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Introduction

Au cours des trois dernières décennies, l’éducation des élèves ayant des besoins spéciaux, soit ceux aux prises avec des handicaps ou des troubles d’adaptation et d’apprentissage, a subi des transformations considérables. En 1966, à l’instar d’autres provinces canadiennes, le gouvernement manitobain reconnaissait à ces élèves le droit d’accès à l’éducation (Duchesne, 1993 ; 1997). Les modalités d’exercice de ce droit ont ensuite évolué en allant de la ségrégation dans les écoles ou les classes spéciales au cours des années 1970, en passant par l’intégration en classe ordinaire dans les années 1980, jusqu’à l’inclusion dans l’école et la communauté au cours des années 1990.

Malgré les controverses et les difficultés qu’il soulève, le mouvement d’inclusion progresse lentement et semble actuellement vouloir s’imposer non seulement au Manitoba (Manitoba Education, Training and Youth, 2001), mais aussi dans d’autres provinces canadiennes (King et Edmunds, 2001) et dans plusieurs pays à travers le monde (UNESCO, 1999 ; 2000 ; 2001). Parmi les questions d’envergure qui se posent alors, l’une concerne la formation des éducateurs à qui revient la responsabilité de mettre en oeuvre cette orientation dans le quotidien des écoles et des communautés. Cet article se propose donc, après avoir présenté une synthèse des préoccupations dans ce domaine, de décrire et d’analyser les résultats d’une enquête sur les connaissances, les croyances et les attitudes des éducateurs et des jeunes franco-manitobains concernant les modalités « inclusives » d’exercice du droit à l’éducation. En dernier lieu sont examinées les implications pour la formation des agents éducatifs.

Contexte

Depuis le début des années 1990, le terme « inclusion » augmente en popularité et tend à se substituer à « intégration » dans le domaine de l’éducation des enfants ayant des besoins spéciaux. Ce changement de terminologie représente un déplacement de la centration sur la gestion de l’enfant et de ses difficultés pour faciliter son adaptation à la classe ordinaire, à la gestion de l’école et de la classe afin qu’elles s’ouvrent à la diversité et qu’elles accueillent tous les enfants. Selon le rapport de la conférence de Salamanque (UNESCO, 1994), l’orientation vers l’inclusion ou l’école intégrative

constitue le moyen le plus efficace de combattre les attitudes discriminatoires, en créant des communautés accueillantes, en édifiant une société intégratrice et en atteignant l’objectif de l’éducation pour tous.

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On reconnaît que l’inclusion est une question de droit qui se situe dans le prolongement de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies en 1948, de la Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée en 1989, de la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous, adoptée en 1990, et des Règles des Nations Unies pour l’égalisation des chances des handicapés, adoptées en 1993. Au Canada, selon Sussel (1995) et Williams et Macmillan (2001), depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés, et en se référant particulièrement à l’article 15 sur le droit à l’égalité, les législateurs répondent positivement aux pressions des parents, des groupes et des organismes qui travaillent à la défense des droits des enfants handicapés. Le droit pour ces derniers d’être éduqués avec leurs pairs non handicapés, à l’aide d’un soutien pédagogique et financier approprié, est maintenant bien établi dans plusieurs provinces canadiennes (King et Edmunds, 2001).

Bien sûr, pour être effective, l’inclusion exige un travail important de conscientisation et de formation des agents d’éducation. À cet égard, plusieurs auteurs étudient la dissémination des principes et la pédagogie de l’inclusion (Abery, Schoeller, Simunds, Gaylord et Fahnestock, 1997 ; Booth et Ainscow, 1998 ; Fisher, Sax et Pumpion, 1999 ; Hutchinson, 2002 ; Kennedy et Fisher, 2001 ; Friend et Bursuck, 1996 ; O’Brien, Forest, Snow, Pearpoint et Husbury, 1992 ; Stainback et Stainback, 1984 ; Villa et Thousand, 1995 ; etc.). Ces derniers prônent l’unification des systèmes d’éducation régulier, compensatoire et spécial, le placement de tous les élèves en classe ordinaire et l’adoption de pratiques pédagogiques exemplaires et différenciées pour mieux répondre aux besoins de tous, et spécialement de ceux qui exigent un soutien particulier (Winzer, 1998).

D’autres recherches (Commission des droits de la personne du Manitoba, 1991 ; Elbers et Tibbitts, 1997 ; Ferrer, 1997 ; Gamble, 1997 ; Hrimech et Jutras, 1997 ; Lafortune et Gaudet, 2000 ; Lodhi et McNeilly, 1993 ; Sitch et McCoubrey, 2001) s’attardent à l’éducation aux droits de la personne, selon une perspective planétaire (Lessard, Desroches et Ferrer, 1997). Ces derniers auteurs veulent lutter contre l’insécurité, l’exclusion, l’exploitation, en formant des citoyens responsables, respectueux des droits et des différences individuelles et culturelles. Aussi préconisent-ils une démarche pédagogique d’infusion, consistant à introduire graduellement et systématiquement, dans les programmes d’études, des connaissances et des activités pour élargir la conscience et la compréhension des droits, modifier les attitudes et, finalement, clarifier les valeurs en regard de la diversité.

Malgré l’envergure des travaux centrés sur la valorisation de l’inclusion au cours de la dernière décennie, l’impact sur le plan de la salle de classe demeure encore limité. Les éducateurs, même s’ils sont réceptifs aux principes d’inclusion et du respect des droits, ne se sentent pas prêts à accepter les responsabilités qui découlent de ces principes (Winzer, 1998 ; Edmunds, 1998). Leurs attitudes sont davantage déterminées par des questions d’ordre pratique reliées à la planification et à la gestion quotidienne des activités d’enseignement et d’apprentissage, que par les inquiétudes relatives à l’injustice sociale. Ces attitudes sont sensiblement les mêmes que celles notées, il y a déjà une dizaine d’années ou davantage (Winzer, 1987 ; Duchesne, 1990), concernant l’intégration scolaire des enfants dits exceptionnels. Par ailleurs, les agents d’éducation portent relativement peu d’intérêt aux dimensions politiques, organisationnelles et législatives de l’inclusion (Lupart, 1998), et possèdent des connaissances vagues, sinon inexactes, dans le domaine des droits (Peters et Montgomerie, 1998). Selon Sitch et McCoubrey (2001), ils auraient même peur que la reconnaissance des droits des enfants engendre le désordre dans la salle de classe. En somme, l’influence des éducateurs sur les attitudes des élèves ne peut que refléter leur propre indétermination. Il n’est donc pas surprenant de constater que les élèves, tout en se disant réceptifs à accueillir leurs pairs ayant des besoins spéciaux, se montrent, néanmoins, fort indécis sur la manière d’interagir avec eux (McGregor et Vogelsberg, 1998 ; Nowicki et Sandieson, 1999). Avec Edmunds (1998), on peut conclure à l’urgence d’intensifier la formation des agents d’éducation si l’on veut éviter que les attitudes positives pour l’inclusion ne finissent par s’estomper.

