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Ce texte a été révisé par Isabelle Gauvin

Introduction

Pour aborder les rapports entre familles immigrantes et écoles, nous nous basons sur un projet de recherche mené entre 2003 et 2005 au Québec (Vatz Laaroussi, Kanouté, Levesque, Rachédi et Montpetit, 2005) et qui concernait les différents modèles de collaboration familles-écoles, et ce, auprès de deux populations souvent considérées comme vulnérables : les jeunes des familles immigrantes et les jeunes Autochtones. Dans cet article, nous rendrons compte essentiellement de la partie de l’étude concernant les familles immigrantes à Montréal et à Sherbrooke. Notre objectif de recherche était de construire, à partir de l’observation de divers types de collaborations familles-écoles, des modèles qui permettent d’en saisir les diverses composantes, leurs interactions, la place qu’y occupent les acteurs (les jeunes, les parents, l’école avec ses divers intervenants et la communauté) en ciblant des modèles favorables à la réussite scolaire des enfants. Il s’agissait de se détacher des propositions convenues par les textes législatifs du monde scolaire ou par les attentes normatives de la société d’accueil pour saisir des bricolages stratégiques entre les familles et l’école, bricolages divers et efficaces pour la réussite scolaire, mais trop souvent invisibles et peu reconnus, tant par les instances scolaires que dans le discours social.

Après une brève contextualisation au sujet des collaborations familles-écoles et une réflexion sur les enjeux spécifiques à ces rapports avec des familles immigrantes, cet article présente une modélisation de ces divers types de collaborations. Plus précisément, nous avons pu identifier six modèles de collaboration qui attribuent, de manière différente, aux familles et à l’école les fonctions de socialisation, d’éducation et d’instruction. Nous les décrirons et les discuterons en les différenciant selon les régions dans lesquelles ils sont mis en oeuvre, selon le niveau d’instruction et de revenu des parents, selon l’origine ethnique et selon les trajectoires migratoires. Notre réflexion se portera à la fois sur les grandes tendances que ces modèles révèlent, tant du côté des familles que de celui du monde scolaire, mais aussi sur les singularités dont ils sont porteurs. Finalement, nous conclurons sur l’importance du capital socioculturel non seulement celui des familles, mais aussi celui des communautés dans lesquelles elles évoluent, ainsi que sur la nécessaire réciprocité de la reconnaissance des stratégies de collaboration.

Les collaborations familles-écoles au centre des débats et des programmes

Qu’on se situe en France, au Québec ou dans les autres provinces canadiennes, la question des collaborations familles-écoles se pose de manière régulière pour la mise en oeuvre de nouvelles politiques scolaires mais aussi pour promouvoir la démocratie au sein des écoles ou encore pour favoriser la participation citoyenne des parents. Les défis liés aux collaborations familles-écoles sont ainsi régulièrement documentés par les chercheurs dans différents contextes, et cette récurrence témoigne de l’intérêt de la société pour cette problématique (Christenson et Sheridan, 2001 ; Deslandes, 2006 ; Migeot-Alvarado, 2000). Dans ces divers contextes sociaux, on retrouve des constantes ; l’inventaire des actions et programmes mis en oeuvre pour rapprocher familles et écoles permet de les classer en plusieurs types, dont certains sont largement dominants.

En premier, vient le modèle du partenariat par représentation et participation institutionnelle, suivi de près par le modèle du parent assistant de l’école, en particulier par son engagement parascolaire. Le premier réfère aux nombreuses politiques et aux divers programmes qui accordent une place officielle aux parents dans les instances de gestion du scolaire (comités d’école et comités de parents au Québec), alors que le second repose sur la demande faite aux parents de participer de manière bénévole aux activités scolaires (assistance à la bibliothèque, accompagnement lors des voyages scolaires, animation des activités parascolaires, etc.). De manière plus rare et plus spécifique, des mesures visant à inscrire l’école dans la communauté sont à signaler au Canada anglais, dans quelques communautés autochtones ou dans certains quartiers de France. On tente alors de faire sortir les savoirs scolaires de l’institution grâce à des expositions ou des projets de quartier, par exemple. Enfin, plus limitées encore sont les expériences dans lesquelles les parents pourraient jouer le rôle de médiateurs ou de relais entre le monde scolaire et leur communauté locale.

Malgré cette diversité des modalités de relation, il est important de souligner que, dans tous les cas, on postule que la collaboration du parent avec l’école viendrait augmenter les chances de réussite de l’enfant. À notre connaissance, les résultats de recherche n’ont pas montré de liens directs et clairs entre le degré de participation des parents aux instances scolaires et le taux d’échec des élèves. Certains chercheurs insistent cependant sur une corrélation positive entre l’engagement (et non pas uniquement la participation) parentale dans la vie scolaire de l’élève et sa réussite scolaire (Conseil supérieur de l’éducation, 1994 ; Fortin et Mercier, 1994 ; Potvin, Deslandes, Beaulieu, Marcotte, Fortin, Royer et Leclerc, 1999). C’est pour mieux saisir la diversité des modalités de relation et leurs liens éventuels avec la persévérance et la réussite scolaire des enfants que nous nous sommes intéressées aux divers types de collaboration familles-écoles sans les réduire à la participation des parents à l’école. Nous définissons en effet la collaboration dans son sens le plus large, soit la participation à la réalisation d’une tâche ou à la prise en charge d’une responsabilité, ici l’éducation de l’enfant (Bouchard et Archambault, 1996), sans préjuger de la réciprocité, des délégations, des rapports de pouvoir ou des interdépendances possibles.

Et les familles immigrantes ?

Dans cette perspective d’une diversité des modes de collaboration possibles, la question des familles immigrantes devient alors cruciale. En effet, en plus de vivre les conditions inhérentes à leur parcours migratoire, elles sont aussi soumises à une attente sociale forte portée par le monde scolaire : l’intégration (Patriciu, 2001 ; Taleb, 2007). Selon ces auteurs, la participation des familles immigrantes aux instances scolaires est perçue et analysée comme un indice de leur insertion à la société dominante, elle-même vue comme une adhésion aux valeurs de cette société. Plus encore, c’est souvent le style parental de ces familles, qualifié socialement de dysfonctionnel, d’autoritaire, de traditionnel ou de patriarcal, qui est mis en cause pour expliquer l’échec des enfants, parce qu’il ne correspondrait pas aux valeurs de la société québécoise moderne.

