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Introduction

Malgré le Plan d’intervention relatif aux technologies de l’information et de la communication (TIC) en éducation, préconisés par le ministère de l’Éducation du Québec en 1996 (Gouvernement du Québec, 1996), le Conseil supérieur l’éducation (2000) conclut dans son rapport sur l’éducation et les nouvelles technologies que « le mouvement demeure relativement marginal à l’échelle des établissements et qu’il y a donc beaucoup à faire pour réaliser l’intégration des technologies dans l’enseignement et dans l’apprentissage » (p. 32). Pourtant, le Programme de formation de l’école québécoise (Gouvernement du Québec, 2001a) et les orientations relatives à la formation des enseignants (Gouvernement du Québec, 2001b) accordent une place importante aux TIC dans la formation des élèves et des enseignants. Il est donc tout à fait important d’étudier les stratégies de formation susceptibles d’amener les enseignants à intégrer les TIC au processus d’enseignement et d’apprentissage. La présente recherche s’intéresse à l’intégration pédagogique des TIC à l’école primaire sous l’angle de l’innovation et du changement. Les auteurs font état d’une recherche-action visant le développement, la mise à l’essai d’une stratégie d’intégration des TIC et l’analyse de son impact chez des enseignants. Le texte cerne la problématique, le cadre de référence à partir duquel cette problématique est abordée, la méthode ainsi que les résultats. Enfin, la discussion interprète ces résultats et suggère des pistes de recherche.

Problématique

La problématique précise des facteurs liés aux difficultés d’implantation d’une innovation. Elle identifie ensuite le problème de recherche.

Facteurs liés aux difficultés d’implantation d’une innovation

Les facteurs humains (Scott et Robinson, 1996) et, conséquemment, le développement professionnel (Fabry et Higgs,1997), apparaissent comme des éléments clés de l’implantation d’une innovation. Comme le définit Day (1999), le développement professionnel regroupe toutes les activités d’apprentissage formelles ou informelles dont les individus tirent profit en vue d’améliorer l’éducation dans la classe.

Une analyse des écrits sur des programmes de développement professionnel révèle toutefois des problèmes sur le plan de la pratique et de la recherche. Ainsi, sur le plan de la pratique, Lieberman (1995) montre que les situations d’apprentissage n’exploitent pas adéquatement l’expérience des participants, qui ont rarement l’occasion d’apprendre par la création, la résolution de problèmes et les échanges avec les pairs. Selon Moersch (1995), la formation des enseignants aux TIC s’avère souvent mal adaptée parce qu’elle s’appuie sur de fausses prémisses, à savoir, d’une part, que les enseignants sont capables d’établir des liens entre les TIC disponibles et les programmes d’études, et, d’autre part, qu’ils sont prêts à changer leurs pratiques pédagogiques.

Sur le plan de la recherche, Wilson et Berne (1999) note le manque d’études portant sur les effets de programmes de développement professionnel chez les enseignants. Le développement de tels programmes s’appuie alors sur un ensemble de croyances ou de truismes partagés par les chercheurs et les praticiens.

Problème lié au développement professionnel des enseignants

Selon le Conseil supérieur de l’éducation (2000), l’intégration des nouvelles technologies à l’enseignement et à l’apprentissage pouvait, en 1996-1997, être jugée faible et la formation des enseignants faisait défaut puisque seulement un enseignant sur cinq considérait, à ce moment, maîtriser suffisamment les TIC pour les intégrer à sa pédagogie. De son côté, Moersch soulignait en 1995 que la plupart des technologies utilisées dans les activités étaient souvent sans lien avec un objet d’apprentissage, en marge des activités de la classe.

Afin de remédier à cette situation, le développement professionnel des enseignants apparaît, selon ce qui a été mentionné, comme un facteur clé de l’implantation d’une innovation comme celle de l’intégration pédagogique des TIC. Des écrits font état des caractéristiques que devraient comporter les programmes de développement professionnel qu’on qualifie d’efficaces. Abdal-Haqq (1996) mentionne que de tels programmes doivent : a) fournir aux enseignants des occasions pour une réflexion tant individuelle que collective au sujet des pratiques de chacun ; b) s’intégrer à leur travail et miser sur leurs connaissances ; c) les encourager et les soutenir ; d) mettre à profit des approches constructivistes de l’enseignement et de l’apprentissage tout en exploitant des séquences de formation-pratique-rétroaction ; e) reconnaître l’enseignant comme un apprenant adulte. Toutefois, malgré le fait que ces caractéristiques aient été mises en évidence, plusieurs programmes restent peu satisfaisants. Ces derniers ne semblent pas produire les effets escomptés par rapport à l’implantation d’innovations telle l’intégration pédagogique des TIC.

Les recherches sur l’implantation d’une innovation semblent occulter une variable, le sentiment d’autoefficacité professionnelle, qui retient pourtant l’attention des chercheurs depuis plus d’une décennie. Comme le soulignent Rich, Lev et Fischer (1996), le sentiment d’autoefficacité professionnelle a un effet significatif sur la nature et la qualité du travail de l’enseignant et sur les élèves. D’ailleurs, des recherches démontrent que les enseignants ayant un fort sentiment d’efficacité ont une tendance plus grande à l’innovation (Sanches, 1993) et des attitudes plus positives à l’égard de l’implantation de nouvelles pratiques d’enseignement, ces enseignants considérant les difficultés moins importantes (Guskey, 1988). Selon Bandura (1982 ; 1997), le sentiment d’autoefficacité agit à titre d’indicateur de la conviction que possède la personne de sa capacité de produire ou non un comportement donné. De l’avis de Romano (1996) le sentiment d’autoefficacité constitue par ailleurs le meilleur indicateur, même s’il est souvent négligé, du succès de toute formation, car on ne peut s’attendre à une modification du comportement professionnel d’une personne si cette dernière ne croit pas dans ses capacités à produire ce comportement. Le sentiment d’autoefficacité peut donc être considéré comme un indicateur de l’impact d’un programme de développement professionnel.

