Corps de l’article

1. Introduction et problématique

Dans les années 1980, à la suite du célèbre rapport Coleman, Campbell, Hobson, McPartland, Mood, Weinfeld et York (1966) et dans la foulée des travaux de la School Effectiveness Research (Bosker et Witziers, 1996), un courant de recherche portant sur l’étude des effets de la composition sociale, scolaire et ethnique des écoles sur les performances des élèves (School Mix) s’est développé. Les recherches montrent ainsi que les performances des élèves sont d’autant meilleures qu’ils fréquentent un établissement socialement ou scolairement privilégié (Duru-Bellat, 2003 ; Vandenberghe, 2001). Ces effets de la composition de l’école fréquentée s’expliquent notamment par l’influence du groupe de pairs (Dupriez, 2010 ; Thrupp, Lauder et Robinson, 2002). Les performances des élèves se construisent en partie au travers des comparaisons sociales : les étudiants utilisent les performances de leurs pairs comme cadre de référence pour évaluer leurs propres performances. Dans le domaine scolaire, le cadre de référence est le plus souvent appréhendé au travers des performances moyennes de l’école ou de la classe. Ces performances moyennes influencent non seulement les performances individuelles de l’élève, mais aussi ses aspirations scolaires et professionnelles (Marsh et O’Mara, 2010 ; Nagengast et Marsh, 2012 ; Dupriez, Monseur, Van Campenhoudt et Lafontaine, 2012 ; Dupont, Monseur, Lafontaine et Fagnant, 2012). Les recherches montrent que cet effet peut être soit positif, on parle de Reflected Glory Effect, soit négatif ; il s’agit alors du Big-Fish-Little-Pond-Effect. Le caractère différencié du système éducatif étudié semble pouvoir expliquer ces différences de résultats (Dupriez et coll., 2012) : on retrouve un lien positif dans les systèmes éducatifs différenciés où les élèves sont regroupés de manière relativement homogène et un lien négatif dans les systèmes plus compréhensifs où les écoles sont composées d’un public plus hétérogène.

Que ces effets soient positifs ou négatifs, la question de savoir s’ils sont de même ampleur pour tous les élèves peut être posée. Dans cet article, deux caractéristiques de l’élève sont plus précisément prises en compte : le sexe et les performances scolaires. Les écrits de recherche montrent que les filles et les garçons ne s’engagent pas dans des processus de comparaisons sociales similaires (Cross et Madson, 1997 ; Guimond, Chatard, Martinot, Crisp et Redersdorff, 2006). On peut dès lors s’attendre à ce que les phénomènes tels que le du Big-Fish-Little-Pond-Effect ou le Reflected Glory Effect, impliquant des comparaisons sociales, opèrent différemment selon le sexe du jeune. En ce qui concerne les performances scolaires de l’élève, la littérature sur le sujet n’aboutit pas à un consensus. Selon les recherches portant sur le Big-Fish-Little-Pond-Effect, l’effet des performances moyennes peut être plus important pour les élèves faibles ou pour les forts, ou encore ne pas différer significativement selon les performances. Cet article poursuivra l’investigation en étudiant la possibilité que l’influence des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles varie en fonction des performances de l’élève.

Pour ce faire, des analyses multiniveaux ont été réalisées au départ de la base de données du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2015) pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le choix de travailler sur les données de la Fédération Wallonie-Bruxelles se justifie par le caractère très différencié de ce système d’enseignement : des filières organisées de manière précoce (dès 14 ans les élèves peuvent choisir entre différentes orientations ; l’enseignement de transition menant à l’enseignement supérieur ou l’enseignement de qualification), un taux de redoublement élevé et des différences de performances entre écoles importantes.

2. Contexte théorique

2.1 Comparaisons sociales et aspirations d’études ou professionnelles

La théorie de la comparaison sociale (Festinger, 1954) a mis en évidence la tendance des individus à se comparer aux autres dans le but d’évaluer leurs propres capacités sur diverses dimensions. En effet,

[l]a comparaison sociale est un processus dans lequel les gens s’engagent de manière quasi automatique (Gilbert et coll., 1995) et qu’ils emploient dans des buts divers : se rassurer quant à leurs opinions ou performances, évaluer ce qui est possible, gonfler leur estime de soi, se vacciner contre l’influence… Plus fondamentalement, la comparaison avec les autres permet à chacun de se définir comme sujet à la fois unique et semblable à autrui.

Leyens et Yzerbyt, 1997, p. 27

L’adolescence est une période particulièrement propice à ces comparaisons sociales et notamment avec les pairs. Durant cette période, le groupe de pairs représente un contexte de développement très important dans la construction des croyances et du comportement du jeune. C’est en effet une période durant laquelle le jeune passe plus de temps avec ses pairs, construisant des relations plus intenses et plus proches (Ryan, 2001). Ainsi, dans le domaine scolaire, les autoévaluations de l’élève ne dépendront pas que de ses propres performances, mais aussi de l’environnement scolaire dans lequel il évolue (Dumas et Huguet, 2011).

