants. Ainsi, une vaste étude menée auprès de maîtres de maternelle (Rimm-Kaufmann, Pianta et Cox, 2000) révèle que de 20 % à 30 % d’entre eux jugent que la moitié de leurs élèves présentent des difficultés pour fonctionner dans un groupe. Alors que 64 % des enseignants en maternelle sont préoccupés par les habiletés sociales de leurs jeunes élèves, seulement 44 % s’inquiètent de leurs habiletés scolaires. Ces résultats soulignent de nouveau l’importance des capacités d’adaptation pour la réussite de l’élève dès son entrée à l’école (Meisels, 1999).

Au défi normatif imposé par l’insertion dans le monde scolaire s’ajoutent les conditions de vie et les facteurs de risque auxquels doivent faire face nombre d’enfants, particulièrement dans les milieux défavorisés (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005). Au cours des dernières décennies, beaucoup d’attention a été accordée à l’étude des problèmes d’inadaptation des enfants en milieu scolaire, et le nombre d’élèves qui manifestent des difficultés d’apprentissage scolaire et des problèmes d’adaptation sociale se révèle croissant (Vitaro et Gagnon, 2000). Ce constat ne surprend aucunement si l’on considère que l’un des facteurs de risque importants, la pauvreté des familles, est en constante progression (Conseil national du bien-être social, 1998). Un enfant sur quatre vivant en milieu défavorisé présente un retard dans le développement de ses habiletés cognitives, langagières ou sociales (Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, 1999). De plus, ces enfants accusent une prévalence plus élevée de problèmes de comportement, de troubles émotionnels et de difficultés d’adaptation socioaffective que ceux de la classe moyenne (McLoyd, 1998 ; McLoyd et Jozefowicz, 1996). Avec le temps, ces différences s’accentuent et incluent les difficultés d’apprentissage et l’échec scolaire. Au-delà des effets de la défavorisation et de la privation matérielle, des facteurs tels les pratiques éducatives parentales et la qualité de la relation parent-enfant, le stress subi par la famille et les caractéristiques individuelles de l’enfant ont été reliés aux difficultés d’adaptation scolaire ultérieures des élèves (National Institute of child health and human development, 2004).

Dans l’ensemble, la recherche en éducation n’apporte pas de constat plus positif de la situation scolaire. En font foi les nombreuses études concluant à l’importance du taux de décrochage scolaire des garçons (MÉLS, 2005). Pourtant, depuis quelques années, plusieurs chercheurs ayant réalisé des études longitudinales (Garmezy, 1993 ; Gutman, Sameroff et Cole, 2003 ; Werner et Smith, 1992) ont observé que, malgré l’adversité, plusieurs élèves réussissent tout de même à avoir un cheminement scolaire harmonieux. Ces observations soulèvent la question de savoir pourquoi certains enfants, soumis à l’adversité à un jeune âge, réussissent à rebondir ou à bien s’adapter dans la vie. La compréhension de ces processus adaptatifs aurait des implications importantes pour l’intervention et la prévention de la mésadapation. Dans cette optique, de plus en plus de chercheurs et de praticiens ont commencé à s’intéresser au construit de la résilience, afin de mieux comprendre les trajectoires d’adaptation des élèves au cours de leur cheminement scolaire (Buckner, Mezzacappa et Beardslee, 2003 ; Gutman et collab., 2003 ; Kilmer, Cowen, et Wyman, 2001 ; Kim-Cohen, Moffit, Caspi et Taylor, 2004 ; Ungar, 2006).

La difficulté de cerner le concept de résilience

Plusieurs controverses ont porté sur la définition de la résilience. D’entrée de jeu, il est opportun de signaler que les chercheurs de nombreuses disciplines se sont intéressés à la question, et ce, aussi bien en recherche que dans le champ de l’intervention psycho-sociale. La conception la plus courante de la résilience est celle proposée par Masten (1994), de même que Turner, Norman et Zunz (1995). Selon eux, celle-ci traduirait l’habileté de l’enfant à s’adapter adéquatement malgré la présence de facteurs de risque et d’adversité. Ces derniers feraient référence au type, à la fréquence et à l’intensité du stress auquel est exposé l’individu. Pour Antonovsky (1984), il s’agit plutôt des façons dont les individus peuvent atteindre un état de bien-être. Ainsi, il pourrait être plus efficace de favoriser la résilience que d’éliminer les facteurs de risque en aidant les personnes à miser davantage sur les ressources ou les moyens de compenser les effets des facteurs de risque (Mayhew et Mayhew, 2001). Pour Masten et Coatsworth (1998), la résilience représenterait un construit inférentiel. Ce construit repose sur le postulat que l’enfant possède un statut à haut risque ou qu’il a été exposé à des expériences qui ont des conséquences négatives pour son développement. Toutefois, on juge que cet élève présente un développement normal en dépit de l’adversité. Bref, pour ces auteurs, la définition de ce que constitue une bonne adaptation devrait varier en relation avec les contextes historiques, culturels et développementaux.

