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1. Introduction et problématique

En France, la Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février de 2005 atteste de la volonté politique de scolariser les élèves en situation de handicap dans le milieu scolaire ordinaire et pas seulement dans un milieu spécialisé. (Nous avons choisi cette désignation « élève en situation de handicap » pour indiquer l’élève qui est reconnu comme étant handicapé par l’institution scolaire, par le biais de la Maison départementale des personnes handicapées. Cette expression nous permet de ne pas focaliser sur les troubles et de mettre en avant le caractère social du handicap par le biais de la notion de situation.) Depuis, cette politique a été réaffirmée dans le cadre de la Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013 qui affirme dans l’un de ses articles que le service public d’éducation « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction ». Cette politique française se place dans un mouvement international marqué par la Déclaration de Salamanque et cadre d’action pour l’éducation et les besoins spéciaux de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture-UNESCO en 1994 qui réaffirme le droit d’une éducation pour tous.

Ces choix politiques posent un certain nombre de défis aux acteurs chargés de leur mise en oeuvre comme le montrent un certain nombre de rapports officiels de bilan de la loi de 2005. Par exemple, le rapport Blanc (2011) indique qu’il y a des « avancées réelles » dans la scolarisation des élèves handicapés en milieu scolaire ordinaire du point de vue quantitatif, mais que cela crée des difficultés aux acteurs. En particulier, les enseignants se disent favorables à cet accueil, mais ils affirment aussi pouvoir se sentir démunis et ne pas savoir comment agir face à des élèves dont ils ne connaissent pas les troubles. Ce rapport insiste sur l’importance de la formation des enseignants, ce qui est corroboré par des rapports postérieurs (Campion et Debré, 2012 ; Inspection générale de l’éducation nationale, 2012 ; Inspection générale des affaires sociales, 2012). Les acteurs, et notamment les enseignants, leur travail, leurs difficultés face à l’inclusion scolaire apparaissent comme des éléments essentiels à prendre en compte non seulement par l’institution scolaire mais aussi par la recherche.

Depuis un certain nombre d’années, des travaux de recherche se sont intéressés à la question de la scolarisation des élèves en situation de handicap à partir de points de vue différents. Un ouvrage de synthèse (Gardou, 2014) intitulé Handicap, une encyclopédie des savoirs recense un nombre important de savoirs à propos du handicap à partir de domaines très variés dont la sociologie, l’anthropologie, la psychologie, les sciences médicales, les sciences du langage, la philosophie, les sciences de l’information et de la communication. Les savoirs des sciences de l’éducation sont présents autour de questions sur l’éducabilité et la notion d’inclusion (Gardou et Plaisance, 2014). Dans cette encyclopédie, peu de savoirs sont présentés sur les pratiques des acteurs impliqués dans l’inclusion scolaire, notamment les enseignants. Notre travail se place dans cette perspective et contribue au développement de recherches sur les pratiques et les savoirs des enseignants face à l’accueil d’élèves en situation ordinaire dans des classes ordinaires. Que disent les recherches à ce propos ?

Dans une synthèse faisant un état des lieux européen sur les perceptions des enseignants face aux changements induits par l’inclusion scolaire, Mazereau (2008) montre une dualité dans les positionnements professionnels. D’une part, les enseignants se disent plutôt favorables à la scolarisation des élèves handicapés puisqu’elle permet notamment leur socialisation. D’autre part, un certain nombre de résistances apparaissent aussi dans les discours des enseignants, notamment en lien avec la peur de ne pas savoir faire face à ces situations, aux contraintes induites, à la gestion de l’hétérogénéité des apprentissages et aux adaptations nécessaires. Dans ce travail, le besoin de formation est aussi évoqué pour pouvoir faire face à la diversité du public accueilli dans les classes.

D’autres recherches ont été menées, à partir d’entretiens et de questionnaires, sur les représentations (ou perceptions) des enseignants à propos de leurs pratiques déclarées. Certaines d’entre elles se sont intéressées aux adaptations pédagogiques et ont établi une typologie des aides pédagogiques (Gombert, Feuilladieu, Gilles et Roussey, 2008), comme les gestes de guidance des enseignants face à des élèves ayant des troubles de communication orale et écrite (Odier-Guedj et Gombert, 2012). La question de la généricité/spécificité de ces gestes a été étudiée par Dunand et Feuilladieu (2014) qui montrent que les enseignants peuvent utiliser des gestes génériques du métier avec des élèves handicapés en les adaptant et, inversement, que certains gestes spécifiques destinés aux élèves handicapés peuvent être, par la suite, mis en place pour d’autres élèves.

D’autres travaux sur les pratiques essaient de trouver des pratiques pédagogiques qui ont fait leurs « preuves », par exemple le tutorat ou l’enseignement de stratégies cognitives (Tremblay, 2012). Il s’agit de changements professionnels qui tiennent compte d’une triple exigence relative à trois contextes : le contexte social, le contexte personnel et le contexte épistémique (Feuilladieu, Gombert et Assude, 2015).

Cette dimension contextuelle a été aussi abordée à travers les relations entre les différents partenaires de la communauté éducative. Les modalités d’organisation du partenariat dépendent fortement des structures des systèmes éducatifs, comme le montrent des comparaisons internationales (Armstrong, Armstrong et Barton, 2000 ; Medeghini et D’Alessio, 2012). Elle peuvent se situer sur un continuum allant d’une logique de filières séparées à une logique de partenaires complémentaires en fonction des besoins de l’élève (Chauvière, 2012 ; Plaisance, 2009). Par exemple, Emery (2014, 2016), dans une recherche sur les coopérations multiprofessionnelles dans l’enseignement spécialisé dans le canton de Genève, met en évidence les obstacles de ces coopérations liés aux différentes cultures professionnelles et à la prédominance du médical et du psychologique.

La question des pratiques en lien avec les obstacles d’apprentissage est le point de départ d’un certain nombre de travaux en anglais (par exemple, Ainscow, Booth et Dyson, 2004). Ces auteurs s’intéressent aussi aux leviers favorisant le développement de pratiques inclusives : l’un de ces leviers est l’appui sur les pratiques existantes; un autre est celui des collaborations mises en place entre chercheurs et enseignants, dans le cadre d’une approche nommée « collaborative inquiry ». Ils montrent que le développement de pratiques inclusives est associé à un processus d’apprentissage social lié à des contextes particuliers (notamment les établissements scolaires) en tenant compte des contraintes et des ressources existantes.

Une méta-étude (méta-analyse et méta-synthèse) pilotée par Rousseau, Point et Vienneau (2014) présente les résultats d’un ensemble de travaux anglophones et francophones sur les conditions favorables et défavorables à l’inclusion scolaire. Nous retenons de cette étude que ce n’est pas le modèle pédagogique qui est décisif, mais que la tendance vers l’inclusion scolaire dépend d’un ensemble de facteurs contextuels, par exemple l’importance de l’engagement de toute la communauté éducative, du travail de coopération entre tous les pairs et tous les acteurs, de l’organisation scolaire, des pratiques pédagogiques et la posture de l’enseignant. Dans cette étude, des conditions défavorables sont aussi identifiées, comme le manque de flexibilité des pratiques et des organisations, ou la centration sur la compétition, les évaluations et le curriculum.

