Corps de l’article

1. Introduction et problématique

Depuis le milieu des années 1960, le Québec offre des services de formation en milieu scolaire spécialement destinés à la population adulte. En créant le secteur de la formation générale des adultes (FGA), on donnait accès à une scolarisation de base adaptée à la réalité de cette population. Dès son implantation, le ministère de l’Éducation a privilégié un dispositif organisationnel et des pratiques éducatives inspirés des principes de l’andragogie, laquelle préconise un enseignement qui prend en compte les conditions de la vie adulte avec des méthodes adaptées à leur situation. Aujourd’hui, le secteur de la formation générale des adultes compte 9000 enseignants (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2013).

Malgré le rôle important joué par ces enseignants pour le rehaussement de la scolarisation de la population québécoise, le personnel de la formation générale des adultes connaît un problème persistant de reconnaissance professionnelle (Bessette, 2005 ; Pineau et Solar, 1980 ; Solar, 2002 ; Voyer, 2002 ; Wagner, 2002). Pour mieux comprendre cette situation, le présent article explore l’idée selon laquelle des lacunes dans les orientations ministérielles et dans la diffusion des connaissances scientifiques propres au domaine peuvent contribuer à des problèmes identitaires chez ces enseignants.

Les problèmes d’identité professionnelle ne sont exclusifs ni au personnel de l’enseignement aux adultes ni à la situation des formateurs québécois. Des formateurs oeuvrant dans d’autres contextes éprouveraient des difficultés à nommer leur titre professionnel (Laot et de Lescure, 2006), à délimiter leur espace d’intervention (Knox et Fleming, 2010) ou à percevoir leur profession de façon unifiée plutôt que fragmentée (Bierema, 2010). Au Québec, le problème identitaire des enseignants de la formation générale des adultes est surtout associé à leur précarité statutaire et au manque de reconnaissance de leur spécificité professionnelle (Voyer, 2002).

On pourrait penser que les enseignants du milieu scolaire éprouvent moins de difficulté que les autres à se définir puisqu’ils pratiquent en milieu institutionnel, ce qui facilite la structuration de l’identité collective. Or, selon Turgeon et Wagner (1996) ainsi que Wagner (2002), le problème de ces enseignants semble justement relié à cet ancrage dans le milieu formel de l’éducation. Ceux-ci expliquent que la formation générale des adultes trouve ses origines dans l’éducation populaire et que le fait d’avoir amalgamé ce secteur éducatif au réseau scolaire public québécois, dans les années 1960, a contribué à l’effritement de sa spécificité en imposant un modèle de formation initiale destiné aux jeunes. Selon eux, la scolarisation de la formation générale des adultes a généré de la confusion dans les finalités de ce secteur éducatif, ce qui a entaché sa spécificité. Ainsi, la proximité du secteur éducatif destiné aux adultes avec le secteur de la formation des jeunes contribuerait à perpétuer des difficultés identitaires chez ces enseignants.

Il est vrai que le secteur de la formation générale des adultes est en position duelle sur le plan identitaire, car il se situe au sein de deux ensembles. Il a comme premier ancrage une appartenance au système public d’éducation qui a un caractère formel, institutionnalisé et structuré. Sur ce plan, le personnel de la formation générale des adultes peut s’identifier aux collègues de son secteur et se distinguer des autres enseignants, ceux de la formation générale des jeunes. Comme second ancrage, la formation aux adultes est rattachée à un champ de pratique composé d’organisations publiques, privées et communautaires au sein desquelles la formation s’exerce selon des modes formels, informels ou non formels. Ainsi, l’enseignant peut s’identifier à d’autres formateurs oeuvrant dans un réseau doté d’une dynamique bien fondée historiquement et politiquement (Chabot, 2002 ; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007a). L’identité professionnelle se développe donc sous l’influence de cette double appartenance, ces enseignants pratiquant dans un cadre institué – doté d’une structure politique et législative clairement identifiable – et rattaché au grand réseau formel et informel de l’éducation et de la formation des adultes (Voyer, Brodeur et Meilleur, 2012).

Or, il est difficile de dissocier les difficultés propres au secteur de la formation générale des adultes, identifiées par Turgeon et Wagner (1996) ainsi que Wagner (2002), de la situation d’ambiguïté qui concerne les orientations institutionnelles et de la production du savoir scientifique sur l’enseignement aux adultes en milieu scolaire (Voyer et al., 2012). Considérons cela à partir de deux observations.