La recherche sur la résilience soulève cependant plusieurs interrogations, tant sur le plan théorique que méthodologique (Trudel, Puentes-Neuman et Ntebutse, 2004). Pour certains auteurs, cette notion n’a pas été suffisamment opérationnalisée, et conséquemment, les méthodes de mesure du construit de la résilience sont inappropriées (Glantz et Johnson, 1999). Dans un tel contexte, les résultats de la recherche ne permettent pas d’établir clairement si la résilience est le reflet du développement en soi, un processus de développement avant-coureur d’un résultat, un ensemble d’agents de protection ou encore l’absence de facteurs de risque anticipés (Kaplan, 1999). Enfin, soulignons l’argumentaire de Rutter (1987), selon lequel la résilience serait mieux comprise si on s’orientait vers l’analyse des processus plutôt que d’aborder les facteurs de risque et de protection comme des variables statiques ou additives. Ainsi, il s’agit non seulement d’identifier les facteurs qui agissent en faveur ou au détriment de l’adaptation, mais aussi de comprendre comment ces facteurs interagissent en présence des caractéristiques spécifiques d’un individu dans un contexte donné. Le modèle transactionnel préconisé dans la présente étude s’inspire d’une conception du développement humain abordée sous l’angle de l’occurrence des facteurs qui peuvent soit augmenter (facteurs de risque), soit réduire (facteurs protecteurs) la probabilité de rencontrer une ou des difficultés d’adaptation. Ces facteurs ne sont pas nécessairement reliés de manière causale à l’adaptation ou à l’inadaptation, mais plutôt conceptualisés comme reflétant un effet probabiliste et multidimensionnel (Cicchetti, 1990 ; Sameroff, 1983). Ainsi, trop souvent la résilience est étudiée en référence à l’atténuation des problèmes externalisés chez les élèves qui ont vécu de l’adversité. Dans une certaine mesure, cette composante reflète une contrainte culturelle ou normative liée au contexte scolaire. Pourtant, plusieurs recherches rapportent que les problèmes externalisés sont concurremment associés aux troubles internalisés (Carle et Chassin, 2004). Ces derniers sont toutefois moins visibles et plus difficiles à cerner par l’entourage social. Dans le contexte de la résilience, il apparaît de plus en plus évident que les deux dimensions doivent être abordées pour rendre compte de la dynamique de changement en contexte d’adversité.

Adaptation et résilience : des processus ancrés dans un contexte

Les périodes de transition, dont celle de l’insertion en milieu scolaire, constitueraient des moments-clés pour étudier le phénomène de la résilience chez les élèves considérés à risque, car elles se traduisent souvent par l’apparition de problèmes d’adaptation (Anderson, Jacobs, Schramm et Splittgerber, 2000 ; Catterall, 1998).

De plus, la prise en compte de l’influence de l’écologie familiale sur les adaptations sociales ultérieures de l’enfant devrait permettre de dégager une meilleure compréhension des processus de résilience. Plusieurs chercheurs ont tenté d’établir des prédictions entre les antécédents familiaux et l’adaptation de l’enfant à l’école. Ainsi, on sait que les jeunes issus des familles stressées par le manque de ressources matérielles et humaines risquent davantage de manifester des problèmes de comportements en classe (Murray-Harvey et Slee, 1998). Certaines circonstances qui auraient un effet multiplicateur peuvent influencer l’adaptation de l’enfant ; par exemple, un dysfonctionnement des relations conjugales (Belsky, 1984 ; Hetherington et Clingempeel, 1992), des problèmes de santé mentale chez les parents (Tiet, Bird, Hoven, Wu, Moore et Davies, 2001), des pratiques éducatives inappropriées et inconsistantes (Patterson, Reid et Dishion, 1992), ainsi qu’un milieu familial socio-économiquement défavorisé (Garmezy, 1991 ; Rutter, 1979). Des événements de vie générant du stress familial (Egeland et Kreutzer, 1991 ; Pianta, Egeland et Sroufe, 1990) sont particulièrement pertinents à l’étude de la résilience auprès d’échantillons non cliniques d’élèves, tous non sélectionnés en fonction de difficultés particulières.

La présente recherche : parcours vers l’analyse centrée sur la personne

À la lumière du bilan sur la résilience, il apparaît évident que la relation de cause à effet ne peut être abordée selon un modèle linéaire classique. Le propos rejoint l’argumentaire de Luthar et Zelazo (2003) selon lesquels trop de recherches portent sur l’étude des variables, au détriment d’une approche davantage centrée sur la personne. Les chercheurs devraient, dans ce contexte, procéder à l’examen des influences combinées de la vulnérabilité, des facteurs de risque et des facteurs de protection par l’utilisation d’analyses de type multidimensionnel. Faisant écho à cette recommandation, Ungar (2004) propose une approche conceptuelle et méthodologique de la résilience, axée sur la personne dans son contexte et qui nous permet de comprendre le processus de résilience comme une adaptation de l’individu qui ne peut pas être assimilée à un processus normatif ou linéaire. Ainsi, la présente recherche se propose d’analyser le profil d’élèves ayant vécu des situations de stress persistant au sein de leur famille, afin de dégager le portrait d’élèves dits à risque et résilients. La perception que l’élève a de sa propre santé mentale servira de critère de résilience. À la suite d’un traitement plutôt standard centré sur les variables, nous analyserons les profils des individus, au regard de l’adaptation scolaire et psychosociale, vers la fin du premier cycle du primaire, et à la lumière des caractéristiques individuelles et relationnelles au sein de la relation avec la mère à quatre ans.

Méthodologie

Les participants

Les 39 familles qui participent à la présente recherche font partie d’un projet longitudinal concernant le développement social à l’âge préscolaire et lors de l’insertion en milieu scolaire. Le groupe se compose de 19 filles et de 20 garçons. Les familles ont été recrutées en région semi-urbaine à partir des listes de naissances des enfants. Au début de l’étude, toutes les mères ont signé un formulaire de consentement mentionnant le respect de la confidentialité et les exigences liées à leur participation au projet. Au moment des évaluations considérées dans la présente étude, les enfants ont quatre et sept ans.