Par ailleurs, au niveau des classes, les coopérations entre enseignants et autres acteurs (notamment les auxiliaires de vie scolaire) ne sont pas simples à mettre en oeuvre, car les territoires, les responsabilités de chacun ne sont pas toujours bien délimités (Toullec-Théry et Brissiaud, 2012 ; Nédélec-Trohel, Joffredo-Lebrun et Magnen, 2012). Le manque d’espaces de parole peut être un obstacle pour cette coopération. La difficulté peut venir aussi des cultures professionnelles existantes. Par exemple, dans le cas de l’enseignement secondaire, le cloisonnement disciplinaire est une difficulté et la mise en place de collaborations interprofessionnelles dans le cadre de formations continues peut être un facteur de développement de pratiques inclusives (Bergeron et Granger, 2016). Dans une étude récente, Guirimand et Mazereau (2016) analysent les effets de la politique d’inclusion en mettant en évidence les normes contradictoires (inclure, mais aussi sélectionner) auxquelles les enseignants sont confrontés et montrent les enjeux du développement des compétences coopératives. Ce résultat se trouve aussi dans des recherches européennes en anglais, qui montrent la nécessité de collaborations avec une communauté élargie (Ainscow, Booth, et Dyson, 2004 ; Florian, 1998).

Certaines expériences vont dans ce sens en mettant en place des espaces coopératifs de co-construction de savoirs professionnels entre acteurs différents (enseignants, mais aussi les chercheurs) à partir d’autoconfrontations et de co-analyses d’activité (Grimaud et Saujat, 2012 ; Suau, 2016). La mise en place de la politique d’inclusion apparait comme un levier pour transformer les pratiques des enseignants qui se confrontent à des situations inédites, mais qui ne sont pas spécifiques à l’accueil des élèves handicapés : c’est la question plus générale de la prise en charge de la diversité du public dans une classe (Plaisance, 2009).

Une autre question essentielle pour les enseignants est celle de créer les conditions pour que l’enfant devienne un élève à part entière, en particulier pour les élèves en situation de handicap. Le problème professionnel de l’enseignant est celui de faire en sorte que l’enfant puisse prendre sa place d’élève. La dimension de socialisation étant essentielle, mais pas suffisante, l’une des conditions est de permettre aux élèves d’avoir accès aux savoirs et aux oeuvres humaines qui font partie du patrimoine de l’humanité. C’est une question d’accessibilité didactique.

Dans l’ouvrage édité par Zaffran (2015), plusieurs chercheurs (Assude, Perez, Suau et Tambone, 2015 ; Blanc, 2015 ; Bovin et Rosenstein, 2015 ; Ebersold, 2015 ; Plaisance, 2015) s’intéressent à l’accessibilité, qui est l’un des piliers de la loi de 2005 en France. Dans un premier temps, cette question a été abordée en termes d’accessibilité matérielle (aux bâtiments, entre autres). Ensuite, la notion d’accessibilité s’est élargie en tant qu’accessibilité à la culture, accessibilité à un métier ou encore accessibilité à l’éducation (pédagogique) et accessibilité aux savoirs (didactique).

Notre travail se place dans cet espace de l’étude des pratiques des enseignants face à l’inclusion d’élèves en situation de handicap dans les classes ordinaires, plus particulièrement en lien avec l’accessibilité didactique. Notre recherche s’intéresse à la question suivante : quelles sont les praxéologies inclusives des enseignants pouvant favoriser l’accès des élèves en situation de handicap aux savoirs mathématiques dans le quotidien d’une classe ? Pour étudier cette question, nous prenons le point de vue didactique, celui de l’entrée par les savoirs, notamment les savoirs mathématiques.

2. Contexte théorique

Des recherches sur les pratiques inclusives des enseignants ne sont pas nombreuses dans le contexte européen francophone. Un indice de cette situation est bien l’absence de savoirs répertoriés sur ce thème dans l’ouvrage coordonné par Gardou (2014), même si cette encyclopédie ne documente pas tout ce qui existe. Par contre, la méta-étude pilotée par Rousseau et coll. (2014) présente les connaissances produites par un ensemble de travaux sur l’inclusion scolaire et les pratiques inclusives dans des contextes divers. Il nous semble important de préciser ce que nous entendons par « pratique inclusive » avant d’élargir cette notion à celle de « praxéologie inclusive ».

Nous définissons une pratique inclusive comme étant celle qui permet l’accès des élèves aux savoirs, soit une pratique qui crée les conditions d’accessibilité didactique et permet à l’enfant de prendre sa place d’élève. Ce type de pratique peut être abordé par l’angle des besoins pédagogiques et didactiques des élèves pour apprendre des savoirs (Pelgrims et Bauquis, 2016), soit par celui des conditions qui facilitent l’accès aux savoirs ou les obstacles qui l’empêchent (Assude, Perez, Tambone et Vérillon, 2011 ; Assude, Perez et Tambone 2012, 2013).

Pelgrims (2009) montre les liens entre l’engagement des élèves, les situations didactiques et les pratiques enseignantes explicites. Il s’agit de favoriser des contrats d’apprentissage au lieu de contrats d’assistance comme c’est souvent le cas.

Comme nous l’avons vu, les enseignants sont face à des normes contradictoires et leurs réponses aux problèmes professionnels posés par la politique inclusive peuvent être paradoxales. Les résultats de ces travaux sur les résistances des enseignants à faire évoluer leurs pratiques insistent sur les besoins de formation et d’accompagnement et sur l’intérêt porté à la co-construction de savoirs professionnels. Cela explique notre choix de mettre en oeuvre une recherche collaborative (Desgagné et Bednarz, 2005 ; Bednarz, 2015) nous permettant de répondre à notre question générale. Il s’agit d’une recherche, non sur les enseignants, mais avec les enseignants. Les recherches collaboratives sont nées d’une double préoccupation : d’une part le besoin d’un rapprochement entre le monde de la recherche et le monde des praticiens avec une participation active de ces derniers ; d’autre part le besoin de nourrir la formation des praticiens avec les travaux de recherche (Bednarz, 2015). L’intérêt d’un travail collaboratif entre enseignants et chercheurs pour le développement de pratiques inclusives est montré par certains travaux, comme nous l’avons déjà signalé, notamment la méta-étude de Rousseau et coll. (2014) mais aussi le travail de (Ainscow, Howes, Farrel et Frankham, 2003).

Étant donné le peu de recherches en France sur les pratiques inclusives à partir du point de vue des recherches en didactique des mathématiques, nous avons mis en place un dispositif de recherche « Pratiques inclusives en milieu scolaire » Lorraine-Provence (PIMS) depuis 2012 pour développer ce type de travaux. Il a comme but de mettre en évidence un certain nombre de conditions d’accessibilité et d’obstacles qui peuvent surgir face aux difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la loi en milieu scolaire ordinaire, et plus particulièrement celles concernant l’accessibilité didactique (Assude, Perez, Suau, Tambone et Vérillon, 2014 ; Assude, Perez, Tambone et Vérillon, 2011 ; Perez et Assude, 2013). Ce dispositif permet également d’interroger le travail conjoint chercheur/enseignant et ses effets sur les pratiques dans leur dimension inclusive, entre autres à travers le choix des situations d’apprentissage et la gestion de la classe en fonction des besoins situés des élèves (Suau et Assude, 2016 ; Perez, Assude, Suau et Tambone, 2017). Ce dispositif s’inscrit effectivement dans des démarches de « recherches collaboratives » qui ouvrent des espaces d’intéressement réciproques entre chercheurs et praticiens. En effet, elles peuvent être considérées pour les chercheurs comme une voie prometteuse de légitimation scientifique de leur champ et pour les praticiens comme des lieux de formation (Vinatier, 2014).