Premièrement, plusieurs travaux de synthèse théorique portant sur la profession enseignante au Québec (Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau et Chevrier, 2001 ; Lessard et Tardif, 1996 ; Tardif et Lessard, 2004 ; Tardif, 2013) ne traitent pas des enseignants de la formation générale des adultes. Cette situation suggère qu’il s’agit d’une profession à part relevant d’un champ distinct. Deuxièmement, la production scientifique du champ d’études de l’éducation des adultes s’intéresse très peu aux problématiques de l’enseignement (Solar, 2009), et encore moins à l’intervention éducative dans le contexte de la formation générale des adultes (Ettayebi, Medzo et Fortier, 2004). Aussi, les lacunes de la production scientifique ne datent pas d’hier. Déjà, dans les années 1980, Chené (1987, p. 61) appelait à une clarification de l’objet du champ d’études de l’éducation des adultes. Elle faisait observer que le discours produit dans ce champ tend à marginaliser ce champ d’études par rapport aux sciences de l’éducation. Elle appelait les universitaires à mieux situer la spécificité de l’éducation des adultes au sein de l’université et à consolider théoriquement son objet. Landry (1992) constatait également les tergiversations des chercheurs de l’éducation des adultes à l’égard de ses liens avec les sciences de l’éducation et la tendance à délaisser ses affiliations naturelles avec les sciences sociales.

Le problème de la production scientifique à propos de l’enseignement en milieu scolaire interpelle le rôle des universités à l’égard de la diffusion de la base de connaissances et celui des instances ministérielles qui établissent les orientations, notamment en matière de compétences professionnelles des enseignants. À ce sujet, il faut souligner que, depuis 2001, les possibilités d’appropriation du savoir scientifique portant sur l’enseignement aux adultes en milieu scolaire sont devenues très limitées, puisque les universités québécoises n’enseignent plus ce savoir spécialisé au sein des programmes de formation initiale (Tremblay et Hrimech, 2003 ; Turgeon, 2006 ; Voyer et al., 2012 ; Wagner, 2002). Effectivement, depuis le renouvellement des orientations ministérielles en matière de formation universitaire initiale (ministère de l’Éducation du Québec, 2001), l’enseignement aux adultes n’a pas été identifié comme une pratique spécifique, ni associé à un profil d’enseignement type. Il a plutôt été apparenté à l’enseignement au secondaire et à l’adaptation scolaire. Pourtant, au Québec, ces orientations ministérielles jouent un rôle important dans le développement de la profession enseignante en établissant formellement les profils d’enseignement et les compétences professionnelles visées.

Or, pour constituer un groupe professionnel avec une identité claire et forte et pour prétendre à une expertise unique, il est requis de fournir une base de connaissance aux enseignants (Bourdoncle et Lessard, 2003, p. 142). L’identité s’élabore à partir de nombreux référents, dont les savoirs théoriques et les savoirs professionnels (Dubar, 2000). Parmi l’ensemble de ces référents d’identification, on compte les prescriptions et les encadrements développés par les acteurs institutionnels.

Selon Draper (1998), la connaissance de l’andragogie est à la base de la professionnalisation de l’éducateur d’adultes. Au Québec, dès l’instauration du secteur de la formation générale des adultes au sein du système scolaire, le ministère de l’Éducation a justement préconisé une approche de l’enseignement qui se référait aux notions de l’éducation des adultes et de l’andragogie (Pinsonneault, 1983). Intéressée en particulier à l’intervention de formation et à la relation éducateur/apprenant adulte, l’andragogie présente un ensemble de principes et de bonnes pratiques d’intervention pour aider l’apprenant adulte (Hartress, 1984, cité par Merriam, 2001). Alors que les premières descriptions de l’enseignement de la formation générale des adultes faisaient abondamment référence à ces notions (Pinsonneault, 1983) et pouvaient servir de repères d’identification aux enseignants, la perte de vitalité et de visibilité de l’andragogie, qui s’est amorcée dès le début des années 1990 (Blais, Chamberland, Hrimech et Thibault, 1994 ; Tremblay et Hrimech, 2003), ne permet plus autant d’offrir une base de connaissances significative directement reliée à leur pratique. Dans un tel contexte, les professionnels peuvent avoir tendance à se référer à de vagues croyances ou à des théories personnelles construites sur le tas (Reichsmann, 2004). Selon nous, ils peuvent aussi se voir obligés de transférer des notions ou des concepts scientifiques qui correspondent plus ou moins à leur réalité, ce qui ne facilite pas le développement identitaire. La documentation officielle, produite par les organisations ministérielles, peut cependant constituer une ressource disponible qui diffuse des informations et des savoirs professionnels légitimes. Aussi, les enseignants peuvent chercher à s’y référer pour éclairer ou baliser leur pratique de travail, ce qui peut les aider à se définir professionnellement.

