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Introduction

Les minorités ethnoculturelles peuvent être anciennement établies ou récentes dans un pays ; elles peuvent être « nationales » ou issues de l’immigration (Ogbu, 1991). On les étudie habituellement dans leur rapport à un centre, à un groupe intégrateur, à une majorité, à une société d’accueil (incluant une majorité, mais ne s’y limitant pas), etc. Certains les appellent « groupes non dominants » (du point de vue du poids démographique, du pouvoir économique ou politique) (Berry, 1997). Dans plusieurs pays, le débat concernant ces minorités se concentre le plus souvent sur la problématique de l’immigration. Les principaux motifs qui poussent à la migration sont économiques, personnels, familiaux ou politiques (Abou, 1977 ; Furnham et Bochner, 1986).

Bien que nos références embrassent la problématique de l’immigration de façon large, la recherche ici présentée [1] a un ancrage sur l’Île de Montréal qui constitue, avec sa banlieue, la plus grande métropole du Québec. Montréal se caractérise par une diversité sociale et ethnoculturelle apparente, son caractère pluriethnique étant en partie alimenté par l’installation d’immigrants. Le milieu scolaire reflète cette diversité ethnoculturelle. En se basant sur les fiches d’inscription des élèves en début d’année scolaire, le Conseil scolaire de l’Île de Montréal (Matte et Saint-Jacques, 2000) a quantifié les élèves issus d’une immigration récente par opposition à ceux qu’on dit « de vielle souche» : au 30 septembre 1999, par rapport à l’ensemble des inscrits (réseaux francophone et anglophone ; ordres primaire et secondaire) : 46,74 % sont nés à l’extérieur du Canada, ou au Québec mais avec 1 ou 2 parent(s) né(s) à l’extérieur ; 32,49 % ont une langue maternelle autre que le français ou l’anglais ; 22,14 % parlent à la maison une langue autre que le français ou l’anglais.

Au Québec, le Gouvernement est intéressé par le « vivre-ensemble », préoccupation attestée par des énoncés de politique, des plans d’action et des avis au ministère de l’Éducation (Gouvernement du Québec, 1998a, 1998b), sur l’intégration des élèves d’origine immigrante. Dans tous les débats autour de cette problématique, on pointe fréquemment l’école pour souligner sa responsabilité à cet égard. Cet appel au monde scolaire s’inscrit dans les traditions nord-américaines de confier clairement à l’école des missions sociales (Hohl, 1996).

La suite aborde la construction identitaire des jeunes en contexte d’immigration à travers les espaces de socialisation, tels le groupe ethnoculturel d’appartenance, la famille et l’école. Plus précisément, la prise en compte de la diversité ethnoculturelle est traitée à différents paliers de l’institution scolaire. Suit la présentation d’un modèle théorique qui considère que le contexte d’immigration en est un d’acculturation et permet l’étude des rapports des minorités ethnoculturelles/immigrantes à la majorité dans un contexte d’acculturation. Le modèle est appliqué à une population d’élèves en milieu scolaire pluriethnique à Montréal.

Construction identitaire de jeunes en contexte d’immigration

Le concept d’identité est multidimensionnel. La définition fondatrice qu’en donne Erikson (1972) a le mérite de condenser plusieurs dimensions du concept :

[...] en termes de psychologie, la formation de l’identité met en jeu un processus de réflexion et d’observations simultanées, processus actif à tous les niveaux de fonctionnement mental, par lequel l’individu se juge lui-même à la lumière de ce qu’il découvre être la façon dont les autres le jugent par comparaison avec eux-mêmes et par l’intermédiaire d’une typologie, à leurs yeux significative ; en même temps, il juge leur façon de le juger, lui, à la lumière de sa façon personnelle de se percevoir lui-même, par comparaison avec eux et avec les types qui, à ses yeux, sont revêtus de prestige.

Erikson, 1972, p. 17

De cette définition de l’identité ressort la dimension cognitive-affective qui est au coeur de l’acte de se percevoir soi-même. La relation entre l’identité individuelle et l’identité sociale est soulignée : l’individu se reconnaît par rapport à tous les Autres, mais particulièrement à travers certains Autres. L’influence de l’Autre sur la réponse à la question « qui suis-je ? » apparaît aussi.

Les études sur le développement identitaire des jeunes (Malewska-Peyre et Tap, 1991 ; Tap, 1980) abordent le plus souvent ce dernier sous l’angle de la socialisation. Pour Tap (1980), elle est la résultante de deux mouvements dialectiques dans la construction de l’identité : l’identification et l’identisation. L’identification permet à l’individu de se conformer aux normes sociales sous l’incitation d’autruis privilégiés ou de groupes de référence. L’identisation est, par contre, un processus d’individualisation, de construction de sa spécificité pour l’individu.

En contexte d’immigration ou de situation minoritaire, la construction identitaire des jeunes se complexifie, sans être toujours compliquée : des institutions de socialisation ont des postulats de socialisation potentiellement plus conflictuels, particulièrement l’école et la famille.