Selon notre recension d’écrits au sujet des familles immigrantes, dans leurs projets et leurs trajectoires migratoires, les immigrants espèrent beaucoup dans le système scolaire du pays d’accueil pour la promotion sociale de leurs enfants. Les parents sont même prêts à sacrifier leur propre carrière ou promotion pour cela. Ainsi, la spécificité du projet migratoire, très structuré autour du rêve d’une mobilité sociale rapide et significative, fait en sorte que même des parents immigrants à faible niveau de scolarité arrivent à déjouer les prédictions classiques basées sur une corrélation positive entre le degré de réussite scolaire de l’enfant et le niveau de scolarité du parent (Bouteyre, 2004 ; Helly, Vatz Laaroussi et Rachédi, 2001 ; Hohl, 1996 ; Labelle, Salée et Frenette, 2001 ; Meintel, 1995 ; Vatz Laaroussi, Tremblay, Corriveau et Duplain, 1999 ; Vatz Laaroussi et Rachédi, 2002).

De plus, dans le même temps, plusieurs malentendus entre les familles et l’institution scolaire sont mis en relief par différentes études (Bernhard, Lefebvre, Murphy Kilbride, Chud et Lange, 1998 ; Hohl, 1996 ; Vatz Laaroussi, 1999, 2001). Certains sont liés à une représentation différente de l’enfant pour le milieu scolaire et le milieu familial : la question des droits de l’enfant ou de l’égalité entre les hommes et les femmes revient souvent comme un leitmotiv d’incompréhension de part et d’autre. D’autres difficultés reposent sur la non-compréhension, par le milieu scolaire, du parcours de migration et des transformations qui l’accompagnent : le rapport différencié à l’histoire des uns et des autres peut ainsi devenir un objet implicite de discorde (Vatz Laaroussi et Rachédi, 2002). Dans d’autres situations, c’est la place donnée au développement socio-émotionnel des enfants qui est en jeu. Ainsi, Bernhard (2002) montre qu’avec une population immigrante d’Amérique latine, un enseignement de type expert, centré sur le développement cognitif des enfants et excluant leur développement socio-affectif, est inadéquat, et entraîne l’incompréhension des familles et l’échec des enfants. Elle insiste par ailleurs sur la nécessité, pour les enseignants, d’aborder les parents dans des termes simples et compréhensibles, tout en se déplaçant eux-mêmes vers le milieu familial lors de certaines occasions. Dans une même perspective, Kanouté (2002) recommande fortement au milieu scolaire de ne pas disqualifier le milieu familial et, plus encore, de reconnaître aux parents la légitimité de questionner l’intervention de l’école. C’est à cette condition que, selon elle, l’école pourra se montrer ferme sur des aspects non négociables comme l’égalité des sexes ou la protection des enfants. Enfin, un autre type de malentendu vient aussi de la tendance du milieu scolaire à culturaliser tout problème scolaire vécu par un enfant, simplement parce qu’il provient d’une famille immigrante (Vatz Laaroussi, 2001).

À l’égard de l’école comme à l’égard d’autres institutions sociales (emploi, santé), les dynamiques familiales des immigrants peuvent varier selon le parcours migratoire et le pays d’origine (Vatz Laaroussi, 2001). Pour les uns, on privilégiera l’être ensemble pour mieux faire face à une institution méconnue et inquiétante. Pour d’autres, c’est un principe de substitution qui entrera en jeu, père, mère, enfant, autre membre du réseau pouvant aisément se remplacer dans les occasions de contacts avec l’école. Pour d’autres familles enfin, un processus de représentation par compétences se mettra en place : ainsi, c’est le parent ou le membre du réseau le plus scolarisé ou doté des compétences pédagogiques reconnues qui assurera le lien famille-école. Souvent, ces stratégies sont, elles aussi, l’objet de malentendu avec le monde scolaire, qui peut les interpréter comme une forme de patriarcat, de renfermement communautaire ou encore de désintérêt vis-à-vis de l’enfant. Dans une étude sur les dynamiques motivationnelles de changement des parents immigrants, Bérubé (2004) cerne des profils typiques qui articulent société d’origine et d’accueil autour des concepts d’adaptation et d’acculturation dans l’éducation des enfants. Il va sans dire que cette dynamique motivationnelle du changement culturel pour les parents migrants colore et influence les rapports que les familles établissent avec l’école de leurs enfants : elle décline la relation des familles immigrantes avec l’école dans une partition intégrée faite de demande de reconnaissance, d’intégration et de réussite (Verhoeven, 2002).

D’autres études montrent aussi combien le rapport des parents à l’école, tout comme celui de l’école aux parents immigrants, est fortement coloré par le contexte plus ou moins pluriethnique dans lequel il se déroule (Vatz Laaroussi et collab., 1999 ; Vatz Laaroussi 2001 ; Vatz Laaroussi, Rachédi et Pépin, 2002). C’est ainsi que les stratégies familiales, tout autant que les stratégies scolaires, risquent de varier selon qu’on se situe à Montréal ou dans une région du Québec. Entre autres, à la Commission scolaire de la Région de Sherbrooke (2002), on déplore le manque de formation et d’outils des enseignants des classes d’accueil et des classes pluriethniques en région, alors que le nombre d’élèves d’origine étrangère est en augmentation du fait de la Politique de régionalisation de l’immigration (ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, 1993). Il est vrai que Montréal accueille, depuis plusieurs décennies, plus de 80 % des immigrants et réfugiés au Québec, et que c’est là que vivent aussi le plus grand nombre de jeunes dits de deuxième génération, nés au Québec de parents immigrants. Les écoles montréalaises sont ainsi fréquentées par des élèves de toutes origines, en lien avec les vagues successives d’immigration au Québec : Haïtiens, Vietnamiens, Cambodgiens, Européens de l’Est et de l’Ouest, natifs de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud et, au cours des dix dernières années, Maghrébins, Africains, Pakistanais, Sri-Lankais, etc. Par opposition, la région de l’Estrie, et plus spécifiquement la ville de Sherbrooke, a été exposée beaucoup plus tardivement et beaucoup plus modestement aux flux migratoires. C’est dans le cadre des orientations de régionalisation de l’immigration, depuis les années 1990, que des familles réfugiées puis immigrantes viennent s’installer à Sherbrooke. Plus spécifiquement, on retrouve donc, parmi les 5,5 % d’immigrants à Sherbrooke, des natifs des dernières vagues migratoires et plus encore des vagues de réfugiés qui y sont sur-représentés par rapport à l’ensemble des nouveaux arrivants au Québec. Sur l’ensemble de ses immigrants, l’Estrie a ainsi accueilli 46,9 % de réfugiés de 1996 à 2005 (Direction de la recherche et de l’analyse prospective, 2008). Ces nouveaux arrivants, dont les enfants fréquentent majoritairement les classes d’accueil, proviennent essentiellement de Colombie, de Bosnie-Herzégovine, du Maroc, de l’Afghanistan, de la République Démocratique du Congo, du Burundi, de l’Algérie et de l’Argentine, ce qui permet de dessiner un portrait assez différent de la réalité des classes montréalaises.