À partir de ce point de vue, nous nous demandons si les orientations politiques, réglementaires et administratives peuvent constituer une base de connaissances permettant aux enseignants de la formation générale des adultes en milieu scolaire d’acquérir un savoir professionnel porteur des principes andragogiques. Ces prescriptions officielles peuvent-elles aider les acteurs sociaux à définir le rôle des enseignants, à situer le caractère distinctif de leur pratique éducative et à permettre au personnel de se définir professionnellement ?

2. Contexte théorique

Voyons brièvement notre conception de l’identité professionnelle et les notions qui servent de toile de fond à notre étude.

2.1 Identité professionnelle

Nous désignons l’identité professionnelle comme l’ensemble des processus subjectifs et objectifs qui permettent à une personne de choisir la catégorie appropriée pour se nommer, de saisir son appartenance professionnelle et de percevoir une cohérence à son expérience (Voyer, 2002). Notre conception s’inspire de travaux de la sociologie (Dubar, 2000 ; Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007) montrant que l’identité professionnelle relève autant de l’interprétation subjective de l’expérience et des évènements objectifs du parcours d’emploi et de formation d’un individu que des conditions socioprofessionnelles. Dans une dynamique complexe d’identification, de différenciation et de reconnaissance, l’individu cherche, à partir de différents repères, à concilier son besoin d’être reconnu par autrui et celui d’appartenir à une collectivité. Notre étude concerne à trois repères en particulier.

On convient, premièrement, que l’individu se définit à travers son rapport au travail. Il s’agit pour l’individu de connaître et de maîtriser sa fonction et d’y puiser une source de valorisation ou d’expression de ses valeurs (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007). Le rapport au travail se développe en référence aux savoirs acquis dans le parcours éducatif. Le rapport au savoir peut être saisi en examinant les savoirs mobilisés dans l’action et à leur provenance (par exemple : savoir théorique acquis à l’université, ou savoir professionnel issu du milieu de travail) ainsi qu’en situant la tendance d’un individu à valoriser un type de savoir pour se définir. Par exemple, un enseignant se valorise par ses diplômes universitaires, un autre se distingue par la maîtrise d’un savoir professionnel singulier. Le rapport au travail et le rapport au savoir sont, en partie, déterminés par les acteurs institutionnels. Dans le rapport à autrui, troisième repère de l’identité professionnelle qui nous intéresse, les collègues, la clientèle ou le supérieur hiérarchique notamment contribuent à la dynamique identitaire. Des acteurs institutionnels y jouent aussi un rôle déterminant, car ils structurent les normes et les conditions de la profession (Dubar, 2000). Dans le cas des enseignants, l’apprenant est particulièrement significatif (Gohier et al., 2001).

2.2 Discours institutionnel, discours théorique et identité professionnelle

Le processus identitaire suppose une opération de catégorisation qui consiste, pour un individu, à arbitrer différentes formes de discours pour penser et dire son expérience (Demazière et Dubar, 1997). Ainsi, l’individu interprète et traduit sa situation en se référant à des mots et des propositions, produites et diffusées par différents acteurs institutionnels, qui construisent et reflètent ce qu’il vit. Bien que les propositions identitaires soient nombreuses et d’origines diverses, notre recherche se limite à considérer deux formes de discours. Tout d’abord, nous situons les catégories officielles de discours qui concernent les normes, les prescriptions et les encadrements administratifs. Produites et diffusées par les institutions, celles-ci dictent et légitiment les actions et les façons de penser (Demazière et Dubar, p. 79-80, p. 333). Ensuite, nous examinons les catégories savantes liées aux discours théoriques, lesquelles renvoient à des concepts et des notions développés par les scientifiques (p. 78-80). Celles-ci agissent également comme des propositions identitaires.

Puisque l’étude porte sur l’identité professionnelle des enseignants du secteur de l’éducation des adultes, le discours théorique sera abordé en référence à l’andragogie, un champ d’études spécifique, rattaché à celui de l’éducation et de la formation des adultes, qui présente un ensemble cohérent et structuré de connaissances relevant de plusieurs disciplines et unifiées dans un objet spécifique (Legendre, 2005, p. 201). À l’instar de Draper (1998), nous associons cette branche de savoir aux sciences de l’éducation, tout en reconnaissant ses affinités fortes avec les sciences sociales. L’andragogie porte un intérêt particulier à l’étude de la relation éducative, aux aspects de l’intervention auprès des adultes et aux conditions d’apprentissage chez les adultes (Knowles, 1970 ; Knowles, Holton et Swanson, 2005). Influencée par différents courants de pensée (Chalvin, 2006 ; Elias et Merriam, 2005), sans propositions théoriques univoques (Boutinet, 2004), l’andragogie dispose d’un ensemble de notions et de concepts qui composent un champ terminologique de base (Pinsonneault, 1983 ; Merriam, 2001) permettant aux professionnels de se situer (Reichsmann, 2004).