La famille et le groupe ethnoculturel d’appartenance

La famille est le lieu privilégié des fixations des premiers modèles. La famille immigrante est à profils variés : raisons de la migration, projet migratoire (centré sur le pays d’accueil ou sur le pays d’origine), niveau d’instruction, statut socioéconomique, degré de maîtrise de la langue de communication sociale ; expériences d’intégration, etc. Certaines familles subissent des bouleversements du fait de l’immigration : trajectoires d’adaptation différentes des membres, chambardement des rôles, conflits intergénérationnels exacerbés, etc. On peut admettre, avec Manigand (1993), que la problématique des jeunes immigrants doit être comprise dans toute la dynamique d’un groupe familial et d’une société, en évitant cependant de tomber dans une valorisation exagérée du déterminisme familial ou, par exemple, dans une relégation totale aux familles de la responsabilité de la réussite scolaire des jeunes.

En contexte d’immigration ou minoritaire, selon Markstrom-Adams et Beale Spencer (1994), le groupe d’appartenance ethnoculturel de la famille joue un certain rôle de socialisation, dispense une certaine « éducation diffuse » (Bourdieu et Passeron, 1970). Il s’y ajoute le fait que les jeunes et leurs familles se rapportent, ou sont rapportés (identité assignée, prescrite) à un groupe ethnoculturel qui occupe une place donnée (socioéconomique, politique) dans le pays d’accueil, avec une plus ou moins grande vitalité ethnolinguistique (Giles, Bourhis et Taylor, 1977). Cette place et cette vitalité peuvent faire la différence en termes de valorisation identitaire, de réseau relationnel, d’insertion professionnelle, etc.

Ogbu (1991) traite de la dynamique identitaire de ces jeunes en les divisant en deux groupes : ceux qui appartiennent à des minorités volontaires ou immigrantes (les diverses « communautés culturelles » au Québec, les Coréens aux États-Unis, les Turcs en Australie, etc.) et ceux qui appartiennent à des minorités involontaires (Premières Nations au Canada, Afro-Américains, Coréens japonais, etc.). Les seconds auraient une dynamique identitaire plus complexe (frustration et sentiments d’exclusion plus grands, contentieux historiques avec la majorité jamais vidés, etc.). Cependant, nous pouvons ajouter que certains groupes dits « volontaires » s’apparentent aux groupes « involontaires » de Ogbu (1991). C’est le cas, par exemple, des jeunes originaires de l’Afrique subsaharienne et des Antilles ou du Maghreb, qui vivent des situations identitaires et scolaires difficiles et sont plus susceptibles d’être confrontés au racisme et à la discrimination en contexte d’immigration.

L’école et la prise en compte de la diversité ethnoculturelle

Vasquez-Bronfman et Martinez (1996) relèvent les caractéristiques qui font de l’école un lieu de socialisation qui, sans être exclusif, est très significatif.

L’école constitue un lieu privilégié en termes de socialisation. En premier lieu, parce qu’elle a un espace-temps défini, régulier, quotidien et prolongé, ce qui fait d’elle un des principaux univers de socialisation. En deuxième lieu, la presque totalité des enfants et des jeunes de nos pays la fréquentent. [...] Enfin, en troisième lieu, elle offre des modèles de normes sociales et de modes de faire couramment partagés et largement diffusés.

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Dans la classe ethnoculturellement hétérogène, l’enseignant a pour mission de permettre le développement optimal (sur les plans cognitif, affectif et socioculturel) d’élèves parfois très différents les uns des autres (et dont certains sont assez éloignés de la norme culturelle scolaire), et souvent très différents de lui-même. Cette confrontation aux différences ainsi que leur gestion au sein de la classe constituent des défis importants.

De manière non exhaustive, les défis à relever touchent l’exercice de décentration de l’enseignant dans la relation pédagogique, son aide à la maîtrise de la langue d’enseignement et à l’ancrage dans le curriculum, sa surveillance des interactions sociales en classe entre élèves et la relation qu’il entretient avec les familles.

  • La relation pédagogique et éducative est un enjeu : l’enseignant ou tout autre membre du personnel doit s’initier à la décentration, soit « […] apprendre à objectiver son propre système de références afin de pouvoir admettre d’autres perspectives. Cette capacité à la décentration est une des conditions de la rencontre d’autrui. » (Abdallah-Pretceille, 1997, p. 126). Cette décentration permet de relever plus aisément les autres défis et de mieux juger de l’issue de conflits de valeurs en termes de remise en question de sa pratique, d’accommodements raisonnables ou d’aspects à verser dans le registre du non-négociable, à la lumière de balises psychopédagogiques ou juridiques (Hohl et Normand, 1996).

  • Près de 30 % des élèves inscrits dans les écoles montréalaises sont allophones avec le français comme deuxième, voire troisième langue. Le bagage linguistique de ces élèves est à prendre en considération dans l’acquisition du français ou de l’anglais (Dagenais et Jacquet, 2001 ; Savaria-Shore et Arvizu, 1992). La maîtrise de la langue principale d’enseignement, qui souvent est la langue dominante de communication sociale, est un facteur primordial de réussite scolaire et d’intégration. Ce facteur ne devrait pas en éclipser d’autres importants aussi.