La conception du dispositif de recherche en tant que prototype est un élément essentiel de notre étude. Pour cela, nous avons besoin d’un cadre théorique issu des recherches en didactique des mathématiques, celui de la théorie anthropologique du didactique (Chevallard, 1992, 1999), qui nous fournit différents outils conceptuels pour concevoir et analyser finement le dispositif.

La première des notions de cette théorie est celle d’institution. La notion d’institution est prise au sens anthropologique du terme (Chevallard, 1999 ; Douglas, 1986) comme un groupe humain qui associe un certain nombre de moyens à des buts, même si ces buts ne sont pas forcément explicités a priori. Une institution peut être vue comme une réponse sociale (ou personnelle) à des questions issues du couple (buts, moyens). Les différentes institutions créées dans notre dispositif répondent à ces besoins et les moyens mis en oeuvre permettent de trouver ces réponses.

L’un de ces moyens correspond à notre deuxième notion, celle de topos (Chevallard, 1999). Dans une institution, plusieurs places peuvent être prévues, places qui sont occupées par des sujets de l’institution : ces places institutionnelles sont les différents « topos » dans l’institution considérée. Ces topos nous permettent d’analyser les différents rôles que les sujets assument lors de la prise de position dans une place déterminée vis-à-vis des savoirs. Par ailleurs, un même sujet peut occuper des places distinctes dans différentes institutions ou dans une même institution à des moments différents. Nous analyserons les topos et les différents rôles que les sujets assument dans le cadre de notre dispositif.

Une troisième notion est celle de l’accessibilité didactique. Nous avons défini cette notion (Assude, Perez, Suau, Tambone et Vérillon, 2014) comme étant l’ensemble des conditions qui permettent l’accès aux savoirs. Ces conditions peuvent être diverses, car elles peuvent être liées aux situations didactiques, aux contrats didactiques, à l’économie ou à l’écologie du travail dans une institution didactique. Cette notion d’accessibilité didactique nous permet de définir ce que nous entendons par pratiques inclusives dans le cadre scolaire comme étant celles qui permettent l’accessibilité didactique. Ce choix définitoire, qui est restrictif, nous permet de circonscrire dans l’ensemble du dispositif et des classes observées ce qui est de l’ordre de l’accès aux savoirs, sans nier l’importance d’autres facteurs tout en sachant qu’ils sont aussi présents. Par exemple, nous n’allons pas nous intéresser à la place et au rôle des parents qui pourtant peuvent être importants dans le rapport aux savoirs des élèves.

Une quatrième notion est celle de praxéologie. Chevallard (1999) définit cette notion comme un quadruplet constitué par les types de tâches, les techniques permettant d’accomplir ces tâches, et les discours (technologiques et théoriques) permettant de justifier, d’expliquer et de produire ces techniques. Cette notion de praxéologie nous permet de décrire et d’analyser les pratiques professionnelles tout en incluant les discours qui accompagnent les pratiques. Nous parlons ainsi de praxéologie professionnelle pour désigner non seulement les pratiques professionnelles, mais aussi les savoirs qui sont produits à propos de ces pratiques.

Ces quatre notions nous permettent ainsi de préciser notre question initiale, une hypothèse et le dispositif de recherche : quels sont les effets de ce dispositif sur les praxéologies inclusives des enseignants relatives à l’accessibilité didactique aux savoirs mathématiques ? Notre hypothèse de travail est la suivante : le dispositif de recherche, conçu comme un croisement d’institutions où les sujets occupent différents topos et rôles, peut permettre aux enseignants de produire de nouvelles praxéologies professionnelles à propos de l’accessibilité didactique.

Nous décrirons au point 3 le dispositif de recherche, mais nous précisons tout de suite qu’il s’agit d’un dispositif phénoméno-praxéologique. Cette expression est construite à partir du terme « phénoméno-technique », utilisé par Bachelard (1934) pour désigner des techniques qui permettent de produire ou d’identifier des phénomènes. De même, un dispositif phénoméno-praxéologique veut dire que le dispositif a été pensé pour produire des praxéologies professionnelles permettant d’identifier des phénomènes.

3. Méthodologie

Notre travail se place dans une approche clinique-expérimentale au sens de Schubauer-Leoni et Leutenegger (2002). Cette double approche articule les informations provenant des acteurs et celles provenant des institutions ou systèmes auxquels ils participent. C’est à la fois une clinique des sujets et des systèmes, ou plus spécifiquement un système de cliniques. Il s’agit par là d’observer des systèmes à partir de l’action et des discours des sujets. Par ailleurs une approche expérimentale permet de contraindre le système à réagir face à des « perturbations » de son fonctionnement habituel et d’observer ce que cela produit.

3.1 Sujets

La cible de notre étude est bien cette clinique des systèmes et des acteurs. Dans le cadre spécifique de cet article, les acteurs impliqués sont deux enseignantes et quatre chercheurs, mais nous nous focalisons surtout sur les praxéologies des enseignantes. La description du dispositif phénoméno-praxéologique nous permet de préciser les différentes institutions impliquées et les topos des acteurs.

Ce dispositif de recherche est constitué par quatre institutions (voir la figure 1) : institution d’action en classe (I1) dans le but d’enseigner et apprendre des mathématiques ; institution d’observation et d’analyse des praxéologies professionnelles dans le but d’observation et d’analyse des pratiques des enseignants et des apprentissages des élèves (I2) ; institution de production de praxéologies professionnelles (I3) dans le but de production et institution de transposition en formation (I4) dans le but de transposer les praxéologies professionnelles en formation. Dans ce cadre, chacun des acteurs (chercheurs et enseignants) a un topos différent qu’il convient d’expliciter.

Dans l’institution d’action en classe (I1), l’enseignant est acteur, il fait classe, alors que le chercheur est observateur.

Dans l’institution d’analyse des praxéologies professionnelles (I2), l’enseignant observe les captations (films) de ses séances et de celles d’un pair-enseignant et choisit un extrait dans ses séances et dans celles du pair pour en faire une analyse : l’enjeu est d’expliciter et de justifier le choix des épisodes (analyse). Ainsi dans cette institution, l’enseignant est observateur et analyste, le chercheur est observateur, mais il peut cependant relancer le discours dans une visée exclusive de compréhension.

Dans I3, l’institution de production de praxéologies professionnelles, le chercheur et l’enseignant ont tous les deux une place de producteur. A partir du matériel recueilli en I1 et I2, l’interaction et le débat de l’ensemble des acteurs permettent une analyse des séances et la co-production de savoirs professionnels.

Enfin dans la dernière institution, celle de transposition (I4), l’enseignant est formateur : il présente à un groupe d’étudiants en Master 2 une séance qui a déjà fait l’objet d’une observation et d’une analyse en I2 et d’une co-analyse en I3, mais il est entièrement responsable des contenus transmis. (La deuxième année de master (M2) correspond à la cinquième année des études universitaires en France.) Le chercheur est observateur - il n’est pas présent - la séance de formation faisant l’objet d’une captation audio-vidéo.

Nous présentons dans la figure 1 un récapitulatif des différentes institutions créées dans le cadre de notre dispositif et les topos des acteurs dans ces institutions.