Sans traiter de l’ensemble des repères identitaires, notre étude vise à explorer si le discours institutionnel sur la formation générale des adultes contribue à structurer trois repères importants – le rapport au travail, le rapport au savoir et le rapport aux autres – avec la mise en relief des caractéristiques distinctives du travail enseignant conceptualisées dans le discours théorique de l’andragogie. L’attention est portée sur l’articulation entre deux formes de discours, d’une part, un corpus de connaissances scientifiques spécifiques (l’andragogie) et, d’autre part, les encadrements institutionnels d’un champ de pratique professionnelle (le secteur de la formation générale des adultes) qui influencent l’identité professionnelle. L’objectif spécifique de notre étude  consiste à examiner si, dans la documentation ministérielle, on identifie et diffuse les notions propres à l’andragogie, ce qui permettrait au personnel enseignant de la formation générale des adultes d’en connaître les principes et de s’en servir comme repères pour mobiliser ses compétences professionnelles, pour reconnaître et affirmer la spécificité de sa pratique et, ainsi, se définir professionnellement.

3. Méthodologie

3.1 Données de recherche, constitution du corpus et outils d’analyse

Notre approche a consisté à examiner si la documentation institutionnelle de nature règlementaire, politique et administrative traitant de la formation générale des adultes comportait des notions théoriques propres à l’andragogie. Avant l’étude de la documentation, nous avons examiné la terminologie dans des textes théoriques (Blais et al., 1994 ; Boutinet, 2004 ; Élias et Merriam, 2005 ; Knowles, 1970 ; Tremblay, 2003) pour dégager six notions essentielles composant le champ sémantique de base lié à la pratique de l’enseignement selon les principes de l’andragogie : adulte, besoin, autonomie, rôles sociaux, expérience, accompagnement. Ces notions nous ont servi de guide pour l’analyse documentaire afin de repérer la présence d’un langage andragogique au sein du discours institutionnel.

Pour l’analyse, un corpus documentaire a été constitué. Après avoir inventorié 22 textes institutionnels publiés entre 1993 et 2011, nous avons sélectionné un corpus de 12 textes sur la base des critères suivants : 1) le contenu traite directement ou indirectement de l’enseignement en formation générale des adultes, 2) le document est accessible aux enseignants de ce secteur, 3) l’année de publication du document est postérieure à l’année 2000.

Tableau 1

Indications sur le corpus analysé[*]

Indications sur le corpus analysé*
*

Les références complètes se trouvent dans la liste de références

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3.2 Méthode d’analyse des données documentaires et précaution éthique

Puisque nous cherchions à repérer les signes d’un corps de connaissances qui se référerait aux principes et aux orientations théoriques d’origine de l’andragogie, notre procédé a consisté à nous servir des six notions indiquées précédemment pour vérifier si nous pouvions les identifier dans chacun des textes selon le « principe du repérage systématique » ou de la « recherche de traces » (Paillé et Muchielli, 2008 ; Van der Maren, 2004). Compte tenu de l’objectif visé, il n’apparaissait pas indiqué de compter précisément la fréquence des mots, mais plutôt de vérifier la présence ou l’absence des six notions au sein des textes et leur niveau de fréquence (pas présent, peu présent, très présent). L’unité de signification pouvait être un mot, un segment de phrase ou une phrase. Au cours de l’analyse, nous avons examiné si les notions étaient évoquées, énoncées, décrites ou expliquées et si l’information renvoyait à des textes théoriques de l’andragogie. Ces notions ont servi essentiellement au repérage du contenu informatif qui a ensuite été classé, condensé et interprété dans des rubriques, au sens où l’entendent Paillé et Mucchielli (2008). Ainsi, nous avons choisi de présenter les résultats de l’analyse à partir de trois rubriques : 1) définition de l’adulte, 2) caractéristiques de l’adulte et leur influence sur l’apprentissage, 3) rôle de l’enseignant et nature de son intervention. Le mode de présentation privilégie une double posture : d’une part, une posture restitutive consistant à rapporter directement des fragments du discours pour valoriser l’empirisme et bien révéler le contenu de l’énonciation (Demazière et Dubar, 1997) et d’autre part, une posture analytique qui permet de comparer les éléments du discours institutionnel et du discours théorique.

