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Introduction

Bien que la plupart des enfants apprennent la lecture par «découverte», avant même l’enseignement formel au cours des premières années du primaire (Snow, Scarborough et Burns, 1999), d’autres éprouvent davantage de difficultés. Que ce soit en raison des différences personnelles ou environnementales, tous ne peuvent apprendre au même rythme et avec les mêmes méthodes ou stratégies d’enseignement/apprentissage. Cependant, tous les élèves peuvent devenir de bons lecteurs à condition que soient mis en place des dispositifs adéquats d’observation, de dépistage, d’évaluation et d’intervention adaptés aux élèves ayant des besoins particuliers (Snow, Burns et Griffin, 1998; Snow et al., 1999).

Les recherches qui concernent la transition entre l’éveil à l’écrit et le début de l’apprentissage de la lecture ont donné naissance à plusieurs modèles d’apprentissage de la lecture. Selon Juel (1991), les modèles d’apprentissage de la lecture se divisent en deux paradigmes. Dans le premier paradigme, le processus de la lecture est le même pour tous les lecteurs (sans étapes particulières), qu’ils soient débutants ou expérimentés. Les enfants s’améliorent à mesure qu’ils accumulent des connaissances générales sur la langue et le monde. À titre d’exemple, Goodman et Goodman (1979) suggèrent qu’il n’existe qu’un processus de lecture et que les lecteurs diffèrent seulement dans leur façon de contrôler ce processus. L’augmentation des compétences en lecture vient de l’augmentation des compétences linguistiques. La lecture est donc facilitée par l’exposition des élèves à des textes riches en langage naturel. Dans ce modèle, l’apprentissage de la lecture s’explique à partir des stratégies utilisées par les lecteurs compétents ou experts. Selon Juel (1991), ces modèles sont fondés sur trois postulats. Premièrement, les mots ne sont pas traités de façon phonologique, c’est-à-dire que les mots sont reconnus sans faire appel aux associations entre graphèmes et phonèmes. Deuxièmement, les processus de décodage sont automatiques et ne demandent pas d’attention consciente, c’est-à-dire que le lecteur peut se concentrer davantage sur la signification du texte. Troisièmement, le lecteur expert recherche activement la signification du texte en utilisant ses connaissances préalables sur la langue et le sujet. Toujours selon Juel (1991), on ne sait pas si ces modèles peuvent s’appliquer aux jeunes enfants qui s’initient à la lecture ou aux enfants à risque, car on ne sait pas s’ils possèdent les connaissances et l’expérience nécessaires pour faire ce genre d’abstractions, entre autres, sans se concentrer sur les différentes parties des mots.

Dans le second paradigme, l’apprentissage de la lecture s’effectue en passant par des étapes développementales ayant chacune leurs particularités propres (Chall, 1979, 1983; Frith, 1986; Ehri et Wilce, 1985, 1987; Sprenger-Charolles, Siegel et Bonnet, 1998). Dans ces modèles, l’idée principale est qu’il existe des différences qualitatives à chaque étape de l’apprentissage de la lecture. Selon Frith (1986), chaque étape comporte deux niveaux de maîtrise. Le passage à une nouvelle étape s’appuie sur les connaissances acquises au deuxième niveau de l’ancienne étape et se manifeste, entre autres, lorsqu’une nouvelle stratégie de reconnaissance de mots est utilisée. Bien que subsistent des particularités entre les auteurs, l’apprentissage de la lecture semble comporter au moins trois étapes qualitatives, notamment les étapes logographique, alphabétique et orthographique. Plusieurs études concluent que certaines habiletés liées à la deuxième étape, comme entre autres, la sensibilité phonologique ou la connaissance du nom et des sons des lettres, sont étroitement liées aux habiletés ou succès ultérieurs en lecture chez les lecteurs débutants (Adams, 1990; Stanovitch, 1992; Bus et Ijzendoorn, 1999; Muter et Diethelm, 2001).

Selon Stanovitch (1992), la sensibilité phonologique englobe, sous des aspects divers, une série d’habiletés utilisées dans l’analyse des sons d’une langue. À un niveau élevé d’habiletés, la sensibilité phonologique se manifeste par l’analyse de petites unités sonores (phonèmes) rendant possible la manipulation des sons, par exemple, la segmentation phonémique ou le dénombrement de phonèmes. Par ailleurs, sur un plan plus superficiel, l’analyse porte sur des unités plus grandes (syllabes) et permet d’effectuer des manipulations plus générales, telles que la segmentation syllabique ou l’analyse des rimes. De façon similaire, Goswami (2000) et Laplante (1998) distinguent trois niveaux de sensibilité phonologique sous-lexicales, à savoir: le niveau syllabique, le niveau intrasyllabique et le niveau phonémique. Premièrement, la conscience syllabique se mesure par la capacité de l’enfant à détecter les syllabes qui constituent les mots. Deuxièmement, la conscience intrasyllabique se mesure par la capacité des enfants à détecter deux unités dans une syllabe. D’abord, il y a l’attaque, qui correspond à n’importe quel phonème qui vient avant la voyelle; il y a ensuite la rime qui correspond à la voyelle et à tout phonème qui vient après, soit le noyau et le coda. Troisièmement, la conscience phonémique représente les plus petites unités phonologiques d’un mot.