Notre objectif ici est de présenter une analyse des divers types de collaboration familles immigrantes-écoles en tentant de cibler comment s’y articulent les stratégies familiales et les stratégies scolaires pour la réussite des enfants. À travers cette identification des modèles de collaboration familles immigrantes-écoles, nous nous intéresserons aux questions suivantes :

  1. Dans ces modèles, quelle part jouent la culture d’origine des enfants, le statut socio-économique et le niveau scolaire des parents ?

  2. Comment ces stratégies se déploient-elles dans des milieux différents : ceux des écoles pluriethniques montréalaises et ceux des écoles homogènes d’une région du Québec (l’Estrie) ?

À travers cette réflexion, nous aborderons l’hypothèse, qui est aussi notre fil conducteur, selon laquelle, dans tous les cas, les stratégies les plus favorables du milieu scolaire sont celles qui reconnaissent les savoirs et les dynamiques familiales.

Méthodologie

Nous présentons ici les données et les résultats de notre recherche intitulée : Les différents modèles de collaboration familles-écoles. Trajectoires de réussite pour des groupes immigrants et des groupes autochtones du Québec, menée de 2003 à 2005 (Vatz Laaroussi, Levesque, Kanouté, Rachédi, Montpetit et Duchesne, 2005). Cette recherche visait à analyser des cas de réussite scolaire en identifiant les types de collaboration familles-écoles en jeu. La méthodologie suivie a été qualitative et s’est déroulée sur deux terrains, Montréal et Sherbrooke. Elle a débuté de manière exploratoire par des groupes focus de parents, d’intervenants scolaires et de jeunes immigrants de différentes origines (un à trois groupes focus par population et selon la région : Montréal ou Sherbrooke).

Il s’en est suivi une analyse approfondie d’études de cas de jeunes immigrants de différentes origines, présentant un parcours de réussite scolaire. Ces études de cas ont été réalisées par le biais d’entrevues individuelles avec les différents acteurs en jeu dans ces parcours : parents, jeunes, professeurs. Au total, 15 cas ont été traités à Sherbrooke et neuf à Montréal. Les familles provenaient d’Afrique, d’Haïti, du Maghreb, de l’Afghanistan, d’Amérique centrale et du Sud, de l’Europe de l’Est et du Moyen-Orient et se distribuaient également selon quatre grandes catégories : Afrique noire et Haïti, Europe de l’Est, monde arabo-musulman, Amérique latine.

Des entrevues complémentaires ont été réalisées avec des parents, jeunes, enseignants et directeurs d’école sans être associées aux cas. Les cas étudiés ont été choisis avec l’aide des commissions scolaires et des enseignants et les enfants identifiés en réussite scolaire étaient ceux qui, arrivés au Québec depuis moins de cinq ans, avaient réussi leurs examens de fin de sixième année (Passage au secondaire) ou de secondaire 3 (rencontrés en secondaire 4 ou 5).

Enfin, au moyen d’une analyse cumulative et inductive, nous avons documenté des modèles typiques de ces collaborations et nous en discutons les composantes et les dynamiques.

Résultats

Un des principaux objectifs de cette recherche était de saisir les modes de collaboration à l’oeuvre entre l’école et les familles, et nous posions l’hypothèse qu’il n’y a pas un mais plusieurs modèles de collaboration, qui ont pour constante de soutenir et de renforcer le jeune dans sa réussite scolaire. Dans ces modèles différenciés, entrent en interaction et s’articulent des stratégies mises en oeuvre par les familles, et d’autres, initiées par les écoles et leurs acteurs (enseignants ou directeurs). Les élèves sont les acteurs de ces deux types de stratégies, mais aussi de leurs propres modalités, pour établir ce rapport entre leurs deux univers que sont le monde scolaire et le monde familial.

Plusieurs textes le montrent (Hohl, 1996 ; Kanouté, 2002) : lorsqu’on parle de collaboration entre les familles immigrantes et l’école, on se trouve face à deux discours qui reposent sur les malentendus et représentations réciproques présentés plus haut : un qui déplore que les familles ne collaborent pas suffisamment avec l’école, et un autre qui déplore les demandes, les ingérences et le contrôle de l’école sur la vie sociale des jeunes. Le premier discours est surtout celui du milieu scolaire ; le deuxième, surtout celui des parents. Nous avons retrouvé ces deux discours dans nos entrevues et, plus spécifiquement, dans les groupes focus qui réunissaient des acteurs, personnel scolaire ou parents dont les enfants ne sont pas forcément en situation de réussite scolaire. Dès lors, il s’agit de discours généraux et généralisés qui viennent filtrer et formater les représentations et interprétations des uns et des autres au sujet d’un univers qu’ils méconnaissent. Voici ce que disent les enseignants :

Pour moi, c’est pas vraiment une bonne collaboration avec la famille. Moi, j’ai déjà accueilli des enfants arabes au primaire. Dans leur culture, la femme n’est pas reconnue. Il y a de la difficulté par rapport au fait qu’il faut travailler avec le père, pour que le fils, scolarisé dans nos classes, reconnaisse l’autorité de la femme enseignante. Les enfants, dans ce contexte-là, ne nous écoutent pas. À cause de la religion, ceci ou cela, j’ai beaucoup de difficultés. (Enseignante)

Comment voulez-vous qu’ils s’impliquent ? Ils sont absents. Ils ne sont nulle part, ni dans le conseil d’établissement ni dans les réunions ! (Enseignant)

La collaboration, ce n’est pas évident au primaire, parce qu’au niveau du primaire, je me rappelle les parents, ils demeurent allophones plus longtemps que les enfants. (Enseignante)

Et en résonnance, donnons la parole aux parents :

Les enseignants exigent beaucoup de nous, on doit faire ceci, on doit faire cela, s’impliquer, etc. Mais ils ne connaissent pas nos réalités familiales et quotidiennes, on ne peut pas être partout ! (Parent)

Ce que j’ai remarqué, c’est que les professeurs n’étaient pas du tout ouverts face aux parents immigrants. Ils veulent seulement rejoindre l’enfant. La porte est fermée. Là, tu ne te sens pas du tout intégrée à l’école. (Parent)

Je pense qu’on est perçus comme pas capables d’encadrer nos enfants, de transmettre les valeurs qu’il faut, comme des gens ayant besoin d’aide, de savoir-faire, de cours d’éducation civique parce qu’on ne sait pas fonctionner dans une démocratie. (Parent)