Enfin, comme notre étude s’appuie uniquement sur des données documentaires publiques, aucune précaution particulière de nature éthique n’a été nécessaire.

4. Résultats

Notre analyse permet de situer la notion d’adulte, ses principales caractéristiques ainsi que le rôle et la pratique de l’enseignement en formation générale des adultes.

4.1 Notion d’adulte

Comme il est bien admis théoriquement que la notion d’adulte varie selon les époques et les espaces géographiques (Boutinet, 2004), il importe de voir comment celle-ci est désignée officiellement.

La notion d’adulte n’est pas définie dans la Loi sur l’instruction publique (Gouvernement du Québec, 2010a). La loi indique que toute personne qui n’est plus assujettie à l’obligation de fréquenter l’école a droit aux services prévus par les régimes pédagogiques (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006, article 448). Le Régime pédagogique ne désigne pas davantage ce qu’est un adulte, mais il en fait mention pour établir le droit d’admission (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006, p. 19, 20.2, article 29). Ces textes associent l’adulte à un statut  administratif et ils révèlent que l’élève adulte peut même être une personne mineure selon l’article 19 (art. 19.3). Précisons que ce statut comporte un caractère variable, puisque, au cours des années 1980, la Loi associait plutôt l’adulte à toute personne majeure qui a cessé de fréquenter l’école pendant un an ou plus depuis sa majorité, ou depuis qu’elle a 22 ans dans le cas d’une personne handicapée (…) (Gouvernement du Québec, 1989, article 2).

Sans définir ce qu’est un adulte, la politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue (Gouvernement du Québec, 2002) fait abondamment référence à cette notion. Les lecteurs qui consultent ce texte peuvent constater que l’intervention doit viser l’ensemble de la population dite adulte et qu’une attention particulière est apportée, dans ce secteur éducatif, à certaines catégories de personnes : adultes de moins de 30 ans, personnes handicapées, personnes immigrantes, personnes de 45 ans et plus et nations autochtones (Gouvernement du Québec, 2002). De plus, la manière de définir l’adulte correspond étroitement aux préceptes de l’andragogie, puisque l’adulte est généralement présenté comme une personne détenant un bagage d’expériences, détentrice de compétences et préoccupée par son intégration sociale et professionnelle (Knowles, 1970 ; Knowles et al., 2005).

Soulignons que les personnes visées par le Régime pédagogique et par la Politique gouvernementale sont toujours désignées à partir du substantif adulte, et non par le terme élève. Ce mode de présentation met en relief le statut particulier des personnes qui étudient dans ce secteur éducatif. Cependant, les acteurs éducatifs ne sont pas incités à se référer au terme apprenant, puisqu’une seule étude utilise ce terme pour décrire la personne visée (ministère de l’Éducation du Québec, 2003, p. 3). D’usage commun en andragogie, ce terme met en relief le caractère actif du sujet dans l’apprentissage (Knowles, 1970).

4.2 Caractéristiques de l’apprentissage adulte

L’andragogie suggère aux acteurs éducatifs d’adapter les dispositifs, les approches et les méthodes de formation en tenant compte des caractéristiques et des conditions propres à la vie adulte qui influencent l’apprentissage. Dans ces conditions, il s’agit de vérifier si les acteurs concernés par la formation générale des adultes peuvent être informés de ces préceptes dans les orientations ministérielles.

Le Régime pédagogique de la formation générale des adultes décrit la nature et les objectifs des services de formation éducatifs. Ces services ont pour objet : de permettre à l’adulte d’accroître son autonomie ; de faciliter son insertion sociale et professionnelle ; de favoriser son accès et son maintien sur le marché du travail ; de lui permettre de contribuer au développement économique, social et culturel de son milieu ; de lui permettre d’acquérir une formation sanctionnée par le ministre (Gouvernement du Québec, 2010a : D. 652-2000, a1). Dans cet énoncé, la correspondance des services avec les observations andragogiques est bien révélée, puisqu’on suggère l’idée que l’adulte s’inscrit en formation pour maintenir sa place sur le marché du travail et dans la société. Selon nous, les descriptions contenues dans ce texte associent l’adulte à une personne active qui contribue au développement de sa société, idée fortement présente parmi les textes fondateurs de l’andragogie (Elias et Merriam, 2005).