Cependant, comme le suggère Warner (2000), intensifier la formation nécessite de recentrer l’attention en dépensant moins d’énergie à exhorter les agents d’éducation à adopter des pratiques exemplaires, et davantage à identifier et à évaluer les conditions qui favorisent un changement positif et permanent des attitudes et des pratiques. Dans cet esprit, Meyer (2001) affirme que les recherches et les écrits récents sur l’inclusion offrent aux éducateurs une quantité de principes et de pratiques exemplaires à adopter. On peut se demander si ces écrits sont vraiment utiles aux éducateurs qui doivent composer quotidiennement avec de multiples contraintes, incluant un manque de formation qui ne leur permet pas de relier ces nouvelles connaissances à leurs connaissances antérieures. Les pratiques exemplaires sont donc perçues comme des responsabilités qui s’ajoutent aux pratiques existantes, plutôt que comme une transformation en profondeur de ces dernières. Il s’ensuit qu’elles peuvent trop facilement être rejetées. Compte tenu de ce qui précède, il y a donc lieu de porter une attention plus grande aux expériences ordinaires d’inclusion, autant positives que négatives, afin de mieux identifier les facteurs qui amènent diverses collectivités à vivre l’inclusion différemment les unes des autres et, ainsi, mieux répondre aux besoins réels des éducateurs.

Dans ce contexte, la présente recherche a été entreprise afin d’orienter la formation et le développement professionnel des agents éducatifs franco-manitobains et de les aider à relever les défis rattachés à la promotion du respect des droits, de même qu’à la lutte contre la discrimination envers les enfants ayant des besoins spéciaux. Si l’on accepte qu’une formation basée sur les principes socioconstructivistes (Larochelle et Bednarz, 1994 ; Jonnaert et Vander Borght, 1999) compte actuellement parmi les plus susceptibles d’entraîner des changements permanents, pour y parvenir, il importe de créer des conditions propices à l’activité réflexive et au dialogue. Cela nécessite l’identification des connaissances, des croyances et des attitudes des agents d’éducation dans le domaine de l’inclusion, construites à partir de leurs expériences et de leurs interactions sociales antérieures. Ces informations s’avèrent utiles pour planifier de façon stratégique le soutien ou l’étayage visant à faciliter l’adaptation des éducateurs aux exigences de la situation qui les confronte, soit l’accueil de tous les enfants dans le milieu de la vie ordinaire de l’école de leur quartier.

Pour atteindre cet objectif, la présente recherche s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord, il s’agissait d’identifier les connaissances, les habiletés et les attitudes que l’on peut raisonnablement retrouver dans une collectivité intégrative. Une recension des documents publiés par le ministère de l’Éducation et de la Formation professionnelle du Manitoba, par des groupes ou des organismes travaillant à la promotion des droits des personnes handicapées et par les spécialistes de l’éducation inclusive a permis de dresser une liste de 82 indicateurs destinés aux administrateurs scolaires ; au personnel enseignant et affecté aux services aux élèves ; aux élèves réguliers et ceux qui ont des besoins spéciaux ; de même qu’aux parents et à la communauté en général (Duchesne, 1997).

La seconde étape consiste en une enquête exploratoire menée auprès des agents d’éducation et des élèves franco-manitobains terminant leurs études secondaires, en relation avec un certain nombre d’indicateurs préidentifiés. Cette enquête vise à faire ressortir jusqu’à quel point la collectivité est ouverte à l’accueil des élèves ayant des besoins spéciaux et à identifier les facteurs susceptibles de faciliter ou d’entraver le mouvement d’inclusion. Dans cette perspective, l’enquête porte sur les connaissances, c’est-à-dire la compréhension de la nature des droits, de même que des principes et des conditions d’obtention et d’exercice desdits droits, ainsi que sur les croyances et les attitudes, soit les convictions ou les opinions par rapport aux droits, et les manifestations d’une volonté d’agir ou de réagir positivement ou négativement quant aux responsabilités associées aux droits. Les concepts de croyance et d’attitude sont ici indissociables.

Méthodologie

Échantillon

L’échantillon se compose de trois groupes : 21 administrateurs scolaires, 104 membres du personnel (orthopédagogues, conseillers, auxiliaires, éducateurs spécialisés) et 126 élèves terminant le secondaire 4 (12e année). L’échantillon est stratifié pour représenter la communauté éducative franco-manitobaine : les sujets proviennent des populations urbaine et rurale et, dans ce dernier cas, des régions de l’est, du sud et de l’ouest de la province. Le personnel des écoles primaires (maternelle à 7e ou 8e année) et secondaires (7e ou 8e année à secondaire 4) a également été sélectionné.

Un sous-échantillon de 5 administrateurs, de 10 membres du personnel et de 10 élèves a été retenu pour l’entrevue. Les critères de choix ont porté sur la représentation des écoles primaires et secondaires autant urbaines que rurales. Pour obtenir une plus grande variété d’opinions, comme le suggère Weiss (1994), ces sujets ont été choisis en fonction de leurs résultats au Questionnaire sur le droit à l’éducation pour les élèves qui ont des besoins spéciaux au Manitoba (Duchesne, 1998), dont les résultats se situaient en deçà du 1er, et au-delà du 3e interquartile, tout autant qu’à l’intérieur de la zone médiane de la distribution des scores.

Instrumentation

La collecte des données s’est faite à l’aide de deux instruments : le premier, le Questionnaire sur le droit à l’éducation pour les élèves qui ont des besoins spéciaux au Manitoba (ci-après nommé le Questionnaire), a été construit pour répondre aux préoccupations spécifiques de cette étude, et le second est constitué d’entrevues semi-structurées.

Le Questionnaire se divise en quatre sections. Les premiers items portent sur les variables indépendantes : l’expérience, la fonction, la région, l’école, la fréquence des études ou des discussions sur le sujet des droits, la fréquence des contacts avec des élèves ayant des besoins spéciaux. La partie A fait ressortir les connaissances, les croyances et les attitudes relatives aux droits de la personne en général. La partie B touche aux modalités d’exercice du droit à l’éducation pour les élèves ayant des besoins spéciaux, telles que définies par le ministère de l’Éducation et de la formation professionnelle du Manitoba (1989). La partie C s’intéresse aux responsabilités institutionnelles, professionnelles et personnelles quant à la reconnaissance et au respect du droit à l’éducation pour les élèves ayant des besoins spéciaux. Les parties A et B sont identiques pour les trois groupes de répondants, la partie C est spécifique à chaque groupe.