La présente recherche s’appuie ainsi sur le postulat suivant : la mise sur pied d’une stratégie d’intégration des TIC, incluant une stratégie de développement professionnel qui présente des caractéristiques associées aux programmes efficaces, devrait permettre une augmentation du sentiment d’autoefficacité des enseignants. Conséquemment, elle devrait amener ces derniers à accroître l’intégration des TIC à leur enseignement.

Cadre de référence

Les éléments conceptuels que requiert cette recherche concernent l’analyse du processus d’adoption d’une innovation et la mesure du sentiment d’autoefficacité des enseignants.

Processus d’adoption d’une innovation

Parmi les modèles représentant le processus d’adoption d’innovations, nous avons retenu le Concerns-based adoption model (CBAM) élaboré à la suite de nombreuses recherches examinant le changement au sein d’institutions scolaires (Hall et Hord, 1987). Ce modèle, qui se veut une conceptualisation du processus d’adoption d’une innovation, présente un intérêt certain, car il prend en compte autant les préoccupations des personnes engagées dans le processus d’adoption d’une innovation que l’utilisation qu’ils en font. Hall et Hord (1987) définissent le concept de préoccupation (concern) comme « la représentation composite de sentiments, de pensées et de considérations liés à une question ou à une tâche particulière » (p. 58) [1].

Le CBAM distingue sept niveaux de préoccupations : 0) éveil, 1) information, 2) personnel, 3) gestion, 4) observation des conséquences, 5) collaboration, 6) système. Selon ses auteurs, le niveau 0 indique que la personne ne connaît pas l’existence d’une innovation ou commence à s’y intéresser. Les niveaux 1 et 2 renvoient au rapport de la personne avec l’innovation : elle recherche de l’information au sujet de celle-ci et se questionne sur ses exigences, notamment sur les changements de rôle. Le niveau 3 concerne la tâche qui caractérise l’innovation. La personne se préoccupe de la réalisation des tâches : elle s’assure de les comprendre et de maîtriser les habiletés requises. Les niveaux 4, 5 et 6 sont en lien avec l’impact de celle-ci : l’enseignant se préoccupe des effets de l’innovation sur les élèves et sur ses collègues, en tentant de coordonner ses actions avec celles de ces derniers et de coopérer avec eux. Enfin, il se préoccupe des effets plus universels de l’innovation en examinant même des possibilités de la modifier.

À ces niveaux de préoccupation correspondent sept niveaux d’utilisation : 0) non-utilisation, 1) orientation, 2) formation initiale, 3) automatismes, 4) autonomie, 5) intégration, 6) renouveau. Après une étape de non-utilisation, la personne ayant pris connaissance de l’innovation en explore les exigences afin de décider de s’engager ou non dans le processus d’adoption (niveau 1). Une décision positive le conduit à préparer une première utilisation de l’innovation en se donnant de la formation (niveau 2). Au niveau 3, elle parvient ensuite à réaliser, de façon souvent superficielle et incohérente, les tâches que l’innovation requiert. Au niveau 4, la personne, alors davantage autonome, maîtrise bien l’innovation et en observe les conséquences. Au niveau 5, elle coordonne ses efforts avec ceux de ses collègues afin que l’innovation ait un impact plus important. Au dernier niveau, elle évalue la qualité de l’utilisation de l’innovation et peut suggérer des modifications et d’autres utilisations.

Sentiment d’autoefficacité

Selon Bandura (1977, 1997), le sentiment d’autoefficacité est un construit bidimensionnel. Appliquées à l’enseignement, les deux dimensions du construit sont, selon Gibson et Dembo (1984), le sentiment d’efficacité générale et le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant. Le sentiment d’efficacité générale réside dans la croyance que l’enseignant a dans la capacité des élèves à apprendre, en dépit des contraintes extérieures au milieu scolaire. Le sentiment d’efficacité personnelle est la croyance qu’un enseignant a dans sa capacité d’influencer les apprentissages des apprenants. Il s’agit d’une forme d’autoévaluation personnelle. De plus, selon Bandura (1993), la motivation est gouvernée par l’attente qu’un comportement produira certains résultats de même que par la valeur ceux-ci. Par exemple, un enseignant qui croit que l’école peut modifier positivement une situation sera davantage motivé à enseigner que celui qui ne croit que peu dans cette capacité de l’école, et cela, bien que tous les deux se considèrent aptes à enseigner. Bref, plus une personne croit dans sa capacité à produire un comportement et que ce comportement mènera à des résultats importants pour elle, plus elle sera motivée à l’adopter. Ces deux dimensions du construit sont ici prises en compte.

Enfin, à la lumière de la théorie sociocognitive (Bandura, 1977), le sentiment d’autoefficacité peut être induit chez un individu à la suite d’une formation qui fournit des informations nouvelles sur ses ressources, ses contraintes personnelles et sur les exigences de la tâche, et qui lui procure des rétroactions continues, des occasions d’observer un pair en action et d’échanger avec lui.