Ce document ministériel définit les nombreux services éducatifs offerts du secteur de la formation générale des adultes. Comme il présente la variété des services, les enseignants et les autres acteurs sociaux sont informés du fait que l’organisation scolaire cherche à répondre à la diversité des besoins des adultes, observation centrale de l’andragogie. En effet, en plus de l’éducation populaire et des services complémentaires, le Régime pédagogique décrit brièvement les dix services d’enseignement : soutien pédagogique, alphabétisation, présecondaire, premier et deuxième cycle du secondaire, intégration sociale, intégration socioprofessionnelle, francisation, préparation à la formation professionnelle, préparation aux études postsecondaires (Gouvernement du Québec, 2010a, D. 652-2000, a3). L’information portant sur l’alphabétisation, l’intégration socioprofessionnelle et l’éducation populaire montre en particulier que l’éducation des adultes vise à augmenter la capacité d’action de l’adulte dans la société, à lui permettre d’exercer ses rôles familiaux et sociaux et à faciliter son intégration professionnelle (Elias et Merriam, 2005).

Un document expose de manière plus détaillée les principes andragogiques de l’apprentissage adulte. Il s’agit du texte intitulé Pour suivre son régime (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006), document d’information portant sur les changements apportés au Régime pédagogique. En fait, il s’agit du rare document du corpus étudié qui associe explicitement la pratique du travail enseignant à cette branche de spécialisation de l’éducation des adultes. On y expose les ancrages andragogiques des services offerts : l’ensemble des services éducatifs comprend des objets inspirés directement des principes andragogiques qui caractérisent les pratiques du secteur de l’éducation des adultes (p. 1.4). L’identification des caractéristiques de la démarche andragogique incite les enseignants à une approche éducative centrée sur les besoins, les attentes et les projets de l’apprenant adulte (Boutinet, 2004).

D’autres documents d’information, dont certains portent sur les programmes d’études de la formation de base (ministère de l’Éducation du Québec, 2005 ; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005, 2007), font également référence à une assise importante de l’andragogie. On y explique la notion de situation de vie, qui renvoie, à notre avis, à des notions étudiées en andragogie comme expérience, situation ou résolution de problème (Knowles, 1970). Le texte de 2007 indique aux autres acteurs concernés que le nouveau curriculum en formation des adultes privilégie une plus grande interaction apprenant/enseignant, ce qui commande un renouvellement des pratiques andragogiques (p. 14). Il souligne que les besoins diversifiés de l’adulte et les exigences liées à la diversité de ses rôles sociaux influencent le rapport à l’apprentissage. Selon nous, l’importance accordée à la notion d’autonomie de l’élève met en relief les répercussions concrètes de cette caractéristique sur l’apprentissage des adultes.

4.3 Enseignement en formation générale des adultes : rôle, fonctions et nature des interventions

Avant d’indiquer s’il y a des traces du discours andragogique dans les textes d’orientations au sujet de l’enseignement, il convient de décrire succinctement l’infrastructure de formation au sein de laquelle pratiquent les enseignants de la formation générale des adultes. Principalement basée sur l’enseignement modulaire et individualisé avec un système d’entrée continue, cette infrastructure amène l’enseignant à pratiquer auprès d’élèves qui peuvent commencer leur formation à tout moment de l’année, suivre un programme de formation personnalisé et évoluer à leur propre rythme, avec la possibilité d’interrompre leur cheminement selon les circonstances (Pinsonneault, 1983). L’enseignement comporte un caractère modulaire, en ce sens que l’élève suit son programme par étapes successives à l’aide d’un cahier d’apprentissage et des conseils personnalisés de son enseignant, chaque étape réussie – contrôlée par une évaluation – donnant accès à une autre étape. Sans décrire plus amplement les méthodes utilisées dans ce secteur, retenons que l’accompagnement individualisé y est l’approche dominante même si, dans la foulée de la réforme curriculaire, le personnel tend à diversifier ses méthodes (Ettayebi, Medzo et Fortier, 2004). Ajoutons également que la pertinence et l’efficacité de l’enseignement au sein d’une telle infrastructure repose sur un postulat absolument central pour l’andragogie : l’enseignant doit considérer que l’apprenant adulte est autonome et apte à s’autodéterminer (Tremblay, 2003), et il doit valoriser une participation active dans son processus (Elias et Merriam, 2005).