Pour les pédagogues, une question majeure est de savoir s’il y existe des liens précis entre les différents niveaux de la conscience phonologique et l’apprentissage de la lecture chez l’enfant. À la lumière des résultats de leur méta-analyse sur l’intervention sur la sensibilité phonologique, Bus et Van Ijzendoorn (1999) indiquent que les études ayant entraîné des enfants à développer une meilleure sensibilité phonologique ont obtenu des effets positifs sur les habiletés ultérieures en lecture. De plus, l’ampleur de l’effet est encore plus grand lorsque l’entraînement à la sensibilité phonologique est jumelé à un entraînement à la connaissance du nom et des sons des lettres (Badian, 1995, 1998; Lonigan, Burgess et Anthony, 2000; Schneider, Roth et Ennemoser, 2000; Vadasy, Jenkins et Pool, 2000; Walton, Walton et Felton, 2001). Ces études utilisent des protocoles expérimentaux ou quasi expérimentaux où la variable indépendante est réalisée dans des milieux très structurés et avec des professionnels d’expérience.

Vadasy et al. (2000) soulignent que ces situations expérimentales souvent très bien contrôlées ne sont pas toujours aisément reproductibles dans d’autres contextes. Dans une analyse de l’efficacité de cinq programmes de tutorat auprès d’élèves à risque, Wasik et Slavin (1993) concluent que les programmes qui ont recours à un personnel enseignant qualifié comme tuteur obtiennent de meilleurs résultats auprès des élèves. Cependant, les auteurs soulignent la difficulté d’établir des liens de causalité en relation avec la qualification des tuteurs, entre autres, en raison de la variété d’approches, de matériel et de la latitude laissée aux tuteurs dans leurs interactions avec les élèves.

Dans un contexte où l’on observe un nombre élevé d’élèves dans les classes, une grande variété de difficultés et une augmentation toujours croissante des tâches et des responsabilités attribuées à l’enseignant, les élèves à risque ne reçoivent pas toujours toute l’attention dont ils auraient besoin. Dans cette perspective, Vadasy et al. (2000) ont vérifié si des parents agissant comme tuteurs pouvaient assurer un entraînement à la sensibilité phonologique et à la connaissance des lettres auprès d’élèves à risque. Les résultats suggèrent qu’avec un entraînement et un minimum de supervision des tuteurs, les parents peuvent permettre à des élèves à risque d’améliorer leur sensibilité phonologique, leur connaissance de lettres et leurs résultats aux mesures standardisées en lecture. De plus, les coûts sont beaucoup moins élevés comparativement aux programmes qui utilisent du personnel enseignant qualifié. Cependant, pour faciliter les chances de réussite du programme, Wasik (1998) souligne l’importance de bien entraîner et superviser les tuteurs, d’utiliser un matériel de qualité et d’avoir une certaine continuité avec le travail effectué à l’école.

De l’avis de nombreux autres spécialistes et chercheurs, l’éducation par les parents paraît l’une des stratégies les plus efficaces avec les élèves en difficulté (Haskins, 1989; Pourtois et Desmet, 1997; Turnbull et Turnbull, 1990; Saint-Laurent, Giasson, Simard, Dionne et Royer, 1995). Plusieurs chercheurs qui ont analysé les mécanismes de partenariat soulignent que la valorisation des savoirs et savoir-faire réciproques constitue un atout pouvant permettre aux parents d’enfants handicapés ou «à risque» (Saint-Laurent et al., 1995) de trouver un soutien, de s’ouvrir à l’échange d’information et de tirer profit des expériences adaptées à leur questionnement ou à leurs incertitudes (Dunst et Paget, 1991; Crais, 1993; Bouchard, Pelchat, Boudreault, Lalonde-Graton, 1994; McWilliam, Young et Harville,1996; Boudreault, Kalubi, Sorel, Beaupré et Bouchard, 1998; Beaudoin, Simard, Turcotte et Turgeon, 2000; Sorel, Bouchard et Kalubi, 2000). Les questions de savoirs et de savoir-faire s’inscrivent avant tout dans une dynamique de pouvoir. Elles touchent aux principes théoriques de «l’appropriation» et de «l’autodétermination», émis par Dunst (1993, 1996), qui réservent une place de choix à l’engagement des parents et des proches dans les services destinés à leur enfant (Bouchard et al., 1996; Boudreault etBouchard, 1997; Christenson et Conoley, 1992; Heflinger, Bickman, Northrup et Sonnichsen,1997). Le rôle des parents dans la gestion du développement de leur enfant se trouve ainsi reconnu. Avec l’appropriation, l’accent est essentiellement mis sur le fait d’outiller chaque parent, de lui redonner confiance en ses propres ressources, d’identifier les soutiens disponibles pour sa famille, de valoriser ses compétences face au besoin de l’évaluation continue de l’enfant (Bouchard et al., 1996). Il importe donc d’explorer tous les moyens susceptibles de nourrir cette compétence, d’enrichir les savoirs et savoir-faire de façon à favoriser l’amélioration des performances de l’enfant. Le processus d’autodétermination des familles suscite d’autre part des interrogations sur la façon dont les parents vivent le soutien apporté, l’assimilent, et s’en servent dans leurs initiatives. En effet, dans le contexte actuel de communautarisation des services, les parents sont appelés à prendre leur place au centre des actions et des décisions.