Le contexte d’évaluation

Les évaluations se sont déroulées au laboratoire du groupe de recherche, dans un contexte standardisé permettant d’effectuer l’observation des interactions mère-enfant. Tous les questionnaires ont été remplis lors de ces rencontres. Les enseignants ont, quant à eux, complété leur évaluation au cours de la même période. Le tableau 1 décrit succinctement l’origine, le répondant et les principales caractéristiques des instruments utilisés lors des évaluations à 4 et 7 ans. Ces instruments ont, dans l’ensemble, une bonne valeur psychométrique.

Tableau 1

Description des instruments d’évaluation

Description des instruments d’évaluation

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Résultats

La mise en évidence du profil de la résilience

La première série d’analyses est abordée d’une façon plus conventionnelle et se base sur la moyenne du stress familial rapporté par les mères lors de l’évaluation de 4 et 7 ans. Parmi les 39 participantes, nous avons ciblé les douze familles (soit 31 %, dont six familles ayant une fille) qui montraient la pondération la plus élevée aux mesures de stress. Les scores de stress, qui témoignent à la fois du nombre d’événements stressants et de la pondération accordée par la répondante, s’établissent pour ce sous-échantillon à 11,40 au premier temps de mesure et à 9,80 au deuxième temps de mesure. Comparativement, les 27 autres participantes à l’étude s’estiment moins stressées et ce, aux deux temps de mesure accordant des scores moyens de 3,70 et 2,60 aux événements stressants dans leurs vies. Pour les douze familles ciblées en raison de leur niveau de stress aux deux temps de mesure, des regroupements d’élèves ont été effectués à partir d’une analyse de regroupements hiérarchiques (avec l’algorithme des distances euclidiennes et la méthode Ward). Ces analyses portaient sur les pourcentages obtenus aux sept échelles de symptômes du questionnaire sur la santé mentale qui a été rempli par les enfants à l’âge de sept ans. Ce type d’analyse permet d’identifier les distances entre chacun des individus afin d’en extraire des regroupements d’enfants qui partagent le plus de similitudes, tout en optimalisant les différences entre les divers regroupements. Parmi les douze élèves considérés, deux groupes distincts de six se dégagent clairement de cette analyse (voir la figure 1).

Figure 1

Analyse de regroupements hiérarchiques sur les échelles de la santé mentale pour les élèves dont les familles ont obtenu les résultats les plus élevés aux mesures de stress

Analyse de regroupements hiérarchiques sur les échelles de la santé mentale pour les élèves dont les familles ont obtenu les résultats les plus élevés aux mesures de stress

(n = 12) (F = filles : G = garçons)

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L’examen du dendrogramme met en évidence une variabilité plus restreinte des profils chez le groupe dit résilient, qui se traduit par des distances euclidiennes moins prononcées entre les élèves, comparativement à ceux du groupe considéré à risque. En somme, ce résultat révèle un profil plus homogène chez les élèves résilients, sur le plan de leur représentation des symptômes liés à la santé mentale.

Des analyses à l’aide du test-t ont, par la suite, permis de décrire les échelles ayant le plus contribué à l’émergence de ces deux sous-groupes. Les profils de santé mentale pour chacun des regroupements sont illustrés à la figure 2. Ainsi, on constate que cinq des sept échelles discriminent nettement les deux regroupements. Le premier groupe s’apparente aux élèves classés comme résilients, et le second, aux élèves plus à risque en raison des moyennes élevées aux échelles de la santé mentale. Pour mieux documenter l’ordre de grandeur de ces différences, les scores moyens des autres élèves de l’échantillon ont été intégrés dans le graphique. Le profil d’ensemble de ces élèves considérés ponctuellement comme un groupe témoin s’apparente à celui du sous-groupe résilient et se distingue nettement du sous-groupe à risque. Sommairement, le groupe à risque rapporte significativement plus de symptômes reliés à l’anxiété, à la dépression, à l’angoisse de la séparation et à la phobie, de même que plus de conduites hyperactives.

Figure 2

Analyse descriptive des profils moyens de la santé mentale pour les deux groupes issus de l’analyse de regroupements hiérarchiques et les autres élèves de l’échantillon

Analyse descriptive des profils moyens de la santé mentale pour les deux groupes issus de l’analyse de regroupements hiérarchiques et les autres élèves de l’échantillon

(* = différences signaficatives à p < 0,05)

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Une analyse descriptive des précurseurs et des aspects concomitants de la résilience

Les variables définissant les construits familiaux de l’attachement mère-enfant et des pratiques éducatives du parent à quatre ans sont d’abord prises en compte, et dans un second temps, celles se rapportant aux caractéristiques individuelles du tempérament de l’enfant. Enfin, trois autres construits sont étudiés au regard des effets à plus long terme, soit à sept ans, en ce qui concerne l’adaptation scolaire perçue par l’enseignant, le sentiment de l’élève envers l’école et l’évaluation de l’estime de soi.