  • Le curriculum, dans son aspect formel comme décision politique traçant le parcours scolaire que doivent emprunter les élèves, dans son aspect réel, interprété et vécu, ou dans son aspect implicite ou caché, est à questionner au regard de la diversité ethnoculturelle dans les classes (Levine, 2000 ; Perrenoud, 1995). Ce questionnement ne devrait point susciter de frilosité exagérée, parce qu’il s’inscrit logiquement dans les fondements et les finalités de la différenciation pédagogique comprise comme une approche qui consent aux différences inter-individus afin de mieux aider la construction du sens des apprentissages et de juguler l’échec scolaire (Gillig, 1999 ; Perrenoud, 1995). Si l’on considère l’axe de la mission éducative concernant la socialisation des élèves, il est le reflet de normes sociétales. Certains élèves issus des minorités ethnoculturelles ou d’origine immigrante, au-delà des problèmes d’apprentissage, rencontrent des difficultés à se situer par rapport à cet ensemble de normes, ils sont « en échec par rapport aux rituels de l’école » (Vazquez-Bronfman et Martinez, 1996) ou souvent par rapport à l’implicite du curriculum.

  • À l’instar du milieu de travail et des collègues pour l’adulte immigrant, le groupe des pairs en classe et à l’école, surtout le profil de son réseau relationnel, influe sur les rapports généraux d’altérité de l’élève immigrant à court et à long terme. Les recherches sociométriques en milieu scolaire ont documenté l’origine ethnoculturelle comme facteur dans le fractionnement du réseau relationnel en classe et dans les dynamiques d’exclusion (Bukowsky et Cillesen, 1998 ; Kanouté, 2002 ; Rican, 1996 ; Schofield, 1981). Des approches pédagogiques ciblent, entre autres, les interactions sociales : l’apprentissage coopératif (Sharan, 1990), l’éducation interculturelle et à la citoyenneté (Lafortune et Gaudet, 2000 ; Pagé, 1997), la pédagogie antiraciste (Dei, 1996), etc.

  • La mission éducative de l’école en Amérique du Nord s’appuie sur une culture de participation des parents aux activités scolaires (Hohl, 1996 ; Labrie, Wilson et Roberge, 2000 ; Young, 1999). Certaines familles immigrantes ont de la difficulté à décoder la culture scolaire, surtout sa composante socialisation. Elles sont freinées par la non-maîtrise du français dans leur communication avec l’école, sont handicapées par un niveau d’études qui ne leur permet pas de faire de l’accompagnement scolaire efficace, ou connaissent un déclassement social qui les contraint à jumeler plusieurs emplois et à avoir peu de disponibilité pour le suivi scolaire. Également, des recherches rapportent des conflits de valeurs dans les rapports entre intervenants en milieu scolaire et familles autour de certains modes de socialisation des enfants à la maison (punitions corporelles, affirmation de soi, autonomie, travail des enfants), des relations homme-femme et de la conception de l’apprentissage (Hohl, 1996).

L’immigration : un contexte d’acculturation

Lorsqu’une personne immigre, elle arrive dans un pays où les valeurs, les normes, les modes de vie, la culture en général, se situent à une distance variable de la sienne. Dès lors s’instaure une discontinuité qui engendre des déséquilibres qui poussent l’immigrant à réagir et à se réajuster de diverses manières : on parle de processus d’acculturation. Cette discontinuité ne s’arrête pas nécessairement à la première génération d’immigrants.

Plusieurs chercheurs ont analysé le concept d’acculturation et son opérationnalisation, tant du point de vue de l’acculturation de groupes qu’à celui des transformations psychologiques vécues au plan individuel en contexte d’acculturation. Abou (1981) donne une vision large de l’acculturation : « les problèmes d’acculturation [sont] suscités par la coexistence, dans une société, d’hommes et de femmes d’origines et de cultures différentes » (p. 56). Mucchielli (1992) note les sphères que l’acculturation touche : « [l]es modifications produites concernent le système culturel, ses prémisses, ses modèles et représentations ; elles concernent aussi toutes les expressions culturelles : usage d’objets, expressions artistiques par exemple » (p. 107).

L’opérationnalisation des attitudes qui définissent le processus d’acculturation a fait l’objet de réflexions théoriques et de recherche : Abou (1977) (communauté libanaise), Neto (1994) (jeunes Français d’origine portugaise), Sam (1995) (jeunes originaires du Tiers-Monde vivant en Norvège), etc. Berry, Kim, Power, Young et Bujaki (1989) proposent un modèle qui permet de catégoriser le processus d’acculturation des minorités en quatre modes : l’intégration, l’assimilation, la séparation et la marginalisation. Ce modèle, structuré autour de positionnements croisés par rapport à la nécessité du contact avec la société d’insertion ou de la préservation de sa culture d’origine, a été largement utilisé auprès d’adultes et dans une moindre mesure auprès d’adolescents de minorités ethnoculturelles (Neto, 1994 ; Sam, 1995). Sont également intéressantes les révisions apportées à ce modèle par Bourhis, Moïse, Perreault et Sénécal (1997) : inclure l’individualisme comme profil d’acculturation ; rendre le modèle interactif en y donnant place, de manière opérationnelle, aux positionnements de personnes de la majorité par rapport à l’acculturation des minorités.