En regard de ce cadre conceptuel, cette étude comporte deux objectifs : a) sur le plan qualitatif, analyser le processus d’adoption d’une innovation selon l’utilisation que des enseignants font de la stratégie d’intégration des TIC et leurs préoccupations par rapport à celle-ci ; b) sur le plan quantitatif, examiner l’impact de la participation d’enseignants à un tel projet sur la variable « sentiment d’autoefficacité » (sentiment d’efficacité générale et sentiment d’efficacité personnelle).

Méthode

Cette section regroupe des informations sur le type de recherche, les participants et sur la stratégie d’intégration des TIC mise à l’essai. Les procédures et les instruments de collecte et de traitement des données sont aussi présentés.

Type de recherche

La présente étude peut être décrite comme une recherche-action, pour quatre raisons. Les deux premières concernent le volet « action » : l’engagement des enseignants lors du développement et de la mise à l’essai de la stratégie d’intégration des TIC et l’accent mis sur la résolution de problèmes rencontrés en situation réelle d’intégration des TIC. Les autres raisons sont en lien avec le volet « recherche » : la prise en compte des résultats de recherche dans l’élaboration de la stratégie d’intégration des TIC et la production de connaissances par l’examen de l’impact de la mise à l’essai de cette stratégie. Ce type de recherche paraît pertinent, car depuis plusieurs décennies, la recherche-action est considérée comme une stratégie appropriée à l’implantation d’innovations. Les écrits montrent, en effet, que la participation des enseignants à toutes les étapes d’élaboration, de réalisation et d’évaluation d’un projet augmente les chances de succès de ce dernier (Elliot, 1991 ; Veenman, Van Tulder et Voeten, 1994). Notre étude fait aussi appel à des stratégies qualitatives et quantitatives de collecte et de traitement des données.

Dès le début de la recherche, le rôle des enseignants volontaires et celui des chercheurs ont été précisés. Le rôle des enseignants concerne deux dimensions : l’élaboration de la stratégie d’intégration des TIC et les activités de développement professionnel. Pour ces dimensions, ils devaient participer à leur élaboration et à leur réalisation de même qu’à la diffusion des résultats obtenus. De leur côté, les chercheurs devaient fournir un contexte favorable au déroulement de la recherche en assurant, notamment, la médiatisation des productions réalisées avec les TIC (journal et musée virtuel [2]). De plus, ils devaient soutenir l’engagement des enseignants dans la réalisation de toutes les tâches.

Participants

Cette recherche-action a amené huit enseignants [3] du primaire de sept écoles d’une commission scolaire de la région trifluvienne, à s’engager volontairement dans un projet d’intégration des TIC durant une période de deux ans, de 1997 à 1999 [4].

Dans le cadre du volet quantitatif, la recherche a utilisé un devis avant-après avec un groupe témoin. Ainsi, huit enseignants ayant participé à toutes les phases de l’étude constituent le groupe expérimental alors que neuf enseignants provenant de la même commission scolaire composent le groupe témoin. L’utilisation d’un groupe de comparaison ainsi que des mesures avant et après la recherche-action offrent l’immense avantage, selon Gauthier (1993), de permettre de tenir compte des différences entre les deux groupes avant l’expérience et aussi de permettre le contrôle de certaines déviations. Il n’y a pas de différences significatives entre le groupe témoin et le groupe expérimental en ce qui concerne l’âge : les enseignants du groupe expérimental étaient âgés en moyenne de 37 ans et l’âge moyen des personnes du groupe témoin était de 40,2 ans. Cependant, les enseignants du groupe expérimental se décrivent comme étant davantage familiers avec les TIC sur une échelle de 1 (pas du tout familier) à 5 (extrêmement familier). En effet, ils ont évalué leur niveau de familiarité à 3,38 alors que ceux du groupe témoin l’ont situé à 2,78.

La stratégie d’intégration des TIC

La stratégie d’intégration des TIC, prise comme la variable indépendante sur le plan quantitatif, comprend deux dimensions : l’élaboration d’un projet pédagogique d’intégration des TIC par les enseignants et des activités de développement professionnel. La dimension « élaboration d’un projet d’intégration pédagogique des TIC » a été influencée par les écrits sur la recherche-action, qui montrent l’importance de l’engagement des enseignants dans une démarche d’adoption d’une innovation. Quant à la deuxième dimension, à savoir les activités de développement professionnel, elle a bénéficié des pistes d’intervention découlant des travaux sur le sentiment d’autoefficacité, dans une perspective sociocognitive de l’apprentissage. Cette stratégie d’intégration des TIC a été utilisée avec les huit enseignants qui constituent, rappelons-le, le groupe expérimental (volet quantitatif de la recherche).

Comme le montre le tableau 1, la première dimension prévoyait la mise sur pied d’un projet pédagogique d’intégration des TIC avec les enseignants à l’intention des élèves : un journal et un musée virtuels. Les enseignants en ont discuté et ont choisi toutes les composantes (fréquence de participation de chaque classe, contenu du journal et du musée ainsi que le calendrier de travail). Le journal parut toutes les deux semaines. Les chroniques, qui ont été sélectionnées en fonction des programmes d’études, portaient, par exemple, sur les sciences et les technologies ou sur les arts et spectacles ou encore, consistaient en une création littéraire (conte, bande dessinée). Le musée virtuel a rendu possible la diffusion des productions artistiques des élèves. À la demande des enseignants participants, cinq activités en art ont été proposées sur le site mis sur pied dans le cadre de la recherche. Conçues en fonction du programme d’études par une enseignante en art agissant à titre d’assistante de recherche, ces activités respectaient les trois phases du processus de création artistique (le percevoir, le faire et le voir), tout en proposant l’exploitation de différents médiums (fusain, encre de chine, gouache, etc.). Par ailleurs, des rencontres de régulation et d’objectivation collectives ont permis d’assurer le bon déroulement du projet (quatre rencontres de trois heures/année). Afin d’induire un accroissement du sentiment d’autoefficacité, ces rencontres amenaient les enseignants à prendre conscience de leurs ressources, de leurs contraintes personnelles et des exigences de la tâche, et leur procuraient des rétroactions continues et des occasions d’échanger avec des pairs.