Figure 1

Les différentes institutions et les topos des acteurs du dispositif de recherche

Les différentes institutions et les topos des acteurs du dispositif de recherche

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Précisons que nos observations concernent deux enseignantes, les seules qui ont voulu être filmées et ont participé à toutes les étapes du dispositif. Il s’agit de l’enseignante N. et de l’enseignante H. qui ont toutes les deux une classe de Cours Préparatoire (CP), première année du primaire (élèves de 6 ans). Chaque classe comporte environ 25 élèves issus de plusieurs milieux sociaux et accueille un ou deux élèves en situation de handicap. Comme expliqué plus haut, cette désignation « élève en situation de handicap » indique que ces élèves ont été reconnus par l’institution scolaire en tant que tels. Pour notre recherche cette désignation est suffisante puisque nous ne voulons pas mettre l’accent sur la déficience et les troubles des élèves.

Ces enseignantes étaient volontaires pour participer à la recherche. Toutes les deux, outre la formation initiale pour être enseignant au primaire, ont suivi une formation pour être « maître-formateur », c’est-à-dire pour pouvoir intervenir en tant qu’enseignant-expert à la formation initiale des enseignants. Cette expertise s’est constituée au long de leur expérience d’enseignantes : H. a 18 ans d’expérience et N. a 30 ans d’expérience.

3.2 Instrumentation

Il s’agit dès lors de préciser le corpus choisi pour cet article. Nous avons sélectionné les données recueillies dans I1, I2, I3 et I4 qui correspondent à la deuxième situation mathématique, dans un total de quatre situations travaillées par les deux enseignantes N. et H. La deuxième situation intitulée « Le robot » a été choisie parce qu’il s’agissait d’avoir la même situation pour les deux classes afin de comparer leur mise en oeuvre. Nous avons analysé deux séances de cette situation, car elles correspondaient à deux étapes essentielles de la situation : celle du dénombrement et de l’écriture d’un code et celle de la validation du travail précédent par les élèves.

La situation « Le robot » issue du manuel ERMEL Cours Préparatoire (2005, p.60-64) est relative à l’usage des nombres pour constituer une collection équipotente à une collection donnée. L’objet de la situation « Le robot » est de développer les compétences des élèves à dénombrer les éléments d’une collection donnée. Pour cela, il s’agit de recourir à un robot qui est dessiné sur un quadrillage, avec des parties (bras, jambes, tête, tronc) qui sont bien différenciées. Chaque partie est constituée par un nombre différent de carrés. Il s’agit au final pour les élèves de compléter le robot en dénombrant les carrés non colorés et en y collant des petits carrés de couleur. Cette situation a été préparée en commun par les deux enseignantes H. et N. à partir de sa description dans le manuel.

Notre corpus est constitué par des films pour chacune des quatre institutions qui nous permettent d’avoir des observations des pratiques en classe et en formation, mais aussi des épisodes choisis et des discours associés à ces pratiques. En outre les entretiens semi-directifs avec les enseignantes à différents moments (avant, tout de suite après les séances, mais aussi un mois plus tard) nous ont permis de préciser les attentes et les réactions des enseignantes relatives aux élèves en situation de handicap et au déroulement de la situation mathématique. Voilà deux exemples des questions posées : « précisez ce que vous avez prévu de faire pendant la séance », ou « avez-vous fait ce que vous aviez prévu ? ». Par ailleurs, nous avons récupéré des travaux d’élèves, la fiche de préparation des enseignantes, la ressource utilisée par les enseignantes. Tous les films et les entretiens ont été transcrits (Suau, 2016).

3.3 Déroulement

Nous présentons d’une manière succincte les différentes étapes de notre dispositif de recherche relatif à la situation « robot », mais pour une vision synoptique on peut voir la figure 2. Précisons que ces étapes se sont déroulées entre 2013 et 2014.

Première étape : Entretien ante commun aux deux enseignantes (enregistrement oral et transcription) : discours sur leurs projets et attentes.

Deuxième étape : Observation des deux institutions d’action : l’une correspondant à l’enseignante N. (I1N) et l’autre à l’enseignante H. (I1H). Les deux séances de la situation du robot ont été filmées et, pour chaque classe, deux films ont été produits : l’un qui suivait les actions de l’enseignante, l’autre les actions du groupe auquel participait l’élève en situation de handicap.

Troisième étape : Entretien post séance et entretien un mois après la séance (enregistrement oral et transcription) : discours sur le point de vue de chaque enseignante sur ce qui s’est passé pendant leurs séances de classe sans visionnage des films.

Quatrième étape : Observation de trois moments de l’institution d’analyse des séances de classe (institution I2). Le moment 1 est celui de l’analyse simple de N. (ASI2N). Le moment 2 est celui de l’analyse simple de H. (ASI2H). Dans ces deux moments, chaque enseignante choisit des épisodes des séances de sa classe (dans l’institution I1) et présente ses analyses au chercheur. Le moment 3 est celui de l’analyse croisée où chaque enseignante (ACI2N et ACI2H) choisit des épisodes des séances de l’autre enseignante et présente ses analyses. Il s’ensuit une discussion entre enseignantes (films et transcriptions). Les enseignantes étaient libres du choix des épisodes. La seule consigne était de justifier ce choix et de préciser ce qu’il permettait de voir sur leurs pratiques et les apprentissages des élèves.

Cinquième étape : Observation de l’institution I3 de production de praxéologies professionnelles (I3N. et I3H.). Ensemble chercheurs et enseignantes co-analysent le matériel recueilli en I1 et I2, et co-produisent des savoirs à propos des pratiques observées/vécues/analysées. Production de praxéologies professionnelles par la mise en place d’un cercle de contradicteurs à propos des assertions produites par les chercheurs et les enseignantes à propos des données issues de I1 et I2.

Sixième étape : Observation de l’institution I4 de transposition des praxéologies professionnelles dans le cadre de la formation des enseignants (I4 N. et I4 H.). Les deux enseignantes ensemble prennent la place de « formateur » et transposent des praxéologies dans le cadre d’une séance de formation pour des étudiants de master 2. Il s’agit d’observer ce qui a été produit, ce qui a été transposé et comment (film et transcription).

Nous schématisons le déroulement du dispositif de recherche dans la figure 2 ci-dessous :

Figure 2

Les différentes étapes du dispositif de recherche, situation « robot »

Les différentes étapes du dispositif de recherche, situation « robot »

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3.4 Méthode d’analyse de données

Nous avons des données filmiques et écrites (transcriptions des films et des entretiens, productions des élèves, fiche de préparation). Ces données ont été traitées en utilisant les outils théoriques présentés auparavant (pratiques inclusives, institution, topos, accessibilité didactique, praxéologie) et instanciés aux savoirs mathématiques que nous avons précisé de la manière suivante :

  • l’inclusion scolaire (comment cela se dit, se repère dans l’action, dans le choix des épisodes, dans les discours sur ses épisodes, dans les discours sur les épisodes des autres, dans les choix transpositifs) ;

  • l’observation des élèves (comment cela se dit, se repère dans l’action, dans les différents discours) ;

  • l’accessibilité didactique (comment cela se dit, se formule, se repère dans l’action et dans les discours) ;

  • les places et les rôles des élèves (comment cela se dit, se repère dans l’action, les gestes, les déplacements, les rôles épistémiques ou secondaires) ;

  • les problèmes professionnels (les questions, les affirmations, les doutes, les réponses apportées).