Il importe de souligner au préalable que l’indice de stress familial ne discrimine pas les sous-groupes résilients et à risque à quatre et sept ans. Toutefois, chacun d’eux se distingue du stress rapporté chez les familles des autres enfants de l’échantillon, et ce, aux deux temps d’évaluation (t variant de 14,30 à 27,90 ; p < 0,01). Dans l’ensemble, on relève quatre différences significatives entre les deux sous-groupes d’élèves (c’est-à-dire résilients et à risque), basées sur les moyennes des scores standardisés par rapport à l’échantillon total. Ainsi, en référence aux variables familiales, deux aspects des relations d’attachement mère-enfant différencient les deux regroupements. Par comparaison avec le sous-groupe à risque, ces résultats indiquent que l’enfant résilient manifeste plus de comportements d’exploration (t = 2,31 ; p < 0,05) et que sa mère se comporte d’une façon plus affectueuse (t = 2,26 ; p < 0,05). Contre toute attente, aucun écart majeur ne ressort de l’analyse des valeurs et des pratiques éducatives des parents au regard de la problématique de la résilience. On relève, en outre, deux effets liés aux représentations que la mère se fait des caractéristiques du tempérament de l’enfant. L’enfant résilient est notamment décrit comme étant plus régulier dans ses routines quotidiennes (t = 2,26 ; p<0,05) tout en manifestant un taux d’activité moins élevé (t = 1,93 ; p < 0,10), et ce, en comparaison de l’enfant à risque. Enfin, il faut noter que toutes les variables évaluées à sept ans, associées à l’adaptation scolaire, au sentiment de l’élève envers l’école et à l’estime de soi, ne font ressortir aucun effet entre les sous-groupes. En somme, dans l’ensemble, les résultats de notre approche analytique font ressortir des effets plutôt atténués par rapport aux précurseurs familiaux et individuels de la résilience. De plus, les mesures concomitantes associées à l’adaptation scolaire ne distinguent pas les groupes définis à partir des indices de la santé mentale. Dans ce contexte, notre démarche analytique nous conduit à explorer une approche plus orientée sur les variations intra-individuelles, en espérant dégager une configuration plus nuancée des trajectoires susceptibles de conduire à la résilience.

Une approche centrée sur la personne : l’étude de cas multiples

L’approche adoptée à cette phase des analyses se veut complémentaire, puisqu’elle tente de tracer le portrait de la résilience à partir d’un traitement plus multidimensionnel des variations intra-individuelles. La méthode, qualifiée d’études de cas multiples, privilégie la comparaison d’élèves partageant certaines similitudes, dont le degré d’exposition au stress, tout en se distinguant par le profil de la santé mentale. Le tableau 2 fournit un sommaire des variations individuelles des élèves sur l’ensemble des variables. Pour faciliter la lecture des résultats, les variables ont été au préalable standardisées en référence aux variations pour l’ensemble de l’échantillon. Les résultats individuels doivent le plus possible rendre compte du potentiel des variables à représenter des facteurs de risque ou de protection dans l’adaptation des enfants. À cette fin, les indices interprétés comme traduisant une forme d’inadaptation sont ceux qui excèdent le seuil d’un écart-type à la moyenne. Ils sont d’ailleurs encadrés dans le tableau afin de faciliter la lecture des variations individuelles. Quant aux valeurs extrêmes reflétant des indices de protection, celles-ci sont mises en évidence en caractères gras.

Tableau 2

Profils individuels aux différents construits selon le regroupement issu des échelles de santé mentale

Profils individuels aux différents construits selon le regroupement issu des échelles de santé mentale

Indices problématiques = Scores encadrés ; Indices de protection = Scores en caractères gras ; G = Garçons ; F = Filles

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Une appréciation de l’ensemble des profils individuels révèle notamment la présence d’un nombre supérieur d’indices problématiques chez les élèves à risque (50 indices) en comparaison du groupe dit résilient (26 indices). En contrepartie, la prévalence d’indices de protection est plus grande chez le groupe résilient, puisqu’on relève 35 effets contre 20 pour le groupe à risque. Ce bilan exclut toutefois les variations qui se rapportent à la santé mentale, puisqu’elles sont à l’origine même du regroupement. Une seconde observation concerne la contribution respective des construits à quatre ans. Ainsi, les résultats font ressortir, chez le groupe à risque, un plus grand nombre d’indices à problème au construit des relations d’attachement (11 effets), et ce, comparativement aux profils des élèves du groupe résilient (3 effets). Chez ce dernier groupe, on identifie cependant une plus forte présence d’indices de protection, et ce, en particulier au niveau du construit des valeurs et pratiques éducatives des mères (13 contre 5 pour le groupe à risque). Finalement, des variations liées au sexe des élèves révèlent une contribution plus probante des facteurs de protection associés à l’attachement et au tempérament chez les garçons du groupe résilient, en comparaison des filles du même regroupement (respectivement 7 et 12 indices contre 1 et 2 pour les filles). D’ailleurs, dans l’ensemble, 77 % des indices de protection chez le groupe résilient sont associés aux profils des garçons.

Sur le plan de l’adaptation scolaire et du sentiment de l’élève pour l’école, les résultats à propos des profils individuels à sept ans distinguent nettement les groupes à risque et résilients, puisque 15 des 16 indices problématiques se réfèrent aux profils d’élèves à risque. Soulignons que le construit de l’estime de soi ne semble pas représenter une composante explicative du phénomène de la résilience. L’analyse des variations reliées au sexe de l’élève est également considérée. Ainsi, la majorité des indices problématiques se retrouve chez le groupe à risque, et en particulier chez les garçons (près de 70 %). Enfin, il est étonnant de constater que la prévalence des indices de protection est beaucoup plus présente chez les filles, et ce, sans égard à leur statut en tant que résilient ou à risque.