Basés sur la théorie de la comparaison sociale, le Big-Fish-Little-Pond-Effect et le Reflected Glory Effect sont des phénomènes souvent étudiés dans le domaine scolaire. Ils permettent de mieux comprendre le rôle du contexte scolaire dans la formation du concept de soi (perception de soi dans le cadre scolaire), mais aussi des aspirations scolaires et professionnelles. D’un côté, Marsh et O’Mara (2010) ainsi que Nagengast et Marsh (2012) ont pu mettre en évidence qu’à performances individuelles équivalentes, plus les performances moyennes de l’école fréquentée par l’élève sont élevées, moins ses aspirations scolaires et professionnelles sont ambitieuses, c’est le Big-Fish-Little-Pond-Effect. Ainsi, par ce phénomène aussi appelé effet de contraste, un même élève aura tendance à revoir ses aspirations à la baisse s’il fréquente au quotidien des pairs plus performants que lui, alors qu’il aura tendance à avoir des aspirations plus élevées s’il côtoie des pairs globalement moins performants. D’un autre côté, des recherches ont investigué la possibilité que les autoévaluations de soi puissent également être influencées positivement par le fait d’appartenir à un groupe performant. Par effet d’assimilation, appartenir à un programme scolaire « prestigieux » pourrait renforcer la confiance en soi, mais également engendrer des aspirations plus ambitieuses (Reflected Glory Effect). Dupriez et coll. (2012) ainsi que Dupont et coll. (2012) ont observé cet effet positif dans certains systèmes éducatifs à structure différenciée tels que la France, la Hongrie et l’Autriche. Pour ces auteurs, les élèves fréquentant de « bonnes écoles » peuvent, de manière consciente, s’identifier à leur groupe de référence (leur école, leur classe) en comparaison avec des écoles (ou des classes) moins performantes. Cette comparaison serait entre autres aidée par la présence de filières d’enseignement distinctes pour lesquelles les élèves ont des représentations hiérarchiques précises. Ce lien positif avait par ailleurs déjà été observé en France par Duru-Bellat, Danner, Le Bastard-Landrier et Piquée en 2004 ou encore Nakhili en 2005.

À la suite de ces constats, une récente étude (Dupont et Lafontaine, 2017) a été menée dans le but de confirmer l’idée que, dans un système éducatif différencié comme celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le lien positif entre les performances moyennes de l’école et les aspirations professionnelles peut s’expliquer par un effet d’assimilation lié à la fierté d’appartenir à une filière ou à une école perçue comme prestigieuse. Les résultats mettent toutefois en évidence que ce n’est qu’en partie le cas. La filière d’enseignement fréquentée par l’élève a un impact important sur les aspirations professionnelles du jeune, mais explique seulement une partie de l’effet des performances moyennes de l’école. En ce qui concerne le prestige perçu de l’école, celui-ci ne contribue pas à expliquer le lien positif entre performances et aspirations. Si cette recherche met en évidence que l’effet positif des performances moyennes ne peut s’expliquer qu’en partie par la filière fréquentée, les auteurs font l’hypothèse que la part non expliquée par la filière d’enseignement est liée à des processus plus internes à l’établissement tels que les informations fournies sur les études et les métiers ou encore le soutien de l’enseignant.

Ces effets de contexte, qu’ils soient positifs ou négatifs, pourraient par ailleurs se différencier selon certaines caractéristiques individuelles de l’élève telles que son sexe ou ses performances scolaires (figure 1). Dans les deux parties suivantes, les recherches menées sur le sujet seront abordées.

Figure 1

Représentation schématique des liens étudiés dans l’étude

Représentation schématique des liens étudiés dans l’étude

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2.2 Le sexe comme modérateur du Big-Fish-Little-Pond-Effect et du Reflected Glory Effect

Guimond et coll. (2006) ont confirmé les résultats de Cross et Madson (1997) attestant que les filles construisent leur soi davantage en interdépendance que les garçons. Les filles sont davantage connectées aux autres, envisagent les relations aux autres comme faisant partie intégrante du soi, tandis que les garçons sont plus autonomes, veulent davantage marquer leur singularité et ont des buts plus individualisés. Gardner, Gabriel et Hochschild (2002, cités par Janssen, Wouters, Huygh, Denies et Vershueren, 2015) ajoutent que les filles accordent plus d’importance que les garçons au statut qu’elles occupent au sein d’un groupe. Les garçons seraient quant à eux plus préoccupés par le statut du groupe auquel ils appartiennent en comparaison aux autres groupes. Ainsi, les effets de contexte (Big-Fish-Little-Pond-Effect et Reflected Glory Effect) pourraient être différents selon le sexe puisque les « autres » ne jouent pas un rôle équivalent pour les filles et les garçons.

Très peu d’études ont investigué la mesure dans laquelle le Big-Fish-Little-Pond-Effect pouvait différer en intensité en fonction du sexe de l’individu. Les quelques chercheurs ayant abordé le sujet mettent en évidence des résultats divergents. D’un côté, Marsh, Seaton, Trautwein, Lüdtke, Hau, O’Mara et Craven (2008) plaident pour un Big-Fish-Little-Pond-Effect robuste, universel et qu’aucun modérateur n’affecte sérieusement. Janssen et coll. (2015) confirment cette idée en n’observant aucun effet d’interaction entre le sexe et les performances moyennes de la classe ou de l’école. D’un autre côté, Marsh, Trautwein, Lüdtke, Baumert et Köller (2007) ainsi que Plieninger et Dickhäuser (2015) ont observé que le Big-Fish-Little-Pond-Effect peut varier en fonction du sexe : à compétences individuelles équivalentes, l’effet négatif des performances moyennes de l’école sur le concept de soi scolaire de l’individu est plus marqué pour les filles.