Bref, l’engagement et la participation des parents dans le développement scolaire de leur enfant ne sont pas appelés à diminuer. Au contraire, si une plus grande place leur est accordée, il semble important d’intégrer leurs compétences à celles du personnel scolaire dans le but de maximiser les chances de réussite de leur enfant. Ainsi, la création d’un contexte favorisant les échanges, la formation et le soutien devrait générer des résultats prometteurs. En conséquence, l’hypothèse de recherche est qu’un programme d’intervention en lecture sur la connaissance du nom et des sons des lettres, impliquant les parents, améliore la connaissance des lettres et la sensibilité phonologique d’élèves à risque[1].

Méthodologie

Le plan de recherche est un protocole quasi expérimental en deux temps avec un groupe témoin. Il s’agit de la première phase d’un programme de recherche visant à réduire les risques de retards scolaires en lecture auprès d’élèves à risque. Le groupe expérimental reçoit tout le matériel pédagogique, un entraînement à l’apprentissage de la lecture et est supervisé par des assistantes de recherche en orthopédagogie, tandis que le groupe témoin ne reçoit que le matériel sans directive particulière.

Participants

Les participants ont été sélectionnés parmi 632 élèves de maternelle d’une même commission scolaire de la région de l’Outaouais québécois, identifiés en mai 2000 à l’aide de deux outils de dépistage ayant fait l’objet de plusieurs études sur la prédiction des retards scolaires (Cadieux et Boudreault, 2002; Boudreault, Laberge, Cadieux et Rodrigue, 1996; Cadieux, Boudreault, Laberge, 1997). Il s’agit du Test d’habileté scolaire Otis-Lennon (THSOL) (Otis et Lennon, 1981) de même qu’une liste de contrôle de sept items complétée par les enseignantes. Cette liste de contrôle a été élaborée à partir de signes qui prédisent efficacement les retards scolaires en lecture (Cadieux et Boudreault, 2002). Dans une étude de Cadieux et al. (1997), la valeur prédictive du THSOL en relation avec le rendement scolaire général est de 0,49 pour la première année et de 0,50 pour les deuxième et troisième années scolaires. De plus, Cadieux et Boudreault (2002) présentent les résultats de la validation de la liste de contrôle remplie par des enseignantes de maternelle permettant de prédire le rendement scolaire ultérieur en français (lecture et écriture) de leurs élèves. Les résultats indiquent des corrélations de 0,63 et de 0,66 entre le score total de la liste de contrôle et le rendement scolaire ultérieur respectivement en première et deuxième années.

Les scores du THSOL et de la liste de contrôle ont été fusionnés en un score unique, le poids accordé à chaque mesure étant pondéré en fonction de leur valeur prédictive découlant des études de validation précédentes[2]. La moyenne du score unique pour l’ensemble des élèves était de 76,85% (σ de 20,19%). Par ailleurs, une corrélation de 0,53 (p<0,001) entre le THSOL et la liste de contrôle indique que les instruments sont reliés l’un et l’autre. Une fois le score unique calculé, nous avons déterminé un seuil critique pour sélectionner les élèves à risque pour les fins du projet de recherche. Afin d’établir une règle pour déterminer ce score limite, nous nous sommes inspirés des statistiques du ministère de l’Éducation du Québec (Gouvernement du Québec, 2000) selon lesquelles le pourcentage d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage se situait à 13,2%, 13,6%, 13,8% pour 1995-1996, 1996-1997 et 1997-1998 en Outaouais. Compte tenu de la progression observée, nous avons retenu les 88 élèves ayant eu les scores les plus bas, soit 13,9% des élèves ayant complété les tests de dépistage. La moyenne de leur score final était de 45,58% (σ de 9,79%), soit 1,68 écart type sous la moyenne générale.

Après le décompte des parents qui ont accepté de participer pour toute la durée de l’expérimentation et pour lesquels des données complètes et valides ont été recueillies, le nombre final de participants a été de 70 élèves. Pour répartir les élèves dans les groupes expérimental (n = 39) et témoin (n = 31), les écoles ont été réparties de façon aléatoire dans l’un ou l’autre des groupes. Tous les élèves d’une même école se retrouvaient donc dans la même condition expérimentale.

La variable sexe. Le groupe expérimental se compose de 23 garçons et 16 filles tandis que le groupe témoin comprend 19 garçons et 12 filles. L’âge moyen des élèves est de 72 mois (σ= 4,1) et il n’y a pas de différence statistiquement significative (F (1,69) = 1,78; n.s.) entre les élèves du groupe expérimental et témoin. Concernant le niveau socioéconomique, c’est à partir de l’emploi du père ou du niveau d’éducation des parents qu’un indice a été rapporté sur une échelle de mesure en cinq points: 1) sans emploi ou sans diplôme; 2) emploi manuel, journalier ou diplôme du secondaire ou professionnel; 3) emploi technique ou diplôme du cégep; 4) professionnel ou diplôme universitaire de premier cycle; 5) cadre supérieur ou diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle). Les résultats indiquent que le niveau socioéconomique était généralement faible (x̄ = 2,1; σ= 0,9); les résultats n’indiquaient pas de différence significative entre les élèves du groupe expérimental et témoin (F (1,69) = 1,02; n.s.). Environ 70% des élèves provenaient de la ville et 30% de milieu rural. Enfin, aucun élève n’avait reçu d’enseignement formel en lecture et la plupart (97,1%) effectuaient leur maternelle pour la première fois.