Examen des profils individuels des élèves du groupe à risque

Le dernier volet des résultats s’oriente davantage vers une micro-analyse du profil individuel des élèves. Même si cette approche s’apparente à une description clinique de cas, elle vise plutôt à cerner, de la façon la plus nuancée possible, les processus susceptibles d’expliquer la résilience. Au niveau des indices de santé mentale du groupe à risque, on note d’abord que tous ces élèves rapportent au moins deux symptômes qui dépassent le seuil ciblé d’un écart-type. Les trois garçons rapportent des problèmes extériorisés et intériorisés, alors que chez les filles, ce sont l’anxiété et l’angoisse de séparation qui émergent comme plus problématiques. Lorsque l’on se réfère aux critères du DSM-3-Révisé appliqués au questionnaire Dominique (voir Valla, Bergeron, Bérubé, Gaudet et St-Georges, 1994), on relève la présence de cinq symptômes qui dépassent la norme clinique. Dans tous les cas, ce seuil critique se rapporte aux profils des trois garçons à risque (trouble de conduite chez jof et ran ; hyperactivité et trouble d’opposition chez ran et angoisse de séparation chez laa).

Les résultats concernant les précurseurs des problèmes d’inadaptation chez les élèves du groupe à risque évalués à quatre ans mettent en évidence pour l’un des cas, soit l’enfant laa, une forte contribution des caractéristiques du tempérament. À ce construit s’ajoute une perception négative de la mère par rapport à la relation d’attachement qu’elle entretient avec son fils. Celle-ci relève également peu de contraintes reliées à ses valeurs et pratiques éducatives privilégiées à la maison, à l’exception de la relation jugée souvent conflictuelle avec son enfant. L’adaptation scolaire à sept ans est perçue par l’enseignant comme à risque, puisque cet élève serait très turbulent et inattentif en classe, et donc, conforme aux représentations de l’élève au regard de la santé mentale. En concordance avec cette évaluation, le sentiment de l’élève envers l’école est négatif, tant sur le plan scolaire que par rapport au climat social. Son intérêt général pour l’école se révèle peu favorable, car on relève un résultat qui approche le seuil critique. L’interprétation donnée au profil de cet élève nous incite à penser que ce dernier pourrait avoir intériorisé une partie des problèmes liés aux aspects relationnels, tout en manifestant une certaine angoisse.

La seconde analyse de cas qui attire notre attention chez les garçons à risque concerne l’enfant ran. En effet, ce dernier s’évalue au construit de la santé mentale comme l’élève le plus en difficulté, puisque tous les symptômes s’avèrent à risque. Paradoxalement, les précurseurs individuels et familiaux à l’âge préscolaire révèlent des scores peu convergents avec les difficultés rapportées aux échelles de santé mentale. De fait, on ne relève que deux indices qui dépassent le seuil critique à quatre ans. De toute évidence, le stress vécu par la famille aurait peu affecté la qualité de la relation mère-enfant et les pratiques éducatives. La mère a cependant tendance à surprotéger son enfant, alors que celui-ci apparaît peu enclin à explorer la nouveauté. On note néanmoins que la mère se perçoit comme engagée et attentive tout en étant peu rigide, autoritaire ou conflictuelle. Quant à l’évaluation de l’enseignant à sept ans, celle-ci ne confirme pas les difficultés d’adaptation perçues par l’enfant, même si ce dernier n’apprécie pas fréquenter l’école. D’ailleurs, le climat social, la présence des autres élèves et l’intérêt général pour l’école sont évalués par celui-ci comme très contraignants. Tout compte fait, nos mesures à l’âge préscolaire se révèlent peu concordantes avec le profil de l’élève à risque qui ressort des résultats à la période scolaire. De plus, on note une incohérence entre le profil décrit par l’élève au niveau des troubles extériorisés et l’évaluation positive de l’enseignant au niveau de son fonctionnement en classe. Cette discordance suggère une possible incompréhension, par l’entourage social, des problèmes ressentis par l’enfant.

Le troisième garçon du groupe à risque, soit jof, s’évalue également comme un élève ayant des difficultés associées aux troubles extériorisés et intériorisés. Les antécédents préscolaires associés à ce profil indiquent notamment la présence d’un tempérament qui prédispose l’enfant à éviter les personnes étrangères et à manifester un niveau élevé d’activité. La mère se décrit également comme peu satisfaite des interactions sociales avec ce dernier, et comme une personne autoritaire et conflictuelle dans ses pratiques éducatives. À sept ans, l’enseignant perçoit jof comme inattentif en classe, peu sociable et un peu anxieux. Celui-ci n’apprécie cependant pas son enseignant, même s’il semble aimer fréquenter l’école. Dans l’ensemble, jof semble manifester des difficultés à s’ajuster à l’autorité de l’adulte (mère et enseignant), ce qui se traduit par peu de disponibilité sur le plan relationnel.

