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Introduction

Les référentiels de compétences pour les futurs maîtres précisent des compétences à acquérir concernant l’intégration des technologies nouvelles (Gouvernement du Québec, 2001 ; National council for accreditation of teacher education, 2000 ; Perrenoud, 1999). Préalablement à leur intégration dans un curriculum de formation des maîtres, ces technologies nouvelles sont étudiées dans la perspective de leur intégration en milieu scolaire. Est-il possible d’envisager une démarche de type « innovation » prenant comme objet la vidéocommunication pédagogique, dans la perspective de son intégration dans la formation des maîtres ? L’innovation en éducation serait, selon Van der Maren (1999), paradoxale, et ne se prêterait pas à un processus de changement planifié, qui pourrait anéantir l’intuition créatrice. Il s’agirait plutôt d’une recherche-action spontanée, intuitive, laissant la place à l’émergence des idées et des pratiques novatrices. Dans le cas de l’intégration de la vidéocommunication dans la formation des maîtres, s’il était possible d’obtenir cette innovation en enseignement universitaire, d’une part, et en milieu scolaire, d’autre part, un pas important aurait été franchi dans la connaissance du potentiel de la vidéocommunication et des conditions de son intégration. Une troisième innovation, cette fois en formation des maîtres, pourrait s’inspirer des résultats obtenus dans les deux premiers cas, voire s’appuyer sur ces résultats.

Ce texte décrit une démarche de recherche visant à mieux connaître le potentiel pédagogique et les conditions d’intégration pédagogique de la vidéocommunication, dans la perspective de son intégration à la formation des maîtres à l’université. Il présente la problématique de la recherche, l’analyse de l’interactivité en vidéocommunication en milieu universitaire et une présentation sommaire des résultats.

Problématique

La question de l’intégration pédagogique d’une technologie nouvelle dans la formation des maîtres se pose à la fois comme une compétence à développer par le futur enseignant pour sa pratique en milieu scolaire et au regard du curriculum de formation des maîtres, ce qui rejoint la pédagogie universitaire appliquée dans les programmes de formation des maîtres. Dans les deux cas, la question renvoie aux curriculums – formation des élèves et formation des maîtres – et requiert l’analyse du nouveau média, de sa place dans une logique pédagogique, scolaire ou universitaire.

Une logique particulière à la formation des maîtres voudrait que les étudiants en formation des maîtres soient mis en situation d’étudier avec les technologies mêmes qu’ils sont censés intégrer dans leur future pratique. Selon Loiola et Tardif (2001), les « théories de l’enseignement » des professeurs universitaires, c’est-à-dire leur conception personnelle, ont un impact direct sur l’expérience qu’ils font vivre à leurs étudiants. Dans le cas très particulier de la formation des maîtres, l’apprentissage par le modelage (modeling ou shaping) est considéré, au sens d’une double perspective où le futur maître est amené à étudier de la même façon qu’il est invité à enseigner (Schwartz, 1999 ; Dumoulin, 1999). Ce principe est illustré par Schwartz (1999) avec le modèle d’apprentissage socioconstructiviste appelé STAR.Legacy, conçu initialement pour l’enseignement scolaire, et qu’il a utilisé dans son cours destiné aux futurs maîtres. Ce modèle représente un processus cyclique à partir de problèmes dont le seuil de difficulté augmente à chaque cycle. Les composantes du cycle sont les suivantes : 1) générer des idées, 2) considérer des perspectives multiples, 3) conduire une recherche d’information, 4) tester sa capacité sur le sujet, 5) faire une présentation en public. À ce cycle s’ajoute, en satellite, une activité métacognitive de planification et de réflexion sur chaque processus cognitif. En amenant ses étudiants, futurs maîtres, à pratiquer ce cycle dans leurs propres apprentissages, Schwartz (1999) les met en position de se l’approprier pour l’appliquer dans leur propre enseignement. Dumoulin (1999) invite les futurs maîtres en adaptation scolaire à se plonger dans une situation symétrique à celle à laquelle ils se préparent, soit une clinique de lecture, avec une immersion dans un environnement virtuel, Village Prologue.