Les trois parties, A, B et C, comprennent chacune huit paires d’énoncés, l’un présentant une opinion « pro-droit », l’autre, une opinion alternative courante indiquant une certaine incompréhension ou un manque de respect pour les droits. Les répondants lisent d’abord les deux énoncés de chaque paire, puis indiquent leur accord ou leur désaccord avec chacun des énoncés sur une échelle de type Lykert : 1) entièrement en désaccord, 2) plutôt en désaccord, 3) plus ou moins d’accord, 4) plutôt d’accord et 5) entièrement d’accord. Le score pour chaque partie, A, B et C, se calcule en additionnant le degré d’accord en regard des 16 énoncés, les énoncés pro-droits ayant une valeur positive, les énoncés alternatifs, une valeur négative. Chaque score varie de -32 à +32. Un score positif indique des connaissances exactes et des croyances et des attitudes positives envers les droits ; un score négatif révèle des connaissances limitées et des croyances et des attitudes négatives. Un score de zéro marque l’ambivalence. Dans le cas où un répondant ne pouvait se prononcer sur l’un ou l’autre des énoncés, il pouvait cocher la case « Je ne sais pas ».

Une attention spéciale a été accordée à la validité du contenu du Questionnaire. En plus d’être en relation avec les indicateurs préidentifiés (Duchesne, 1997), l’exactitude et la pertinence des énoncés ont été évaluées par cinq spécialistes provenant de disciplines différentes, soit la sociologie, les sciences politiques, le droit, l’administration scolaire et la recherche en éducation. Le Questionnaire a ensuite été prétesté sur trois groupes d’étudiants de premier et de deuxième cycles à la Faculté d’éducation du Collège universitaire de Saint-Boniface. Enfin, la fiabilité a été évaluée par la méthode de bissection (split-half ). Les coefficients sont de 0,95 pour les administrateurs, de 0,71 pour le personnel scolaire et de 0,78 pour les élèves de secondaire 4. Ces coefficients sont tous significatifs (p < 0,001).

En ce qui concerne le déroulement des entrevues, l’interviewer a remis à l’interviewé la copie du Questionnaire qu’il ou elle avait complétée au préalable. Il a ensuite revu avec l’interviewé les parties A, B et C en formulant des questions ouvertes pour obtenir les opinions et les raisons des réponses indiquées. Les entrevues, d’une durée de 20 à 30 minutes, ont été enregistrées et transcrites pour fins d’analyse.

Procédures de collecte et d’analyse des données

Le Questionnaire a été administré collectivement aux sujets des trois groupes en avril et en mai 1998. Les répondants ont été invités à signer leur copie s’ils acceptaient de participer aux entrevues, qui ont eu lieu en juin. Pour protéger la confidentialité, les répondants ont été informés que les questionnaires seraient conservés sous clé au bureau du chercheur et détruits à la fin du processus de recherche. Plus de 95 % de l’échantillon a signé. Un assistant de recherche s’est rendu dans les écoles sélectionnées pour administrer le Questionnaire et mener les entrevues.

L’analyse des résultats du Questionnaire porte sur les différences observées entre les trois groupes de répondants aux parties A et B, sur celles reliées aux variables indépendantes, et sur les incongruités dans le degré d’accord entre les énoncés pro-droits et alternatifs. Les différences sont considérées significatives au seuil de 0,05. Les données étant de nature ordinale, la méthode d’analyse de variance de Kruskall-Wallis (ou le test de Mann-Whitney, lorsqu’indiqué) et le test de Wilcoxon pour groupes pairés sont utilisés (Seigel et Castellan, 1988). Dans les analyses statistiques, seuls les sujets qui ont indiqué un degré d’accord à tous les énoncés du Questionnaire sont retenus, soit 13 administrateurs, 57 membres du personnel et 57 élèves.

L’analyse des entrevues utilise la comparaison des cas extrêmes (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1995) en confrontant les 10 sujets (2 administrateurs, 4 membres du personnel et 4 élèves) ayant obtenu un score élevé (SÉ), c’est-à-dire près et au-delà du 3e interquartile de la distribution des scores pour l’ensemble du Questionnaire, aux 10 sujets qui ont obtenu un score faible (SF), près et en deçà du 1er interquartile. Les transcriptions ont été revues par le chercheur et codées en fonction des thèmes du Questionnaire, à l’aide du programme QSR NUD*IST 4 (Qualitative Solutions and Research Pty, 1997). Ce logiciel a été utilisé principalement pour faciliter le codage et la manipulation des données. À la suite du codage des propos de tous les sujets, le programme a généré deux rapports parallèles pour chaque thème, un pour le groupe SÉ, l’autre pour le groupe SF. L’analyse comparative du contenu de ces rapports a fait ressortir les connaissances, les croyances et les attitudes différentes parmi les sujets des deux groupes. Précisons que l’analyse a été faite par le chercheur en fonction de la nature et de la fréquence ou de la récurrence des propos. Les fonctions d’analyse incluses dans le logiciel n’ont pas été utilisées. De plus, en raison du manque de personnel qualifié, il n’a pas été possible de faire revoir l’analyse par une personne indépendante.

Résultats

Analyse des résultats du Questionnaire

Différences entre les groupes de répondants aux parties A et B du Questionnaire

Comme le tableau 1 le démontre, les administrateurs et les membres du personnel donnent des réponses qui indiquent des connaissances plus exactes et des croyances et des attitudes plus positives (p < 0,05) autant à l’égard des droits de la personne en général (partie A, Md : 16 et 14 respectivement) que concernant les modalités d’exercice du droit à l’éducation pour les élèves ayant des besoins spéciaux au Manitoba (partie B, Md : 7 et 6), et ce, comparativement aux élèves (partie A, Md : 8 et partie B, Md : 1). La comparaison des médianes montre que les trois groupes ont des connaissances plus exactes sur les droits de la personne en général et des attitudes plus positives envers ceux-ci (partie A) qu’envers les modalités d’exercice du droit à l’éducation pour les élèves manitobains ayant des besoins spéciaux (partie B). Même si les médianes pour les trois groupes sont du côté positif de l’échelle, il demeure que la partie B révèle une plus grande ambivalence dans les réponses, particulièrement chez les élèves de secondaire 4, pour qui la médiane est de 1 point seulement. Ces résultats peuvent s’expliquer en partie par l’approche des droits « par le haut » qui caractérise la société canadienne : les droits sont enchâssés dans la Constitution et les lois fédérales et provinciales, de telle sorte qu’il revient aux personnes en position de pouvoir ou d’autorité d’en assurer la mise en application. Plus on s’éloigne des positions de pouvoir, plus les connaissances, les croyances et les attitudes reliées aux droits deviennent floues ou ambivalentes.