Cependant, les résultats de nos études de cas de réussite nous amènent à aller plus loin. Si on examine les trois fonctions qui sont remplies de diverses manières par l’école et les familles, soit l’éducation, la socialisation et l’instruction, on constate que la réussite des enfants est le plus souvent liée à la distribution de ces fonctions de manière souvent insolite et inédite entre familles et école. L’éducation est ici définie comme l’ensemble des moyens qui permettent de prendre soin des enfants et de favoriser leur développement, tant physique qu’intellectuel et affectif. La socialisation désigne les processus par lesquels l’individu intériorise les normes et valeurs de son groupe d’appartenance et construit son identité sociale, c’est-à-dire ses comportements et interactions avec les autres. Quant à l’instruction, elle désigne tout à la fois le contenu des savoirs élémentaires et leurs modalités d’enseignement ou de transmission. Ces trois fonctions peuvent être remplies par les familles, par l’institution scolaire ou encore par diverses combinaisons entre ces deux pôles.

On s’éloigne alors de la simple méconnaissance et des préjugés mutuels pour entrer dans un univers où s’articulent un partage des fonctions et une reconnaissance des stratégies et rôles mutuels dans la réussite des élèves. Notons cependant que ces modèles de collaboration diversifiés et, ne l’oublions pas, tous pertinents, puisqu’il s’agit de cas de réussite scolaire, réfèrent souvent à des stratégies invisibles de la part des parents, ou encore à des modalités d’encouragement et de renforcement des jeunes, qui ne portent pas uniquement sur le domaine scolaire. Plus encore, plusieurs de ces modèles de collaboration n’impliquent aucunement des rencontres entre les parents et les acteurs du monde scolaire : chacun peut parfois rester dans son univers mais s’investir à sa façon dans une collaboration virtuelle portée par l’élève et qui favorise finalement sa réussite. Ces divers modèles de collaboration précisés ci-après prennent sens dans des contextes différenciés, et nous noterons les différences qui apparaissent entre les modèles les plus fréquents à Montréal et en Estrie.

Modèle 1 : l’implication assignée

Le devoir du parent, qu’il soit immigrant ou pas, c’est de s’impliquer vis-à-vis de son enfant, d’être responsable… Il ne faut pas être démissionnaire, il faut s’impliquer dans l’école… Dans le comité d’école, dire ce qu’on a à dire… Si on n’y est pas, il y a des choses qu’on ne sait pas… (Parent)

Le modèle de l’implication assignée est celui que le milieu scolaire identifie, majoritairement et traditionnellement, comme une norme vis-à-vis des familles immigrantes. Les familles y sont vues comme culturellement étrangères, et l’école se donne une fonction d’intégration des enfants et, par là, de leurs parents. C’est l’école qui assure les fonctions d’éducation, de socialisation et d’instruction, et la bonne famille est celle qui s’implique dans le milieu scolaire selon les voies identifiées par l’école : participation aux réunions, venue aux rencontres avec les enseignants, engagement dans les activités parascolaires. Familles et école se trouvent alors dans une position asymétrique, où le milieu scolaire a seul le pouvoir de déterminer ce que doit être la participation efficace des familles. Ce sont surtout les jeunes et les familles engagés dans une trajectoire de réussite centrée sur la promotion sociale et économique qui s’investissent dans ce modèle, et le niveau scolaire faible des parents a une influence sur leur entrée dans ce type de collaboration. Le fait d’appartenir à un milieu socio-économique défavorisé est ici associé au faible niveau de scolarité des parents, et ces deux éléments assignent à l’école une forme de supériorité en savoirs et en pouvoirs vis-à-vis de ces familles. Nous verrons que ce n’est pas le cas dans tous les modèles, du fait que de nombreux parents, qualifiés dans leur pays d’origine, se retrouvent au Québec dans une situation de déqualification professionnelle et de dégradation de leur niveau socio-économique. Notons aussi que l’origine ethnique semble avoir peu d’influence sur ce modèle, comme d’ailleurs dans la majorité des autres modèles présentés ici. Cependant, ce sont bien sûr les réfugiés, de diverses origines, qui, parfois moins scolarisés que les immigrants indépendants, pourraient être soumis à ce type de collaboration assignée. Nous avons retrouvé ce modèle dans quelques études de cas, à Sherbrooke et à Montréal, mais il est minoritaire, et ce qui est présenté comme la norme par le milieu scolaire est finalement marginal dans la réalité des cas de réussite scolaire. Ce constat, dans la même approche que les études de Montandon (1996) et Kellerhalls et Montandon (1991), renforce notre analyse d’un écart entre la vision politique d’un mode de collaboration unique et efficace qui vise surtout les classes moyennes des pays occidentaux, et la réalité d’une diversité des collaborations possibles et effectivement mises en oeuvre par des populations d’origines ethniques et de statuts sociaux différenciés.

Modèle 2 : la collaboration partenariale

Ce sont des parents responsables. On ne les voit pas souvent mais ils savent éduquer leur enfant et l’encadrer. Ce sont des parents à qui je fais confiance… (Enseignante)

L’École instruit et transmet des valeurs. Nous, comme parents, on a le devoir aussi de transmettre nos valeurs… mais de le faire aussi dans l’école. Pour ça, il faut qu’on soit présents et entendus à l’école. (Parent)

À l’inverse du modèle précédent, la collaboration partenariale place à égalité familles et école. Et c’est grâce à cette égalité et à la reconnaissance mutuelle de l’importance des deux instances qu’on peut parler de partenariat. Les familles et l’école se partagent alors les fonctions d’éducation, de socialisation et d’instruction, qui n’appartiennent pas de manière exclusive aux uns ou aux autres. La réussite scolaire issue de ce partenariat symétrique est perçue comme permettant la participation citoyenne à la société. Ce modèle se met en oeuvre quand, par leur niveau scolaire et par leur statut socio-économique, les parents se sentent à niveau égal avec le système scolaire québécois. Ces deux variables ont donc ici une incidence importante. À Sherbrooke, les populations que nous avons rencontrées ont de la difficulté à acquérir un statut socio-économique élevé par manque d’opportunités d’emploi qualifié, et ce, quel que soit leur niveau d’éducation ; ce modèle de collaboration partenariale se retrouve donc surtout à Montréal où le bassin d’emploi est à la fois plus large et plus diversifié. De la même manière, certaines écoles montréalaises ont établi, au fil de leur histoire, des stratégies partenariales avec les familles immigrantes, ce que la courte histoire sherbrookoise face aux questions interculturelles n’a pas permis. En effet, pour l’école, ce sont des stratégies partenariales qui sont ici mobilisées : on cherche à donner aux familles, aux cultures d’origines, aux compétences des parents, une place valorisée pour l’éducation des enfants, que ce soit à l’école ou en dehors de l’école. On note cependant souvent une présomption de collaboration des parents, sans pour autant que le personnel scolaire cherche à les rencontrer ou à contrôler la façon dont ils remplissent leur mission éducative. Là encore, il est difficile de qualifier l’influence ethnique ou culturelle de l’origine des familles sur ce type de collaboration. Peu importe que les familles viennent d’Europe de l’Est, d’Afrique noire ou du Maghreb, ce qui semble ici prédominer, c’est le statut égalitaire qu’elles se reconnaissent et que l’école aussi leur attribue.