La problématique d’intégration des technologies nouvelles en milieu scolaire est de nature pédagogique plutôt que technologique (Tardif, 1996 ; Grégoire, Bracewell et Laferrière, 1996 ; Sandholz, Ringstaff et Dwyer, 1998 ; Dumoulin, 1999 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2000 ; Laferrière, 2000). La disponibilité des technologies dans les écoles ne signifie pas leur mise en oeuvre automatique par les acteurs en contexte scolaire. Dans cette perspective, une démarche de scénarisation pédagogique porte ses fruits et permet une intégration à caractère proprement pédagogique (<http://www.aquops.qc.ca> ; <http://www.cyberscol.qc.ca>). En effet, elle oblige à un ancrage des médias dans la finalité pédagogique et les activités d’apprentissage.

Interactions sociales médiatisées

Bien qu’on commence à connaître les situations d’apprentissage qui intègrent la communication virtuelle par la production de texte (Sherry, 1998 ; Laferrière, 2000), on ignore encore quels seraient le contexte et les modalités d’intégration d’une communication au moyen de la vidéoconférence, ce qui limite le design de scénarios pédagogiques et d’environnements technologiques qui le permettraient. Les acteurs sont les mêmes; ce sont les composantes physiques, spatiotemporelles et logistiques de chaque situation qui apportent chacune une série de déterminants. Le concept de téléprésence doit être étudié de près, pour qu’il puisse être appliqué dans la situation de vidéocommunication.

Selon les socioconstructivistes, les apprenants sont non seulement les acteurs de leurs apprentissages, mais ils développent ces apprentissages à l’intérieur d’interactions sociales avec leurs pairs (Salomon, 1993 ; Resnick, Levine et Teasley, 1996 ; Abrami, Chambers, Poulsen, De Simone, d’Apollonia et Howden, 1996 ; Jonnaert et Vander Borght, 1999 ; Brassard, 1999). Il est souhaitable d’imaginer des activités d’apprentissage où les apprenants seront amenés à interagir entre eux à l’intérieur même de ces activités. Cette conception s’appuie sur la notion de distributed cognition (Salomon, 1993) qui s’ajoute à celle de développement cognitif individuel. Les avancées technologiques en télécommunications multimédias révèlent, par ailleurs, de nouvelles formes d’échanges et de partage de connaissances, ainsi que de développement cognitif partagé lors d’interactions en réseau. La notion d’apprentissage distribué fait ainsi référence à la notion de cognition distribuée selon laquelle le développement cognitif se produit au coeur d’une dynamique d’interactions entre étudiants et avec des environnements virtuels ou semi-virtuels ; ces interactions sont appelées interactions sociales médiatisées.

Design pédagogique et sélection des médias

Si la problématique d’implantation des technologies numériques dans les écoles en est une d’intégration plutôt que d’utilisation (Basque et Rocheleau, 1996 ; Tardif, 1996 ; Grabbe et Grabbe, 1998 ; Sandholz et al., 1998 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2000), le design pédagogique que propose la technologie de l’éducation fournit l’outil conceptuel susceptible de répondre à ce besoin (Brien, 1997 ; Gagné, Briggs et Wagner, 1992 ; Dessaint, 1995 ; Reigeluth, 1983, 1999). Il invite à suivre une logique d’analyse, de conception, de développement, d’implantation et d’évaluation qui assure une qualité pédagogique optimale ; il propose la technique de scénarisation qui permet d’ancrer les résultats des phases d’analyse et de conception dans une solution créative et bien ajustée au contexte d’implantation. Nous disposons aujourd’hui des fondements en sciences cognitives sur lesquels peut reposer le design pédagogique (Brien, 1997) : l’analyse distingue les types de connaissances et de compétences ; la conception s’appuie sur les concepts de motivation, de montage et de rodage ; la sélection des méthodes pédagogiques en découle directement. Cette chaîne logique, pour être complète, inclurait la sélection des médias à associer aux méthodes. Toutefois, s’il est en principe possible d’associer un média simple à une méthode en fonction de leurs caractéristiques respectives, cette approche n’est plus viable lorsqu’il s’agit de dispositifs technologiques multimédiatiques complexes (Romizowski, 1997 ; Brien, Bourdeau et Rocheleau, 1999). Bourdeau et Bates (1997) décrivent un modèle de sélection des médias, qui s’applique pour les systèmes de formation à distance, et dont certains principes pourraient s’appliquer à l’intégration future des TIC dans un système scolaire. Collins, Neville et Bielaczyc (2000) proposent une taxinomie des nouveaux médias où ils les classifient selon des caractéristiques de transmission (largeur de bande, interaction, nombre de récepteurs, négociabilité du sens, contrôle, synchronicité, localisation), d’enregistrement (permanence, reproduction, distribution, modification, navigabilité, repérage), de production (facilité de production, coût de production, spécialisation) et de caractéristiques sociales (engagement et distance émotionnelle, visibilité de l’auteur, crédibilité, isolement/sociabilité). Mais ces auteurs n’incluent pas la vidéocommunication dans leur analyse. La vidéocommunication pourrait être caractérisée partiellement en référence à la communication en face à face (par exemple, une bonne largeur de bande, une interactivité élevée, une bonne possibilité de négocier le sens, de socialiser ; peu d’usagers et peu de contrôle possible, un manque de navigabilité, de possibilité de repérage, de permanence) et, partiellement, à partir de caractéristiques des réseaux informatiques (largeur de bande variable, permanence et enregistrement, usagers nombreux, sociabilité et visibilité variables).