Tableau 1

Valeurs de H (Kruskall-Wallis) ou de U (Mann-Whitney) et probabilités associées aux différences observées aux trois parties du Questionnaire

Valeurs de H (Kruskall-Wallis) ou de U (Mann-Whitney) et probabilités associées aux différences observées aux trois parties du Questionnaire

Légende – * : p < 0,05.

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Différences associées aux variables indépendantes

L’analyse des variables indépendantes fait ressortir des différences (tableau 1) seulement chez les membres du personnel scolaire. D’abord, le personnel des régions rurales (n = 36) semble plus positif (p < 0,05) envers les responsabilités professionnelles (partie C) que celui des régions urbaines (n = 21). Ce résultat s’explique peut-être par l’iniquité dans la répartition des ressources : les régions rurales étant défavorisées par rapport aux régions urbaines, moins d’élèves à besoins spéciaux y ont été identifiés et « exclus ». Par conséquent, le personnel de ces régions est davantage habitué à composer avec une plus grande variété de besoins dans la classe régulière.

Ensuite, pour les trois parties, A, B et C, du Questionnaire, les membres du personnel qui rapportent des contacts fréquents (n = 27) et aucun contact (n = 3) avec des élèves à besoins spéciaux donnent des réponses plus positives (p < 0,01 ou 0,05) que ceux rapportant seulement des contacts occasionnels (n = 27). Ces résultats vont dans le même sens que ceux rapportés par McGregor et Vogelsberg (1998) : les éducateurs sont généralement positifs concernant les principes de l’inclusion des élèves à besoins spéciaux ; cependant, leur enthousiasme diminue considérablement lorsqu’ils sont placés devant la possibilité de prendre personnellement en charge un tel élève. Toutefois, leur confiance remonte dans l’échelle après avoir expérimenté avec succès l’accueil de ces élèves dans leur salle de classe.

L’absence de différence significative pour des variables telles que le nombre d’années d’expérience, la fonction occupée, l’école, la fréquence des études ou discussions sur le sujet, laisse entendre que les connaissances, les croyances et les attitudes, autant positives que négatives, se répartissent de façon aléatoire parmi les membres du personnel scolaire. Les élèves sont donc susceptibles d’entrer quotidiennement en contact avec des connaissances, des croyances et des attitudes antithétiques, et ainsi de recevoir des messages contradictoires de la part des adultes qui les entourent.

Incongruités dans le degré d’accord entre les énoncés pro-droits et alternatifs

L’analyse des incongruités s’intéresse aux occasions où le sens des différences dans le degré d’accord entre les énoncés pro-droits et alternatifs ne correspond pas aux attentes. En effet, dans une collectivité intégrative, on est en droit de s’attendre à un niveau d’accord significativement plus élevé envers les énoncés pro-droits qu’envers les énoncés alternatifs.

Dans la partie A, des incongruités se révèlent dans trois paires d’énoncés (tableau 2). D’abord, les administrateurs et les élèves ont un peu de difficulté à décider si l’exercice d’un droit est conditionnel ou inconditionnel (Md : 3 ou 4). Ensuite, les administrateurs et le personnel scolaire hésitent sur la possibilité de retirer ou non les droits de la personne (Md : 2, 3 ou 4). On peut voir dans ces ambivalences une certaine crainte à l’effet que la reconnaissance et le respect des droits de la personne entraînent une diminution du pouvoir des agents d’éducation, particulièrement en ce qui concerne le pouvoir de faire respecter l’ordre et la discipline. Enfin, en raison peut-être de leur maturité ou d’un manque de réflexion critique sur le sujet, les élèves ne savent pas trop s’ils doivent ajuster leur comportement en fonction d’un critère externe, tel que la dignité humaine (Md : 4), ou interne, tel que leur propre conscience (Md : 3), lorsqu’il s’agit de démontrer le respect des droits.

Tableau 2

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) relatifs aux différences entre les énoncés de la partie A du Questionnaire

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) relatifs aux différences entre les énoncés de la partie A du Questionnaire

Légende – ** : p < 0,01 ; * : p < 0,05 ; -- : non significatif.

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Dans la partie B (tableau 3), les incongruités sont de deux types. On note, dans un premier temps, que les administrateurs et les membres du personnel sont en accord autant avec l’idée de simplement informer les parents qu’avec celle de rechercher activement leur collaboration (Md : 5 et 4). Les élèves, pour leur part, sont ambivalents quant au processus de résolution de conflits entre les parents et l’école (Md : 4). Ces ambivalences témoignent du fait que plusieurs, tout en acceptant le bien-fondé de la participation active des parents, ne savent pas trop quelles en sont les implications. Une autre ambivalence se révèle chez les élèves de secondaire 4 face au placement de leurs pairs à besoins spéciaux (Md : 3) : leurs expériences ne leur permettent pas de trancher en faveur ni de la classe ordinaire ni de la classe spéciale. Ce résultat renforce l’hypothèse concernant les messages contradictoires que les jeunes sont susceptibles de recevoir des adultes dans leur environnement.

Tableau 3

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) relatifs aux différences entre les énoncés de la partie B du Questionnaire

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) relatifs aux différences entre les énoncés de la partie B du Questionnaire

Légende – ** : p < 0,01 ; * : p < 0,05 ; -- : non significatif.

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Dans un deuxième temps, la recherche relève une préférence marquée pour un énoncé alternatif plutôt que pour l’énoncé pro-droit correspondant : les trois groupes de répondants optent pour un programme éducatif adapté aux déficiences de l’élève (Md : 4 ou 5), plutôt que pour un soutien qui lui permette de profiter des programmes d’études réguliers (Md : 2, 3). Ce résultat montre à quel point persiste dans les mentalités la croyance à l’effet que l’éducation d’un élève ayant des besoins spéciaux est d’abord et avant tout de nature thérapeutique et qu’elle vise à le « guérir » de ses déficiences, au détriment du développement optimal de son potentiel.

Tableau 4

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p): différences entre les énoncés sur les responsabilités administratives (n = 13)

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p): différences entre les énoncés sur les responsabilités administratives (n = 13)

Légende – ** : p < 0,01 ; * : p < 0,05 ; -- : non significatif.