Modèle 3 : la collaboration avec espace de médiation

Pour les devoirs, moi et mon mari, on ne parle pas bien le français. Heureusement qu’il y a le centre X qui aide nos enfants, qui leur explique. C’est un centre où il y a des enfants immigrants mais aussi des Québécois. Et si on ne comprend pas quelque chose de l’école, le bulletin…, on peut leur demander. Ils vont nous expliquer… (Parent)

Dans la collaboration avec un espace de médiation, qu’on retrouve surtout et également à Montréal, le principe d’égalité entre l’école et les familles n’est pas mis en opération. Pour se rejoindre, les deux systèmes ont besoin d’un milieu tiers qui assure la médiation, établit des ponts, permet la circulation des informations et ouvre sur une réussite de l’élève qui représente aussi une forme de promotion sociale et économique. En effet, comme dans l’implication assignée, la réussite scolaire est vue par ces familles comme une chance de promotion qui permettra aux enfants de se faire une place dans la nouvelle société. Les variables niveau d’éducation des parents et niveau socio-économique actuel ont encore ici une influence importante. Les parents allophones, qui ont un faible niveau d’instruction dans leur langue d’origine et des ressources financières limitées dans la société d’accueil, sont ceux qui vont le plus avoir besoin et se servir de ce milieu de médiation, auquel ils vont déléguer les fonctions de socialisation et d’éducation qu’ils ont de la difficulté à assumer. Ce milieu, beaucoup plus riche et diversifié à Montréal qu’à Sherbrooke, est celui des organismes communautaires, des associations ethniques, multiethniques, familiales ou de quartier. Ces organismes et associations ont ici la spécificité d’être connus et investis aussi par le milieu scolaire, par le biais d’agents de milieu, de médiateurs, de programmes d’information sur l’école, de formation aux compétences de parents d’élèves au Québec, etc. Notons que ce milieu est aussi investi par les programmes publics d’aide aux familles de milieu défavorisé et que les organismes ne sont pas toujours réservés aux immigrants, mais peuvent toucher aussi tous les parents du quartier, par exemple. Ici, c’est donc la question de la langue d’origine et encore du niveau scolaire des parents qui semble déterminer l’entrée dans la collaboration avec des agents de médiation. On peut donc imaginer retrouver, dans la collaboration avec un espace de médiation, plus d’immigrants et réfugiés de pays non francophones comme ceux d’Amérique latine ou d’Asie, ce qui est validé par l’étude qualitative qui fait l’objet du présent article.

Modèle 4 : la collaboration distance assumée

Dans la famille, c’est mon oncle qui parle français le mieux. Alors, c’est lui qui vient à l’école quand c’est nécessaire. Après, il explique à mes parents. Il y a aussi la mosquée qui est importante pour ma réussite, parce que là je trouve d’autres jeunes et des adultes, on parle de l’école, de nos devoirs. (Jeune fille)

Rose, elle a un modèle, c’est sa cousine, Victoire, elle est étudiante en médecine. Elle veut faire comme elle. Moi, je ne suis jamais allée voir ses profs, elle réussit bien, ce n’est pas nécessaire… (Parent)

La collaboration distance assumée, retrouvée aussi bien à Montréal qu’à Sherbrooke, correspond à la collaboration partenariale décrite ci-dessus lorsque l’égalité entre l’école et la famille n’est pas assurée, en particulier quant les parents ont un faible statut économique et que la distance culturelle et linguistique est grande. Il est dans ce cas difficile de se reconnaître mutuellement des savoirs alors qu’on se connaît si peu. École et famille restent alors à distance, et c’est la communauté ethnique ou religieuse qui soutient la famille pour qu’elle remplisse ses fonctions d’éducation et de socialisation, tout en laissant à l’école la mission de l’instruction. Notons ici que c’est dans cette communauté que les jeunes vont vivre des expériences positives de socialisation ou encore qu’ils vont trouver des modèles de réussite, des tuteurs de résilience, pour faire face à l’adversité de l’adaptation à un nouveau milieu ou à d’éventuelles exclusions et obstacles à l’intégration.

Là encore, c’est la trajectoire de réussite-promotion qui s’articule à ce modèle, une promotion utilitaire avant tout, puisque ces familles et leurs enfants insistent sur le fait qu’il faut réussir à l’école d’abord pour avoir un emploi qui permettra de faire vivre la famille. Cependant, on retrouve aussi l’idée que la réussite scolaire de l’élève est une réussite familiale. De fait, on note l’importance de la communauté ethnique et religieuse comme support aux parents dans l’encadrement scolaire et social des enfants. Plus la béquille communautaire (ethnique, religieuse ou autre) est forte, plus elle est aussi reconnue par l’école, qui accepte alors de laisser la famille remplir les deux autres missions avec cette communauté. C’est une collaboration distante, mais où chacun assume que l’autre peut faire sa part et, en ce sens, c’est aussi une collaboration fonctionnelle et opérationnelle qui permet la réussite des jeunes, perçue comme nécessaire pour travailler et bien vivre dans la société.

La communauté afghane ismaélite de Sherbrooke ou la communauté srilankaise de Montréal semblent illustrer ces communautés qui permettent aux familles d’entrer dans ce modèle de collaboration. Cependant, si la communauté ethnique est vue comme un obstacle à l’intégration, ou si son soutien est perçu comme un repli identitaire par le milieu scolaire, alors, ce modèle de collaboration risque d’échouer et d’entraîner l’élève vers une schizophrénie qui, loin d’être heureuse comme Lahire (1998) l’écrivait, est déchirante et déstructurante, ainsi que l’explique Frideres (2005) :

L’incompréhension du rôle des communautés ethniques dans le processus d’intégration est un obstacle à l’intégration des immigrants et de leurs enfants. Le fait de n’accorder de l’importance qu’à l’élaboration de politiques et de programmes ayant recours aux organismes de services publics et non aux organismes de services ethniques (membres) a entraîné l’accélération du processus par lequel certains immigrants et certaines communautés ethniques réalisent qu’ils ne sont pas en mesure de développer un capital social suffisant pour atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés et réaliser les rêves qu’ils avaient à leur arrivée au Canada.