Le repérage de ces indicateurs dans l’ensemble du corpus s’est fait aussi en observant si le changement de place et de rôle des enseignants avait un impact sur ce qui était dit et analysé. Précisons que chacun de ces indicateurs est instancié aux savoirs mathématiques, étant donné notre point de vue didactique. Ce premier classement a été d’abord confronté par l’ensemble des chercheurs dans un premier cercle de contradicteurs (les quatre chercheurs ayant fait des analyses séparées, sachant qu’un cercle de contradicteurs est constitué par des acteurs qui débattent sur les analyses initiales et avancent des arguments mettant à l’épreuve les assertions présentées), en faisant un aller-retour entre le classement et les données filmiques et discursives.

Les résultats obtenus ont été ensuite présentés aux enseignants, et mis ainsi à l’épreuve dans ce deuxième cercle de contradicteurs. Cela a permis des ajustements et la co-production de praxéologies professionnelles. L’institution de transposition a permis la confrontation des résultats lors de leur diffusion dans le cadre de la formation : c’est un moyen de voir la stabilité de nos résultats.

Dans la présentation de nos résultats, nous allons utiliser des extraits des actions ou des discours pour illustrer ce qui a été produit conjointement.

3.5 Considérations éthiques

Dans le cadre de notre recherche collaborative, les enseignantes ont été associées à toutes les étapes du dispositif. Étant impliquées directement dans la recherche qui est une recherche « avec elles », elles se sont engagées pleinement dans les différentes institutions du dispositif. Les responsabilités des différents acteurs ont été définies et acceptées dès le départ, même si un processus d’approbation éthique n’était pas nécessaire. Par ailleurs, les enseignants ont participé à la co-production des praxéologies et même à la diffusion dans le cadre d’une institution de formation.

4. Résultats : quelques effets du dispositif

Nous présenterons trois effets du dispositif sur les praxéologies professionnelles inclusives. Pour d’autres résultats de cette recherche, on peut voir le travail de Suau (2016). Le premier effet est celui de l’illusion de l’inclusion, la dynamique inclusive et le contrat différentiel ; le deuxième est celui de l’observation du système sujet-situation-institution (SSI) et le troisième est celui des questionnements en résonnance.

4.1 Illusion de l’inclusion, dynamique inclusive et contrat différentiel

Le dispositif de recherche a permis une évolution de ce que les enseignantes pensaient sur l’inclusion. Dans un premier temps lors des entretiens ante, l’inclusion pour ces enseignantes consiste à faire en sorte que l’élève en situation de handicap puisse travailler avec les autres en groupe. Dans ce cas, la dimension de socialisation est essentielle. L’une des enseignantes (N.) dit : on va l’intégrer à un groupe qui l’accepte bien, qui le respecte et qui l’aide à travailler. L’autre enseignante (H.) va dans le même sens :

On travaillera plus sur la socialisation dans le groupe (…) Il n’y a pas de difficultés d’apprentissage mais une difficulté à travailler en groupe.

Cette vision de l’inclusion est questionnée fortement lors du choix des épisodes de classe dans l’institution d’analyse (I2). L’enseignante N. choisit un extrait de la séance où Orlane (l’élève reconnue institutionnellement en situation de handicap) semble manifester sa joie de faire quelque chose avec le groupe, ce qui était l’objectif de l’enseignante N. :

C’était qu’elle s’implique dans le groupe, qu’elle prenne sa place et qu’elle apprenne quand même quelque chose des autres.

L’enseignante N. précise que, si on se tenait à ce seul extrait, on aurait pu penser que l’objectif était réussi, que cette élève était incluse dans le groupe. Or, selon cette enseignante, ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé et elle conclut :

Dans une séance de mathématiques, elle n’a rien appris en fait tout simplement et en plus elle n’a pas du tout été intégrée. Donc conclusion de l’histoire, c’est une gamine qui parait incluse quand on voit cet extrait très court, mais en fait elle était exclue, en plus elle n’a rien appris pendant cette séance.

L’enseignante N. appelle ce fait « l’illusion de l’inclusion ». L’élève semble incluse physiquement dans le groupe, mais elle ne participe pas forcément aux tâches qui lui permettent d’apprendre, soit parce que les autres ne lui permettent pas, soit parce qu’elle empêche les autres d’avancer. Cette dernière dimension est mise en avant par l’enseignante N. à propos d’un autre élève, Thomas, qui est aussi un élève reconnu institutionnellement en situation de handicap : il a été exclu du groupe, car l’apprentissage n’était plus possible pour les autres enfants.

Cette vision de l’inclusion est également re-questionnée dans les institutions de production de praxéologies professionnelles (I3) et de transposition (I4). En effet, dans I3 l’enseignante H. précise que :

Je n’en attendais pas plus concernant Mathias (l’élève en situation de handicap) et que le fait qu’il reste à côté du groupe était suffisant à ce moment-là … je parle avec un an et demi de recul. J’imagine ne pas avoir eu besoin de réguler ce groupe, ça se passait bien a priori, pas de conflit, ils faisaient la tâche.

Dans cette institution, l’enseignante questionne l’inscription de Mathias dans le groupe et son entrée dans la tâche. Dans l’institution de transposition I4, cette dimension fait également l’objet d’échanges avec les étudiants et amène l’enseignante N. à préciser que :

Il ne faut pas être dupe car Orlane parait incluse, mais elle est exclue, elle est incluse dans le groupe, mais exclue de l’apprentissage.

Un des effets du dispositif sur les praxéologies inclusives de ces deux enseignantes est la remise en cause de la seule dimension socialisante de l’inclusion pour mettre au centre la question de l’accessibilité didactique et de l’apprentissage. L’enseignante N. l’indique clairement :

On a tendance à mettre des situations où on imagine que l’enfant est inclus, d’autres situations où on imagine qu’il est exclu, mais par l’apprentissage ça ré-inclut Thomas dans la classe.

Le savoir professionnel co-produit dans les différentes institutions est celui de la double composante de la dynamique inclusive : la socialisation et l’accès aux savoirs (Assude, Perez, Suau et Tambone, 2015). Par ailleurs, la dynamique inclusive consiste aussi à relativiser cette idée que l’inclusion consiste à rendre accessible tout à tous à tout moment. Cette « accessibilité universelle » est contextualisée et temporalisée en fonction des conditions institutionnelles et personnelles, sans que les exigences épistémiques et éducatives s’amoindrissent. Par exemple, pour l’enseignante N. l’inclusion ne dépend pas de la forme d’étude comme elle le dit à propos de l’élève Orlane :

Quand je la vois travailler seule avec un travail qui colle beaucoup à ses intérêts, à ses possibilités, je mets la barre plus haut que ses possibilités : elle s’inclut mieux parce qu’elle a un comportement plus en phase avec ce qui est attendu d’un élève, et ça c’est l’inclusion.

La dynamique inclusive tient compte de ces contrats didactiques différentiels, soit ces attentes diverses concernant le savoir sans diminuer les exigences pour tous et pour chacun.

4.2 Observation du système SSI (sujet-situation-institution) et besoins situés

L’un des effets de notre dispositif est que les enseignantes ne sont pas dans une logique des troubles, mais dans une logique de l’observation plus globale du sujet-élève en relation avec la situation d’enseignement et l’institution-classe. La création de cet espace d’observation, non seulement des élèves, mais du système a permis aux enseignantes de mieux situer les besoins particuliers de l’élève en situation de handicap mais aussi ceux d’autres élèves.