Marsh et coll. (2007) ont réalisé deux recherches au départ de deux bases de données distinctes. La première est issue d’une large étude menée en Allemagne (Transformation of the Secondary School System and Academic Careers) et la seconde est constituée d’un sous-échantillon d’une étude longitudinale intitulée Learning Processes, Educational Careers and Psychological Development in Adolescence. Dans la première étude, portant sur des données relatives aux étudiants de 147 écoles secondaires d’un même Land allemand, Marsh et coll. (2007) observent un Big-Fish-Little-Pond-Effect d’ampleur plus grand pour les filles. Par contre, dans la deuxième étude qui comprend 94 écoles de quatre Lands différents, aucune différence significative concernant le Big-Fish-Little-Pond-Effect n’a été observée en fonction du genre. Les auteurs concluent donc à un effet marginal.

De leur côté, Plieninger et Dickhäuser (2015), au départ des données du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2006), ont montré que les filles semblent être affectées, plus que les garçons, par les performances de leurs camarades de classe. À performances égales, les filles souffrent davantage que les garçons de l’effet négatif des performances moyennes de leur école. Plieninger et Dickhäuser (2015) font deux hypothèses permettant d’expliquer ce constat : d’une part, elles s’engagent plus fréquemment que les garçons dans des comparaisons sociales (Guimond, Chatard, Martinot, Crisp, et Redersdorff, 2006 ; Wehrens, Buunk, Lubbers, Dijkstra, Kuyper et Van der Werf, 2010) et, d’autre part, les filles rapportent un plus haut degré d’attachement à leurs pairs (Ma et Huebner, 2008 ; Nickerson et Nagle, 2005).

Ces constats, même s’ils ne sont pas unanimes, invitent à penser que le rôle joué par les performances moyennes de l’école dans la formation des aspirations professionnelles pourrait être différent selon le sexe de l’élève.

2.3 Les performances de l’élève comme modérateur du Big-Fish-Litlle-Pond-Effect et du Reflected Glory Effect

Dans l’étude du Big-Fish-Little-Pond-Effect, la performance de l’individu est certainement la dimension qui a été la plus étudiée comme potentiel modérateur. Ces études ne permettent toutefois pas d’aboutir à un consensus. Toutes les recherches ayant pour objectif d’étudier l’effet modérateur des performances de l’élève l’ont fait en prenant en compte dans leurs analyses l’interaction entre ces performances et les performances moyennes de l’école fréquentée. Trois types de résultats sont possibles : une interaction non significative, une interaction significative et positive ou une interaction significative et négative. Marsh, Chessor, Craven et Roche (1995), Marsh, Köller et Baumert (2001), Marsh, Seaton et coll. (2008), Seaton, Marsh, Yeung et Craven (2011) ou encore Janssen et coll. (2015) ont mis en évidence l’absence d’une interaction significative. Pour ces auteurs, l’effet négatif des performances moyennes de l’école sur le concept de soi scolaire est de même ampleur pour tous les élèves, quelles que soient leurs propres performances. D’autres ont quant à eux mis en évidence une interaction significative. Dans certains cas, celle-ci est positive et atteste donc que l’effet négatif des performances moyennes de l’école sur le concept de soi est de plus grande ampleur pour les moins performants (Marsh et coll., 2001 ; Nagengast et Marsh, 2011 ; Trautwein, Lüdtke, Marsh et Nagy, 2009) et, dans d’autres cas, l’interaction est négative, attestant d’un Big-Fish-Little-Pond-Effect plus fort pour les plus performants (Marsh et Hau, 2003 ; Seaton, Marsh et Craven, 2010). Malgré ces effets d’interaction significatifs, les auteurs pointent souvent la faible intensité de ceux-ci et notent que, dans tous les cas, ils ne remettent pas en question l’existence d’un Big-Fish-Little-Pond-Effect pour tous (ces interactions ne modifient jamais le sens de la relation). Pour Marsh et O’Mara (2010), ce résultat ne surprend guère… Dans l’étude du Big-Fish-Little-Pond-Effect le cadre de référence correspond aux performances moyennes de l’établissement ou de la classe fréquentée. Par conséquent, l’ensemble des élèves fréquentant des écoles très performantes devraient avoir un concept de soi plus faible que s’ils étaient dans une école moins performante.

Les recherches citées plus haut portent toutes sur le Big-Fish-Little-Pond-Effect lors de l’étude du concept de soi scolaire. Nagengast et Marsh (2012) qui ont étudié les aspirations professionnelles ont aussi investigué la possibilité que la performance de l’élève joue un effet modérateur. Ces auteurs ont observé que l’effet négatif des performances moyennes de l’école sur les aspirations à des carrières scientifiques affecte plus fortement les élèves les plus performants.