Ci-après, nous définissons les modes d’acculturation principalement à partir des recherches de Berry et al. (1989) et de Bourhis et al. (1997).

L’intégration

Selon Berry et al. (1989), l’intégration est perçue comme synthèse des deux codes culturels : celui de la société d’accueil et celui de la société d’origine. Au-delà de la synthèse, il y a la conciliation, voire la réconciliation de deux pôles d’allégeance culturelle. Nous ajoutons que dans certains cas, surtout chez les jeunes, il y a une multiplicité des appartenances. Ils deviennent des mediating persons (Furnham et Bochner, 1986). La synthèse est d’autant plus facile que les divergences sont moindres entre les valeurs des deux cultures revendiquées par la personne.

L’assimilation

Contrairement à l’intégration qui est à la croisée des cultures d’origine et d’accueil, l’assimilation procède par une déculturation plutôt complète de la culture d’origine, ou par son reniement, jumelée à une resocialisation active dans celle de la société d’accueil. Différents facteurs peuvent expliquer un tel processus : le parachèvement d’une intégration qui a commencé avec la génération immigrante précédente, la perception de sa différence comme non significative par rapport à la culture du pays d’accueil ou comme un handicap lourd qui empêche de se réaliser, etc.

La marginalisation

La marginalisation désigne l’attitude des immigrants qui adoptent une distance d’avec leur culture d’origine sans pour autant investir celle du pays d’accueil (Berry et al., 1989). Les raisons qui poussent à la marginalisation sont diverses et peuvent être expliquées simultanément par rapport à la culture ou pays d’origine (ancrage socioéconomique dévalorisant dans la culture d’origine) et par rapport à la culture ou pays d’accueil (expériences d’exclusion). La marginalisation pourrait également traduire, non pas un rejet, mais la difficulté à concilier les deux codes culturels en présence (Furnham et Bochner, 1986).

La séparation

Lorsque la séparation est choisie comme mode d’acculturation, il y a un repli total sur la culture d’origine et un rejet de celle de la société d’accueil (Berry et al., 1989). L’attitude de séparation s’apparente à du chauvinisme (Furnham et Bochner, 1986) ou à de l’ethnocentrisme. L’ethnocentrisme de ceux qui ont une attitude de repli sur la culture d’origine est vu, par certains auteurs, comme une sorte de résistance, une réponse anticipée à des politiques assimilationnistes. Les hypothèses explicatives d’un tel choix peuvent être une incompatibilité perçue entre valeurs du pays d’origine assumées et valeurs du pays d’accueil, des expériences d’exclusion dans le pays d’accueil, une culture d’origine très prescriptive, etc.

L’individualisme

Selon Bourhis et al. (1997), les personnes qui adoptent un comportement individualiste se dissocient à la fois de leur origine ethnoculturelle et de la culture de la société d’accueil parce qu’elles préfèrent se définir en tant qu’individus. Camilleri (1987) apporte un autre éclairage sur le contexte qui favorise l’individualisme :

Dans les sociétés industrielles occidentales, les codes deviennent équivoques ou « flous », beaucoup moins cohérents et prescriptifs, se référant à des classes de situations et laissant nombre de détails à l’initiative individuelle, fondant leurs propositions dans des formations non transcendantes, soumises à la concurrence idéologique et à la contestation.

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En continuité avec Camilleri, nous retenons qu’opter pour l’individualisme, c’est éviter que les injonctions des identités collectives n’interfèrent dans toutes nos façons de vivre l’altérité, sans pour autant renier ces identités-là. Par opposition à la culture occidentale, certaines cultures d’origine des groupes immigrants sont plus prescriptives de normes transcendantes. Cependant, nous pensons que, par effet de socialisation, il est possible que des jeunes d’origine immigrante soient séduits par l’individualisme.

Le stress d’acculturation

Un individu en contexte d’acculturation, sous l’injonction de codes culturels plus ou moins différents et parfois conflictuels, cherche à imprimer une unité de sens à sa vie au moindre coût. Dans un tel contexte de mue, d’apprentissage d’une nouvelle fonctionnalité, Berry et al. (1989) parlent de stress d’acculturation, un concept central dans leur modèle, qui n’est pas nécessairement handicapant ; ses effets peuvent se situer à divers niveaux de confusion, d’anxiété et de dépression. Le niveau de stress est aussi fonction du mode d’acculturation. En ce sens, des chercheurs (Berry, 1996 ; Berry et al., 1989 ; Bourhis et al., 1997 ; Neto, 1994 ; Sam, 1995) concluent que le mode d’acculturation qui a le coût psychologique le moins élevé est l’intégration, que la marginalisation est positivement corrélée à un taux élevé de stress, suivie de près par la séparation. D’autres facteurs, comme l’âge, le sexe et l’éducation (Berry, 1996), modulent le niveau de stress d’acculturation. Les études menées en Amérique du Nord et en Europe par différents chercheurs montrent que le mode d’acculturation préféré des minorités est l’intégration, suivi de l’assimilation ou de la séparation, la marginalisation étant le mode le moins choisi (Berry et al., 1989 ; Berry, 1996 ; Bourhis et al., 1997). Il est également reconnu que ce qui est considéré comme une liberté de choix ne l’est pas pour tous les groupes. Certains, telles les minorités « visibles », sont continuellement, qu’ils le veuillent ou non, renvoyés à leur différence. Ceci les pousse moins à s’inscrire dans un processus d’assimilation.