L’élève institutionnellement reconnu en situation de handicap n’est pas à coup sûr en difficulté relativement à une situation ou à un savoir comme certains enseignants pensent d’une manière abusive avec une formule de type « handicap = difficulté ». Par exemple, l’enseignante H. dans l’institution d’analyse (I2) se pose beaucoup de questions par rapport à l’implication de Mathias (élève en situation de handicap) dans la tâche. Or, cet élève semble ne pas avoir besoin d’agir pour comprendre la situation. Mathias observe les autres élèves du groupe et s’intéresse à ce qu’ils font. Il est aussi attentif dans la mise en commun collective. L’enseignante H. choisit un extrait de la séance de classe où

Il a l’air d’être tout le temps attentif, tout le temps là lorsqu’on le voit filmé. Il intervient à bon escient quand même. Donc j’ai choisi ce moment-là car ma question est : est-ce qu’il est là ? Est-ce qu’il est quand même dans l’activité sans être là… par les échanges avec les autres ou pas ? Je ne sais pas, ça ne m’a pas plus éclairée que cela sur sa mise en activité.

L’enseignante H. précise aussi que :

Je sais qu’il n’a pas de difficulté en mathématiques, je me dis qu’il était… j’imagine qu’il avait bien compris la situation. Car maintenant je sais qu’en fait ça ne lui pose pas de souci de résoudre une énigme mathématique et qu’il est à l’aise par rapport à cela.

Cette analyse est aussi celle de l’enseignante N. qui, dans l’institution d’analyse croisée, choisit aussi un extrait relatif à Mathias en disant : il écoute, il entend des choses.

L’observation du système SSI permet d’identifier des besoins situés des élèves, et pas seulement des élèves en situation de handicap. La situation proposée par les deux enseignantes −la situation du robot – n’a pas été adaptée au départ ni pensée en fonction d’un élève particulier. Elle a été prise dans une ressource (la collection ERMEL) destinée à tous les élèves. Par ailleurs, les enseignantes ont fait le choix de faire travailler les élèves en groupe. Ce choix va dans le même sens de ce que le collectif enseignantes-chercheurs avait mis en avant : la seule logique de l’individualisation où l’élève travaille tout seul avec une fiche de travail et où il se confronte juste avec un adulte (enseignant ou Auxiliaire de vie scolaire) semble très limitative.

La dimension collective de l’apprentissage a souvent été mise en évidence dans les discours et le travail en groupe était l’une des formes d’étude qui pourrait être favorisée dans les classes et avec les élèves (y compris l’élève en situation de handicap).

Ce choix a été beaucoup questionné dans l’institution d’analyse (I2) étant donné les observations faites pendant l’institution d’action (soit dans la classe). Dans l’entretien ante, les deux enseignantes ont prévu un robot en plus qui serait utilisé par les élèves qui n’arriveraient pas à travailler en groupe. Pendant la séance en classe, l’enseignante H. n’a pas utilisé ce robot supplémentaire par rapport à Mathias, mais l’enseignante N. l’a proposé à Thomas seulement après avoir observé le travail dans le groupe de Thomas :

à un moment dans la séance, j’ai dit on arrête le groupe. Lui je le connaissais assez pour anticiper qu’il aurait des problèmes et il a travaillé tout seul. Donc quand on regarde la vidéo, on dit « oh la méchante maîtresse, elle exclut les enfants ». Non, il a été exclu du groupe, car l’apprentissage n’était plus possible pour les autres enfants, mais à la fin du compte, il a bien réussi et je le gratifie et on l’entend dans une des séances « c’est bien, tu as bien travaillé ».

Ce changement de forme d’étude a été possible, car l’enseignante a observé, a anticipé le problème et a prévu le matériel nécessaire. L’observation de Thomas en situation a permis de repérer un « besoin situé » non seulement pour lui, mais aussi pour les autres élèves qu’il empêchait de travailler. Cette décision in situ a permis de réguler l’action sans perdre de vue la question des apprentissages de Thomas et des élèves de son groupe.

La situation relative à Orlane dans la classe de N. est toute autre. Le groupe d’Orlane ne lui a pas permis de prendre une place dans le groupe. Ceci a été repéré par N. qui demande au groupe ce que fait Orlane. Dans l’institution d’analyse, N. a pris plus clairement conscience de la difficulté d’Orlane et du groupe car elle choisit un extrait la concernant. Comme nous l’avons vu, son analyse a été approfondie à propos de ce qu’elle nomme « l’illusion de l’inclusion » qui consisterait à faire « tout pour tous à tout moment ». N. décide de changer de « méthode de travail » avec Orlane :

Elle ne travaille que sur des situations simples, des consignes ritualisées, que les consignes ne l’arrêtent pas dans son travail. Tout ce qui est nouveau l’arrête complètement et puis elle travaille seule. Elle ne peut pas, dès qu’elle est avec un copain, en groupe, ça ne marche pas. Et à cette période de l’année les autres ont beaucoup évolué, ils l’aiment bien pour jouer dans la cour, mais pour apprendre, elle arrive aux nombres de 0 à 10. On est en train de consolider ça, donc en manipulant avec des petits dessins, et les autres en sont à 70 et au-delà.

Cet extrait de l’analyse de N. peut paraitre contradictoire avec l’idée soutenue par les enseignantes sur l’importance du travail en groupe, sur les situations complexes. La question posée par cet extrait est celle de la distance épistémique, c’est-à-dire la distance de chaque élève au savoir en jeu dans la situation. Si cette distance est grande, il est difficile de faire travailler en groupe les élèves sur la même tâche.

Par contre, il serait possible de faire travailler sur le même type de tâche. Dans notre exemple, il serait envisageable que Orlane travaille sur un robot où elle aurait à dénombrer des quantités jusqu’à 10, tandis que les autres auraient d’autres robots avec des quantités plus grandes. L’enseignante pourrait ainsi jouer sur les variables didactiques pour tenir compte de cette distance épistémique.

4.3 Questionnements en résonnance

Notre dispositif a été créé de telle manière qu’on puisse avoir des éléments de comparaison entre les deux institutions d’action par le biais du choix d’une même situation d’enseignement. Les deux enseignantes ont préparé la même situation, l’ont mise en oeuvre dans leurs classes, l’ont analysée et ont analysé les séances de l’autre. Ainsi des questionnements en résonnance ont émergé sans qu’elles se soient concertées.

L’un de ces questionnements en résonnance est celui du problème inclusion-exclusion, un deuxième est celui de l’importance du travail en groupe. Toutes les deux ont choisi un extrait relatif à Orlane et un autre relatif à Mathias. Ces choix ont permis ainsi de comparer la position prise par chacun de ces élèves dans le topos de l’élève à l’intérieur du groupe. Les questions étaient : est-ce qu’Orlane est intégrée dans le groupe ? Est-ce que Mathias s’est investi dans les activités ? Toutes les deux ont mené des analyses proches.

L’enseignante N. dit que le groupe n’a pas intégré Orlane et qu’elle s’est aussi dispersée avec le groupe. L’enseignante H. a été sensible au fait qu’un élève du groupe d’Orlane l’a exclue d’emblée lors du partage des tâches en disant : Orlane, tu fais rien. L’enseignante H. affirme avoir été très touchée par ce rejet et cette exclusion d’avance lors d’une tâche qui n’impliquait pas de savoir dénombrer. L’enseignante N. insiste sur la question de l’illusion de l’inclusion en posant ainsi l’intérêt du travail en groupe pour certains élèves, notamment pour Orlane.