La vidéocommunication

La vidéocommunication se présente comme une forme possible du téléapprentissage (Marchand, Loisier et Bernatchez, 1999 ; Coll, 2000), c’est-à-dire d’un apprentissage soutenu par des principes, des méthodes, des techniques et des moyens incluant des télécommunications (Centre interuniversitaire de recherche en téléapprentissage, 2000). Le téléapprentissage est vu comme un substitut ou comme un complément à l’apprentissage scolaire (Conseil supérieur de l’éducation, 2000). Un système de vidéoconférence rend possible la rencontre de plusieurs personnes sur plusieurs sites différents. Le dispositif se compose d’au moins une caméra qui permet la mise au point d’images d’individus, d’équipes ou de groupes. Ces images sont transmises par l’intermédiaire d’une liaison vidéo aux écrans des autres sites. Au moyen d’une console qui gouverne les différentes caméras, le présentateur contrôle ce qui doit être transmis. Chaque site est muni d’un ou de plusieurs microphones qui permettent une communication spontanée, et les microphones sont équipés de boutons de commande qui permettent à l’utilisateur de signaler son intention de prendre la parole. Le degré de contrôle (de l’étudiant) sur la communication est donc limité. De plus, le peu de visibilité des participants diminue encore ce contrôle. Comme dans un cours magistral non médiatisé, les occasions d’interaction sociale sont limitées. La vidéoconférence offre cependant une amélioration par rapport à l’audioconférence, en réduisant la difficulté d’identifier les personnes qui parlent (Laurillard, 1993).

La démarche de recherche entreprise et visant à éclairer l’intégration de la vidéocommunication en formation des maîtres est décrite comme une démarche en trois temps. Dans un premier temps, un projet in situ en milieu universitaire, a permis d’analyser le potentiel d’interactivité, et d’acquérir une pratique de la vidéocommunication en formation des maîtres, sans toutefois que soit prise en considération son intégration dans le curriculum . Dans un deuxième temps, un projet également in situ, cette fois en milieu scolaire, a permis de développer des savoirs et des savoir-faire quant à l’intégration en classe. Enfin, un troisième temps de la démarche devrait réunir l’intégration non seulement dans les pratiques, mais dans le curriculum de formation des maîtres, c’est-à-dire en préparant les maîtres à le pratiquer à l’école, par exemple en s’inspirant d’un modelage.

Analyse de l’interactivité en vidéocommunication dans un milieu universitaire

C’est principalement à l’ordre universitaire que la vidéocommunication s’est intégrée dans les activités d’enseignement (Jamieson et Martin, 1996 ; Demers, Beaulieu, Harvey et Chouinard, 1998 ; Marchand et al., 1999 ; Coll, 2000 ; Coventry, 2001). Pour Coventry, les raisons d’intégrer la vidéoconférence se distinguent selon le contexte d’enseignement, soit complètement à distance (téléprésence, socialisation, cohérence du groupe, accès aux professeurs et aux experts), soit enseignement dit traditionnel (élargir l’expérience d’enseignement, augmenter l’accès aux experts, classes virtuelles).

La question de l’interactivité en vidéocommunication soulève des interrogations quant aux décisions de design pédagogique relatives aux différents contextes d’intégration (Jamieson et Martin, 1996 ; Demers et al., 1998 ; Marchand et al., 1999 ; Coventry, 2001).