La logique de Marsh et O’Mara (2010) selon laquelle tous les élèves sont confrontés au même cadre de référence qu’est leur école et donc que le Big-Fish-Little-Pond-Effect pourra être observé pour tous, quelles que soient leurs aptitudes pourrait conduire à considérer qu’aucun effet modérateur ne peut exister. Si l’on se place à un autre niveau, celui de la classe par exemple, il semble que les recherches portant sur l’effet des groupes de niveau peuvent aider à dégager des hypothèses cohérentes par rapport à l’existence de cet effet modérateur. Tant les métaanalyses de Slavin (1987, 1990, cités par Crahay, 2012) que celle de Hattie (2009) tendent à montrer que les résultats des recherches expérimentales mettent en évidence un effet nul des groupes de niveau sur les performances des élèves et cela aussi bien pour les élèves forts que faibles. En milieu naturel, c’est-à-dire lorsque les conditions d’enseignement diffèrent d’une classe à l’autre, la constitution de classes de niveau accentue les écarts de performances entre les groupes. Davantage en lien avec notre propos, sur le plan socioaffectif, Müller et Hoffmann (2016) mettent quant à eux en évidence des effets négatifs pour les élèves les plus faibles. Pour ces derniers, sur le plan socioaffectif, il semble donc que les pairs fréquentés ont davantage d’importance. Par conséquent, les élèves les moins performants pourraient pâtir de manière plus prononcée du contexte dans lequel ils évoluent. De plus, les enseignants formulent des attentes et adoptent des comportements différents en fonction des élèves de leur classe (Bressoux et Pansu, 2003). Si les enseignants sont peu conscients de ces différences de comportements, les élèves les perçoivent quant à eux beaucoup plus clairement (Badad, 1998). Ces pratiques rendent ainsi plus visible la comparaison sociale et influencent le jugement que les élèves font de leur propre compétence et de celle de leurs camarades (Weinstein, 2002). Selon Trouilloud et Sarrazin (2003), les élèves faibles, envers qui les attentes sont les moins élevées, seraient les plus désavantagés par ces comportements. Encore une fois, il apparait que les élèves faibles sont plus sensibles au contexte dans lequel ils évoluent.

3. Objectif et hypothèses

Dans la lignée des recherches étudiant le lien entre l’école fréquentée et les aspirations professionnelles des jeunes, l’objectif principal de cet article est d’investiguer la mesure dans laquelle l’effet des performances moyennes des pairs peut varier en fonction du sexe et du niveau de performances de l’élève. La revue des écrits scientifiques (Dupriez et coll., 2012 ; Dupont et Lafontaine, 2017) a permis de constater que dans un système éducatif différencié comme celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les élèves fréquentant les établissements les plus performants sont ceux qui ont les aspirations les plus ambitieuses. Cet effet positif peut-il être d’une ampleur significativement différente selon les caractéristiques des élèves ? C’est à cette question que nous tenterons de répondre au travers de deux hypothèses distinctes. Tout d’abord, le fait que les filles s’engagent plus souvent que les garçons dans des comparaisons sociales, rapportent un plus haut niveau d’attachement à leurs pairs et se comparent plus souvent aux autres (Guimond et coll., 2006), amène à postuler qu’elles sont plus sensibles que les garçons à l’effet du contexte scolaire. En conséquence, la première hypothèse est que le lien positif entre les performances moyennes de l’école et les aspirations professionnelles sera de plus grande ampleur pour les filles que pour les garçons. Ensuite, la revue de la littérature portant sur le Big-Fish-Little-Pond-Effect laisse apparaitre qu’aucun consensus n’a pu être établi autour d’un potentiel effet modérateur des performances de l’élève. La littérature concernant les classes de niveau tend quant à elle à montrer que les élèves faibles sont davantage touchés sur le plan socioaffectif par ce mode de regroupement. Ainsi, les élèves faibles pourraient être plus sensibles au contexte scolaire dans lequel ils évoluent. La seconde hypothèse testée est que l’effet des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles sera de plus forte ampleur pour les élèves les plus faibles. Pour terminer, il est à noter que ces interactions seront testées en deux temps. Les écrits ayant mis en évidence que l’effet positif des performances moyennes de l’école s’explique en partie par la filière d’enseignement fréquentée (Dupont et Lafontaine, 2017), il semble pertinent de tester ces interactions sans contrôler la filière dans un premier temps et en la contrôlant dans un deuxième temps.

4. Méthodologie

4.1 Sujets

Les analyses réalisées dans le cadre de cet article l’ont été au départ des données du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2015) pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette enquête menée par l’Organisation de coopération et de développement économiques a lieu tous les trois ans et avait pour domaine majeur les sciences en 2015. Les analyses portent sur les données de 2495 élèves de 15 ans répartis dans 95 écoles (les sujets fréquentant l’enseignement spécialisé et les centres d’éducation et de formation en alternance (soit 113 sujets) ainsi que ceux ayant des données manquantes concernant les variables présentes dans l’analyse (soit 996 sujets) n’ont pas été inclus dans l’analyse).

4.2 Instruments

Ce sont les aspirations professionnelles des jeunes qui sont étudiées dans cet article. Cette variable dépendante a été mesurée dans l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves à l’aide de la question « Quel type de métier espérez-vous exercer quand vous aurez environ 30 ans ? ». La question étant ouverte, les réponses des élèves ont ensuite été recodées selon l’International Standard Classification of Occupations-08. Par la suite, ces codes ont été transformés en une variable continue selon l’Index international du statut socioéconomique des professions – méthodologie proposée par Ganzeboom, De Graaf et Treiman (1992) et décrite dans le rapport technique du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2003) (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005). Les aspirations professionnelles ont enfin été standardisées avec une moyenne de 500 et un écart-type de 100.

Au niveau élève, en plus du sexe et de la performance de l’élève, d’autres variables dont il a été démontré qu’elles affectent les aspirations professionnelles seront prises en compte dans l’analyse : l’origine sociale, la filière d’enseignement fréquentée ainsi que l’efficacité perçue en sciences. Les variables de performances, d’origine sociale et d’efficacité perçue ont été standardisées avec une moyenne de 0 et un écart-type de 1. Le sexe a été codé 0 pour les filles et 1 pour les garçons. Dans l’échantillon utilisé pour les analyses, 51 % des sujets sont des filles.