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Dans la partie C, les administrateurs (tableau 4) se montrent ambivalents devant cinq paires d’énoncés, les énoncés pro-droits et alternatifs ayant été perçus comme complémentaires plutôt qu’en opposition (Md : 4 ou 5 dans tous les cas). L’ambivalence se manifeste dans des domaines tels que le rôle de l’école en relation avec le développement professionnel, l’implication des parents et l’éducation des jeunes au regard de leurs droits, de même que les responsabilités de la division scolaire dans l’établissement des politiques relatives aux services et à la répartition des budgets. Les administrateurs scolaires se montrent donc un peu trop prudents quant à leurs responsabilités, ce qui est susceptible de freiner l’inclusion.

Les opinions exprimées par les membres du personnel scolaire sont moins ambiguë (tableau 5). Les responsabilités envers les élèves ayant des besoins spéciaux étant essentiellement les mêmes que celles envers n’importe quel autre élève, c’est ce qui explique sans doute l’absence d’incongruité pour ce groupe.

Tableau 5

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) : différences entre les énoncés sur les responsabilités du personnel (n = 57)

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) : différences entre les énoncés sur les responsabilités du personnel (n = 57)

Légende – ** : p < 0,01 ; -- : non significatif.

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Les élèves de secondaire 4 (tableau 6), quant à eux, sont ambivalents avec cinq paires d’énoncés. Ils ne savent pas vraiment s’ils devraient s’efforcer de développer des amitiés avec leurs pairs ayant des besoins spéciaux (Md : 3) ou de prendre l’initiative d’entrer en contact avec eux (Md : 3), voire de les inviter dans leurs propres jeux et conversations (Md : 4), ou même de se porter volontaires pour les aider en classe (Md : 3) et ainsi s’impliquer dans la défense de leurs droits (Md : 4). Ces ambivalences confirment que, même arrivés à la fin de leurs études secondaires et tout en étant relativement réceptifs aux pairs ayant des besoins spéciaux, les jeunes demeurent incertains sur la manière de se comporter en leur compagnie.

Tableau 6

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) : différences entre les énoncés sur les responsabilités des étudiants (n = 57)

Accords médians (Md), valeurs de Z (Wilcoxon) et seuils de signification (p) : différences entre les énoncés sur les responsabilités des étudiants (n = 57)

Légende – ** : p < 0,01 ; -- : non significatif.

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En somme, les résultats du Questionnaire indiquent que les administrateurs sont ceux qui ont le plus de connaissances, de croyances et d’attitudes positives en rapport avec les droits de la personne et les modalités d’exercice du droit à l’éducation pour les élèves ayant des besoins spéciaux ; c’est avec beaucoup de circonspection qu’ils abordent les responsabilités institutionnelles découlant de ces droits. Tout en démontrant des connaissances, des croyances et des attitudes semblables, les membres du personnel scolaire sont affectés par la fréquence des contacts avec des élèves ayant des besoins spéciaux et sont bien conscients de leurs responsabilités à leur égard, particulièrement en milieu rural. Les élèves de secondaire 4 sont ceux qui possèdent le moins de connaissances en rapport avec les droits de la personne ; ils se révèlent en plus ambivalents face aux modalités d’exercice du droit à l’éducation pour les élèves ayant des besoins spéciaux et envers leurs propres responsabilités. Pour les trois groupes, le mythe généralisé concernant le bien-fondé d’adapter la programmation éducative aux déficiences des élèves ressort comme ayant le plus grand potentiel de nuire aux efforts d’inclusion.

Analyse des entrevues

L’analyse des entrevues est globale et ne distingue pas entre les trois groupes de répondants (administrateurs, membres du personnel et élèves de secondaire 4), sauf pour les questions discutées à la partie C du Questionnaire. Quelques exemples d’affirmations tirées des entrevues sont présentés pour appuyer l’analyse. Ces affirmations ont été choisies pour leur caractère représentatif des discours tenus par les sujets SÉ (score élevé au Questionnaire) ou les sujets SF (score faible). Les structures grammaticales orales ont été reproduites intégralement.

Partie A : Connaissances générales sur les droits de la personne

Dans cette partie, les différences entre les sujets SÉ et SF se révèlent principalement sur l’aspect de la compréhension des principes et des conditions d’obtention et d’exercice des droits.

À la lecture des rapports d’extraits d’entrevue, on se rend compte rapidement que les connaissances factuelles sur la nature des droits et des garanties législatives sont floues, sinon inexactes, autant pour les sujets SÉ que pour les sujets SF. Cependant, cette particularité ne semble pas affecter la compréhension et l’acceptation des principes (universalité, inaliénabilité, etc.) et des conditions d’obtention et d’exercice des droits (lutte, compromis, etc.) chez les sujets SÉ. Ces derniers adoptent une orientation altruiste et proactive quant aux droits. En commentant la situation des droits au Canada et au Manitoba, les sujets SÉ font souvent référence à la lutte incessante pour la reconnaissance des droits des femmes, des enfants, « des personnes minoritaires qui ont de la difficulté à exercer leurs droits » (3é, 77) [1], de même qu’à la nécessité de « se mettre nous-mêmes dans leurs souliers » (4p, 49) pour mieux comprendre leurs revendications. Ils insistent aussi sur la nécessité de lutter quotidiennement pour le respect des droits : « Même si les droits sont donnés à tous, la réalité de jour en jour c’est […] qu’il faut faire de quoi pour faire respecter nos droits. » (3a, 57)

Les sujets SF, pour leur part, ont tendance à considérer les principes comme pouvant être modifiés selon les circonstances : « Bien, tout dépend de quel droit […] » (10p, 22) ; « Tout le monde, même s’ils ont des besoins spéciaux, devrait avoir les mêmes droits pas mal là […] » (4é, 26) ; « Bien, on devrait pas, mais on pourrait certainement [enlever des droits] [2] » (5p, 38). Cette conception conditionnelle ou contingente des droits ouvre à l’arbitraire et à la discrimination lors de leur mise en application. De plus, les sujets SF font davantage référence à leur expérience personnelle et adoptent une vision fataliste ou désabusée de la situation : « Ça [le respect des droits au Manitoba] me satisfait, j’ai jamais eu de problèmes à exprimer ce que je pense. » (6é, 65) ; « Faut pas s’attendre que le Canada puis le Manitoba vont être plus parfaits que le monde qui vivent là » (6p, 82). Concernant les droits, les sujets SF adoptent une orientation égocentrique et passive. Ils ne voient pas la nécessité de s’impliquer personnellement pour améliorer la situation.

Partie B : Modalités d’exercice du droit à l’éducation

Dans la deuxième partie de l’entrevue, des différences entre les sujets SÉ et SF se manifestent à deux reprises : la première, dans la conception des modalités de placement pour les élèves ayant des besoins spéciaux, et la seconde, lors de l’implication des parents dans le processus éducatif de leur enfant.