La recherche sur l’interactivité en vidécommunication [1] a été menée en milieu universitaire, entre l’Université du Québec à Chicoutimi et une école d’ingénieurs française, l’ENSAAT, dans le cadre de l’initiative de recherche franco-québécoise « recto-verso », sur les principes, méthodes et outils de téléformation multimédia, et sous le nom de « Téléprésentation interactive » (Bourdeau, Ouellet et Gauthier, 1998). La recherche visait à déterminer le potentiel d’interactivité et les conditions d’utilisation des formules pédagogiques interactives utilisées en vidéocommunication.

Méthodologie

La méthodologie décrite ci-dessous a été retenue pour étudier l’interactivité de certaines formules pédagogiques dans une situation de téléprésentation entre deux sites, soutenue par deux technologies : la vidéoconférence et une technologie de téléenseignement collaboratif. Cette section comprend la description des formules pédagogiques, des participants, des cours, de l’environnement physique, de l’environnement technologique, de la cueillette de données et des méthodes d’analyse.

La formule pédagogique est, selon Prégent (1990), l’organisation d’activités pédagogiques qui visent l’atteinte efficace des objectifs donnés. Son efficacité dépend de facteurs tels que la nature de la population étudiante, la matière enseignée, la personnalité du professeur, les conditions physiques et matérielles et finalement les objectifs visés (Brown et Atkins, 1988). Une formule pédagogique intègre souvent, à des doses variées, les caractéristiques de plusieurs autres formules (Tournier, 1978). Les activités qui la composent doivent être décrites selon leur intensité, leur durée et le moment de leur mise en fonction (Amégan, 1993 ; 1996). Quant aux médias utilisés (audiovisuel, informatique, documents écrits, vidéoconférence etc.), ils sont considérés comme des moyens ou des outils d’enseignement.

Les formules pédagogiques choisies pour cette recherche tenaient compte d’une population étudiante hétérogène, d’une matière enseignée à un site local et à distance par plusieurs professeurs, dans des conditions physiques et matérielles nouvelles ; elles ont été sélectionnées en raison de leur potentiel de présentation et d’interactivité et parce qu’elles sont appropriées à la pédagogie universitaire et au contenu de cette formation. Il s’agit de la table ronde, de l’enseignement en équipe, du séminaire, des travaux pratiques (laboratoire) et de l’exposé magistral (informel).

La table ronde est définie par Legendre (1993), comme étant « une réunion caractérisée par le principe d’égalité entre les participants convoqués pour discuter d’un sujet précis ». Dans le cas présent, la table ronde avait la particularité d’être intersites, c’est-à-dire qu’elle concernait deux personnes sur chaque site, interreliées par les outils de vidéoconférence et de travail collaboratif. L’enseignement en équipe est donné en alternance par deux ou plusieurs professeurs durant le même cours (Prégent, 1990). Le séminaire consiste en une rencontre d’un petit groupe d’étudiants qui explorent collectivement un sujet donné sous la direction d’un professeur qui joue le rôle d’expert et d’animateur ; les étudiants doivent se préparer au préalable (Tournier, 1978). Les travaux pratiques peuvent se présenter sous différentes formes : projet, séance de laboratoire, exposé ou rapport de stage. Plus particulièrement, on entend par séance de laboratoire, un travail pratique que l’on confie à une équipe pour évaluer l’atteinte de certains objectifs d’un cours. En principe, cette formule se rapproche de la démonstration, laquelle « a pour fonction de faire voir des étapes, un ordre de réalisation ou encore des caractéristiques qui seraient difficilement accessibles en apprenant par la simple audition » (Chamberland, Lavoie et Marquis, 1995). Enfin, lors de l’exposé magistral, le professeur s’adresse aux étudiants durant toute la période qui lui est réservée, pendant que les étudiants prennent des notes ; dans le cas de l’exposé informel, le professeur cherche davantage la participation des étudiants, en posant des questions ou en répondant à celles qui lui sont posées (Prégent, 1990).

Les participants comprennent douze étudiants en génie et en formation des maîtres du site local (Université du Québec à Chicoutimi), filmés et observés, ainsi que les personnes engagées dans diverses activités relatives à l’expérience, soit deux professeurs qui ont joué le rôle d’animateur ou de présentateur à tous les cours, quatre autres professeurs et trois étudiants qui ont fait des présentations lors des différents cours, un technicien, deux observateurs et un cadreur (cameraman) présents pendant toute l’expérience. Plusieurs professeurs en formation des maîtres assistaient comme observateurs. Les participants du site distant (ENSAAT) n’ont pas fait directement l’objet d’étude.