En 2015, la culture scientifique est le domaine majeur évalué dans l’enquête Programme international pour le suivi des acquis des élèves. Ainsi, les performances de l’élève sont plus spécifiquement des performances en sciences. Ces dernières sont le reflet de trois compétences reprises dans le cadre conceptuel du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2015) (Organisation de coopération et de développement économiques, 2016) : expliquer des phénomènes de manière scientifique, évaluer et concevoir des recherches scientifiques et interpréter des données et des faits de manière scientifique. Les élèves ont répondu à une série d’items visant à mesurer ces trois compétences et leurs résultats ont permis de calculer dix valeurs plausibles. Dans les analyses réalisées, seule la première valeur plausible a été prise en compte. Il est à noter dans la Fédération Wallonie-Bruxelles, les performances des garçons surpassent celles des filles de 11 points (Quittre, Crépin, Hindryckx, Matoul et Lafontaine, 2016).

Dans le Programme international pour le suivi des acquis des élèves, le niveau socioéconomique et culturel (economic, social and cultural status) de l’élève est mesuré au travers de trois questions relatives au plus haut niveau d’éducation des parents, au plus haut niveau de profession des parents et au nombre de biens possédés à la maison (livres, ordinateurs…). Au départ de ces items, un indice composite a pu être calculé pour chacun des élèves (Organisation de coopération et de développement économiques, 2017).

Dans la Fédération Wallonie-Bruxelles, plusieurs formes d’enseignement coexistent : l’enseignement général, l’enseignement technique ou artistique de transition, l’enseignement technique ou artistique de qualification et l’enseignement professionnel. Les deux premières formes font partie de la section ou filière de transition et les deux autres de la filière de qualification (les deux filières d’enseignement ont des finalités différentes : l’enseignement de transition a pour but de préparer les élèves à l’enseignement supérieur, tandis que l’enseignement de qualification vise la préparation à l’entrée dans la vie active). Les données disponibles dans le Programme international pour le suivi des acquis des élèves permettent de répertorier les élèves selon la filière d’enseignement qu’ils fréquentent. Ainsi, 77 % des élèves de notre échantillon fréquentent l’enseignement de transition (code 1) et 23 % sont dans l’enseignement de qualification (code 0).

Dans les différents modèles testés, l’efficacité perçue en sciences a été tenue sous contrôle. Huit items ont permis de mesurer cette dimension (Organisation de coopération et de développement économiques, 2017). Il était demandé aux élèves de se positionner quant à leur facilité ou non à effectuer seuls certaines tâches précises comme « expliquer pourquoi les tremblements de terre sont plus fréquents dans certaines régions que dans d’autres ». Les recherches portant sur le Big-Fish-Little-Pond-Effect préconisent de contrôler le concept de soi scolaire lorsqu’on étudie l’effet des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles. Or, l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2015) n’a pas mesuré cette dimension et c’est la raison pour laquelle l’efficacité perçue a été mobilisée ici. Même si le recours à cette variable n’est pas idéal, Marsh, Trautwein, Lüdkte et Köller (2008) ont tout de même mis en évidence un Big-Fish-Little-Pond-Effect pour l’efficacité perçue (mais de moindre ampleur que pour le concept de soi).

Au niveau école, les performances moyennes de l’école consistent en une variable agrégée. La moyenne des performances des élèves (en prenant en compte les dix valeurs plausibles) de chaque école a été calculée. Cette moyenne n’a pas été standardisée afin de rester sur la même métrique que les variables de niveau élève.

4.3 Méthode d’analyse

Afin de tenir compte du caractère hiérarchisé des données (les élèves dans les écoles) des analyses multiniveaux (pour en savoir plus, voir Bressoux, Coustère et Leroy-Audoin, 1997) ont été menées à l’aide de la procédure PROC MIXED sous le logiciel SAS 9,4. Deux niveaux d’analyses ont été pris en compte : le niveau élève et le niveau école. Par ailleurs, l’objectif principal de cet article étant de voir dans quelle mesure l’effet des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles varie en fonction du sexe et de la performance de l’individu, plusieurs effets d’interaction ont été testés un à un. Ainsi, après un modèle vide qui permet une décomposition de la variance entre les différents niveaux, six modèles ont été mis à l’épreuve. Les deux premiers modèles consistent en des analyses préliminaires ayant pour but de confirmer la présence de l’effet positif des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles avec ou sans contrôle de la filière fréquentée. Les quatre autres modèles portent quant à eux plus spécifiquement sur l’étude des interactions. Dans les modèles 3 et 4, l’interaction entre le sexe et les performances moyennes de l’école a été incluse dans l’analyse dans le but de voir si l’effet des performances moyennes varie en fonction du sexe de l’élève, cela sans contrôler, puis en contrôlant la filière fréquentée. Enfin, dans les deux derniers modèles, c’est l’effet d’interaction entre les performances de l’élève et les performances moyennes de l’école qui a été ajouté avec, encore une fois, le contrôle ou sans contrôle de la filière fréquentée.

5. Résultats

Dans un premier temps, comme pour toute analyse multiniveau, un modèle vide a été testé afin de décomposer la variance des aspirations professionnelles entre le niveau école et le niveau élève (tableau 1). Cette décomposition permet de constater que 24 % de la variance se situent entre écoles, les 76 % restants se situant entre les élèves au sein des écoles.