Un modèle théorique pour étudier l’acculturation

Ce modèle est une synthèse des modèles de Berry et al. (1989) [2] et de Bourhis et al. (1997). Il a été appliqué à une étude dont il est question dans la prochaine section. La synthèse est illustrée par les tableaux 1 et 2. Nous parlons de profils plutôt que de modes d’acculturation, le profil faisant référence à une dynamique complexe d’attitudes et de comportements qui varient selon les espaces relationnels.

Tableau 1

Modèle des profils d’acculturation de personnes des minorités ethnoculturelles /immigrantes

Modèle des profils d’acculturation de personnes des minorités ethnoculturelles /immigrantes

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Dans le tableau 1, l’ajout essentiel par rapport à Bourhis et al. (1997), qui se sont inspirés de Berry et al. (1989), concerne le déplacement de l’individualisme du cadran où figure la marginalisation à celui où il y a l’intégration. En conformité avec l’adoption de la définition qu’en donne Camilleri (1987), nous avons choisi de placer l’individualisme au croisement des deux « oui ».

Tableau 2

Modèle des profils « acculturateurs » de personnes appartenant à la majorité

Modèle des profils « acculturateurs » de personnes appartenant à la majorité

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Pour ce qui est du tableau 2, il comporte presque les mêmes concepts que le tableau 1, avec l’exclusionau lieu de la séparation. Ces concepts rendent comptent cette fois-ci de profils que nous appelons « acculturateurs », sortes de positionnements de membres de la société d’accueil par rapport à l’acculturation des immigrants. Dans le tableau 2, l’exclusion, comme refus de l’inclusion des immigrants à la culture d’accueil, est le pendant de la séparation dans le tableau 1. Nous pensons que ce modèle est capable de rendre compte des phénomènes d’acculturation, de façon non exclusive et parfois au prix d’un réaménagement. Plus précisément, il permet la définition des profils d’acculturation d’élèves d’origine immigrante (OI) et des profils « acculturateurs » d’élèves d’origine non immigrante (Non OI).

Faire une recension des écrits sur l’identité en contexte d’immigration, c’est croiser constamment deux concepts : des auteurs (Camilleri) parlent des stratégies identitaires au même titre que d’autres (Berry) des modes d’acculturation. Les stratégies identitaires sont abordées par plusieurs auteurs souvent avec un contexte scolaire en arrière-fond : Malewska-Peyre (1989), Taboada-Leonetti (1989) (jeunes Français d’origine antillaise, portugaise, asiatique et maghrébine), Laperrière (1992) (jeunes Québécois d’origine italienne et haïtienne), Matute-Bianchi (1991) (jeunes Américains d’origine mexicaine). Certains voient les stratégies identitaires comme la réponse à une situation avec un potentiel de souffrance (Malewska-Peyre, 1989). Pour Taboada-Leonetti (1989),

les stratégies identitaires [...] apparaissent comme le résultat de l’élaboration individuelle et collective des acteurs et expriment, dans leur mouvance, les ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles suscitent – c’est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs – et des ressources de ceux-ci.

p. 96

Selon les typologies des différents chercheurs, les stratégies identitairessont le consensus, l’invisibilité, la surenchère, l’internationalisme, etc. Les recherches sur les stratégies identitaires sont plutôt qualitatives et celles sur les modes d’acculturation plutôt quantitatives. Lors du VIe congrès de l’ARIC à Montréal (1996), Berry et Camilleri ont coanimé la conférence d’ouverture « Stratégies identitaires, relations interethniques et racisme ». On attendait qu’ils se situent l’un par rapport à l’autre et Camilleri (1996) s’y est exercé : il y a une complémentarité entre les deux concepts, les stratégies identitaires sont « impliquées » d’une certaine manière dans les modes d’acculturation ; ces derniers sont en termes d’«issues de positionnement social » ou d’«idéal type », les stratégies identitaires concerneraient la « réalité effective ».

Recherche sur l’acculturation en milieu scolaire pluriethnique à Montréal

Le modèle théorique qui vient d’être présenté est un volet du cadre de référence de la recherche doctorale de Kanouté (1999). En 1997, il a permis d’effectuer une enquête sur l’acculturation dans des classes du primaire à Montréal en relation avec les questions suivantes : Quels sont les profils d’acculturation d’élèves d’origine immigrante ? Quels sont les profils « acculturateurs » d’élèves d’origine non immigrante ?

Méthode

Huit classes du primaire ont participé à l’étude : cinq classes de sixième année et trois de cinquième année. Ces classes faisaient partie des secteurs francophones de la Commission scolaire protestante du Grand Montréal (3 classes) et de la Commission des écoles catholiques de Montréal [3] (5 classes) : une école à l’est de l’île, une à l’ouest, une au nord-est et 5 dans l’axe sud-nord.