Les résultats relatifs au profil des trois filles à risque soulignent surtout la présence de problèmes de type intériorisé. On identifie également une tendance à l’hyperactivité chez deux d’entre-elles (thr et ges). Globalement, le tempérament des filles apparaît facile, puisque quatre indices seulement dépassent le seuil critique. C’est l’élève vem qui fait voir le contexte de développement le plus difficile à quatre ans. Ainsi, sur le plan du tempérament, elle est décrite comme très active, souvent de mauvaise humeur et émotionnellement intense. On note aussi une tendance à l’inhibition face aux personnes étrangères et dans les contextes non familiers. L’évaluation au construit de l’attachement fait en outre ressortir que cette enfant ne privilégie pas sa mère comme une personne de confiance ou de référence. Celle-ci rapporte, par surcroît, recourir rarement à l’affect positif, tout en révélant qu’elle a une perception sociale négative de sa fille. Cette mère se décrit également comme une personne manifestant une certaine froideur et peu chaleureuse dans les relations avec son enfant, tout en étant très conflictuelle. Elle a tendance à se comporter d’une façon autoritaire et rigide avec sa fille, qu’elle a d’ailleurs tendance à surprotéger. À sept ans, vem est perçue par l’enseignant comme une élève turbulente et peu sociable. Celle-ci n’apprécie pas son enseignant et n’aime pas fréquenter l’école. Enfin, vem rapporte avoir peu confiance en elle-même. Cette élève semble donc avoir développé un style de fonctionnement oppositionnel avec les adultes. Ceux-ci ne semblent toutefois pas percevoir son intériorité ni les difficultés qu’elle ressent.

La seconde fille considérée comme à risque, thr, rapporte des problèmes d’anxiété et d’angoisse de séparation auxquels s’ajoutent des tendances à l’hyperactivité et à la dépression. Dans ce cas, c’est le lien d’attachement qui semble peu sécurisé, puisque thr explore peu la nouveauté et se réfère rarement à sa mère d’une façon différenciée. Les résultats au construit des pratiques éducatives sont également révélateurs du contexte social auquel est confrontée thr à la maison. Sa mère se perçoit comme peu chaleureuse, peu engagée et peu attentive à son enfant, tout en se décrivant comme rigide et conflictuelle. À sept ans, l’évaluation de l’enseignant se révèle toutefois très positive, faisant valoir que thr est très bien adaptée au contexte de la classe. En contrepartie, thr rapporte ne pas apprécier la présence des autres élèves ni celle de l’enseignant. Sa confiance dans ses compétences cognitives et sportives s’avère également faible, tout autant que son estime de soi. Il se dégage de cette analyse de thr qu’il y a une discordance apparente entre ce que ressent cette élève et les représentations de son entourage immédiat.

Le profil de santé mentale de la dernière fille du groupe à risque s’apparente aux résultats des deux analyses précédentes en ce qui concerne la présence de problèmes intériorisés, quoique ges rapporte également avoir un problème de phobie. L’examen des antécédents familiaux souligne des difficultés au niveau de la sécurité socioaffective indexée par les résultats négatifs aux échelles d’exploration et de réponse différenciée. Cependant, la mère évalue positivement la qualité des interactions sociales avec ges et son degré d’autonomie. Sur le plan des valeurs et pratiques éducatives, la mère se perçoit comme un peu distante tout en soulignant qu’elle surprotège son enfant. Néanmoins, elle se décrit comme bien engagée et attentive aux besoins de sa fille. À l’âge scolaire, ges est décrite par l’enseignant comme une élève turbulente en classe, mais en même temps très sociable. L’évaluation de cette dernière est assez conforme à celle de l’enseignant, puisqu’elle indique apprécier ce dernier, les autres élèves, le climat social et l’école en général. Malgré l’image positive qui se dégage des évaluations à sept ans, on demeure perplexe par rapport aux résultats concernant les échelles associées aux symptômes de troubles intériorisés. À première vue, même si le profil scolaire de cette élève apparaît peu problématique, on ne peut exclure la présence de difficultés susceptibles de se traduire ultérieurement par des problèmes d’adaptation de type intériorisés.

Examen des profils individuels des élèves du groupe résilient

La démarche d’analyse nous amène, en dernier lieu, à explorer les profils individuels des élèves dits résilients. Compte tenu du nombre restreint de variables à risque chez ce dernier groupe, les résultats seront abordés plus globalement tout en faisant référence aux indices susceptibles de correspondre à des facteurs de protection. Les profils des garçons résilients à quatre ans font voir que neuf des onze indices à risque concernent l’enfant jod et sont distribués dans les trois construits à l’étude. Ainsi, le tempérament de cet élève est perçu par la mère comme difficile, face aux comportements de retrait devant les étrangers et aux nouvelles situations, aux manifestations de mauvaise humeur et au peu de persistance dans ses activités. Cet enfant est également ciblé à cause des variables associées au construit de l’attachement. Ainsi, il ne manifesterait pas des réponses différenciées dans ses relations avec la mère et serait peu endurant. Sa mère se décrit, sur le plan des pratiques éducatives, comme rigide et autoritaire tout en surprotégeant son fils. En ce qui concerne l’adaptation scolaire à sept ans, jod révèle un sentiment favorable envers l’enseignant et les pairs, mais n’aime pas fréquenter l’école. L’enseignant ne rapporte pas de problème au niveau du fonctionnement de cet élève en classe. Considérant le profil dégagé à sept ans, on ne peut pas exclure que la relation avec l’enseignant puisse avoir joué un rôle déterminant lors du processus d’intégration scolaire.

Les deux autres garçons du groupe résilient font voir des profils assez similaires à quatre ans. Ainsi, trj et mid sont évalués comme ayant un tempérament facile et une relation d’attachement harmonieuse avec la mère. En général, leurs mères se perçoivent adéquates dans l’éducation de leurs garçons. À sept ans, trj a cependant tendance à se sous-estimer au plan de ses compétences sociales et de son estime de soi, alors que mid se décrit plutôt comme confiant. Ainsi, il semble que la qualité de la relation avec le parent semble avoir contribué à protéger l’enfant contre les effets de l’adversité.