Tableau 1

Décomposition de la variance des aspirations professionnelles

Décomposition de la variance des aspirations professionnelles

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Dans un deuxième temps, plusieurs analyses préliminaires ont été réalisées dans le but de tester le lien entre les différentes variables intégrées dans le modèle et les aspirations professionnelles (tableau 2). Au niveau élève, toutes les variables prises en compte sont associées significativement aux aspirations professionnelles. Les garçons ont des aspirations moins ambitieuses que les filles, les élèves les plus performants, ceux d’origine sociale plus privilégiée, ceux qui fréquentent une filière de transition et ceux qui ont un bon sentiment d’efficacité perçue ont des aspirations professionnelles plus élevées. En ce qui concerne la variable de niveau école, les performances moyennes de l’école sont associées positivement et significativement aux aspirations professionnelles. En d’autres mots, dans la Fédération Wallonie-Bruxelles, toutes choses égales par ailleurs, fréquenter un établissement aux performances moyennes plus élevées est associé à des aspirations professionnelles plus ambitieuses. La comparaison des modèles 1 et 2 permet de constater que contrôler la filière d’enseignement est associée à une diminution de l’effet des performances moyennes de l’école. Ainsi, l’effet positif de la performance moyenne de l’école sur les aspirations professionnelles s’explique en partie par la filière d’enseignement fréquentée. L’analyse des pourcentages de variance entre écoles expliquée par chacun des modèles permet de constater que ceux-ci ont un grand pouvoir prédictif puisque près de 70 % de la variance des aspirations est expliquée par le modèle 1 et 85 % par le modèle 2.

Tableau 2

Résultats de la régression multiniveau

Résultats de la régression multiniveau

Note. *p < .05 ; **p < .01 ; ***p < .0001

Clé de lecture du tableau : être un garçon (code 1- fille : code 0) est associé à une diminution de 16,64 points sur l’échelle des aspirations professionnelles. Toute augmentation d’un écart-type sur l’échelle « economic, social and cultural status » est associée à une augmentation de 6,83 points sur l’échelle des aspirations.

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Dans un troisième temps, les effets d’interaction ont été testés (tableau 3). Dans les modèles 3 et 4, l’interaction entre les performances moyennes de l’école et le sexe a été ajoutée. Lorsque la filière d’enseignement n’est pas contrôlée, l’interaction est significative et négative (β = -11,64). Le coefficient négatif signifie que l’effet positif des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles est de moins grande ampleur pour les garçons. Plus précisément, pour les filles, toute augmentation d’un écart-type sur le plan des performances moyennes de l’école est associée à une augmentation de 39,22 points sur l’échelle des aspirations professionnelles alors qu’elle est de 22,58 pour les garçons (39,22-11,64). Il est à noter que lorsque la filière d’enseignement est contrôlée, c’est-à-dire que l’effet des performances moyennes de l’école est net de l’effet lié à la filière, l’interaction n’est plus significative. Les modèles 5 et 6 ont ensuite permis de mettre à l’épreuve l’effet d’interaction entre les performances moyennes de l’école et les performances de l’élève. Il ressort de l’analyse que cette interaction est significative et négative dans les deux modèles (modèle 5 : β = -9,30 et modèle 6 : β = -9,51). Cela signifie que l’effet des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles est d’ampleur moins importante pour les élèves les plus performants. Il est à noter que le coefficient de régression est d’intensité quasiment identique dans les deux modèles. Enfin, l’analyse des pourcentages de variance entre écoles expliquée par les différents modèles permet de constater que l’ajout des termes d’interaction n’explique pas davantage de variance entre écoles.

Tableau 3

Résultats de l’analyse multiniveau avec les effets d’interaction

Résultats de l’analyse multiniveau avec les effets d’interaction

Note. *p < .05 ; **p < .01 ; ***p < .0001

Clé de lecture du tableau : pour les filles, toute augmentation d’un écart-type sur le plan des performances moyennes de l’école est associée à une augmentation de 39,22 points sur l’échelle des aspirations professionnelles alors qu’elle est de 22,58 pour les garçons (39,22-11,64)

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6. Discussion des résultats

La recherche en éducation a mis en évidence l’importance du contexte scolaire où l’élève évolue dans la formation de son concept de soi scolaire, mais aussi de ses aspirations professionnelles (Marsh et O’Mara, 2010 ; Nagengast et Marsh, 2012 ; Dupriez et coll., 2012 ; Dupont et coll., 2012). Dans un système éducatif hautement différencié comme celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les performances moyennes de l’école fréquentée affectent positivement les aspirations professionnelles (Dupont et Lafontaine, 2017). À performances scolaires équivalentes, les élèves fréquentant les établissements les plus performants sont ceux qui ont les aspirations les plus ambitieuses. Ce constat s’applique-t-il de manière égale à tous les élèves ? L’objectif de cet article est de poursuivre l’étude de cet effet en déterminant si certaines caractéristiques individuelles peuvent jouer un rôle modérateur. Plus précisément, deux caractéristiques ont ici été prises en compte : le sexe et la performance de l’élève. Au départ des données du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2015) pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, les effets d’interaction entre les performances moyennes de l’école et le sexe, d’une part, et entre les performances moyennes de l’école et les performances de l’élève, d’autre part, ont ainsi été étudiés.