La session de formation qui s’est déroulée sur une période de trois mois comprenait six cours d’une durée de deux heures chacun ; le contenu portait sur les techniques et outils de téléprésentation. Le premier cours traitait des périphériques ; il a été donné principalement par un professeur sur le site local. Le deuxième avait pour contenu l’application de la téléprésentation ; il a été présenté en alternance par les deux sites participants. Le troisième, qui avait trait aux techniques de mise en oeuvre, était aussi donné en alternance par les deux sites. Les cours suivants portaient sur les réseaux de données IP, puis sur les réseaux synchrones et leurs utilisations en vidéoconférence et étaient aussi donnés en alternance. Finalement, pour le dernier cours, sur les réseaux à haut débit (ATM), la présentation a principalement été assumée par un professeur du site distant. Les différentes formules pédagogiques se trouvaient réparties de la façon suivante : au premier cours, table ronde impliquant quatre spécialistes, deux sur chacun des sites, suivie d’une séance de discussion, initiée par des questions préparées à l’avance par les spécialistes ; au deuxième cours, coenseignement (team teaching) avec deux téléprésentateurs (un sur chaque site) ayant préparé des documents à contenu théorique qu’ils devaient présenter en favorisant les commentaires et la participation de l’autre professeur ; au troisième cours, coenseignement avec deux professeurs, l’un du site local et l’autre du site distant, devant s’organiser pour faire en alternance des présentations, en s’appuyant sur des documents diffusés en réseau ; au quatrième cours, séminaire intégrant successivement une présentation donnée par deux dyades d’étudiants (l’une sur chaque site), ainsi qu’un compte rendu d’analyse d’un document pédagogique, présenté sur cassette vidéo ; au cinquième cours, travaux pratiques, soit une séance de laboratoire ou une démonstration, avec un professeur du site éloigné effectuant une manipulation d’instruments, pour illustrer un phénomène (faire varier la qualité du son et de l’image) ; au sixième et dernier cours, exposé magistral, donné par le spécialiste du site distant, qui devait répondre à des questions rédigées à l’avance par l’expert du site local.

Les salles de classe des deux sites comportaient un dispositif de vidéoconférence (réseau téléphonique), un accès réseau Internet et un dispositif de projection informatique, et un logiciel de téléenseignement (téléamphi, de France Télécom) permettant de présenter en simultanéité et en temps réel des documents multimédias sur divers sites après les avoir installés sur un site maître. Le téléprésentateur commande le déroulement du document et peut faire des annotations sur les pages qu’il projette ou passer la main à un site distant, c’est-à-dire lui transférer le contrôle de l’affichage et des annotations.

Plusieurs sources ont permis de recueillir les informations relatives à la question posée : entrevues avec les animateurs, les téléprésentateurs et avec les participants étudiants ; observations in situ; visionnement de cassettes vidéo d’enregistrement.

Les méthodes d’analyse utilisées sont de nature qualitative (Savenye et Robinson, 1996). Deux textes verbatim ont été constitués et soumis à deux grilles d’analyse afin de traiter les deux sources de données provenant des entrevues. Une triangulation des résultats a été conduite dans le but de valider les premiers résultats.

Résultats

Les résultats comprennent ceux des analyses des entrevues avec les téléprésentateurs, les animateurs, et des participants étudiants, ainsi que ceux des analyses des observations in situ et des visionnement des cassettes vidéo. Ils sont regroupés sous trois titres : interactions personne-machine, interactions sociales médiatisées, rendement des formules pédagogiques.

Interactions personne-machine

Les interactions personne-machine, c’est-à-dire celles qui ont lieu avec le pupitre de contrôle, avec l’ordinateur dans la salle, avec le serveur-maître à distance, se sont faites, semble-t-il, au détriment des interactions pédagogiques. Nous avons constaté un détournement de l’attention au profit des dispositifs technologiques, un niveau élevé de stress causé par les manipulations techniques et la limitation de la mobilité en raison de la fixité des caméras et micros. Lors d’une entrevue, un professeur reconnaît avoir été un technicien plus qu’un pédagogue, et avoir géré le dispositif technique plutôt que sa classe. Un autre professeur dit avoir été préoccupé par le contrôle du stress causé par sa présentation plutôt que par le contrôle de ses groupes.