La variable langue maternelle. Cinquante-trois élèves utilisaient le français, alors que 17 avaient une autre langue d’origine (anglaise, espagnole, arabe). Les élèves dont la langue maternelle n’était pas le français se répartissaient de façon à peu près égale entre les groupes expérimental (n=8) et témoin (n=9); un test de khi carré n’a révélé aucune différence significative entre les deux groupes (χ2 =0,68; n.s.).

Variables dépendantes

Connaissance du nom et des sons des lettres majuscules et minuscules

Une procédure inspirée de Brodeur (1996) a été appliquée pour évaluer le nom et les sons des lettres majuscules et minuscules. Dans ce test, l’examinateur montre une lettre à la fois (les autres étant cachées avec un morceau de papier) en caractère standard Palatino de 18 points et donne la consigne suivante : « Dis le nom de cette lettre, puis dis le son qu’elle fait.» Les 26 lettres majuscules et les 26 lettres minuscules sont présentées de façon aléatoire ; le test débute avec les lettres majuscules et se termine avec les lettres minuscules. L’ordre des lettres est le même entre les majuscules et les minuscules. Ce test donne donc un score variant de 0 à 26 pour chacune de quatre catégories, à savoir le nom des lettres majuscules, le son des lettres majuscules, le nom des lettres minuscules et le son des lettres minuscules. Pour le son de certaines lettres, plusieurs réponses étaient considérées bonnes (par exemple, pour la lettre « e », les sons [e], [ə], [ɛ] étaient jugés réussis). Une analyse de la cohérence interne de chaque catégorie indique des coefficients alpha de Cronbach variant de 0,82 à 0,86.

Sensibilité phonologique

La sensibilité phonologique a été évaluée à l’aide du Test d’analyse auditive en français (TAAF) proposé par Rosner et Simon (1971), traduit et adapté par Gignac (1997) avec la collaboration de P. Cormier, professeur à l’Université de Moncton. Il s’agit d’un test administré exclusivement à l’oral où l’élève est amené à faire un jeu avec des sons. De façon générale, le test consistait à faire répéter un mot par l’enfant puis à lui demander de le redire sans dire un son en particulier (omission d’une syllabe ou d’un phonème). Par exemple, l’examinateur demandait à l’enfant de répéter le mot « voler » puis, après la réponse de l’enfant, il lui demandait de le dire encore, mais sans dire le « er ». Ainsi, l’enfant devait répondre « vol » pour réussir à l’item. Le test était divisé en huit catégories pour lesquelles l’élève devait redire un mot en éliminant une syllabe ou un phonème en début, au milieu ou en fin de mot. Pour les catégories 1, 2 et 7, l’élève devait omettre la syllabe de la fin, du début et du milieu d’un mot, respectivement. Pour la catégorie 3, l’élève devait omettre le phonème à la fin d’un mot. Pour les catégories 4 et 5, l’élève devait omettre le phonème placé au début du mot. Pour la catégorie 6, il devait omettre un phonème placé immédiatement après le premier phonème. Enfin, pour la catégorie 8, il devait omettre un phonème placé au milieu d’un mot (après le deuxième ou le troisième phonème). Le test prenait fin lorsque deux catégories consécutives étaient des échecs complets. Chaque catégorie comprenait huit items et les scores variaient de 0 à 8. Un score total a été calculé en effectuant la moyenne des huit catégories.

Une analyse de la cohérence interne pour chaque catégorie indique des coefficients alpha de Cronbach de 0,77 à 0,83. Ces résultats sont sensiblement similaires à ceux obtenus par Cormier, MacDonald, Grandmaison et Ouellette-Lebel (1995) qui ont validé une version similaire du TAAF. Dans leur étude, les coefficients alpha de Cronbach variaient de 0,68 à 0,91. Quant à la validité, Cormier et al. (1995) obtiennent des liens statistiquement significatifs entre le TAAF et la performance à des sous-tests de lecture et d’orthographe, ce qui correspond aux études sur les relations entre la sensibilité phonologique et la performance scolaire (Blachman, 2000).

Variable indépendante

La variable indépendante concerne la formation des parents à intervenir auprès de leur enfant pour la lecture des lettres. Le matériel comprend un abécédaire de la collection Héritage Jeunesse (1995) qui présente 179 mots accompagnés d’une illustration et d’une brève définition. Le livre Mon premier abécédaire en autocollants se divise en ordre alphabétique selon les premières lettres des mots. Les 26 lettres de l’alphabet sont utilisées pour illustrer au moins un mot commençant par l’une des 26 lettres (x̄ = 6,9 mots par lettre ; σ = 5,7). À titre d’exemple, les mots commençant par les lettres « a », « b », « c », « l », « p », « r », « s » et « t » ont neuf illustrations et plus, tandis que les autres mots, débutant par les autres lettres, ont entre une et six illustrations. Chaque mot est accompagné d’une brève définition et d’un auto-collant que l’enfant peut placer aux endroits appropriés.