Le dernier volet des résultats aborde le profil individuel des filles résilientes pour lesquelles on retrouve notamment très peu d’éléments problématiques au niveau de la santé mentale, à l’exception de l’élève tol qui rapporte la présence de dépression. Dans l’ensemble, la prévalence d’éléments à risque à quatre ans est plutôt limitée ; d’ailleurs, plus de la moitié des indices concernent l’enfant juk. Ce sont les pratiques éducatives de la mère qui semblent plus problématiques, puisque celle-ci se représente comme une personne distante, peu engagée, peu attentive et souvent impliquée dans des conflits avec sa fille. Chez les deux autres filles, on retrouve peu de problèmes à quatre ans, à l’exception de la mère de tol qui se perçoit comme une femme autoritaire, vivant à l’occasion des conflits dans ses relations avec son enfant, tout en se percevant comme très engagée.

Les résultats des évaluations des enseignants à sept ans ne traduisent aucune difficulté particulière sur le plan du fonctionnement des filles résilientes à l’école. Deux d’entre elles (juk et rif) sont perçues comme des élèves très sociables. Les trois filles se déclarent très satisfaites de côtoyer les pairs de la classe. En somme, chez les filles dites résilientes, on identifie peu de conditions défavorables à leur adaptation scolaire. D’ailleurs, la plupart des indices de protection relevés chez le groupe résilient à sept ans caractérisent davantage le profil des filles.

Discussion

Jusqu’à présent, les recherches sur le risque de mésadaptation encouru par l’enfant dans des situations d’adversité ainsi que sur la résilience ont été majoritairement réalisées dans une perspective positiviste découlant de l’approche écologique (Fraser et Galinsky, 1997). Pour certains, ce paradigme implique des liens de causalité linéaires et une prédétermination des facteurs de risque, des facteurs de protection et de ce qui peut être considéré comme une adaptation résiliente (Ungar, 2004). Or, les résultats de près de quatre décennies de recherche sur le risque et la résilience n’arrivent pas encore à délimiter les facteurs causals essentiels qui permettent de prédire l’adaptation ou la mésadaptation chez l’enfant jugé à risque. Sommes-nous en mesure de prédire quels facteurs de protection peuvent soustraire l’enfant à risque d’une trajectoire déviante (Kaplan, 1999 ; Loeber et Farrington, 2000) ? Plusieurs auteurs font état d’une difficulté conceptuelle liée au construit même de la résilience, puisque cette notion paraît parfois circulaire dans l’explication de l’adaptation individuelle (Harvey et Delfabbro, 2004).

L’objectif de la présente étude était de documenter, à partir des résultats d’un suivi longitudinal d’élèves du préscolaire au scolaire, les variations susceptibles de confirmer la validité du modèle conceptuel de la résilience et du risque. Ainsi, dans quelle mesure les caractéristiques individuelles de l’enfant et les contraintes familiales peuvent-elles servir à prédire la résilience indexée par l’état de santé mentale des élèves au début de leur scolarisation ? Dans ce contexte, notre approche analytique a été d’identifier au préalable les familles ayant rapporté une pondération élevée sur les échelles de stress ou d’adversité, et ce, de façon soutenue à travers le temps. Les résultats dégagés sur la base de cette sélection initiale ont permis d’identifier deux sous-groupes distincts d’élèves sur les indices de santé mentale à 7 ans ; l’un ne manifestant aucun trouble et le second s’apparentant aux élèves à risque. Malgré des contraintes d’échantillonnage associées à cette démarche analytique, celle-ci s’avère tout de même cohérente avec l’idée que la résilience est le reflet d’une bonne adaptation, et ce, en dépit de la présence d’adversité. Les précurseurs individuels et familiaux expliquant cette variation dite de résilience ne s’avèrent toutefois pas très probants, puisqu’on note uniquement quatre effets significatifs associés à deux construits théoriques. À la suite de cette démarche classique dans l’analyse des données, nous nous sommes plutôt orientés vers une approche de type études de cas multiples en espérant que le phénomène de la résilience, relativement singulier, puisse émerger de l’analyse des profils individuels. En conséquence, nous nous éloignons de la conception normative de la résilience pour souscrire davantage à une conception axée sur la personne.

Au préalable, certaines précisions doivent être apportées pour faciliter la compréhension des profils individuels. Bien que le stress familial soit largement considéré dans les écrits de recherche comme une variable compromettant l’adaptation ultérieure de l’enfant, la présence de stress chez toutes les familles à l’étude ne devrait pas représenter l’unique paradigme à considérer, puisque d’autres variables peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer la qualité de l’adaptation sociale et scolaire de l’enfant. Ainsi, les prédispositions du tempérament de l’enfant pourraient, dans le cas d’un profil dit difficile, ajouter à la complexité du processus d’adaptation du milieu familial. Les variations détectées au plan des relations d’attachement et des pratiques éducatives fourniraient, quant à elles, un éclairage particulier sur les effets potentiels du stress sur le fonctionnement de la famille. De plus en plus de travaux de recherche suggèrent d’ailleurs que l’adaptation individuelle serait le reflet des effets de l’interaction ou de la transaction des caractéristiques personnelles de l’enfant et des contraintes sociales provenant du milieu (famille et école) (Sameroff, Gutman et Peck, 2003). En somme, une analyse interactionniste des trajectoires de développement devrait tenir compte notamment des trois construits théoriques fondamentaux abordés dans la présente recherche. Quant aux mesures d’impact évaluées à sept ans, nous en avons retenu quatre aspects qui reflètent le vécu de l’élève à l’école et la représentation de l’enseignant. Les construits correspondant à chacune de ces mesures sont des composantes couramment retenues dans la recherche de pointe dans le domaine de l’adaptation scolaire.