La comparaison avec Mathias est éclairante. L’enseignante N remarque qu’elles ont eu toutes les deux la même attitude en s’approchant du groupe de Mathias (pour l’enseignante H.) et du groupe d’Orlane (pour l’enseignante N.), en posant la question de ce que chacun avait fait. Mathias et Orlane n’ont « rien fait », mais la position de chacun est différente.

Mathias regarde les autres faire, semble attentif dans les phases collectives et n’est pas rejeté par le groupe. Il semble également ne pas avoir de problème pour comprendre la situation et le non investissement dans l’action parait relever plutôt d’un problème de communication. D’ailleurs, l’enseignante H. dira que souvent c’est l’AVS (Auxiliaire de vie scolaire) qui lui indique qu’il connait la réponse d’un problème, mais qu’il n’ose pas prendre la parole en public. Mathias prend position dans la place d’élève en prenant le rôle d’observateur de l’action des autres. Il peut donner des réponses pertinentes et la distance épistémique de cet élève par rapport au savoir en jeu semble minime.

Orlane, quant à elle, n’arrive pas à prendre la position d’élève : Elle danse, elle fait ses choses. Le groupe l’empêche de prendre un rôle ne serait-ce que minime : Orlane, tu fais rien. Mais si le travail en groupe n’a pas eu les effets escomptés certaines fois, cela semble difficile de rejeter cette forme d’étude pour une élève de manière catégorique comme le fait l’enseignante N. en ce qui concerne Orlane dans l’institution d’analyse (I2) :

Elle est vraiment à côté. Elle fait tout sauf… donc pour elle ni le grand groupe, ni le petit groupe ne lui conviennent pas.

Cette logique du tout ou rien (toujours en groupe ou pas du tout en groupe) est ensuite remplacée par une logique du questionnement : questionner le travail en groupe ou toute autre forme d’étude, en fonction des observations. D’ailleurs dans l’institution de production (I3) la question du travail de groupe est reprise par l’ensemble des acteurs concernant Mathias et la situation robot. L’échange conduit l’enseignante H. à dire que :

on aurait pu l’anticiper dans nos préparations, il y aurait eu moyen de dire toi occupe-toi de la tête, toi du corps…

L’enseignante N. affirme justement que c’est là un effet du dispositif :

Non à l’époque, on n’était pas prête, on n’aurait pas pu anticiper (…) comme quoi on se forme bien là.

De même dans l’institution de transposition (I4), les deux enseignantes échangent sur cette logique du « tout ou rien » et explicitent aux étudiants l’intérêt pour leurs pratiques d’un tel dispositif :

Les captations nous ont fait bouger dans nos pratiques

Enseignante N.

On a quand même plus de billes pour la façon d’intervenir auprès des élèves et aussi sur le mode de travail en groupe

Enseignante H.

Les questionnements en résonnance montrent que ces problèmes ne sont pas seulement ceux de l’enseignante N. et de l’enseignante H., mais peuvent être aussi des problèmes de la profession qui se confronte avec une diversité d’élèves. L’observation fine du système SSI donne ainsi la possibilité aux enseignantes de s’émanciper des réponses de type binaire (oui-non ; bien-mal). Questionner les pratiques, les situations, les formes d’étude et les contrats apparait comme un effet du dispositif sur l’orthodoxie des pratiques professionnelles.

5. Discussion

L’évolution des politiques éducatives vers une éducation inclusive implique des changements, parfois importants, pour les professionnels, notamment les enseignants. L’étude des conditions favorables pour la mise en oeuvre de pratiques inclusives a été l’objet de certains travaux qui montrent qu’il ne suffit pas de légiférer pour que les changements soient effectifs. La mise en évidence des obstacles, mais aussi des leviers sur lesquels s’appuyer pour dépasser ces obstacles est un champ d’étude nécessaire et indispensable. Notre travail se place dans ce champ en prenant un point de vue particulier qui est celui de l’accessibilité didactique aux savoirs mathématiques. Ce point de vue n’est pas celui d’autres travaux sur les pratiques inclusives ou sur la pédagogie inclusive. Malgré cette différence de positionnement épistémologique, certains résultats de nos travaux corroborent des résultats d’autres travaux, mais ils apportent aussi des éléments spécifiques issus de notre point de vue.

L’un des effets de notre dispositif corrobore l’importance de l’engagement du collectif et du travail coopératif pour « tendre » vers l’inclusion scolaire, comme le montre la méta-étude pilotée par Rousseau et coll. (2014) ou encore les travaux de Ainscow et coll. (2003, 2004). Ceux-ci montrent un certain nombre de conditions favorables, notamment la mise en place de « communautés de pratique » (Wenger, 1998) qui peuvent constituer des contextes d’apprentissage sociaux favorisant le développement de pratiques inclusives à partir des pratiques existantes. Ces auteurs mettent en évidence l’importance du travail collaboratif, le fait d’apprendre avec les autres (enseignants mais aussi autres acteurs, notamment des chercheurs), d’observer le travail des autres, de questionner ce qu’ils font et pensent habituellement (« rendre étrange le familier ») et d’envisager de nouvelles possibilités d’action. D’autres recherches vont aussi dans ce sens. Par exemple, Bergeron et Granger (2016), dans un contexte de formation continue des enseignants du secondaire, montrent que les collaborations interprofessionnelles peuvent être un levier pour dépasser certains obstacles et permettre aux enseignants des prises de conscience des limites de leurs pratiques et des ajustements nécessaires pour tenir compte de la diversité des élèves.

Tout en mettant l’accent sur l’importance des moments collectifs de travail pour les élèves, nous montrons aussi que le travail en groupe n’est pas suffisant pour que l’élève puisse avoir accès aux savoirs. Il se peut que ce travail en groupe empêche l’élève de prendre sa place d’élève à part entière, même si les effets bénéfiques de ce travail en groupe peuvent être présents dans d’autres moments, notamment pour l’investissement de l’élève (Barlow, 1993 ; Meirieu, 1992). Pour que le travail en groupe soit favorable à l’inclusion scolaire, il semble nécessaire que tout un chacun puisse prendre position dans le topos d’élève et qu’il ne soit pas empêché de le faire par les autres pairs ou par d’autres acteurs (enseignant ou aide).

La méta-étude pilotée par Rousseau et coll. (2014) montre l’importance de la posture de l’enseignant pour créer ces conditions par le choix de stratégies et d’approches pédagogiques diverses, en particulier par la mise en place d’une pédagogie par projets dans des contextes divers. Notre travail apporte la contribution du point de vue didactique à l’étude des praxéologies inclusives. L’inclusion scolaire n’est pas statique, mais elle est une dynamique, un processus évolutif dans le temps. Cette dynamique inclusive est fondée sur les situations robustes d’un point de vue des savoirs, sur les besoins « situés » des élèves, sur des conditions institutionnelles, des contrats didactiques différentiels sans minimisation des exigences épistémiques (Pelgrims, 2009). Outre les situations et les contrats didactiques associés, un élément important dans le travail de gestion et de médiation de l’enseignant est celui de la prise en compte de la distance épistémique et des praxéologies professionnelles qui permettent de gérer cette distance. L’un de ces moyens est celui de la variabilité d’une situation didactique en fonction de variables didactiques associées à l’enjeu de savoir. Ainsi, une situation commune peut être proposée à des élèves différemment placés relativement à ce savoir sans mettre en question l’accès au savoir pour les élèves.