Tableau 1

Dimensions de la stratégie d’intégration des TIC

Dimensions de la stratégie d’intégration des TIC

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La deuxième dimension concerne les activités de développement professionnel à caractère plus formel. Ces activités, qui respectent les caractéristiques énumérées par Abdal-Haqq (1996), se sont déroulées en deux temps selon la visée poursuivie. Une première visée était d’ordre pédagogique et une deuxième, d’ordre technologique. Dès le début de la recherche-action, les enseignants participants ont exprimé le désir de s’approprier une méthode spécifique d’enseignement et d’apprentissage susceptible de favoriser l’intégration pédagogique des TIC, soit l’apprentissage coopératif. Pour eux, cette méthode facilitait à la fois le travail d’équipe à l’ordinateur et la mise sur pied de projets qui exigent que les élèves travaillent ensemble à l’atteinte d’un but commun. Six rencontres (6 heures chacune) (tableau 1) ont permis à une personne formatrice reconnue du milieu scolaire d’aborder les fondements et les principes de l’apprentissage coopératif ainsi que différentes structures d’activités axées sur ce type d’apprentissage. Par ces rencontres, les enseignants ont aussi été soutenus lors du développement et de la mise à l’essai d’activités exploitant l’apprentissage coopératif en contexte réel d’enseignement. La formation à visée technologique venait, quant à elle, répondre à des besoins que la réalisation des activités liées au journal et au musée virtuels avaient fait surgir chez les enseignants. Elle a donné lieu à huit rencontres de trois heures leur permettant de développer des habiletés relatives à l’utilisation de logiciels de communication et de navigation ainsi que de logiciels de traitement de texte et de mise en pages. Elle a pu répondre à des besoins spécifiques relatifs à la gestion des fichiers et des messages électroniques. Sur le plan technique, tout au long de la recherche, un soutien individualisé a été fourni aux enseignants participants, par un étudiant diplômé, en fonction des besoins qu’ils avaient exprimés. Ce soutien pouvait être donné au lieu de travail de l’enseignant ou à distance par téléphone ou par courriel.

En résumé, les activités de développement professionnel se sont déroulées sur deux ans. Elles ont porté sur les deux aspects de l’innovation : l’un pédagogique (six rencontres de six heures) et l’autre technologique (huit rencontres de trois heures). Elles incluaient des rencontres axées sur le projet pédagogique d’intégration des TIC (quatre rencontres).

Recueil et traitement des données

Cette section présente les procédures et les outils de recueil et de traitement des données en fonction des deux volets de la recherche. Le volet qualitatif regroupe les données relatives aux préoccupations face à l’innovation et à son utilisation (l’apprentissage coopératif et l’intégration pédagogique des TIC). Le volet quantitatif concerne les données sur le sentiment d’autoefficacité des enseignants.

Préoccupations des enseignants face à l’innovation et à leur utilisation de celle-ci (volet qualitatif)

Deux entrevues semi-structurées menées auprès des enseignants au terme de l’an 1 et de l’an 2 de la recherche ont rendu possible la collecte de données sur leurs préoccupations par rapport aux TIC et à l’apprentissage coopératif et sur leur utilisation des TIC.

Le canevas d’entrevue amenait les enseignants à décrire une activité type de production d’un article du journal et d’une réalisation en art. Les enseignants étaient ensuite invités à décrire globalement l’utilisation qu’ils faisaient, durant une semaine, des TIC et de l’apprentissage coopératif. Lors de l’année 1, les enseignants ont aussi été amenés à se rappeler le premier article et la première activité en art réalisés par la classe et à décrire la façon dont ils avaient procédé. Ces données ont permis de situer le seuil initial d’utilisation de l’apprentissage coopératif et des TIC, et de le comparer à ceux obtenus au terme des années 1 et 2. Par la suite, d’autres questions portaient sur les préoccupations ou difficultés face aux TIC ou à l’apprentissage coopératif, permettant ainsi de cerner le niveau de préoccupation des enseignants.

Les données ont été traitées à l’aide d’un cadre d’analyse élaboré à partir du CBAM (Hall et Hord, 1987) [5]. Dans chacune des réponses fournies par les enseignants, des manifestations propres à chacun des niveaux de préoccupation ont été relevées. Ainsi, parfois une manifestation pouvait être constituée de quelques mots, alors qu’à d’autres moments, elle pouvait être associée à plusieurs phrases d’une réponse à une question. Une seule manifestation pouvait donc témoigner de l’atteinte d’un seuil d’utilisation ou de préoccupation. À titre d’exemple, le fait qu’un enseignant exprime, dans une intervention, son désir d’orienter le projet de l’école afin d’y inclure l’apprentissage coopératif a été considéré comme un indicateur suffisant de l’atteinte du niveau de préoccupation 5. Aussi, en fonction du CBAM, faut-il le mentionner, l’atteinte d’un tel niveau de préoccupation n’implique pas nécessairement un changement de même niveau sur le plan de l’utilisation. C’est l’un des avantages du CBAM que de considérer distinctement les préoccupations et les actions de l’individu.