En nous basant sur les indices agrégés du Conseil scolaire de l’Île de Montréal (Matte et Saint-Jacques, 2000), un élève d’origine immigrante, en fait issu de l’immigration récente (OI), est une personne qui, quel que soit son lieu de naissance, a au moins un de ses parents nés hors Canada et ce parent est d’une origine ethnoculturelle autre qu’autochtone, canadienne-française ou canadienne-britannique. Les élèves n’appartenant pas à la catégorie OI sont dans la catégorie Non OI, qui est assimilée au groupe intégrateur. Avec tous les risques de simplifier des réalités complexes, il a fallu définir un groupe intégrateur qui, au Québec, a comme pôle majoritaire le groupe d’origine canadienne-française.

Un questionnaire d’acculturation en deux versions a été élaboré, une pour la catégorie OI et une pour la catégorie Non OI. Chaque version est structurée par 35 énoncés se rapportant à 7 thèmes (histoire, langue, éducation des enfants, amour, amitié, réussite sociale et cohabitation dans un quartier) dont les choix ont été guidés par deux considérations : l’hétérogénéité sur le plan ethnoculturel et l’âge des élèves participant à la recherche. Le questionnaire vise à recueillir les opinions des élèves sur la problématique de l’acculturation en rapport avec ces thèmes. La recherche s’étant déroulée dans des classes où les élèves sont d’origines diverses, nous ne pouvions pas retenir, comme l’ont fait Berry et al. (1989), des thèmes qui interpellent une communauté en particulier, par exemple, les immigrants lusophones provenant des Açores. Il était nécessaire de dégager des thèmes qui pouvaient être significatifs pour les caractéristiques « origine immigrante » et « jeune ».

Chaque énoncé doit refléter la structuration du modèle d’acculturation : les réponses croisées aux deux questions qui sont posées. La préexpérimentation du questionnaire a permis d’atténuer la lourdeur de cette double sollicitation dans la formulation des énoncés (surtout les « oui »/«non »). Pour chaque énoncé, les élèves expriment leur accord ou leur désaccord sur une échelle de type Likert à cinq niveaux (1= fortement en désaccord, 2= en désaccord, 3= neutre, 4= en accord, 5= fortement en accord). Voici des exemples pour les deux versions du questionnaire :

  • Profil « Intégration  » et thème « Histoire » (catégorie OI) : « Je pense que les jeunes de ma communauté culturelle doivent apprendre l’histoire du Québec, mais ils (elles) peuvent aussi apprendre l’histoire de mon pays d’origine. »

  • Profil « Individualisme » et thème « Amitié » (catégories OI et Non OI) : « Je pense que l’origine culturelle de la personne avec qui l’on est ami (e) n’est pas une question importante. »

  • « Profil « Assimilation » et thème « Réussite sociale » (catégorie Non OI) : « Pour réussir au Québec, je pense qu’une personne d’une communauté culturelle doit abandonner les façons de vivre de sa culture d’origine. »

Lors de l’administration du questionnaire la possibilité d’une moins bonne maîtrise du français, chez certains élèves, a requis du temps pour expliciter les thèmes abordés : apprendre l’histoire d’un pays, parler une langue, tomber amoureux de quelqu’un, se faire des amis, habiter avec quelqu’un dans le même quartier, etc. Il a aussi fallu attirer l’attention sur le fait que tous les énoncés sont différents et sur la structure des groupes d’énoncés se rapportant à un profil d’acculturation, sans le nommer comme tel : « […] mais aussi […] » (pour le profil Intégration) ; « […] n’est pas une question importante » (profil Individualisme) ; « […] seulement […] » (Séparation/Assimilation) ; « […] ça ne donne rien » ou « […] ça m’est égal » (Marginalisation) ; « […] ne doivent pas se mêler à […] » (Exclusion). Nous considérons que le repérage par nos sujets de ces différences de construction dans les énoncés est indispensable pour que le questionnaire mesure ce qu’il doit mesurer.

Résultats

Les données recueillies par le questionnaire ont été traitées de manière quantitative à l’aide du logiciel SPSS. Dans les huit classes, les élèves, au nombre de 195, sont âgés de 10 à 13 ans. Les élèves OI représentent 60 % de l’ensemble. Il faut souligner que, même si pour les besoins de notre recherche, les élèves OI des huit classes sont dans une seule catégorie, ils sont d’origines ethnoculturelles diverses : latino-américaine (23 %), haïtienne (20 %), arabe (11 %), vietnamienne (10 %), chinoise (8 %), portugaise, polonaise, srilankaise, cambodgienne, etc. Les élèves ayant complété le questionnaire sur l’acculturation sont au nombre de 183 (71 Non OI et 112 OI), soit près de 94 % du total des effectifs des huit classes.