L’intervention débute par une explication du matériel au parent et de la façon de l’utiliser avec son enfant par une assistante de recherche. Lors de la première rencontre, les parents sont sensibilisés à l’importance de la connaissance du nom et des sons des lettres au début de l’apprentissage de la lecture. Les parents sont invités à intervenir à cinq reprises par semaine pendant cinq à dix minutes à chaque fois, et ce, dans un contexte favorable à la lecture comme avant la période des repas ou le soir avant le coucher. Ce contexte doit être le plus calme possible et se présenter comme une période de jeu entre le parent et son enfant. Lors de la lecture, le parent pointe une lettre (la « lettre du jour »), la lit, puis demande à son enfant de la lire avec lui. Ensuite, le parent demande à l’enfant quel son fait cette lettre et donne la réponse si l’enfant prend plus de quatre secondes pour répondre. Comme l’abécédaire est construit de manière visuelle, chaque mot débutant par la lettre du jour est accompagné d’une image commençant par cette lettre et d’une brève définition. L’enfant est amené à découvrir le mot à l’aide de tous les éléments contextuels. Ainsi, le parent demande à l’enfant de lire le mot avec lui. Enfin, le parent demande à l’enfant de lui indiquer du doigt chaque fois que la « lettre du jour » apparaît dans les mots de la définition qui accompagne le mot et la lettre. Ainsi, l’enfant a l’occasion de repérer la lettre dans des mots puis de répéter de nouveau le nom et le son de la lettre. Le parent encourage et félicite son enfant à chaque réussite. À la fin de la période de lecture, l’enfant peut s’amuser avec des autocollants fournis avec l’abécédaire, entre autres, pour indiquer les mots qu’il a lus.

Déroulement

Au mois de mai 2000, huit assistantes de recherche ont été formées à l’administration du THSOL de même que des tests sur la connaissance des lettres et la sensibilité phonologique. De ce nombre, quatre assistantes de recherche inscrites au programme de baccalauréat en orthopédagogie ont reçu un entraînement pour former et superviser le travail des parents en matière de stimulation à la lecture du nom et des sons des lettres auprès de leur enfant. Le modèle d’intervention s’est inspiré des principes et des travaux de Topping (1995) sur la lecture jumelée parent-enfant. L’entraînement des assistantes s’est effectué en deux temps. Un premier bloc de deux heures a été consacré à l’explication et à l’apprentissage du matériel et des simulations en groupe de deux assistantes. Puis, un deuxième bloc de deux heures a été consacré à la maîtrise du contenu et aux interactions avec les parents. Ce bloc s’est terminé avec des séances de simulations complètes, c’est-à-dire du rendez-vous téléphonique jusqu’à la fin de la séance d’entraînement avec le parent. À la suite de ces quatre heures de formation, les assistantes ont eu une maîtrise suffisante des particularités de l’intervention parentale.

Après leur entraînement, les quatre assistantes de recherche ont rencontré tous les parents et leur enfant en juin et en août 2000 pour l’évaluation des variables dépendantes. De plus, les parents du groupe expérimental et leur enfant ont reçu l’entraînement (variable indépendante) en juin, suivi d’une autre rencontre au début de l’été pour discuter des progrès et vérifier la démarche entre le parent et son enfant. Des appels téléphoniques ont été faits régulièrement pour vérifier le déroulement de l’expérience. Lors de la rencontre pour le post-test, une brève entrevue avec le parent a permis d’évaluer l’ampleur du travail effectué par son enfant pendant la durée du traitement, entre autres, à l’aide du nombre d’autocollants placés aux bons endroits. Les parents du groupe témoin n’ont pas reçu de soutien systématique de la part du personnel de recherche. Ils ont reçu le matériel pédagogique (abécédaire), mais sans entraînement particulier, ni rappel ou supervision au cours de l’été.

Résultats

Le tableau 1 présente les moyennes (x̄), les écarts types (σ) et les analyses de variance des scores obtenus aux tests sur la connaissance des lettres et la sensibilité phonologique.

Tableau 1

Moyennes, écarts types et analyse de la variance des scores sur la connaissance des lettres et la sensibilité phonologique

Moyennes, écarts types et analyse de la variance des scores sur la connaissance des lettres et la sensibilité phonologique

Note : Score variant de 0 à 26 (connaissance des lettres) et de 0 à 8 (sensibilité phonologique).

*

p < 0,05 ;

**

p < 0,01 ;

***

p < 0,001.

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Connaissance des lettres

Pour l’apprentissage du nom et des sons des lettres, les résultats indiquent que les groupes expérimental et témoin ont réalisé des gains statistiquement significatifs pour les lettres majuscules et minuscules. Même si les gains réalisés sont un peu plus élevés pour le groupe expérimental, les résultats n’indiquent aucune différence statistiquement significative entre le groupe expérimental et le groupe témoin.

Les résultats suggèrent que peu importe la présence ou non d’une formation et d’un soutien à l’enseignement individualisé entre le parent et son enfant sur la connaissance des lettres, les participants obtiennent des scores statistiquement plus élevés entre le prétest et le post-test. Ainsi, comme le groupe expérimental n’a pas été significativement plus avantagé que le groupe témoin, les résultats montrent que les changements observés sont dus à d’autres facteurs que l’introduction de la variable indépendante.