Au sujet du placement, les sujets SÉ argumentent en faveur de l’inclusion des élèves ayant des besoins spéciaux et portent une attention particulière à leurs besoins comme suit : « Je préconise une approche d’inclusion en autant que ça répond aux besoins de l’enfant […]. Je ne suis pas d’accord avec normaliser et intégrer à tout prix, parce que des fois ça ne tient pas compte des vrais besoins de l’enfant » (3a, 97). L’importance de maintenir des contacts entre les élèves ayant des besoins spéciaux et leurs pairs est largement reconnue : « C’est important qu’ils soient avec tout le monde […]. Je ne dis pas qu’ils doivent assister à toutes les classes, mais ces élèves-là devraient participer à toutes les activités dans la communauté et les activités de l’école » (9é, 62). Les sujets SÉ reconnaissent donc un principe fondamental de l’inclusion, à savoir que le placement de l’élève est subordonné à ses propres besoins, et qu’il importe de maintenir le plus de contacts possible avec les autres membres de sa communauté.

Les sujets SF sont divisés sur cette question. Certains sujets acceptent que les élèves avec des handicaps légers puissent être intégrés en classe ordinaire, mais préconisent la ségrégation des élèves ayant des incapacités plus sérieuses : « Une élève que j’avais qui était autistique […]. J’ai trouvé ça un joli défi […]. Elle devrait être regroupée avec des élèves qui ont les mêmes besoins » (10p, 68). D’autres reconnaissent les bénéfices sociaux de l’intégration et acceptent conditionnellement le placement en classe régulière : « Je suis d’accord que ces élèves-là soient intégrés […] avec l’appui certainement de professionnels et d’auxiliaires compétents […]. Ça change la mentalité des jeunes puis des adultes d’être capables de vivre avec ces enfants-là » (9p, 47). D’autres encore optent carrément pour un placement régulier : « Ils devraient tous être éduqués avec le restant des jeunes […]. C’est vraiment ridicule parce qu’une fois que t’es séparé de tout le monde, ils te mettent comme un monstre par-dessus la tête […]. C’est vraiment une discrimination » (6é, 92). Ces opinions divergentes ont toutefois comme dénominateur commun la référence à des expériences positives ou négatives vécues personnellement ou dont le sujet a été témoin chez une personne relativement proche (voisin, cousin, etc.). Cette constatation renforce l’hypothèse relative à l’orientation égocentrique des sujets SF.

En ce qui concerne les parents, les sujets SÉ leur reconnaissent le droit d’être pleinement informés sur les services offerts ou non par l’école : « Les parents devraient être au courant de ce qui arrive à leur enfant à l’école, parce que quand l’enfant est jeune, c’est ses parents qui prennent les décisions » (3é, 121). Ils insistent sur le maintien d’une communication régulière entre l’école et les parents et sur la nécessité de les considérer comme partenaires égaux : « Le parent fait partie de l’équipe-école […] à titre égal » (3a, 109). Les sujets SÉ sont aussi d’avis que la communication et le dialogue permettent d’éviter ou de régler les conflits entre les parents et l’école : « Il faut arriver à un accord mutuel […]. Moi, je crois beaucoup en la communication tout en essayant de plaire aux deux parties, le plus possible » (8p, 127). Pour ces sujets, les parents et l’école travaillent en concertation pour répondre toujours mieux aux besoins de l’enfant.

Les sujets SF reconnaissent, eux aussi, le droit des parents d’être pleinement informés, mais, en contrepartie, ils leur accordent un rôle plus limité. Ils adhèrent aux principes du consumérisme et considèrent les parents comme les clients de l’école. Lorsqu’un enfant rencontre des problèmes, l’école doit signaler aux parents les solutions qu’elle envisage et leur indiquer quelle aide apporter à la maison : « Le parent devrait, dans 99 % des cas, accepter ce que l’école doit faire » (4a, 72). Dans les cas de désaccord avec les décisions de l’école, les sujets SF suggèrent aux parents soit de faire appel à la médiation, soit de trouver une autre école pour leur enfant : « Les parents ont plus de pouvoir que l’école […]. Ils peuvent prendre l’enfant puis le mettre dans une autre école » (6é, 136). D’autres indiquent que l’école devrait se plier à la volonté des parents : « Si le parent tient vraiment à faire des choses d’une certaine façon, en fin de compte […], il faut respecter leur choix » (5p, 69). En somme, pour les sujets SF, les éducateurs sont des spécialistes et les parents devraient se fier à leur bon jugement, tout en se résignant au fait que « le client a toujours raison ».

Partie C : Responsabilités institutionnelles, professionnelles et personnelles

Pour les administrateurs, la différence principale entre les sujets SÉ et SF concerne la conception de leurs responsabilités à l’intérieur du système scolaire. Les sujets SÉ se considèrent comme partie intégrante d’un système en constante évolution et sur lequel ils possèdent certains pouvoirs. Ils affirment que tous les paliers administratifs (Ministère, division scolaire, écoles) ont une responsabilité, et même « une obligation, pas légale, mais morale de mettre en place les services et les programmes requis, les appuis, le personnel […] » (3a, 120) pour répondre aux besoins de tous les élèves. Ils sont confiants que leur participation active au processus de consultation sur l’éducation des élèves ayant des besoins spéciaux, et les pressions qu’ils exercent auprès du gouvernement pour obtenir des garanties législatives dans ce domaine porteront fruit.

Les sujets SF, pour leur part, réfèrent au système scolaire comme une entité sur laquelle ils ne possèdent aucun contrôle : « On n’a pas de choix, il faut les accepter [les élèves ayant des besoins spéciaux], c’est le système ça » (4a, 83). Tout en reconnaissant le bien-fondé de l’inclusion, ils voient l’intégration en classe ordinaire comme étant de plus en plus difficile à réaliser au fur et à mesure que l’enfant progresse dans sa scolarité : « Au secondaire, on doit offrir une programmation dans son sens plus large qu’une programmation spéciale [intégrée], ça veut peut-être dire un programme alternatif, un programme d’éducation spéciale […] parce que rendus là ils vieillissent […] c’est plus la même chose, c’est le marché du travail » (4a, 79). Les sujets SF sont donc à la merci de forces extérieures contradictoires, le système scolaire et le marché du travail, avec lesquelles ils composent du mieux qu’ils le peuvent.