Sentiment d’autoefficacité (volet quantitatif)

Le sentiment d’autoefficacité a été mesuré au début et au terme de chacune des deux années de la recherche à l’aide de l’Échelle d’autoefficacité des enseignants (Dussault, Villeneuve et Deaudelin, 2001), une adaptation canadienne-française du Teacher Efficacy Scale (Gibson et Dembo, 1984). Cet instrument est l’un des plus utilisés dans les études sur ce construit. Les enseignants indiquent leur niveau d’accord avec les 15 énoncés proposés en utilisant une échelle de 1 (fortement en désaccord) à 6 (fortement en accord). Le sentiment d’efficacité personnelle est évalué à l’aide de neuf énoncés (par exemple, « Quand j’essaie vraiment, je peux venir à bout des élèves les plus difficiles. ») alors que six autres évaluent le sentiment d’efficacité générale (par exemple, « La capacité d’apprendre d’un élève est surtout reliée aux antécédents familiaux. »). Les qualités psychométriques de l’instrument sont adéquates (r test-retest/2 sem. = 0,83, α efficacité personnelle =  0,66 et α efficacité générale = 0,52) (Dussault et al., 2001). De plus, les résultats des analyses factorielles confirmatoires (CFI = 0,89, χ2/dl = 1,85, par exemple) montrent que l’instrument reproduit bien le construit théorique à sa base (Dussault et al., 2001).

Le sentiment d’autoefficacité à l’égard de l’utilisation de l’ordinateur (habiletés techniques) a été mesuré à l’aide d’une traduction du Computer Efficacy Scale (Murphy, Coover et Owen, 1989). Cet instrument porte exclusivement sur la seconde dimension du construit de Bandura, c’est-à-dire la perception que la personne a de ses capacités à utiliser un ordinateur sur le plan technique. L’échelle se compose de 32 énoncés par lesquels l’enseignant est appelé à indiquer son opinion sur une échelle Likert allant de 1 (fortement en désaccord) à 5 (fortement en accord). Il mesure le sentiment d’autoefficacité à l’égard de tâches liées à l’usage de l’ordinateur réparties en trois niveaux d’habiletés techniques : débutant (par exemple, « Je me sens sûr de moi quand je fais une saisie de données et que je les sauvegarde. »), intermédiaire (par exemple, « Je me sens sûr de moi lorsqu’il s’agit de comprendre les termes ou les mots reliés au matériel informatique. ») et avancé (par exemple, « Je me sens sûr de moi lorsqu’il s’agit d’écrire des programmes simples pour un ordinateur. »). Dans la présente étude, l’instrument présente une bonne consistance interne (α = 0,97).

Quant au traitement des données, considérant le petit nombre de participants, un test non paramétrique de Wilcoxon a été utilisé pour vérifier l’existence de différences significatives entre les groupes expérimental et témoin. Dans un premier temps, l’équivalence des groupes a été vérifiée au prétest, pour chaque variable à l’étude.

Résultats

Le degré d’implantation de la stratégie d’intégration des TIC est examiné au moyen de données qualitatives et quantitatives. Les premières données concernent l’intégration de l’apprentissage coopératif et des TIC alors que les secondes portent sur le sentiment d’autoefficacité des enseignants.

Intégration de l’apprentissage coopératif (volet qualitatif)

Les résultats passent en revue les niveaux de préoccupation et d’utilisation relatifs à l’apprentissage coopératif. Rappelons qu’en fonction du CBAM, un niveau de préoccupation n’induit pas de facto un même niveau d’utilisation (tableau 2).

Tableau 2

Nombre d’enseignants ayant atteint chacun des niveaux de préoccupation et d’utilisation relativement à l’apprentissage coopératif et aux TIC

Nombre d’enseignants ayant atteint chacun des niveaux de préoccupation et d’utilisation relativement à l’apprentissage coopératif et aux TIC
*

Faut-il noter que, chez un meme enseignant, les preoccupations relatives aux TIC et les utilizations de celles-ci peuvent se situer à plusieurs niveaux.

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Sur le plan des préoccupations, au début de la recherche, comme le montre le tableau 2, la majorité des enseignants (7 sur 8) tenaient des propos témoignant d’une réflexion sur l’impact de l’apprentissage coopératif sur leur rôle (niveau 2 : personnel). À la fin de la recherche, la majorité (7 sur 8) décrivaient les expérimentations qu’ils avaient faites des structures de coopération qui leur avaient été enseignées tout en formulant certaines interrogations, notamment, au sujet de la gestion du groupe. Plus de la moitié des enseignants (5 sur 8) ont fait part de leurs observations des effets de l’apprentissage coopératif sur l’apprentissage des élèves (niveau 4 : observation des conséquences). Une enseignante (Ag), travaillant avec des élèves de 3e année, note que les élèves deviennent plus autonomes, qu’ils développent de la confiance en eux et une attitude de respect et d’acceptation des différences chez les autres. Br a relevé plusieurs effets de l’apprentissage coopératif dans sa classe : responsabilisation de l’enfant au sujet de son apprentissage, en particulier du partage de l’information, de l’échange de critiques constructives et du travail par centre d’intérêt. Par ailleurs, deux enseignantes ont fait part de leur préoccupation par rapport à une exploitation plus large de l’apprentissage coopératif (niveau 5 : collaboration). L’une (Fh) veut faire connaître l’apprentissage coopératif aux enseignants du premier cycle qui se montrent assez réticents. Une autre (Ag) planifiait le projet d’école de l’année suivante, axé surtout sur l’exploitation de l’apprentissage coopératif.