La connaissance de l’approche de l’enseignement individualisé par les enseignants ne peut être acquise en consultant la Loi sur l’instruction publique, le Règlement pédagogique ou la Politique gouvernementale, car on n’y trouve aucune référence. Évidemment, on pourrait penser qu’il n’est pas dans la nature de tels documents d’orientation de faire mention de l’infrastructure organisationnelle, du dispositif ou de l’approche d’enseignement. Or, la Politique gouvernementale (Gouvernement du Québec, 2002) décrit plusieurs autres dispositifs mis en place pour répondre aux caractéristiques de l’apprentissage à l’âge adulte : la formation à distance (p. 30), les services d’accompagnement et de référence (p. 29-30) et la reconnaissance des compétences (p. 24-26).

Quels autres documents ministériels pourraient permettre au personnel enseignant et aux autres acteurs sociaux de saisir le caractère spécifique de l’infrastructure éducative propre à ce secteur ? Un document portant sur l’histoire de l’éducation des adultes mentionne que l’approche d’enseignement individualisé a été formellement adoptée dans les années 1970. À la lecture de ce document, les acteurs sociaux peuvent savoir que cette approche est une marque distinctive (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007a, p. 52, 57, 68), sans y trouver cependant une description de ses qualités ou de ses caractéristiques.

Un autre document rédigé à l’attention des enseignants qui oeuvrent auprès des adultes porte de manière plus explicite sur l’enseignement individualisé selon le mode d’organisation de l’entrée périodique et la sortie variable (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006, p. 1.7). Il décrit les rôles de l’enseignant de la manière suivante : spécialiste, guide, animateur ou animatrice, évaluateur ou évaluatrice ainsi qu’agent ou agente de changement (p. 1.6). Celui-ci doit créer une dialectique entre lui et l’adulte (p. 1.7). Un autre texte d’information qui concerne les programmes d’études de la formation de base et déjà mentionné à la section précédente (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007), insiste sur le rôle actif de l’enseignant qui doit mettre en place des conditions favorables pour faire apprendre l’adulte. On explique aux acteurs concernés – enseignants, gestionnaires et universités notamment – que les nouveaux programmes d’études appellent à un  renouvellement des pratiques andragogiques (2007, p. 14). Nous comprenons que cette invitation à modifier la perspective éducative repose sur la mobilisation de méthodes d’enseignement propres aux orientations du courant socioconstructiviste.

À ce sujet, la documentation ministérielle tend à opposer l’andragogie au courant constructiviste, alors que l’andragogie relève de différents courants de pensée (Elias et Merriam, 2005). De même, l’enseignant est invité à adopter des méthodes à la fois basées sur le constructivisme et le behaviorisme (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005a, p.15), deux conceptions éducatives aux valeurs opposées (Chalvin, 2006 ; Elias et Merriam, 2005). Bien que les notions employées pour expliquer le socioconstructivisme reposent de manière très marginale sur des textes du champ d’études de l’éducation des adultes, ce qui est exposé réfère en bonne partie aux caractéristiques de l’apprentissage adulte. Malgré l’abondance des écrits théoriques d’inspiration socioconstructiviste dans le champ d’études de l’éducation des adultes, l’enseignant a surtout accès à des écrits fondamentaux en sciences de l’éducation. Du reste, celui-ci peut savoir qu’il doit répondre aux besoins diversifiés et enseigner en référence à des situations de vie concrètes propres à la vie adulte afin de l’aider à vivre harmonieusement ses rôles sociaux. D’autres documents présentent les assises de la rénovation du curriculum de la formation générale des adultes (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005a, 2005b) et rendent compte des principes andragogiques. Le personnel y est incité à réviser ses pratiques et ses outils afin de favoriser un enseignement centré sur les besoins des adultes et qui prend en compte toutes les dimensions de sa personne. Le ministère offre une information sur les motifs d’origine d’un système souple permettant des entrées et sorties variables, ce qui est pertinent pour répondre aux aléas de la vie adulte (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005b, p. 2).