Avant de tester ces interactions, des analyses préliminaires ont été réalisées afin de confirmer l’existence d’un lien entre le sexe, les performances, l’origine sociale, le sentiment d’efficacité perçue, la filière fréquentée, les performances moyennes de l’école et les aspirations professionnelles. Ces analyses permettent de confirmer une série de résultats observés antérieurement. Tout d’abord, comme dans une majorité des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (McDaniel et Buchmann, 2007 ; Sikora et Pokropek, 2011), à performances égales, les filles ont des aspirations professionnelles plus ambitieuses que les garçons. Ensuite, les performances de l’élève, son origine sociale ainsi que son sentiment d’efficacité sont positivement associés à ses aspirations. Les aspirations professionnelles sont également très fortement déterminées par la filière d’enseignement fréquentée : les élèves de l’enseignement de transition ayant des aspirations plus ambitieuses que ceux de qualification (Dupont et Lafontaine, 2011 ; Dupont et Lafontaine, 2017). Ceci n’a rien d’étonnant puisque l’inscription dans l’une de ces filières préjuge des possibles qui s’ouvrent à l’élève à la fin de l’enseignement secondaire. Enfin, comme cela a été observé dans un certain nombre de systèmes éducatifs différenciés (Dupriez et coll., 2012 ; Dupont et coll., 2012), les performances moyennes de l’école sont positivement liées aux aspirations professionnelles. Il est toutefois à noter que ce lien est d’ampleur plus faible (mais toujours significatif) lorsque la filière d’enseignement fréquentée est tenue sous contrôle. Comme Dupont et Lafontaine (2017) l’ont développé dans leur article, cette diminution de l’effet des performances moyennes de l’école sous contrôle de la filière peut s’expliquer par un double mécanisme : un effet d’assimilation lié à la filière fréquentée qui amène l’élève à éprouver une certaine fierté d’appartenir à la filière d’enseignement la plus « prestigieuse » et une autosélection de la part des jeunes fréquentant l’enseignement de qualification lié à la finalité première de cette filière d’enseignement, c’est-à-dire préparer à l’entrée dans la vie active.

Notons qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, un élève sortant de l’enseignement de qualification est en principe qualifié pour exercer un métier, à condition qu’il ait obtenu son certificat de qualification (en moyenne, 30 % des élèves de technique de qualification et 20 % des élèves de professionnel n’obtiennent pas cette qualification (Indicateurs de l’enseignement, 2015). Il peut aussi, moyennant une année supplémentaire, obtenir le Certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS) qui sanctionne la réussite de l’enseignement secondaire supérieur. Munis de ce certificat, ils peuvent accéder à l’enseignement supérieur. Pour une proportion non négligeable d’élèves, la filière qualifiante représente ainsi une manière d’obtenir son certificat de l’enseignement secondaire dans une filière moins exigeante.

La part de l’effet positif des performances moyennes de l’école non expliquée par la filière serait quant à elle davantage liée soit à des processus internes à l’établissement, tels que les informations données aux élèves concernant l’enseignement supérieur ou encore le soutien ou les rétroactions donnés par l’enseignant, soit à un effet de pairs engendré par des discussions, des projets communs, des dynamiques de soutien…

Sachant que les filles et les garçons ne s’engagent pas dans des processus de comparaisons sociales similaires, la première hypothèse est que les filles, plus sensibles aux comparaisons sociales, sont davantage influencées par les performances moyennes de l’école que les garçons. Pour tester cette hypothèse, deux modèles distincts ont été réalisés. Le premier ne tient pas compte de la filière d’enseignement fréquentée à la différence du second. Il a pu être mis en évidence que, toutes choses égales par ailleurs (à l’exception de la filière), les performances moyennes de l’école influencent davantage et positivement les aspirations professionnelles des filles. Ce résultat va donc dans le sens de ce qui a été observé par Plieninger et Dickhauser (2015), à savoir que les filles sont plus sensibles à l’effet des performances moyennes de leur école. Notons toutefois que cette interaction n’est plus significative lorsque la filière d’enseignement fréquentée est prise en compte dans l’analyse. En d’autres mots, cela signifie qu’au sein d’une même filière d’enseignement l’effet des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles ne diffère pas selon le sexe. À l’inverse, toutes filières confondues, cet effet est plus important pour les filles. La composition scolaire de l’école étant en partie liée aux filières d’enseignement (les écoles les plus performantes sont des écoles de transition et les écoles moins performantes des écoles de qualification), l’effet de cette composition sur les aspirations s’atténue sous contrôle de la filière et, par la même occasion, l’effet d’interaction disparait. L’effet d’interaction observé dans un premier temps serait donc davantage lié à la filière fréquentée : les aspirations des filles étant plus sensibles à la filière fréquentée que celles des garçons.

Le deuxième effet d’interaction qui a été testé dans cet article est celui entre la performance de l’élève et les performances moyennes de l’école. Selon Marsh et O’Mara (2010) le cadre de référence étant mesuré au travers des performances moyennes de l’école, tous les élèves, quelles que soient leurs performances, sont amenés à se confronter au même cadre de référence et devraient donc être influencés de la même manière par les performances moyennes de l’école. Toutefois, la théorie relative aux classes de niveau laisse penser que les élèves faibles sont plus sensibles au contexte scolaire lorsqu’il s’agit de caractéristiques socioaffectives ; cela nous a conduit à formuler une hypothèse plus nuancée. Les analyses confirment que les élèves faibles sont plus sensibles au contexte scolaire. Nous observons une interaction significative et négative attestant que les aspirations professionnelles des élèves les plus performants sont moins liées aux performances moyennes de leur école. Il est à noter que cet effet d’interaction est significatif que l’on contrôle ou non la filière d’enseignement. Que les élèves les moins performants soient davantage influencés par les performances moyennes de l’école peut sans doute s’expliquer par le fait que ces élèves sont en général des élèves issus de milieux moins favorisés où les ressources familiales sont moins présentes. Par conséquent, ces élèves pourraient être plus sensibles aux professions auxquelles leurs pairs aspirent, au soutien de leur professeur ou aux rétroactions qu’ils reçoivent. On peut par exemple imaginer que les écoles les plus performantes sont également celles au sein desquelles les élèves sont le plus poussés à entreprendre des études universitaires (au travers des rétroactions et des messages donnés par les enseignants, au travers d’informations sur les métiers), ce qui aurait un impact plus important sur la formation des aspirations des élèves moins performants. À l’inverse, les élèves les plus performants, confiants en leurs capacités et le plus souvent issus d’un milieu favorisé, se compareront moins aux autres et aspireront d’emblée à des professions plus prestigieuses.