Au début de la recherche, la majorité (7 sur 8) des enseignants se situait au niveau 2, le niveau d’utilisation « formation initiale » (tableau 2). Certains disaient utiliser le travail en équipe tout en reconnaissant les différences importantes entre celui-ci et l’apprentissage coopératif. À la fin de la recherche, la majorité (7 sur 8) des enseignants décrivaient des activités témoignant de l’application des différentes structures de coopération qui leur avaient été enseignées (niveau 3 : automatisme). Ils exploitaient, par exemple, les équipes de base (équipe d’élèves formée pour une période plus ou moins longue allant de quelques semaines à quelques mois). Plus de la moitié des enseignants (5 sur 8) a exploré différentes façons d’exploiter les structures de coopération pour réaliser diverses activités d’apprentissage, notamment, pour la rédaction et la correction des articles devant être publiés sur le web (niveau 4 : autonomie). Par ailleurs, plusieurs enseignants ont voulu développer des habiletés sociales chez leurs élèves.

Intégration des TIC (volet qualitatif)

Nous présentons les résultats par rapport aux niveaux de préoccupation relativement aux TIC puis ceux qui ont trait aux niveaux d’utilisation de celles-ci.

Du côté des niveaux de préoccupation, tous ont commencé la recherche avec des expériences de niveaux 2 et 3. Les enseignants sont préoccupés par la gestion (niveau 3 : préoccupation). Quelques enseignants expriment un manque de confiance et un manque d’habileté face aux TIC (Hd, Ag). Trois autres mentionnent un besoin d’information au sujet de la gestion du travail des élèves : par exemple, comment mieux intégrer les activités de rédaction d’articles au programme de français (Bd). À la fin de la recherche, de telles préoccupations demeurent ; malgré le fait que les enseignants aient développé des habiletés techniques, de nouvelles utilisations font surgir d’autres besoins de formation et suscitent des réactions telles que le manque de confiance par rapport à la recherche sur Internet, à l’intégration d’images dans des fichiers de texte. Mais plusieurs propos des enseignants reflètent des préoccupations de niveaux 4 et 5 (observation des conséquences et collaboration). Ils font foi de l’attention que les enseignants portent à l’observation des effets des TIC sur l’apprentissage des élèves. Parmi les questions soulevées, on retrouve les suivantes : Comment s’assurer que les productions des élèves contribuent vraiment à leurs apprentissages (il ne s’agit pas de produire pour produire) ? Comment faciliter la recherche des élèves sur Internet afin que ces derniers ne se découragent pas ? Les enseignants dont les préoccupations se situent au niveau « collaboration » (niveau 5) souhaitent élargir le projet de journal à toute l’école (Te et Fh). Une enseignante montre une préoccupation similaire en déplorant que le manque d’intérêt de ses collègues rende plus difficile le travail en équipe au sein de l’école (Bd).

Sur le plan de l’utilisation des TIC, nous pouvons dire que la majorité a franchi au moins un niveau. Certains (5 sur 8) sont passés du niveau d’utilisation où ils font preuve d’« automatismes » (niveau 3) à celui de « l’autonomie » (niveau 4), tandis que d’autres, plus expérimentés (3 sur 8) (autonomie), sont passés au niveau « intégration » (niveau 5) ou ont évolué à l’intérieur d’un niveau. Deux comportements révèlent l’évolution des enseignants face à l’intégration des TIC. L’un réside dans l’exploitation des temps de récréation : au début, les enseignants observés étaient plus enclins à profiter des récréations pour réaliser les activités liées au journal, comme si ce type de travail ne faisait pas complètement partie des activités d’apprentissage. Le lien entre ce type d’utilisation et les préoccupations des enseignants peut être éclairant : certains enseignants ont en effet exprimé les difficultés qu’ils ont à faire des liens entre les activités du projet et les programmes d’études. L’autre comportement est apparu chez la majorité des enseignants : au niveau 3 (automatismes), souvent l’enseignant passe par une phase où il « fait à la place des élèves » pour ensuite découvrir, au niveau 4 (autonomie), des stratégies pour amener les élèves « à faire eux-mêmes ». À titre d’exemple, des enseignants commencent par repérer quelques sites web pour amener les élèves à n’explorer que ces sites. Ensuite, ils développent eux-mêmes davantage d’habiletés de recherche. Enfin, ils élaborent des stratégies pédagogiques pour amener les élèves à développer ces mêmes habiletés et à effectuer eux-mêmes leurs recherches. De même, au début de la recherche, des enseignants ont souvent fait eux-mêmes les envois par courriel, ne sachant pas comment former des élèves à le faire, ni comment gérer de telles activités qui ne pouvaient être faites simultanément par l’ensemble du groupe.

Globalement, il ressort que chez une majorité d’enseignants, lors de la rédaction des derniers articles, plusieurs des opérations ont été prises en charge par les élèves. On note aussi une alternance entre les activités individuelles, les activités faites en équipe et les activités réalisées par toute la classe (Tm, Rj, Te, Br, Fh, Bd).

Sentiment d’autoefficacité des enseignants (volet quantitatif)

Les résultats révèlent que les groupes ne se distinguent ni pour le sentiment d’autoefficacité (générale et personnelle) ni pour le sentiment d’autoefficacité à l’égard de l’usage de l’ordinateur.

Selon les analyses (tableau 3), il n’y a pas de différence significative de gains, entre les deux groupes et entre le prétest et le post-test de chacun des groupes. Le sentiment d’efficacité personnelle des enseignants et leur sentiment d’efficacité générale n’ont pas changé significativement tant pour ceux du groupe expérimental que pour ceux du groupe témoin. Les scores moyens obtenus sont toujours, pour les enseignants des deux groupes, plus élevés pour le sentiment d’efficacité personnelle que pour le sentiment d’efficacité générale. Le tableau 3 montre aussi que les scores aux trois échelles d’autoefficacité à l’égard de l’utilisation de l’ordinateur ne présentent aucun gain significatif pour les deux groupes. De plus, si l’on compare les trois niveaux d’habiletés techniques, il semble que les participants se sentent plus efficaces personnellement en ce qui concerne des tâches de débutant.