Les résultats vont dans le sens de ceux de Vadasy et al. (2000) qui ont entraîné huit parents pour enseigner, entre autres, la lecture du nom et des sons des lettres à 23 enfants de première année à risque de difficultés en lecture. Les résultats indiquent que les élèves ont réalisé certains gains, mais les résultats de neuf mesures sur 10 n’ont pu être attribués de façon significative au groupe expérimental. Ces résultats sont semblables à ceux de Schneider, Roth et Ennemoser (2000) qui ont réparti 138 élèves de maternelle à risque selon trois conditions expérimentales, soit un entraînement aux sons des lettres, un entraînement à la conscience phonologique ou une combinaison des deux précédentes. Les enseignantes de maternelle agissaient à titre d’expérimentatrices. Les résultats ont révélé que toutes les conditions expérimentales ont été efficaces auprès des élèves à risque, la combinaison de l’entraînement aux sons des lettres et à la conscience phonologique ayant produit les effets les plus élevés sur les habiletés en lecture et en épellation pour les élèves de première et de deuxième années. Cependant, les gains réalisés dans les trois conditions expérimentales n’ont pas surpassé ceux du groupe témoin. Par ailleurs, comme le groupe témoin était composé d’élèves sans difficulté plutôt que d’élèves à risque, il s’avère difficile de se prononcer sur la signification des effets de l’intervention.

Par ailleurs, ces résultats sont différents de ceux obtenus par Fugate (1997). Ce dernier a entraîné des enfants de première année à la lecture des lettres à l’aide d’étudiants diplômés comme expérimentateurs. Les enfants bénéficiant de cet entraînement avaient obtenu des scores statistiquement plus élevés pour la vitesse de lecture des lettres comparativement à un groupe témoin sans entraînement spécifique. Il se peut que l’âge et les caractéristiques des participants soient des variables à considérer dans ce cas-ci. En effet, les participants de la présente étude n’avaient pas été soumis encore à un enseignement formel de la lecture, ni à des expériences d’apprentissages scolaires. De plus, Fugate (1997) avait réalisé son expérimentation avec des élèves sans difficulté alors que la présente étude s’adressait à des élèves à risque. Les caractéristiques des élèves sans difficulté, telles que l’attention ou la capacité de mémorisation, sont des éléments qui peuvent varier entre les élèves à risque et les élèves sans difficulté.

Dans cette recherche, tous les élèves ont reçu le même abécédaire, la variable indépendante relevant de la formation et de la supervision des parents. Comme le soulignent Murray, Stahl et Ivey (1996), il est possible que le simple fait d’être en présence d’un abécédaire ait été responsable d’une partie des gains obtenus dans les deux groupes. Les recherches futures pourraient considérer ce facteur d’une façon particulière en introduisant un autre groupe témoin sans aucune forme d’intervention, ni matériel particulier.

D’autres facteurs peuvent aussi expliquer les résultats concernant la connaissance du nom et des sons des lettres. En effet, avec la réforme de la politique de l’adaptation scolaire au Québec, de plus en plus d’écoles se montrent préoccupées par les questions de dépistage et d’intervention précoce. En étant rapidement identifiés, les élèves de maternelle à risque ainsi que leurs parents reçoivent une attention particulière, entre autres, sur la sensibilisation à la connaissance des lettres. Des informations et conseils sont transmis aux parents afin de les inciter à stimuler leur enfant de maternelle aux lettres de l’alphabet pour mieux préparer ce dernier aux apprentissages scolaires de la première année du primaire. Selon Dunst (1996), cette situation peut avoir favorisé une meilleure appropriation des conditions favorables au cheminement scolaire de l’enfant par les parents.

Dans cette étude, nous avons utilisé un abécédaire commercial facilement accessible sur le marché. Ce matériel, comme d’autres qui mettent l’accent sur la reconnaissance des lettres, stimule et aide les enfants à reconnaître les lettres de l’alphabet. La décision de donner le même abécédaire à tous les enfants de l’étude visait à contrôler, en partie, l’effet Hawthorne selon lequel les sujets qui participent à une expérience modifient leur comportement de façon à mieux performer parce qu’ils ont été « choisis » ou qu’on leur a donné du matériel. Lors du post-test, la plupart des élèves du groupe témoin s’étaient amusés avec leur abécédaire, entre autres, en plaçant des autocollants (fournis avec l’abécédaire) à côté de l’image correspondant à la première lettre de l’image en question. Ainsi, d’une certaine façon, tous les enfants ont été exposés aux lettres, du moins à leur apparence graphique. De plus, certains parents des élèves du groupe témoin ont lu et se sont amusés avec leur enfant sans pour autant recevoir la formation et le soutien offert aux parents du groupe expérimental. Les recherches ultérieures devraient contrôler le type d’interactions entre le parent, l’élève et le matériel afin de mieux préciser les conditions qui favorisent des apprentissages significatifs sur la connaissance du nom et des sons des lettres.

Par ailleurs, on ne peut affirmer que le simple fait de recevoir du matériel suffit à régler la question de la connaissance des lettres auprès d’élèves à risque. En effet, bien que les gains réalisés aient été tous statistiquement significatifs, la quantité de lettres acquises (nom et sons) variait, en moyenne, de 3,5 à 4. Compte tenu du niveau de base qui se situait à un peu plus de la moitié de l’alphabet pour le nom et seulement un cinquième de l’alphabet pour les sons, il y a beaucoup de place pour réaliser des apprentissages supplémentaires, surtout pour les sons des lettres. Enfin, comme l’entraînement a duré environ deux mois, en pleine période estivale, on ne peut admettre que cela soit suffisant pour des élèves à risque. Une intervention plus précoce en cours d’année scolaire aurait été davantage profitable pour les élèves.