L’apport majeur de la présente recherche réside dans l’identification de mécanismes permettant de mieux comprendre le phénomène complexe qu’est l’effet des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles. S’agissant d’une première étude sur le sujet, les résultats mériteraient d’être confirmés au départ d’autres bases de données. L’utilisation de la base de données du Programme international pour le suivi des acquis des élèves comporte certaines limites auxquelles il pourrait, par la même occasion, être intéressant de remédier. Tout d’abord, il s’agit de données récoltées à un âge donné, tous les élèves ne fréquentant pas la même année scolaire. Selon l’année fréquentée, les aspirations professionnelles des jeunes pourraient être plus ou moins affirmées. Réaliser le même genre d’étude que celle présentée ici avec des données récoltées auprès d’élèves d’une même année scolaire serait une voie à envisager. Récolter ces données auprès d’élèves en fin de secondaire pourrait également être une piste à envisager afin de s’assurer que les aspirations soient bien affirmées (l’enseignement obligatoire à temps partiel va jusqu’à l’âge de 18 ans). Ensuite, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves n’échantillonne pas des classes. Or, la littérature (Zell et Alicke, 2009) a mis en évidence que les comparaisons sociales prennent plus de sens lorsqu’elles sont plus proximales. Ainsi, prendre en compte les performances moyennes au niveau classe pourrait faire apparaitre des effets encore plus marqués. Enfin, l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (2015) porte sur le domaine majeur des sciences. Or, cette matière n’est pas neutre quant aux performances des élèves en fonction de leur sexe. Nous avons ainsi eu la prudence de répliquer les analyses menées dans cet article avec les données relatives au domaine de la lecture. Si les résultats sont similaires, il pourrait toutefois être intéressant de poursuivre l’étude avec des données relatives aux différentes disciplines afin de tester la stabilité des effets observés.

7. Conclusion

L’objectif de cet article était d’approfondir la compréhension de l’influence des performances moyennes de l’école sur les aspirations professionnelles dans la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour ce faire, nous avons tenté de voir si cet effet dépendait du sexe et de la performance de l’élève. Il ressort de cette recherche que tous les élèves ne sont pas sensibles de la même manière aux performances moyennes de leur école. Les aspirations professionnelles des filles et des élèves moins performants sont davantage influencées par les performances moyennes de l’école. Ceci permet de mettre le doigt sur un des mécanismes amplificateurs des inégalités de résultats au sens large dans un système éducatif de quasi-marché. Ainsi, non seulement, les élèves de 15 ans sont regroupés dans des établissements selon leurs aptitudes et leur origine socioéconomique comme l’indiquent le pourcentage de variance entre écoles des performances et de l’indice socioéconomique dans le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Monseur et Lafontaine, 2012) et ces performances moyennes influenceront fortement le niveau d’aspirations des élèves. De surcroit, ce sont les élèves les plus vulnérables qui sont plus sensibles à ces effets de contexte, ce qui les fragilise encore davantage. Ainsi, on ne peut que plaider en faveur d’une plus grande mixité scolaire et sociale au sein des écoles pour que ces mécanismes amplificateurs des inégalités s’atténuent. Par ailleurs, nous avons fait l’hypothèse que les caractéristiques institutionnelles pouvaient constituer un levier pour amener les élèves plus faibles à nourrir des aspirations plus ambitieuses. Sans pouvoir cerner précisément à ce stade ce que sont ces caractéristiques institutionnelles, nous pensons par exemple aux informations données aux élèves concernant les métiers, aux encouragements formulés par les enseignants… Draelants et Artoisenet (2011) ont par exemple mis en évidence que la logique d’information sur les études supérieures diffère d’une école à l’autre et permet d’expliquer une partie de l’effet de l’établissement sur les aspirations d’études supérieures des jeunes. Des recherches investiguant plus en profondeur cette idée pourraient être menées. Par ailleurs, compositions scolaire et sociale de l’école étant liées, il serait intéressant d’analyser l’impact propre de la composition sociale de l’école fréquentée. S’il ne fait pas de doute que celle-ci influence les performances des élèves (Vandenberghe, 2001), qu’en est-il des aspirations et comment les choses se différencient-elles selon le genre et les performances de l’élève ? Enfin, nous avons ici considéré le sexe et les performances de l’élève comme seuls modérateurs du lien entre les performances moyennes de l’école et les aspirations professionnelles, mais n’en existe-t-il pas d’autres ? L’origine sociale ou encore les attitudes scolaires telles que l’intérêt, l’utilité perçue ou encore l’anxiété à l’égard de certaines matières ne modèreraient-elles pas ce lien ? Des recherches dans ce sens pourraient être menées afin de compléter les constats émis par la présente étude.