Tableau 3

Analyse des différences de gains du prétest au post-test entre les groupes

Analyse des différences de gains du prétest au post-test entre les groupes

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Discussion

Les résultats indiquent qu’en ce qui concerne les niveaux d’utilisation et de préoccupation des enseignants, par rapport à l’apprentissage coopératif, la majorité se situait au niveau 2 au début de la recherche, c’est-à-dire au niveau de la formation initiale (utilisation) et d’une réflexion sur l’impact de cette nouvelle stratégie sur leur rôle (préoccupation). À la fin de l’étude, la majorité appliquait les diverses structures de coopération qui leur avaient été enseignées (utilisation et préoccupation : niveau 3, automatismes et gestion). Du côté des TIC, les enseignants participants ont amorcé la recherche avec des expériences se situant aux niveaux 3 et 4 (utilisation et préoccupation). La majorité a franchi au moins un niveau. Certains sont passés du niveau d’utilisation « automatisme » à celui de l’« autonomie », tandis que d’autres, plus expérimentés, sont passés du niveau « autonomie » à « intégration ». Quant au sentiment d’autoefficacité, aucune différence significative n’a été mesurée entre les enseignants engagés dans la recherche et ceux du groupe témoin.

Dans la mesure où, comme le dit Romano (1996), le sentiment d’autoefficacité sert de meilleur indicateur du succès d’une formation, les résultats quantitatifs présentés précédemment commandent qu’on aborde l’incapacité de l’étude à identifier un effet de la participation à la recherche-action sur cette variable. Quatre facteurs peuvent expliquer l’absence de résultats significatifs: le niveau d’adoption de l’innovation auquel sont parvenus les enseignants, certaines particularités du processus d’intégration des TIC, la nature des interventions concernant le sentiment d’autoefficacité relatif à l’ordinateur et l’outil en permettant la mesure.

D’abord, on peut expliquer l’absence de résultats significatifs relativement au sentiment d’autoefficacité par le niveau d’adoption de l’innovation auquel sont parvenus les enseignants et la définition du concept même de sentiment d’autoefficacité. En effet, ce concept est défini comme la perception qu’a l’enseignant de sa capacité de produire des changements positifs chez les élèves. Or, bien que des enseignants aient atteint le niveau de préoccupation 4, celui de l’observation des conséquences, on peut croire qu’à ce niveau, les enseignants se posaient davantage de questions qu’ils n’avaient de réponses. Autrement dit, ils exploraient diverses stratégies afin que les TIC favorisent l’apprentissage des élèves, sans nécessairement être parvenus à cibler les plus efficaces par rapport à toutes les TIC utilisées. Cela peut expliquer que, lorsqu’ils intègrent des TIC à leur pédagogie, ils ne se croient pas encore en mesure d’influer sur l’apprentissage des élèves.

Les résultats quantitatifs obtenus semblent aussi liés à certaines particularités du processus d’intégration des TIC dans le cadre d’une recherche-action où les enseignants choisissent les TIC exploitées à des fins pédagogiques en fonction de leurs besoins. Ainsi, tout au cours de la recherche, les enseignants ont identifié de nouveaux logiciels qu’ils voulaient exploiter à des fins pédagogiques. Si le processus d’adoption de l’apprentissage coopératif semble suivre une démarche linéaire comme celle que propose le CBAM pour une innovation donnée, celui d’intégration des TIC diffère quelque peu. En fait, chaque fois qu’un enseignant abordait une nouvelle application, par exemple, la recherche sur Internet, ses préoccupations et les utilisations observées montraient un retour à des niveaux antérieurs. Ainsi, un enseignant pouvait avoir atteint le niveau d’autonomie par rapport au traitement de texte, mais revenir aux niveaux de la formation initiale et des automatismes par rapport à l’intégration pédagogique d’Internet. Une telle situation peut expliquer que le sentiment d’autoefficacité des enseignants n’ait pas évolué positivement.

En outre, comme le sentiment se construit socialement, il convient de se questionner sur la nature des interventions. D’une part, les enseignants ont-ils vécu suffisamment d’expériences de succès et, d’autre part, ont-ils reçu des rétroactions susceptibles d’influer sur leur performance ? Toutes les expériences vécues par rapport au journal ou au musée, quelles que soient les technologies utilisées, ont donné lieu à une diffusion des productions sur le web. En ce sens, les enseignants atteignaient leur but, mais considéraient-ils pour autant l’expérience comme un succès ? On peut penser que la réponse a pu parfois être négative, car les problèmes techniques ont été nombreux. En ce qui a trait à la rétroaction, si les enseignants en ont reçu lors des formations portant sur les TIC ou sur l’apprentissage coopératif, la situation a pu être très différente lors des situations d’application en classe. Lors des rencontres d’étapes, le partage des expériences a souvent mené à l’identification des problèmes techniques et pédagogiques et des moyens que le groupe voulait se donner pour les résoudre. Une telle intervention devrait dans le futur, d’une part, mettre davantage l’accent sur les expériences à succès vécues par les enseignants et, d’autre part, sur des rétroactions plus systématiques.