Sensibilité phonologique

Au regard du développement de la sensibilité phonologique, les résultats indiquent que les sujets du groupe expérimental ont réalisé des gains statistiquement significatifs pour les huit catégories du TAAF, tandis que les élèves du groupe témoin n’ont pas obtenu de gains significatifs à l’une ou l’autre des catégories mesurées. Par ailleurs, si on prend la moyenne globale des huit catégories, les résultats indiquent que les sujets du groupe expérimental ont réalisé des gains statistiquement plus élevés que les sujets du groupe témoin. Plus spécifiquement, les résultats font ressortir une différence significative en faveur du traitement pour la catégorie 1 (omission de la syllabe finale : F (1,69) = 14,33 ; p < 0,001), la catégorie 2 (omission de la syllabe initiale : F (1,69) = 11,68 ; p < 0,001), la catégorie 5 (omission du phonème initial : F (1,69) = 4,08 ; p < 0,05) et la catégorie 7 (omission de la syllabe centrale : F (1,69) = 4,38; p < 0,05).

Les résultats suggèrent que les parents qui ont reçu un entraînement à l’enseignement individualisé sur la connaissance des lettres ont permis à leur enfant de développer une meilleure sensibilité phonologique comparativement aux élèves dont les parents n’ont pas reçu une telle formation. De plus, contrairement aux résultats des effets de l’intervention sur la connaissance des lettres, les changements observés chez le groupe expérimental sont statistiquement plus élevés que ceux du groupe témoin. Ces résultats indiquent que l’amélioration de la sensibilité phonologique serait attribuable à l’intervention mise en place. En effet, les élèves du groupe expérimental ont réalisé des gains statistiquement significatifs comparativement au groupe témoin de façon globale et pour la moitié des catégories mesurées (catégories 1, 2, 5 et 7).

Ces résultats vont dans le même sens que les recherches antérieures (Murray et al., 1996 ; Schneider et al., 2000 ; Vadasy et al., 2000). Murray et al. (1996) ont exposé des enfants à différents livres, dont des abécédaires, des livres sur le nom des lettres et des livres d’histoires. En mesurant les effets de ces expositions, les mesures de la conscience phonologique étaient plus élevées chez les élèves ayant été exposés aux abécédaires. Le fait d’avoir fourni un matériel où des illustrations accompagnent chacune des lettres a permis à l’enfant d’associer une lettre avec un stimulus signifiant, mais aussi d’y associer un son, car nous avons pris la peine de demander aux parents de mettre l’accent sur cet aspect. Les résultats peuvent être attribuables au fait que les élèves ont appris les sons des lettres, mais toujours en position initiale de mots signifiants. La répétition du son des lettres pour le premier phonème d’un mot leur a permis de développer une sensibilité phonologique accrue comparativement aux élèves du groupe témoin comme le suggèrent, entre autres, les résultats aux catégories 2 et 5 qui concernent la sensibilité phonologique mesurée par l’omission de syllabes ou de phonèmes en position initiale.

Par ailleurs, Schneider et al. (2000) ont obtenu des gains plus élevés pour la conscience phonologique en jumelant à la fois un entraînement à la connaissance des lettres et un entraînement à la conscience phonologique. Schneider et al. (2000) font remarquer qu’en répétant le son que fait la lettre dans un mot, l’enfant a pu étirer le son de la première lettre. Par exemple, en présence de la lettre « a » et d’une illustration représentant un avion, l’enfant peut répéter le mot en disant « aaaaaa-vion » ce qui permet à l’enfant d’enregistrer, ou même d’exagérer, un son associé à la première lettre du mot. Ce comportement peut l’amener à prendre conscience que les mots sont formés de plusieurs associations de lettres et de sons différents, associations qui s’enchaînent les unes avec les autres pour former des mots signifiants. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un entraînement systématique à la segmentation phonémique, l’enfant peut avoir réalisé des apprentissages qui ne sont pas incompatibles avec un entraînement spécifique portant sur la conscience phonologique.

Conclusion

Cette étude avait pour but de vérifier si une intervention précoce visant l’apprentissage du nom et des sons des lettres, dans le contexte d’un enseignement individualisé impliquant le parent et son enfant, améliore la connaissance du nom et des sons des lettres de même que la sensibilité phonologique. Les résultats suggèrent que l’entraînement et la supervision de parents à l’intervention à la lecture du nom et des sons des lettres auprès de leur enfant aident ce dernier à développer une meilleure sensibilité phonologique, mais ne l’aident pas à développer une meilleure connaissance des lettres, comparativement aux enfants de parents n’ayant pas bénéficié de l’entraînement.

Même si plusieurs résultats ont été statistiquement significatifs, il faut se questionner sur leur valeur éducative. Les élèves sélectionnés étaient tous des élèves à risque, entre autres, des élèves qui avaient des lacunes langagières importantes. La durée de l’intervention a été plutôt courte et s’est déroulée en pleine période estivale. Il s’avère intéressant de souligner qu’en dépit de ces circonstances, les élèves ont obtenu des gains significatifs sur le plan statistique. Cependant, pour assurer des gains éducationnellement signifiants, il aurait été préférable de commencer l’entraînement beaucoup plus tôt afin de profiter de l’encadrement scolaire et d’un temps plus long.