En revanche, les commentaires libres des participants indiquent que, pour eux, ces pertes étaient compensées par l’avantage d’être en contact avec des personnes éloignées et avec des experts. À leur avis, ces défauts pourraient être réduits par une préparation minutieuse. Pour la majorité des participants, il serait nécessaire de réorganiser le dispositif technique, d’harmoniser l’ensemble par une meilleure intégration des multiples éléments de ce dispositif. Ces remarques peuvent être considérées comme étant reliées à l’innovation technique (manque de maturité du dispositif technologique) plutôt qu’à l’innovation pédagogique.

Interactions sociales médiatisées

Les interactions sociales en vidéocommunication exigent que le dispositif technique soit efficace (sans problème ni délai) et permette la communication entre les participants sur les différents sites, ainsi qu’une procédure de prise de parole convenue. Les résultats des entrevues pointent vers un effet de décrochage qui serait attribuable à des défaillances techniques ainsi qu’à un manque de convention claire et précise concernant la procédure de prise de parole. Toujours selon les personnes interviewées, il n’existe pas d’accord sur la difficulté première, entre les interactions avec les personnes du site local et celles du site éloigné. Pour deux d’entre elles, l’interaction et le contact pédagogique sont plus difficiles sur le site local. Pour deux autres, c’est sur le site éloigné que l’interaction et le contact pédagogique sont les plus difficiles ; il serait « compliqué de savoir comment se comportent les étudiants du site éloigné ».

Les résultats relatifs aux interactions sociales médiatisées mettent en évidence l’existence d’une gêne causée par le fait que les participants des deux sites n’aient pas été présentés les uns aux autres au départ, le manque de contact des yeux, une certaine ambiguïté de la communication verbale (« on ne sait pas suffisamment comment nos messages passent et comment ils sont perçus ») et le manque de préparation des présentateurs à leurs nouvelles fonctions.

Il semble que les participants aient ressenti un phénomène de privation sensorielle, sans toutefois le qualifier autrement que par un manque. Cette constatation mériterait à elle seule une recherche approfondie sur le phénomène. Les participants se sont déclarés intrigués de savoir comment se comportent les étudiants du site éloigné, et désireux d’entretenir un contact auditif plus abondant avec l’autre site pour compenser l’absence physique. Parmi les éléments susceptibles de réduire les difficultés rencontrées par le téléprésentateur, les participants proposent que le téléprésentateur procède à une planification détaillée de son cours, qu’il prévoie une stratégie de vérification de la compréhension des étudiants, qu’il permette aux participants de s’identifier pour favoriser les échanges, et qu’il pense à trouver des solutions de rechange, bref, des plans de remplacement en cas de défectuosité des outils.

Formules pédagogiques

Les participants s’entendent pour dire que les cours étaient trop magistraux, d’un contenu trop informatif. Les cours manquaient de dynamisme et le manque de temps qui obligeait le téléprésentateur à accélérer le pas faisait croître le niveau de concentration requis pour suivre le rythme. Pour améliorer la situation, il faudrait prévoir des activités plus variées et permettant de poser des questions aux apprenants ; les cours entièrement théoriques sont à proscrire. Les participants croient qu’il est possible d’appliquer à la vidéoconférence les formules pédagogiques les plus diversifiées ; certains jugent que les formules qui exigent un apprentissage coopératif sont plus difficilement applicables, alors que pour d’autres, ce sont les exposés des étudiants et les séminaires qui seraient les plus difficiles à réaliser. En comparaison avec d’autres formules, l’exposé fournit le meilleur rendement (tableau 1), le rendement étant calculé comme la somme du temps efficace en termes de téléprésentation, d’une part, et d’interactions sociales, d’autre part.

Tableau 1

Rendement des formules pédagogiques

Rendement des formules pédagogiques

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On constate que le rendement est inversement proportionnel au degré d’interactions sociales, ce qui peut s’expliquer par les problèmes ou délais techniques déclenchés, et par l’exigence de procédure pour la prise de parole, qui semble freiner les initiatives d’interactions.

La triangulation des résultats

Une validation des résultats a été effectuée en appliquant la technique dite de triangulation méthodologique (Lincoln et Guba, 1985). Trois catégories principales en découlent. Il s’agit de l’impact du dispositif technologique utilisé, de la place de l’interactivité dans les situations pédagogiques et du rendement des formules pédagogiques.