Rappelons que le risque et la résilience sont ici définis en fonction de la propre conception par l’élève de ses problématiques de santé mentale. Ce qui caractérise en premier lieu le profil individuel des élèves à risque, c’est la présence, chez les garçons, d’indices problématiques, autant au niveau des troubles intériorisés que des troubles extériorisés. En contrepartie, on ne retrouve que des troubles intériorisés dans le profil de santé mentale des filles. Ce résultat conforte les conclusions de plusieurs travaux de recherche dans le domaine des problèmes d’inadaptation scolaire (Dugré, Trudel et Valla, 2001). En second lieu, les résultats concernant les précurseurs à quatre ans soulignent avec évidence la contribution importante du construit de la relation d’attachement. En effet, le nombre d’indices problématiques est nettement plus important chez les enfants à risque que chez les enfants résilients, et ce, aussi bien pour les garçons que pour les filles. À lui seul, ce résultat vient donner beaucoup d’ampleur à la valeur prédictive du modèle des relations d’attachement au préscolaire au regard de l’évolution de trajectoires de développement, où les processus d’adaptation sociale à l’âge scolaire seraient fortement colorés des expériences de régulation socioaffective (Thompson, 1999). Le tempérament de l’enfant apparaît également comme un précurseur important des problèmes d’adaptation vécus ultérieurement, surtout lorsque ce dernier est jumelé au profil de l’attachement. Toutefois, des indices favorables sur le plan des pratiques éducatives parentales semblent favoriser les enfants du groupe résilient, et ce, en dépit de la présence d’un nombre équivalent d’indices dits à risque dans les deux groupes. Enfin, la configuration d’ensemble des variables à sept ans montre une proportion d’indices problématiques beaucoup plus probante chez le groupe à risque en ce qui concerne l’évaluation de l’adaptation scolaire par l’enseignant et celle de l’élève par rapport à son sentiment envers l’école.

Ce qui se dégage principalement de l’analyse des cas, c’est l’importance de la perception, par l’élève, de son propre vécu. Contrairement à ce qui pouvait être attendu, ce n’est pas l’estime de soi qui semble aller de pair avec les difficultés d’adaptation scolaire ou un sentiment négatif envers l’école. C’est plutôt la représentation que l’élève se fait de sa propre santé mentale qui semble être en lien avec son fonctionnement à l’école. Il y a lieu de se demander jusqu’à quel point les ressources disponibles pour l’élève, l’enseignant en premier lieu, sont suffisamment sensibles au vécu intérieur de l’enfant. Comme illustration, nous observons que trois des six élèves à risque rapportent vivre de l’anxiété et que tous vivent de l’angoisse de séparation. Dans aucun cas, l’enseignant n’a relevé des problèmes liés à l’anxiété chez les élèves à risque.

Dans l’ensemble, nos résultats nous amènent à militer en faveur d’une définition de la résilience qui tienne compte de la subjectivité de l’individu, au-delà des jugements extérieurs ou normatifs à propos de son fonctionnement (Ungar, 2004). Cette conception de la résilience donnerait davantage lieu à une analyse des transactions et des contextes de développement entre l’individu et les ressources susceptibles de faciliter son adaptation dans l’environnement.

Avant de conclure sur le bilan synthèse de cette approche analytique visant l’examen des profils intra-individuels, il importe de signaler la prudence dont on doit faire preuve dans l’interprétation de nos résultats. D’abord, il est impératif de rappeler que le protocole de recherche a privilégié une prise de données issues de la passation de questionnaires. Dans ce contexte, les résultats de l’étude traduisent la convergence des systèmes représentationnels de l’élève, de la mère et de l’enseignant. Il y a, bien sûr, plusieurs consensus qui émergent des résultats obtenus au regard des évaluations provenant des différentes sources. Cependant, l’essentiel est de reconnaître que, selon notre point de vue, ces systèmes devraient être conceptualisés comme le reflet du développement de la personne et du contexte de co-construction des relations sociales impliquant les divers acteurs du monde de l’éducation. Néanmoins, il serait plus prudent de favoriser, dans l’avenir, la mise en place de protocoles de recherche plus diversifiés, et ce, dans le but de mieux documenter l’étude du phénomène de la résilience au cours de l’enfance.

On doit également admettre que peu de travaux ont été en mesure de décrire le processus de transition entre la famille et l’école ou encore le rôle des précurseurs familiaux sur l’adaptation scolaire des enfants. Malheureusement, les résultats de la présente étude offrent peu de renseignements sur les processus dynamiques sous-jacents à la mise en place des trajectoires de développement, incluant, entre autres, l’appréciation du processus d’intériorisation de l’élève face aux exigences de l’entourage social. De fait, notre bilan s’appuie essentiellement sur des mesures quantitatives du phénomène sous étude. Dans le contexte du développement récent de la recherche en éducation, il est utile de rappeler que l’apport complémentaire des approches quantitatives et qualitatives offre des moyens beaucoup plus nuancés de procéder à l’étude conjointe ou complémentaire des processus de développement et des effets des précurseurs sur l’adaptation individuelle. Dans un tel contexte, malgré l’intérêt de notre démarche de recherche, nous sommes conscients des limites qu’a imposées notre approche méthodologique à l’étude de la résilience.