Enfin, la sensibilité des instruments peut être discutée. On aurait dû observer des effets sur le sentiment d’autoefficacité à l’égard de l’usage de l’ordinateur. Pourtant, aucun effet n’est observé. Aussi convient-il de souligner, d’une part, que le questionnaire portait sur des habiletés techniques reliées aux TIC plutôt que sur l’utilisation que font les enseignants des TIC en classe et, d’autre part, qu’un tel instrument mesurant les habiletés techniques devient vite désuet compte tenu de l’évolution rapide des TIC. Il conviendrait que soit développé un instrument de mesure plus adapté à l’utilisation que les enseignants font des TIC en classe, instrument qui tiendrait compte de l’évolution technologique.

Par ailleurs, certains des résultats quantitatifs étonnent. Les enseignants des deux groupes obtiennent, avons-nous dit, lors des deux années, des scores moyens d’efficacité personnelle supérieurs à leurs scores moyens d’efficacité générale. Autrement dit, ces enseignants semblent croire davantage à leur capacité de faire en sorte que les élèves apprennent qu’à la capacité du corps enseignant à avoir une incidence sur les élèves. Il semble que ces enseignants croient davantage aux dimensions sur lesquelles ils ont davantage de pouvoir, leurs compétences, qu’à un pouvoir plus abstrait qu’ont les enseignants, et même l’école, à influencer le cheminement des élèves ?

Les résultats qualitatifs montrent aussi que les enseignants ont exploité les TIC à des fins pédagogiques. En effet, la plupart ont réalisé une activité prévue dans le cadre de la recherche aux deux semaines : le journal publié pendant deux ans de même que les productions présentes dans le musée virtuel en témoignent. On peut donc croire que la présente recherche-action a contribué à accroître, chez ces enseignants, le taux d’utilisation de l’ordinateur en classe. Par ailleurs, les résultats indiquent que lorsque les enseignants atteignent un niveau d’utilisation égal ou supérieur à celui de la « gestion-automatisme » (niveau de préoccupation et d’utilisation 3), ils intègrent les activités exploitant les TIC aux autres activités d’apprentissage réalisées en classe. En ce sens, ces résultats font voir que l’une des lacunes mentionnées par Moersch (1995), à savoir que les technologies utilisées sont en marge des activités de la classe, a pu être comblée dans le cadre de cette recherche. Par contre, pour certains enseignants, il est demeuré difficile d’établir des liens plus étroits entre le projet de journal et de musée qu’ils réalisaient et les programmes d’études. Certaines pistes d’intervention peuvent se situer du côté du transfert : elles sont abordées dans la conclusion.

Conclusion

Les résultats et les éléments soulevés dans la discussion conduisent à examiner les retombées de cette étude sur la formation initiale et continue des enseignants.

Cette recherche ne remet pas en cause les principales caractéristiques suggérées par les écrits sur le développement professionnel. En effet, selon des commentaires informels des participants [6], deux des caractéristiques mentionnées par Abdal-Haqq (1996) se sont révélées très satisfaisantes pour eux : les échanges entre pairs lors des rencontres d’étape prévues au projet et l’exploitation de la séquence formation-pratique-rétroaction. D’autres caractéristiques de la stratégie d’intégration des TIC mise à l’essai semblent avoir eu un impact positif. Il s’agit d’une formation élaborée en fonction des besoins des enseignants, en lien avec un projet collectif d’intégration pédagogique des TIC, celui que le groupe a contribué à définir. Par ailleurs, les résultats montrent la nécessité de mettre davantage l’accent sur les succès que vivent les enseignants et sur la rétroaction.

Cette recherche, à l’instar des travaux récents portant sur l’implantation d’une innovation ou sur des programmes de développement professionnel suggère certaines pistes qu’un programme de développement professionnel devrait intégrer. Nous en retenons quatre : les deux premières sont en lien direct avec les résultats obtenus alors que les deux dernières laissent plutôt entrevoir des avenues prometteuses pour qui veut soutenir le processus d’apprentissage chez les enseignants et, conséquemment, le changement de leurs pratiques d’enseignement. Almog et Hertz-Lazarowitz (1999) préconisent d’inclure dans des programmes de développement professionnel une réflexion spécifiquement axée sur le transfert. Une telle piste serait susceptible d’aider les enseignants à établir des liens entre les TIC qu’ils s’approprient et le curriculum scolaire. Wilson et Berne (1999), de leur côté, montrent l’intérêt des communautés d’apprenants. Celles-ci redéfinissent leurs pratiques et misent sur une « collégialité critique ». L’importance de la rétroaction pour le développement du sentiment d’autoefficacité montre la pertinence d’une telle piste d’intervention. Enfin, plusieurs travaux préconisent d’amener les enseignants à mener en parallèle une réflexion sur leur apprentissage et sur leur pratique (Almog et Hertz-Lazarowitz, 1999 ; Brodeur, Deaudelin et Legault, 2002 ; Deaudelin, Dussault et Brodeur, Richer, Mercier, Thibodeau et Lefebvre, 2002 ; Lafortune et Deaudelin, 2001). Chez l’enseignant, la capacité de réflexion sur son propre processus d’apprentissage aurait une incidence sur la capacité de réflexion sur sa pratique.

Ces pistes de formation représentent autant de pistes de recherche. Par ailleurs, Wilson et Berne (1999) considèrent, rappelons-le, qu’il faut examiner l’impact des programmes de développement professionnel, notamment sur les connaissances des enseignants qui s’y engagent. Si le sentiment d’efficacité est vu comme l’un des indicateurs du succès d’une formation, la présente recherche invite à poser un regard attentif sur les instruments qui en permettent la mesure. Enfin, des recherches devraient également tenter d’établir des liens entre le sentiment d’efficacité des enseignants et leur pratique.