Les implications pratiques de cette étude sont liées aux effets bénéfiques de l’engagement des parents relatif à la stimulation de leur enfant aux lettres de l’alphabet, notamment aux sons, en ce qui concerne le développement de la sensibilité phonologique. Comme la sensibilité phonologique est fortement reliée aux habiletés en lecture, l’amélioration de cette aptitude a pour effet de mieux préparer l’enfant à risque, qui fréquente la maternelle, aux apprentissages du premier cycle du primaire. Le fait de posséder un abécédaire a contribué sans aucun doute aux succès obtenus. De nombreux commentaires de parents et d’enfants indiquaient que le matériel était intéressant et stimulant. De plus, lorsque ce matériel est jumelé à un entraînement qui porte particulièrement sur le nom et les sons des lettres, cette situation assure un meilleur développement des habiletés phonologiques.

Par ailleurs, cette étude comporte des limites sur certains plans. Par exemple, il s’avère difficile, voire impossible selon Vadasy et al. (2000), de contrôler parfaitement l’encadrement que les parents ont donné à leur enfant au cours de la période d’expérimentation. Les personnes qui assuraient la supervision des parents étaient tenues d’insister sur la fréquence des périodes de lecture. Certains parents avaient parfois de la difficulté à intégrer la période de lecture à leur horaire. Lorsqu’une telle situation se présentait, une discussion avec l’assistante de recherche permettait de clarifier la situation et de trouver un moment dans la journée pour effectuer une séance de lecture. Le seul contrôle de la fréquence et de la durée des séances de lecture s’effectuait lorsque l’assistante de recherche appelait ou rendait visite au parent pour s’informer du déroulement de l’expérimentation. Ainsi, la fréquence et la durée des séances de lecture n’ont pu faire l’objet d’un contrôle strict. Même si nous avons constaté que les enfants du groupe expérimental ont placé pratiquement tous les autocollants aux bons endroits, cela ne signifie pas nécessairement que le parent et l’enfant ont passé du temps ensemble pour des séances de lecture comme cela avait été proposé. Certains parents ont dit avoir acheté des livres à leur enfant en voyant son intérêt pour la lecture. Cette situation, heureuse en soi, peut avoir eu des effets positifs qui sont difficiles à contrôler.

D’autres facteurs limitent la généralisation des résultats. De façon générale, il subsiste un effet plancher concernant les résultats obtenus aux cinq dernières catégories du test d’analyse auditive en français. En effet, à l’exception des deux ou trois premières catégories, les moyennes sont passablement faibles au prétest, ce qui fait en sorte que les résultats au post-test ne peuvent être que plus élevés. Il faut donc poursuivre les recherches afin de mieux adapter les outils de mesure aux caractéristiques des élèves à risque.

Enfin, il importe de mentionner que cette étude n’a abordé que les effets à court terme d’une intervention, et ce, de façon quantitative. Une analyse qualitative des réponses des participants (nature et nombre des erreurs ou des réussites), débordant du cadre de cet article, ferait facilement l’objet d’une autre publication. Quant aux questions que soulèvent les effets à moyen et long termes, ces dernières sont importantes si l’on souhaite évaluer les retombées dans une perspective longitudinale à la suite des premières années de fréquentation scolaire. Hiebert et Taylor (2000) soulignent que la plupart des programmes d’intervention précoce obtiennent des effets positifs à court terme ; mais ces effets ne se maintiennent pas au fil des ans. De plus, ces auteurs considèrent que ce genre d’intervention précoce n’est pas une assurance automatique que l’élève apprendra des stratégies de lecture efficaces au cours des premières années de scolarisation. Cependant, les élèves à risque qui bénéficient d’une aide précoce en lecture sont mieux préparés ou plus réceptifs aux apprentissages et aux interventions éducatives en début de scolarisation. Il importe donc d’assurer un suivi étroit auprès des élèves à risque afin de mieux les accompagner au fur et à mesure de leur cheminement scolaire et d’éviter, dans toute la mesure du possible, l’accumulation de retards scolaires.

Compte tenu de ces limites, la question de la généralisation de ce type d’intervention dans le présent contexte scolaire et social est-elle souhaitable ? Nous répondons par l’affirmative, mais demeurons prudents face à l’ampleur des effets. Cette étude indique que la collaboration des parents au début du processus d’apprentissage de la lecture comporte des effets positifs pour la connaissance des lettres et la sensibilité phonologique de leur enfant. Il ne faut pas oublier que tous les parents de ce projet étaient consentants, à la fois pour les tests de dépistage et pour leur participation au projet de recherche comme tel. Nos observations portent à croire que des facteurs tels que l’information, la sensibilisation à la lecture, la valorisation du rôle des parents face à l’apprentissage de la lecture chez l’enfant ont contribué en partie au succès de l’intervention. Pour plusieurs parents, les séances de lecture exigeaient beaucoup d’organisation dans leur propre train de vie quotidien. Le fait d’accompagner les parents dans leurs efforts, d’échanger et de résoudre des difficultés d’organisation a certes facilité le déroulement de l’intervention, mais nous doutons que nos interventions soient efficaces pour tous les parents d’enfants à risque. Par ailleurs, sans tomber dans le piège uniquement normatif, nous croyons que tous peuvent bénéficier, à leur façon, d’une intervention de cette nature.