L’impact du dispositif technologique sur la session d’enseignement comprend : a) le contact en temps réel avec des experts, des personnes d’outre-mer  ; b) l’accès à des connaissances différentes, peu accessibles autrement ; c) l’occasion de partager avec des gens de même langue, mais de culture différente.

Le potentiel d’interactivité de la vidéoconférence est limité par les problèmes techniques tels que les coupures ou les délais dans le passage de main, ainsi que par la privation sensorielle, causée par le canal réduit de communication, sur les plans visuel, auditif et perceptuel, en général. La vidéoconférence ne permet pas, semble-t-il, la finesse des sensations et des compréhensions relatives aux actions et aux contacts réels apportés par la proximité physique dans les échanges. Outre la privation sensorielle dont il a déjà été question, les observations et les entrevues effectuées font émerger quatre principaux problèmes : la discontinuité dans les échanges, les transitions trop longues entre les activités, la convention de procédure trop informelle et imprécise et, finalement, la socialisation trop superficielle.

Le rendement des formules pédagogiques a été établi en termes d’interactivité. Si l’on considère que dans un cours peu ou non médiatisé, il est peu probable d’obtenir (et de mesurer) un taux d’efficacité de 100 %, en appliquant différentes formules pédagogiques, et si l’on tient compte du contexte innovateur, on peut dire, à partir des taux de rendement obtenus, que les formules utilisées ont fourni un rendement variable. L’exposé magistral informel est la formule qui ressort comme étant la plus efficace. Toutefois, ce type de formule pédagogique est celui qui requiert le moins de manipulation technique (coupure de communication 18 %) et le moins d’interaction entre les participants (11 %). En ce qui concerne les formules les plus interactives, qui auraient le plus de chance d’augmenter les interactions sociales, elles obtiennent des résultats ou semblables ou moins élevés. Pour toutes les formules employées, le point majeur est celui de l’importance du processus de préparation. L’efficacité de l’application d’une formule pédagogique réside dans la préparation rigoureuse de la structure et de la conception pédagogique de chacun des cours. Cette conception inclut des plans de remplacement pour contrer les problèmes techniques les plus perturbants. Ces résultats indiquent que la téléprésentation pourrait éventuellement offrir sensiblement les mêmes possibilités que les exposés magistraux informels traditionnels et qu’elle pourrait augmenter son efficacité en ce qui à trait aux formules plus interactives, si le processus de conception pédagogique était bien respecté.

Conclusion

La démarche proposée, en trois temps, a déjà fourni les premiers résultats et devrait permettre d’atteindre l’objectif, soit d’éclairer le processus d’intégration de la vidéocommunication en formation des maîtres. Les premiers résultats se résument de la façon suivante :

  • la vidéocommunication possède un potentiel élevé d’interactivité pédagogique, entre des participants distants et avec un environnement médiatique multiple (questions-réponses, matériel didactique interactif, qualité sonore de la communication, environnement informatique partagé, etc.) ;

  • la vidéocommunication peut provoquer un phénomène de privation sensorielle, en raison notamment du manque de visibilité et de contact visuel ;

  • la fixité du dispositif de vidéoconférence peut être ressentie comme une limite ;

  • la gestion du dispositif technique peut être ressentie comme trop exigeante au détriment de l’attention accordée aux participants ;

  • la préparation détaillée du cours serait une garantie notable de qualité.

Le processus de design pédagogique apparaît comme une condition sine qua non d’une intervention pédagogique efficace intégrant les nouvelles technologies dont la vidéocommunication fait partie, que ce soit pour l’enseignement universitaire ou l’apprentissage scolaire. Les résultats d’un projet en milieu universitaire indiquent le potentiel d’interactivité de plusieurs formules pédagogiques exploitant la vidéocommunication et la nécessité d’un processus intensif de préparation. Les premiers pas d’une recherche-action en milieu scolaire [2] indiqueront les exigences propres à l’intégration en milieu scolaire. Les pistes pour l’intégration dans la formation des maîtres [3] émergeront d’une analyse complète de la compétence à développer, ainsi que des pratiques pédagogiques permettant l’acquisition de cette compétence à l’intérieur de la formation universitaire. Cette analyse s’appuiera sur deux référentiels de compétences, celui des élèves (Gouvernement du Québec, 2000) et celui des enseignants (Gouvernement du Québec, 2001).