La consistance interne des énoncés portant sur la marginalisation est faible (l’indice alpha de Cronbach égale 0,4545 avec les élèves OI et à 0,0886 avec les Non OI). Dans l’élaboration du modèle sur l’acculturation, nous nous questionnions sur la capacité des jeunes du primaire à assumer un profil de marginalisation qui commande un divorce d’avec les appartenances ethnoculturelles. L’analyse de la consistance interne du questionnaire sur l’acculturation montre en effet qu’il est moins pertinent de garder un tel profil pour des jeunes de cet âge. Par ailleurs, la consistance interne s’améliore si les énoncés sur l’intégration et l’individualisme sont délestés de ceux traitant de la réussite sociale et si les énoncés sur l’assimilation sont délestés de ceux traitant de la cohabitation dans un même quartier. Le thème de la réussite sociale demanderait peut-être beaucoup de projection pour des jeunes du primaire. Après le délestage de certains énoncés, il en reste 25 sur les 35 initiaux. Pour les élèves OI, les nouveaux indices alpha de Cronbach sont respectivement pour Intégration, Individualisme, Assimilation et Séparation : 0,7310 ; 0,5822 ; 0,5878 ; 0,6050. Dans la recherche effectuée par Sam (1995) auprès d’un groupe de jeunes originaires du Tiers-Monde et vivant en Norvège, groupe ethnoculturellement hétérogène comme celui qui a participé à notre recherche, les indices alpha sont 0,55 pour l’intégration ; 0,71 pour l’assimilation et 0,74 pour la séparation.

Chez les deux catégories d’élèves (tableau 3), la moyenne accordée à l’intégration exprime un accord (cote 4). De plus, cette moyenne est celle qui est le plus unanimement attribuée (avec des coefficients de variation les plus bas) à l’intérieur de chaque catégorie. Dans les recherches empiriques, citées ici, sur les profils d’acculturation des immigrants, l’intégration est le profil d’acculturation préféré. Le souci de rendre compte du dynamisme et de la complexité du processus d’acculturation nous a fait choisir « profil » à la place de « mode ». De même, nous préférons parler de « profil saillant » plutôt que de « profil préféré ». Donc, le profil « intégration » est le plus saillant chez les élèves OI et Non OI des huit classes. L’individualisme suit l’intégration, chez les deux catégories d’élèves. Et les moyennes des cotes attribuées à ce profil sont au-dessus de la cote « neutre » (3) comme celles de l’intégration. Par ailleurs, l’individualisme et l’intégration sont corrélés positivement et de façon très significative. Ces résultats valident le choix d’introduire ce profil d’acculturation, par rapport au modèle de Berry et al. (1989), et de lui attribuer une position similaire à celle de l’intégration dans notre modèle synthèse. L’assimilation puis la séparation/exclusion suivent en troisième et quatrième position avec des moyennes qui illustrent nettement un désaccord. Les moyennes qui classent ces deux profils d’acculturation en dernières positions sont assumées avec moins d’homogénéité.

Tableau 3

Profils d’acculturation et « acculturateurs » de groupe des élèves d’origine immigrante (OI) et des élèves d’origine non immigrante (Non OI)

Profils d’acculturation et « acculturateurs » de groupe des élèves d’origine immigrante (OI) et des élèves d’origine non immigrante (Non OI)
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4,36 représente une moyenne ; 0,25 représente un écart-type

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Si nous examinons les profils en rapport avec les différents thèmes qui structurent le questionnaire, les élèves OI (tableau 4) sont en accord avec l’intégration par rapport aux thèmes « langue », « amitié », « histoire », « cohabitation ». Ils sont aussi en accord avec l’individualisme concernant l’amitié. Ils sont en désaccord avec la séparation par rapport à tous les thèmes sauf pour le thème « amour ». Cependant, pour ce dernier, si nous allons vers des calculs plus détaillés, c’est la cote « 3 » (neutre) qui est le plus fréquemment revenue.

Tableau 4

Moyennes accordées par les élèves d’origine immigrante aux groupes d’énoncés liés aux différents thèmes

Moyennes accordées par les élèves d’origine immigrante aux groupes d’énoncés liés aux différents thèmes

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Quant aux élèves Non OI (tableau 5), ils sont d’accord avec l’intégration par rapport à tous les thèmes et avec l’individualisme pour les thèmes « amour », « amitié » et « langue » mais, pour tous les thèmes, ils sont en désaccord avec l’exclusion.

Tableau 5

Moyennes accordées par les élèves d’origine non immigrante aux groupes d’énoncés liés aux différents thèmes

Moyennes accordées par les élèves d’origine non immigrante aux groupes d’énoncés liés aux différents thèmes

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Les moyennes liées aux élèves Non OI sont plus tranchées ( 4,36 pour l’intégration et 1,35 pour l’exclusion) et avec des coefficients de variation généralement plus bas, ce qui signifie qu’elles sont assumées plus unanimement. Les élèves OI accordent aux différents profils d’acculturation des moyennes moins tranchées (4,00 pour l’intégration et 2,04 pour la séparation). Selon nous, ces différences témoignent du fait que l’aspect « stratégie identitaire » est plus présent chez les élèves OI, que les variations de l’identité sont plus grandes et plus complexes en contexte d’acculturation. Les élèves OI attribuent globalement une moyenne de 4,00 aux énoncés portant sur l’intégration. Les énoncés portant sur l’intégration et l’histoire, l’intégration et l’amitié ou l’intégration et la langue ont des moyennes supérieures à 4 et assumées avec une homogénéité plus grande que pour les autres énoncés se rapportant à l’intégration. Les élèves OI donnent une moyenne de 2,04 aux énoncés relatifs à la séparation. Cependant, ceux liés à l’amour recueillent la moyenne la plus élevée (3,15). La moyenne des énoncés « amour »relatifs à la séparation pourrait illustrer une certaine attitude proendogamie des familles, relayée par les jeunes. Elle pourrait aussi résulter d’une neutralité vis-à-vis d’un thème qui suscite de la pudeur. En effet, de toutes les cotes contribuant à cette moyenne, c’est la cote « 3 » (neutralité) qui revient le plus souvent (le mode donne 3).