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On peut craindre que, dans le contexte actuel de sur-médiatisation des questions d’accommodements raisonnables au Québec, les communautés ethniques ou religieuses soient de nouveau mal perçues par le milieu scolaire, alors que de nombreux progrès avaient été réalisés. Les déchirements vécus par les jeunes et les difficultés scolaires qui en ont résulté représenteront alors un effet pervers dramatique de cette tempête médiatique aux enjeux politiques.

Modèle 5 : la collaboration fusionnelle

Ce qui nous rassure, pour l’école des enfants, c’est quand on a un rapport personnel avec leur prof. Par exemple, le prof de ma fille, on l’a invité à souper chez nous et il est venu. C’est très important… (Parent)

J’essaye de connaître les familles de mes élèves, de les aider. Les parents de Maria, un jour, je les ai aidés à déménager un lit. On se fait confiance. (Enseignant)

Une personne très importante pour moi, c’est le directeur de thèse de ma mère, il vient des fois à la maison et c’est un professeur. Alors d’avoir un professeur à notre table, pour moi, c’est un modèle qui m’aide à réussir. (Jeune fille)

La collaboration fusionnelle s’inscrit dans une tout autre optique puisque, cette fois, c’est l’école qui sort de l’institution pour entrer dans la famille. Et c’est parce que l’école est présente dans la famille, le plus souvent par des interactions personnalisées, que cette dernière peut remplir avec l’école les fonctions d’éducation, de socialisation et d’instruction. Là encore, pour permettre une réussite des élèves qui est avant tout une réalisation de soi, il est nécessaire que famille et école se reconnaissent et, plus encore, qu’elles entrent dans des relations personnalisées. Ce modèle se retrouve surtout à Sherbrooke où, à la fois, le petit milieu et le manque d’investissement de l’espace de médiation le favorisent. Par ailleurs, il décrit surtout la situation des familles qui sont en trajectoire de promotion ou en trajectoire de réussite familiale, mais plus spécifiquement par celles qui ont un niveau socio-éducatif élevé et un statut socio-économique faible au Québec, avec une dégradation notable par rapport au pays d’origine.

Ainsi, ce modèle semble surtout efficace pour des familles réfugiées, peu importe leur origine, qui se reconstituent aussi un réseau social au travers de ces contacts privilégiés avec des membres du monde scolaire. Il est intéressant de constater que ce modèle est aussi particulièrement présent chez des parents qui font des retours aux études et qui accordent donc aussi, dans leur vie personnelle, une place importante à l’univers scolaire. Le monde scolaire sort ici de ses murs et rencontre l’univers familial dans des relations sociales qui installent la confiance et le lien. C’est sur ces relations que se construit le rapport de confiance à l’école et l’espace de sécurité nécessaires à la réussite scolaire des élèves. Pour personnaliser ce rapport à l’école, divers membres du personnel, en contact avec les enfants, comme par exemple une enseignante de classe d’accueil ou d’un autre niveau, le directeur ou encore un représentant du service de garde, peuvent entrer en relation avec les parents dans le cadre de la maison ou de la communauté. À Montréal, cette stratégie est parfois utilisée par des directeurs et enseignants particulièrement proches du quartier dans lequel l’école se trouve, et elle est alors articulée à d’autres stratégies qui visent à amener les parents à l’école ou à animer l’espace de médiation.

Parfois, je vais faire un tour dans le quartier, volontairement je stationne mon auto dans le quartier et pas à l’école. Comme ça, je vois les familles des élèves et, parfois, quand il y a un problème, je vais frapper à la porte de la famille. Je n’attends pas qu’ils viennent à l’école. Comme ils m’ont déjà croisé, comme ils m’ont déjà dit bonjour avant, ils ont moins peur et on peut parler de leur enfant... C’est une stratégie que je recommande aux nouveaux professeurs dans mon école. Je leur dis : « allez prendre l’air du quartier ». (Directeur d’école)

Modèle 6 : la collaboration en quête de visibilité

Nous, les Africains, on a fait un groupe pour les devoirs de nos enfants, parce qu’il y a beaucoup de parents qui ne savent pas lire et écrire, parce qu’ils ont beaucoup d’enfants, beaucoup de soucis. On aide les enfants, mais s’il y a un problème à l’école, c’est le parent qui est contacté, et il ne sait pas quoi faire. On pourrait aider plus si l’école nous acceptait comme intermédiaires des parents… Par exemple, il y a des parents qui se retrouvent avec la DPJ parce qu’ils ne savent pas s’expliquer… (Parent)

La collaboration en quête de visibilité reprend les principes de la collaboration avec espace de médiation ou encore celle de la distance assumée lorsque le milieu scolaire ne reconnaît pas ces espaces communautaires, interculturels, ethniques ou religieux, comme des soutiens réels à la famille. Ces milieux sont alors en quête de visibilité pour l’école et aussi en quête de représentativité dans l’école. Il n’est donc pas étonnant que ce modèle de collaboration inachevée se retrouve plutôt en région et vise l’ascension sociale de jeunes dont les familles n’ont pas de place encore reconnue dans leur nouvelle société. Ces familles nouvellement arrivées, réfugiées ou immigrantes indépendantes, souvent allophones, qui voient leur statut social et professionnel chuter, vont rechercher des médiations avec l’école sous forme d’aide aux devoirs, de représentation dans les instances scolaires, d’information sur les fonctionnements scolaires et, plus spécifiquement, sur les cheminements particuliers et sur les classes d’accueil fréquentés par leurs enfants. En région, ces milieux informels manquent de moyens et de ressources pour remplir pleinement le rôle que les familles voudraient leur confier et n’ont, à ce titre, pas suffisamment de légitimité auprès du monde scolaire. Il s’agit peut-être d’une étape transitoire vers d’autres modèles.