Pour les membres du personnel, c’est au plan des attributions de responsabilité reliées au succès et à l’échec de l’élève que se révèle la principale différence entre les sujets SÉ et SF. Les sujets SÉ sont d’avis que les programmes d’études sont assez flexibles pour être adaptés à différents niveaux de capacités : « Si le curriculum est tellement rigide au point de ne pas accepter les différences-là, il y a un problème avec le curriculum, mais d’après ce que moi j’ai vu, certainement, il y a assez de flexibilité pour adapter les programmes » (4p, 95). Ils affirment, par ailleurs, que la responsabilité de l’enseignant, en collaboration avec les autres intervenants de l’école et les parents, est d’assurer que tous les élèves relèvent des défis à la mesure de leurs capacités et puissent connaître le succès : « C’est un travail d’équipe […] si tout le monde pousse dans le même sens, l’élève va en bénéficier » (8p, 179). La responsabilité du succès ou de l’échec de l’élève est donc partagée entre tous les intervenants.

Les sujets SF, de leur côté, jugent les attentes des programmes d’études comme étant inflexibles. Lorsqu’un élève éprouve des difficultés, il revient à l’enseignant et aux autres professionnels d’élaborer un programme individualisé qui diminue ces attentes : « Les attentes vont être modifiées comme tu t’attendras pas autant de cet enfant-là, si tu connais bien l’enfant » (9p, 90). On indique aussi qu’il y a des limites au soutien que l’on peut accorder à l’enfant : « Ce n’est pas la réussite à tout prix non plus […] Le jeune qui ne se dévoue pas à son travail ne réussira pas » (6p, 102). La responsabilité ultime du succès ou de l’échec de l’enfant lui incombe.

Enfin, chez les étudiants de secondaire 4, on relève une croyance généralisée à l’effet que les élèves ayant des besoins spéciaux ont une image négative d’eux-mêmes. Les sujets SF réfèrent à cette croyance pour justifier leur volonté de prendre les devants, d’établir des contacts avec ces élèves, de démontrer leur acceptation et de développer des amitiés : « Ils se sentent pas mal mal dans leur peau […] alors […] si quelqu’un l’invitait il se sentirait peut-être comme voulu » (2é, 152). Ils considèrent que les contacts fréquents favorisent une meilleure compréhension et le développement d’un sens des responsabilités favorables à l’amélioration de la qualité de vie des élèves ayant des besoins spéciaux : « Les élèves réguliers qui se tiennent beaucoup avec eux deviennent plus ouverts aux besoins spéciaux […]. C’est important qu’ils fassent les pas nécessaires pour que ces personnes-là puissent jouir de la vie » (9é, 132).

Les sujets SF, quant à eux, réfèrent à l’image négative de soi comme une raison pour ne pas s’impliquer : « D’une manière, je crois qu’on devrait défendre la personne à besoins spéciaux, mais ça pourrait aussi la rabaisser […] la faire sentir qu’elle n’est pas capable de se défendre elle-même » (4é, 161). Des attitudes fatalistes et égocentriques sous-tendent encore ici le manque de volonté de faire un effort ou de poser des gestes particuliers pour se rapprocher de ces jeunes : « Ils sont limités, tu peux rien y faire […]. Comme tu peux faire le mieux que tu peux juste pour les accueillir, puis comme les traiter comme normal » (10é, 209). Pour ces sujets, traiter les élèves à besoins spéciaux comme n’importe quel autre élève veut simplement dire de ne pas s’en préoccuper.

En résumé, l’analyse des entrevues laisse voir le besoin d’élargir la compréhension des principes sous-jacents aux droits de la personne, tout comme de lutter contre l’égocentrisme, le fatalisme, la résignation, si l’on veut faire progresser la responsabilisation des agents d’éducation mis en présence de l’inclusion. D’abord, ces résultats illustrent l’importance d’accroître l’insertion des élèves au sein du système scolaire et de sa programmation, puis de modifier la conception que les agents de l’éducation se font des parents en tant que consommateurs de services scolaires et finalement d’établir un véritable partenariat entre eux et le personnel de l’école. De plus, ils révèlent l’intérêt de miser sur les contacts entre les élèves qui ont des besoins spéciaux et leurs pairs pour développer l’empathie et lutter contre les mythes associés aux handicaps, en particulier ceux reliés à la croyance que les handicaps sont des maladies honteuses qui nuisent au développement d’une image de soi positive.

Discussion

Les résultats de cette enquête vont, pour la plupart, dans le même sens que ceux obtenus par d’autres auteurs (Edmunds, 1998 ; McGregor et Vogelsberg, 1998 ; Mc Conkey, O’Toole et Margia, 1999 ; Nowicki et Sandieson, 1999 ; Peters et Montgomerie, 1998 ; Winzer, 1998) et se prêtent certainement à une discussion qui dépasse la collectivité éducative franco-manitobaine. D’une part, ils mettent en évidence l’effet préjudiciable de croyances et d’attitudes telles que l’égocentrisme, le fatalisme, le désabusement, la résignation et le consumérisme, de même que la prolifération des mythes associés aux handicaps. D’autre part, ils révèlent les effets positifs de l’altruisme, de l’habilitation, du sens des responsabilités, de la collaboration et du partenariat et des contacts prolongés avec des élèves ayant des besoins spéciaux. Ils indiquent en plus que les croyances et attitudes antithétiques des agents d’éducation placent quotidiennement les jeunes devant des messages contradictoires susceptibles de nuire à l’établissement de contacts positifs avec leurs pairs caractérisés par des besoins spéciaux. La visée de cette étude était, rappelons-le, de planifier de façon stratégique le soutien ou l’étayage des agents d’éducation afin de les aider à relever les défis posés par l’accueil des élèves ayant des besoins spéciaux. À ce stade de notre démonstration, il importe d’examiner les implications de ces résultats sur la formation et le développement professionnel de ces agents.

Si l’on examine en premier lieu le contenu de la formation des administrateurs scolaires, il peut être utile, question de crédibilité, d’augmenter les connaissances factuelles relatives aux droits des élèves avec et sans besoins spéciaux. Cependant, nos résultats indiquent que l’exactitude des connaissances factuelles n’a pas nécessairement de retombées sur les croyances et les attitudes envers l’inclusion. Par contre, des efforts doivent être déployés pour accroître la compréhension des responsabilités qui découlent de ces droits et le sentiment d’habilitation en regard du système scolaire. Les administrateurs ont à réfléchir sur la manière d’assumer leur rôle de leader et de fournir l’appui et les ressources nécessaires aux membres de leur personnel. Ils doivent servir de modèle et s’engager activement dans la promotion de la reconnaissance et du respect des droits de tous les élèves. Si la prudence est de mise dans ce domaine, elle ne doit ni être excessive, ni nuire à l’engagement envers l’inclusion.