Les élèves d’origine immigrante et ceux d’origine non immigrante ont adopté les profils d’acculturation et « acculturateurs » du même ordre et globalement dans les mêmes zones autour de la cote « neutre » (3). Ce climat consensuel (voir le modèle interactif de Bourhis et al., 1997) est à mettre en rapport avec le contexte sociopolitique dans lequel il s’inscrit. Autrement dit, si les profils saillants d’acculturation et « acculturateurs » sont l’intégration, c’est peut-être parce que le Québec/ Canada promeut une société pluraliste (Berry, 1996 ; Bourhis et al., 1997) et que cette idéologie est déjà présente et assumée par les 10-13 ans. On pourrait aussi se demander dans quelle mesure la rectitude politique influence les jeunes de cet âge.

Conclusion

Un contexte d’acculturation est un espace multidimensionnel où la personne d’origine immigrante négocie les termes du rapport à la société d’accueil au mieux de ses capacités, de ses intérêts et des possibilités qu’offre le contexte. Un modèle théorique inspiré de ceux de Berry et al. (1989) et de Bourhis et al. (1997) a permis de dégager des profils d’acculturation (élèves d’origine immigrante) et des profils « acculturateurs » (élèves d’origine non immigrante) d’élèves âgés de 10 à 13 ans. Sur le plan conceptuel, les contributions de cette recherche sont de deux ordres. D’abord, les résultats confirment la pertinence de la place de l’individualisme comme profil d’acculturation, du moins chez les jeunes. Par ailleurs, le fait de contraster les profils d’acculturation des deux catégories d’élèves met en exergue le comportement stratégique des élèves d’origine immigrante. Ce qui réconcilie les modèles d’analyse sur les modes d’acculturation et ceux sur les stratégies identitaires.

Chez les deux groupes d’élèves, l’intégration et la séparation se trouvent respectivement en première et en dernière position. Avec toute la prudence requise, il faut se demander si de tels résultats ne font pas timidement écho aux différents efforts mis de l’avant dans le cadre de l’intégration socioscolaire des élèves d’origine immigrante. Mais il reste du travail à faire pour que le « vivre-ensemble » à l’école s’ancre dans des pratiques renouvelées visant la réussite scolaire et jugule les profils de repli identitaire.

Ces pratiques renouvelées pourraient s’articuler ainsi :

  • Aider à l’appropriation de la langue principale d’enseignement sans dévaloriser les acquis linguistiques des élèves.

  • Apprendre à se décentrer pour mieux comprendre la distance culturelle de certains élèves par rapport à la culture scolaire et transiger avec la coexistence de systèmes de valeurs différents en classe.

  • Prendre conscience que la socialisation aux rituels de l’école n’est pas toujours une évidence ou une simple affaire de continuité avec la socialisation familiale. Certaines valeurs implicites (autonomie, affirmation de soi, prise de parole) très fortement présentes dans l’espace scolaire n’ont pas les mêmes résonances dans plusieurs cultures, donc dans certaines familles immigrantes.

  • Faciliter le repérage par rapport au curriculum explicite dans les activités d’enseignement (mise en situation, analogie, illustration, réinvestissement). En agissant ainsi, le ton est donné et les élèves sont invités à utiliser des références qui leur sont propres pour construire plus solidement leurs apprentissages.

  • Surveiller la qualité de la socialisation dans le groupe des pairs. Il faut travailler à instaurer la compréhension et le respect des différences que portent les élèves dans les relations entre les élèves et dans celles entre les élèves et le personnel scolaire, à travailler la déconstruction des stéréotypies négatives, à traiter convenablement les incidents à caractère ethnoculturel/racial, à surveiller les dynamiques de rejet et d’isolement parmi les pairs en posant un regard sociométrique sur la classe.

  • Aider l’élève à négocier les mandats de socialisation dont il est l’interface en faisant l’économie d’une disqualification de la famille. Il est aussi essentiel de reconnaître aux parents la légitimité de questionner l’intervention de l’école. Ces actes d’ouverture n’empêchent pas l’école d’être ferme sur des aspects non négociables et soutenus par des consensus très forts (égalités des sexes, protection des enfants, etc.).

Les pistes d’intervention suggérées ont un potentiel de solution de problèmes qui vont au-delà de la problématique du repli sur la culture d’origine chez les élèves d’origine immigrante. Intégrées dans des approches comme l’éducation interculturelle ou l’éducation à la citoyenneté, elles agissent positivement sur l’ensemble des élèves. Une recherche qualitative portant sur le discours de jeunes issus de l’immigration par rapport à leur processus d’acculturation et également sur celui d’autres acteurs tels que les enseignants et les parents serait une piste de recherche prometteuse ; on aurait une compréhension plus systémique de leur condition.