Ce qui est notable, c’est la demande de reconnaissance de ces milieux informels par l’école, et le besoin de représentativité de la communauté immigrante dans les diverses instances scolaires. C’est à cette condition que le modèle de collaboration en quête de visibilité, inachevée, pourra devenir réellement efficace pour soutenir la réussite des jeunes, peu importe le niveau de scolarité des parents qui y entrent et qui peuvent aussi avoir des parcours migratoires différents (par exemple réfugiés ou non, passés ou non par d’autres sociétés avant d’arriver au Québec). Étant donné la jeunesse relative de l’immigration en région et le manque de structures scolaires visant à prendre en compte la nouvelle diversité culturelle et ethnique locale, la communauté qui vise à être reconnue est multiculturelle et se reconnaît surtout au travers de son expérience migratoire, les notions de minorité visible ou de communauté ethnique semblant peu pertinentes. À travers ce modèle, il apparaît clairement que, comme l’indique Ouellet (2002), l’éducation interculturelle et ses principes ne peuvent et ne doivent pas s’appliquer seulement en milieu majoritairement multiethnique ; au contraire, ils doivent servir de bases au système scolaire, dans tout milieu qui se veut démocratique, accessible et ouvert.

Discussion sur les contextes d’émergence de ces modèles de collaboration

À Sherbrooke ou à Montréal, ce ne sont pas les mêmes types de collaboration qui prédominent. En particulier, en Estrie, l’espace de médiation est peu investi par les organismes communautaires d’aide et de regroupement des parents immigrants. Ce vide fait que d’autres modèles comme la collaboration fusionnelle ou la collaboration distance assumée y sont plus présents. Par ailleurs, c’est aussi dans ce vacuum que se constitue le modèle de collaboration en quête de visibilité qui interpelle directement le milieu scolaire et son organisation.

De même, l’élément clé de l’émergence des modèles est le niveau scolaire des parents. Ce résultat est d’ailleurs appuyé par les nombreuses études effectuées en Europe ou au Canada auprès de populations défavorisées (Kanouté, 2003 ; Lahire, 1998 ; Lorcerie, 1998) ou immigrantes (Vatz Laaroussi, 1996). Ainsi, plus le niveau scolaire des parents est bas, plus le recours à la médiation des organismes est élevé. Et plus le capital socioculturel est élevé (haut niveau de scolarité, expériences professionnelles qualifiées au pays d’origine), plus le partenariat est structuré en termes de connaissance et reconnaissance réciproques.

Le concept de capital social (les réseaux) et culturel (les connaissances, l’investissement des vecteurs de la culture d’élite), développé par Bourdieu (1981) ainsi que Bourdieu et Passeron (1970) et repris par de très nombreux auteurs dont Putman (2003), reste donc très pertinent pour analyser les conditions de la réussite scolaire des jeunes immigrants. En effet, Pierre Bourdieu (1981) distingue le capital culturel et le capital social. Le capital culturel est tridimensionnel : le capital culturel incorporé est le fruit de la socialisation différenciée selon les milieux sociaux alors que le capital culturel objectivé désigne les outils de culture qui se transmet-tent. Finalement, le capital culturel institutionnalisé renvoie à des aptitudes et statuts socialement reconnus. Putnam reprend ces travaux et définit le capital social comme la valeur collective de tous les réseaux sociaux auxquels se réfère un individu.

En fait, lorsqu’il est question de cultures minoritaires, le problème du capital social et culturel se pose avant tout en termes de reconnaissance par la culture scolaire dominante.

Notons, encore que, comme nous l’avons vu pour certains modèles et comme le montrent les dernières recherches (Renaud, 2005 ; Statistique Canada, 2003), pour les immigrants et réfugiés, il n’y a pas toujours correspondance directe entre le statut socio-économique actuel et le niveau scolaire atteint dans le pays d’origine. Plusieurs d’entre eux avaient auparavant un statut socioprofessionnel élevé dans leur pays d’origine et ont été déqualifiés lors de l’immigration et dans leur nouvelle société. Dès lors, quand il s’agit des collaborations familles-écoles, la variable niveau d’éducation est un indicateur plus valable que la variable statut social ou niveau de revenus actuel.

Finalement, le pays d’origine colore certains modèles de collaboration, comme la collaboration fusionnelle, qui serait plus investie par des parents latino-américains, ou encore la collaboration partenariale, qui serait plus le fait de familles originaires d’Europe de l’Est ou du Maghreb ; cependant, ces distinctions restent floues, et l’origine ethnique ou le groupe culturel et religieux ne sont pas des indicateurs majeurs de l’investissement des familles dans l’un ou l’autre des modèles. La question de la langue maternelle et de la francophonie de certains groupes est aussi un indicateur très relatif dans la mise en oeuvre de ces modèles de collaboration. De façon générale, cet indicateur est toujours associé au niveau de scolarité, voire de déqualification des parents. Comme le montrent les travaux sur les stratégies de citoyenneté des familles immigrantes (Vatz Laaroussi, 2001), ce résultat vient remettre en question les analyses culturalistes qui prévalent encore dans certaines études ou dans certaines politiques, selon lesquelles certains groupes ethniques, culturels ou religieux seraient plus facilement intégrables, plus en situation potentielle de réussite que d’autres. Ces modèles permettent au contraire de comprendre que l’école, pour favoriser la réussite des élèves et divers types de collaboration avec les familles, doit éviter de plaquer des modèles et des interprétations culturalistes sur les attitudes et comportements perçus ou attendus.

Par contre, l’analyse du parcours des familles immigrantes va souvent permettre de mieux saisir pourquoi elles s’inscrivent dans un modèle plus qu’un autre. Une famille réfugiée aura souvent plus besoin du soutien de la communauté ethnique et religieuse, voire des réseaux des camps de réfugiés, comme le montre notre recherche en cours sur la rétention des familles immigrantes dans des petits milieux semi-urbains et ruraux, et entrera plus facilement dans le modèle de distance assumée. Une famille dont le passage par des camps aura réduit la durée de scolarisation des enfants entrera plus facilement dans un modèle de collaboration avec espace de médiation, par exemple. Par ailleurs, nous l’avons vu, certaines trajectoires de réussite scolaire focalisées sur la promotion ou sur la famille ou encore sur la continuité intergénérationnelle sont articulées plus spécifiquement à certains modèles de collaboration. Mais là encore, il n’y a pas de correspondance directe, et ces deux axes d’analyse (trajectoires migratoires et modes de collaboration familles-écoles), en se recoupant sans dresser une catégorisation exhaustive, permettent d’approfondir les interactions en jeu entre les milieux scolaire, communautaire et familial, tant de manière diachronique (les trajectoires et la prise en compte du là-bas-avant dans le parcours de réussite scolaire actuel) que synchronique (les rapports de collaboration insérés dans les réseaux et les stratégies des acteurs).