Par ailleurs, du côté du personnel scolaire, il semble que la conscience des responsabilités concernant les élèves ayant des besoins spéciaux soit déjà bien établie. Toutefois, une formation plus approfondie s’impose au sujet des fondements de ces responsabilités et des moyens pour mieux les assumer. Les éducateurs doivent être davantage informés sur la nature des droits des élèves et des principes qui les sous-tendent. Les peurs qui persistent quant à la perte de pouvoir suscitées par le respect des droits méritent d’être confrontées, sinon dépassées. Dès lors, il convient de fournir aux éducateurs les outils nécessaires pour qu’ils se sentent habilités devant les tâches associées au curriculum, pour qu’ils soient capables de travailler en collaboration ou en partenariat avec les collègues et les parents et, finalement, pour qu’ils soient habiles à créer un climat de compréhension et d’acceptation des différences, tout en stimulant la coopération et l’entraide.

La majorité des connaissances et des habiletés impliquées ici font déjà partie des pratiques exemplaires mises de l’avant par les promoteurs de l’inclusion. Cependant, il importe que la formation à leur utilisation se fasse simultanément à la lutte contre les mythes associés aux handicaps, particulièrement celui qui associe le handicap à une maladie honteuse, en plus de poursuivre la lutte aux attitudes antagonistes à l’inclusion. Pour promouvoir adéquatement le respect et la protection de tous contre la discrimination, il s’avère nécessaire que les mythes et les attitudes soient reconnus, et que les conséquences qui en découlent soient ouvertement discutées. Ainsi, les éducateurs seront mieux équipés pour présenter un modèle positif à leurs élèves, pour discuter ouvertement avec eux des questions de justice et d’équité, et ainsi profiter de toutes les occasions pour accroître la compréhension qu’ont les élèves de leurs propres responsabilités reliées à leurs pairs ayant des besoins spéciaux.

Pour fournir une telle formation aux agents d’éducation, les formateurs doivent eux-mêmes se sensibiliser et prendre une position claire concernant les questions de justice sociale et d’équité. Dans ce sens, Grenot-Schreyer, Fisher et Staub (2001) exhortent les intellectuels et les spécialistes de l’éducation spéciale ou de l’adaptation scolaire à penser sérieusement aux répercussions de leur enseignement sur les membres les plus faibles de la collectivité. Cette réflexion est d’autant plus impérative que la majorité des formateurs qui travaillent actuellement dans les universités canadiennes n’ont pas expérimenté l’inclusion, et que leurs opinions, lorsqu’il est question des modalités d’exercice du droit à l’éducation pour les élèves ayant des besoins spéciaux, ressemblent à celles des praticiens qui oeuvrent dans les écoles (Duchesne, 2000). Aussi, les formateurs doivent-ils s’habiliter eux-mêmes non seulement à stimuler la réflexion critique des étudiants-maîtres sur toute méthode, approche, stratégie, etc., mais aussi à s’assurer que cette réflexion inclut la dimension de l’équité, quelle que soit la matière ou le cours enseigné (MacKinnon, 2000).

Une autre implication consiste à remettre en question « l’approche intellectuelle d’expert » (Floresca-Cawagas, 1996) traditionnellement adoptée par les formateurs qui incluent l’étude des droits et des besoins spéciaux parmi les multiples sujets présentés dans les cours. En termes constructivistes (Larochelle et Bednarz, 1994), cette approche laisse à l’étudiant l’entière reconstruction du savoir, avec très peu de temps pour confronter ses connaissances subjectives à celles des autres. Chaque étudiant termine donc sa formation avec ses propres opinions, qui ressemblent ou diffèrent de façon plus ou moins aléatoire de celles adoptées par ses collègues, comme le suggère la grande diversité d’opinions retrouvées dans cette enquête. Sans minimiser l’importance d’une information appropriée, il appert que les formateurs doivent miser davantage sur les contacts entre les étudiants-maîtres et les éducateurs qui ont vécu des expériences positives avec des élèves ayant des besoins spéciaux, tout autant que sur les contacts directs avec ces derniers. Qu’ils soient planifiés dans le cadre des cours ou des stages de formation pratique, ces contacts doivent s’accompagner de moments d’échanges et de discussion entre collègues afin d’amener les étudiants-maîtres à réfléchir sur leurs pratiques et ainsi développer une conscience critique commune de leurs rôles et de leurs responsabilités.

Enfin, on ne saurait passer sous silence l’importance de corroborer par des recherches ultérieures les résultats de cette enquête, sans mentionner les limites méthodologiques, dont la principale est sans doute un biais possible de l’auteur dans l’analyse qualitative des entrevues. Malgré ce fait, le Questionnaire développé ici offre des possibilités intéressantes pour explorer un domaine peu ou pas étudié jusqu’à maintenant auprès des populations francophones canadiennes. Les commentaires recueillis au cours des entrevues attestent la validité de cet instrument. Plusieurs interviewés indiquent explicitement que la présentation des énoncés par paires les a forcés à réfléchir et à choisir moins souvent la position 3 de l’échelle d’accord. Tous se sont sentis à l’aise d’exprimer leurs opinions, et personne n’a ressenti le besoin de modifier celles-ci au cours des entrevues. La facilité d’adapter cet instrument à différentes populations est un atout pour la recherche, mais de plus, sa spécificité fait en sorte qu’il peut servir également à déclencher la réflexion critique pour un groupe particulier.

Conclusion

Cette enquête exploratoire auprès des agents d’éducation et des jeunes franco-manitobains a été entreprise dans le but de mieux cerner leurs connaissances, leurs croyances et leurs attitudes, et de leur venir en aide pour relever les défis posés par l’accueil des élèves ayant des besoins spéciaux. Néanmoins, les résultats indiquent que, malgré une ouverture positive des agents d’éducation, les efforts pour éliminer les pratiques de rejet et de discrimination sont entravés par des croyances et des attitudes antithétiques, vécues quotidiennement dans les écoles. En conséquence, il s’avère pertinent de recommander une implication accrue des formateurs des agents d’éducation dans la promotion de la reconnaissance et du respect des droits pour les élèves ayant des besoins spéciaux, et de s’assurer, d’une part, que les connaissances transmises aux agents d’éducation, tout autant que les habiletés et pratiques exemplaires soient préalablement discutées et reconstruites en communauté. D’autre part, les croyances et les attitudes qui portent préjudice aux droits de ces élèves doivent être reconnues et faire l’objet d’un examen rigoureux. En servant eux-mêmes de modèles, les formateurs pourront mieux stimuler la réflexion critique des agents d’éducation quant aux questions de justice sociale et d’équité et, à leur tour, ces derniers seront plus en mesure de former les jeunes générations à l’accueil des pairs ayant des besoins spéciaux dans la vie de tous les jours.