Nos résultats soulignent aussi l’importance des questionnements en résonnance des enseignantes pour leur prise de conscience que les difficultés qui semblent propres à tel enseignant sont partagées par leurs pairs. Ce sont des problèmes professionnels d’une profession liés à la politique éducative et non des problèmes individuels. Cette politique se révèle ainsi une opportunité pour que la profession puisse repenser ses pratiques professionnelles.

Dans notre recherche, le développement professionnel de nos deux enseignantes a été favorisé par leur participation au dispositif phénoméno-praxéologique. Dans ce cadre, plusieurs étapes ont été mises en évidence pour le développement praxéologique : la conception, l’action, l’analyse, la production de praxéologies professionnelles et la transposition en formation. Dans ces différentes institutions, les acteurs assument des topos différents : concepteur, acteur, observateur, analyseur, producteur, formateur. Le passage d’un topos à un autre correspond à des changements de points de vue qui permettent non seulement de regarder autrement une certaine réalité, mais aussi de produire des discours différents. Rappelons ici que les enseignantes sont devenues formatrices dans la dernière étape de notre dispositif. La transposition en formation de ce qu’elles ont co-construit leur a permis de stabiliser ses nouveaux savoirs et de les confronter à des nouveaux questionnements de la part des stagiaires en formation.

La caractéristique de ce type de dispositif est ce jeu d’institutions, de topos et de rôles, qui ne fixent pas les places conventionnelles des acteurs, mais qui élargissent leurs topos dans divers cercles de contradicteurs. Les débats argumentatifs sont l’occasion d’affiner les contradictions et les preuves pouvant aboutir à la co-production de praxéologies professionnelles. Notre dispositif a été conçu pour créer les conditions de cette co-production. Un exemple est celui autour de l’observation. Comme nous l’avons indiqué, l’observation du système SSI (Sujet-Situation-Institution) est un moyen pour trouver des réponses aux questions posées par la dynamique inclusive. Les réponses à trouver aux questions posées par l’accueil d’un élève en situation de handicap doivent tenir compte non seulement de l’élève, mais surtout de l’élève en situation d’enseignement et d’apprentissage. Ce sont des « besoins situés » et non des besoins a priori dégagés principalement à partir des troubles (Pelgrims, 2009 ; Pelgrims et Bauquis, 2016).

L’observation des pratiques des autres acteurs a été aussi soulignée dans le travail de Ainscow et coll. (2003) comme condition favorisant les pratiques inclusives. Certes, ce type d’observation est important, car il permet non seulement de créer une distance par rapport à sa propre pratique, mais aussi d’envisager des nouvelles manières de faire et de penser. Mais notre travail met en évidence l’importance d’une observation plus vaste, celle du système SSI qui va au-delà de l’observation d’un acteur (élève ou enseignant), comme un élément pour développer une « culture de l’observation ». Cette culture devient un élément essentiel de la dynamique inclusive.

Cette dynamique est une opportunité en tant qu’espace de questionnement des pratiques habituelles. Tous les enseignants ne saisissent pas cette occasion, mais la profession enseignante a une occasion de faire évoluer les pratiques professionnelles pour tenir compte des nouveaux enjeux liés à une école qui s’ouvre sur une scolarisation en milieu ordinaire pour tous les enfants.

Notre travail comporte plusieurs limites. La première est celle que nos résultats sont basés sur deux études de cas et que nous ne pouvons pas les généraliser. La mise en place d’un tel dispositif prend beaucoup de temps pour que les analyses didactiques fines puissent être faites dans le quotidien de la classe. Cet article ne rend compte que d’une petite partie du travail. Une autre limite de notre travail est de ne pas avoir pu développer suffisamment ce qu’est cette « culture de l’observation », et quel est son rôle dans le développement praxéologique des enseignants et dans notre compréhension de la dynamique inclusive.

6. Conclusion

Les difficultés déclarées par les enseignantes lors de la prise en compte de la diversité des élèves dans le cadre de l’école inclusive font partie d’un problème pour le professionnel, mais c’est aussi un problème pour la recherche. Notre questionnement s’est porté sur les praxéologies inclusives qui favorisent l’accessibilité didactique et sur la manière dont les recherches collaboratives enseignants-chercheurs pourraient permettre la co-production de ces praxéologies. Pour cela, nous avons mis en place un dispositif phénoméno-praxéologique où les acteurs prennent des places et des rôles différents dans quatre institutions. Les différents points de vue apparaissent comme des moyens de se dégager de discours arrêtés à propos de l’inclusion scolaire et d’envisager d’autres pratiques que les pratiques habituelles.

Notre contribution permet d’éclairer des conditions favorables au changement des pratiques enseignantes, non par l’apport direct et exclusif des chercheurs, mais par un travail conjoint des acteurs d’analyse et de développement praxéologique.

Nous avons conçu notre dispositif comme un prototype au sens de premier modèle (nécessairement évolutif) d’un produit pour la recherche et pour le développement praxéologique, qui a été testé dans le cadre très limité de deux classes et deux enseignantes. Ainsi, nous avons pu observer et analyser que ce type de produit a permis effectivement un engagement des acteurs dans la co-production de praxéologies professionnelles, mais cela ne permet en aucun cas de généraliser les résultats obtenus.

Les praxéologies professionnelles qui ont été produites sont relatives aux discours sur la question de l’inclusion scolaire, discours qui tiennent compte du choix de situations didactiques robustes du point de vue des savoirs pour tous les élèves même pour ceux qu’on pense être en difficulté. La gestion d’une situation partagée dans la classe par l’intermédiaire de variables didactiques permet à l’enseignant de tenir compte des « besoins situés » des élèves et de la distance épistémique, sans diminuer les exigences vis-à-vis des savoirs. Par ailleurs, des praxéologies professionnelles autour de l’observation ont été produites. Il s’agit d’avoir les techniques d’observation fine du travail des élèves face à la situation proposée, mais surtout d’apprendre à observer un système SSI, car les difficultés des élèves doivent être analysées en relation avec le savoir mais aussi la situation et l’institution où cela se passe. En outre, les praxéologies relatives à l’observation sont aussi celles de l’observation de sa propre pratique et des pratiques d’un pair. Dans ce cadre, les enseignantes ont pu produire des techniques d’observation par comparaison en mettant en évidence ce qui était de l’ordre du commun de la profession. Ce que nous avons appelé des « questionnements en résonnance » concerne ces praxéologies de questionnement à partir des observations du travail des élèves et de leurs pratiques.

Ces résultats sont valables dans le contexte particulier du dispositif, mais il permet de retrouver des résultats d’autres travaux de recherches ainsi que d’approfondir certains points de la dynamique inclusive en tant que processus d’apprentissage mutuel pour tous les acteurs et non comme un état déterminé par une loi. Nous pensons continuer à mettre en oeuvre ce dispositif dans d’autres contextes, le faire évoluer en fonction des questions posées par son usage, et d’analyser ce que cela permet de produire comme phénomènes (pour la recherche) et comme développement praxéologique (pour les acteurs). La méthodologie que nous allons suivre sera la même, car nous voulons mettre à l’épreuve notre dispositif et nos résultats.

Nous faisons l’hypothèse que si plusieurs contextes de recherche permettent d’identifier les mêmes types de phénomènes, il est probable qu’ils puissent être généralisables en tant que problèmes de la profession enseignante. Cette hypothèse sous-tend la suite de notre travail et nous incite à continuer dans nos études de cas.