Plus particulièrement, notre perspective interactionniste nous amène à saisir comment interagissent les acteurs, leurs représentations et leurs attentes réciproques. Pour qu’on parle de modèles de collaboration réussie, il faut que les deux joueurs, la famille et l’école, soient sur la même longueur d’ondes. On ne peut parler de partenariat que si l’un et l’autre se reconnaissent mutuellement, à travers ce qu’ils apportent à l’enfant et ce que l’enfant investit dans ces deux systèmes. Ainsi, la famille ne peut s’engager seule dans une collaboration fusionnelle ; il faut que l’école ou ses acteurs y participent et s’y sentent bien. Même chose pour les collaborations avec espace de médiation : l’espace de médiation doit être connu, reconnu et investi, tant par les familles que par l’école, pour jouer de manière efficace son rôle de médiation et de support à la réussite.

Ce qui m’a surpris, c’est le matériel didactique utilisé ici. C’est vraiment plus concret que chez nous. Autre chose, c’est l’organisation au niveau de l’école même : c’est vraiment important, on s’occupe beaucoup des enfants, on les suit de plus près, la collaboration entre les parents et l’école, c’est très positif. S’il a à aller chercher des ressources, il va aller les chercher, je crois que l’école dispose de toutes les ressources nécessaires pour la réussite de mon fils. Oui, comme père, je suis très satisfait et mon enfant ne peut que réussir dans ce système. Lui, il a juste à travailler fort et ça va bien. (Parent)

Ici, c’est un petit milieu et ça fait aussi qu’ils se sentent plus vite à l’aise. Moi, je vais croiser les parents à l’épicerie, aux inscriptions de soccer, n’importe où, c’est toujours : « Bonjour Madame. Comment ça va, les enfants ? » Ils s’informent de ce qui se passe à l’école. Juste pour ça, ça fait du bien de rencontrer les parents. (Enseignante)

Ça, c’est très, très caractéristique des familles immigrantes, oui. Je vous dirais là toute l’implication des parents est très importante. C’est le père. C’est la mère. C’est la tante. C’est l’oncle. C’est le grand frère. C’est la grande soeur. C’est tout le monde qui vient visiter l’école. C’est tout le monde, même on envoie des lettres pour les rencontres de parents, tout le monde vient à la rencontre de parents. (Enseignante)

Conclusion

Grâce à ce processus d’analyse qualitative, cumulative et inductive, nous avons pu valider et prolonger plusieurs de nos hypothèses. D’abord, sans aucun doute, il existe une diversité de modèles de collaboration favorables à la réussite et à la persévérance des enfants. Plusieurs de ces modèles restent invisibles ou méconnus de l’un des partis en jeu (les parents, les enseignants). Notre travail a permis de les décrire et, en quelque sorte, leur a donné une légitimité en en montrant l’efficacité et la pertinence. C’est là un résultat important de cette étude en termes de retombées potentielles, non seulement dans les rapports familles-écoles, mais aussi pour les orientations du milieu scolaire et du milieu communautaire. Ce résultat permet en particulier de mettre de l’avant comme pertinentes des stratégies familiales qui sont parfois perçues comme du retrait, de la résistance ou de la non coopération. Là encore, nous avons montré qu’elles sont efficaces à condition d’être reconnues et valorisées par les milieux en jeu. À travers notre démarche, nous avons ainsi pu valider la présence du modèle de la distance assumée, d’un modèle avec relais que nous avons qualifié de collaboration avec espace de médiation et du modèle partenarial, modèle que nous avions envisagé dans notre recension des écrits de recherche. Cette analyse des modèles à l’oeuvre nous permet dès lors d’aller à l’encontre d’un modèle unique et normatif de collaboration qui serait instillé par le milieu scolaire et dans lequel les familles auraient à trouver leur place.

Nos études de cas nous ont également permis de montrer que ces modèles favorisant la réussite scolaire sont liés au contexte local, social et culturel dans lesquels ils se mettent en oeuvre. Les différences identifiées entre Montréal et Sherbrooke permettent d’insister sur l’importance du contexte dans la mise en oeuvre de mesures qui visent à favoriser les collaborations et la réussite des élèves.

De manière transversale aussi, nous avons identifié les variables fortes qui ont un impact sur la mise en oeuvre des stratégies familiales des immigrants vis-à-vis de l’école. Il s’agit du statut socio-économique et, encore plus, du niveau de scolarisation des parents ; autrement dit, du capital socioculturel et du capital social. À l’encontre des courants culturalistes, nous pouvons dès lors valider l’analyse selon laquelle la culture d’origine, en soi, ne représente pas l’élément déterminant de ces stratégies et des collaborations à l’oeuvre, mais doit toujours être articulée à la trajectoire de migration et au contexte socio-économique de vie des familles. De même, nous avons souligné que, dans ces collaborations, le contexte de scolarisation et de vie familiale (Montréal/Sherbrooke) a un impact, tant sur les stratégies familiales que sur les stratégies scolaires.

Cependant, nous devons reconnaître une limite à cette recherche. Les types de partenariat familles-école présentés dans ce texte ont été analysés avec une population de familles immigrantes et réfugiées. La recherche ne nous permet pas d’affirmer que ces modèles leur sont spécifiques et ne se retrouvent pas pour d’autres familles, comme celles des milieux défavorisés du Québec. Des études dans ce domaine seraient utiles pour mieux cerner ce qui fait la différence entre les familles immigrantes et celles de milieux défavorisés, ou encore celles dont les enfants sont en difficultés scolaires.

Quelles que soient les populations en jeu, c’est la connaissance de ces divers types de collaborations et la visibilité qu’on leur donne, ainsi que l’influence déterminante de la reconnaissance réciproque des stratégies mises en oeuvre par les familles, l’école et les communautés, qui permettent d’asseoir des innovations pour aller au-devant les uns des autres et pour mieux accompagner la réussite scolaire (Vatz Laaroussi, Rachédi, Kanouté, Duchesne, 2005). Dans certaines écoles, les stratégies interculturelles émergentes attestent des capacités du milieu scolaire à innover dans ce domaine. De même, les nombreuses expériences menées dans les milieux communautaires ethniques, religieux, multiethniques et de quartier, qui visent à élargir et investir l’espace intermédiaire entre l’école et les familles, méritent d’être soulignées et soutenues par des fonds récurrents et des politiques d’envergure nationale. Enfin, l’engagement des parents immigrants auprès de leurs enfants pour leur réussite scolaire – engagement qui se traduit tant dans leur vie quotidienne que dans leurs rapports aux institutions scolaires – doit être souligné, encouragé et soutenu sur les plans matériel, social et politique. Cet engagement constitue une valeur importante pour les communautés immigrantes et doit favoriser, de manière visible, la convergence culturelle souhaitée par les politiques québécoises visant les populations immigrantes et les communautés culturelles.