Nous avons également vérifié s’il y avait des traces de notions propres à l’andragogie au sein de la convention collective des enseignants (Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones, 2007) puisque celle-ci contribue à réguler la pratique enseignante. Tout d’abord, il faut spécifier qu’il n’existe pas de convention particulière pour le personnel enseignant de ce secteur. Toutefois, un chapitre de la convention collective distingue la fonction et la tâche de travail selon que les enseignants exercent au secteur de la formation générale des jeunes, au secteur de la formation professionnelle ou au secteur de la formation générale des adultes. Ce chapitre signale l’existence de particularités propres à l’enseignement aux adultes avec la description de la fonction générale de l’enseignant de ce secteur en dix actions. Plusieurs de ces actions témoignent indirectement du fait que l’enseignement qui y est pratiqué relève de l’approche d’accompagnement individualisé, sans cependant le spécifier expressément. Plusieurs énoncés suggèrent que l’intervention éducative s’effectue auprès d’adultes autonomes. En effet, l’enseignant doit : aider l’adulte dans l’établissement de son profil de formation (énoncé 2) ; aider l’adulte à choisir des modes d’apprentissage (énoncé 3) et suivre l’adulte dans son cheminement (énoncé 4). L’enseignant pourrait déceler le caractère andragogique de ces stratégies souvent centrées sur l’assistance, l’interactivité en dyade et l’identification des ressources internes et externes notamment (Frétigné et Trollat, 2009 ; Tremblay, 2003). Une comparaison des attributions de la fonction générale de l’enseignant du secteur adulte à celles de l’enseignant du secteur jeune, décrites dans un autre chapitre de la convention collective, permet d’identifier plusieurs indices de l’autonomie de l’élève adulte. À titre d’illustration, la formulation surveiller les élèves n’apparaît pas dans le chapitre destiné au personnel qui enseigne aux adultes. De même, l’activité de l’enseignant aux adultes qui consiste à suivre l’adulte dans son cheminement (énoncé 4) et qui fait écho à la capacité d’autodétermination n’est pas mentionnée pour les autres enseignants.

Enfin, le document d’orientation en matière de formation initiale des enseignants (ministère de l’éducation du Québec, 2001) n’identifie pas spécifiquement l’enseignement en formation générale des adultes. Ce texte d’orientation destiné aux universités décrit des profils de sortie d’enseignants, des domaines d’apprentissage et des compétences professionnelles. Comme l’enseignement aux adultes est parfois associé à la pratique de l’adaptation scolaire (p. 207, 208, 209) ou vaguement apparenté à l’enseignement au secondaire sans distinction entre jeunes et adultes (p. 173, 174, 177, 201), le futur enseignant ne peut y déceler de compétences professionnelles distinctives. Bien que ce document renvoie à de nombreux appuis théoriques des sciences de l’éducation, le lecteur n’y verra aucune étude sur l’enseignement aux adultes.

5. Discussion

Nous avons examiné si le discours institutionnel sur l’adulte, sur les caractéristiques de l’apprentissage et sur l’intervention éducative offre des repères identitaires qui aideraient le développement identitaire de l’enseignant.

C’est le contenu informatif relatif à l’adulte et aux caractéristiques du processus d’apprentissage qui souligne avec le plus de consistance les orientations pouvant permettre aux enseignants de se situer sur le plan professionnel. On y présente une conception de la personne qui s’appuie sur plusieurs observations théoriques à propos de la notion d’adulte, telles que la capacité d’autodétermination du projet d’apprentissage et l’autonomie (Boutinet, 2004 ; Knowles, 1970). L’enseignant peut facilement saisir ces caractéristiques particulières et se faire une représentation de l’élève adulte. Des éléments du discours peuvent soutenir l’établissement d’un cadre à la relation élève-enseignant, ce qui éclaire le rapport au travail et le rapport à autrui, repères importants de l’identité professionnelle (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007). L’enseignement est un travail interactif qui commande une bonne maîtrise des aspects relationnels (Gohier et al., 2001) ; l’enseignant de la formation générale des adultes est informé des spécificités du partenaire de cette relation.

Le discours institutionnel qui traite de l’intervention éducative souligne des principes andragogiques sans cependant offrir de règles ou de normes de pratique précises. De tels encadrements structurent l’agir professionnel en contexte qui participe directement au développement de l’identité enseignante (Jutras, Desaulniers et Legault, 2003). En fait, la convention collective des enseignants (Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones, 2007) est le principal support informationnel qui présente des éclairages sur la spécificité du rapport au travail. Les fonctions d’assistance et d’accompagnement, qui caractérisent l’enseignement en formation générale des adultes (Pinsonneault, 1983) sont soulignées ; elles correspondent à des préceptes andragogiques. L’énonciation des fonctions permet à la fois d’identifier quelques caractéristiques spécifiques à l’enseignement aux adultes et de distinguer celles-ci par rapport aux spécificités de l’enseignement pratiqué dans d’autres secteurs éducatifs. Ces référents peuvent aider l’enseignant à s’identifier à la fonction de travail, à la comparer avec celle d’autrui et, éventuellement, à distinguer celle-ci en ce qui concerne le rapport au travail. L’information contenue dans une convention collective comporte un caractère prescriptif particulier, car elle est produite et diffusée conjointement par l’employeur et le syndicat, instances sociales qui jouent un rôle important dans le développement de l’identité professionnelle (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007). Si l’on admet que les associations syndicales fournissent au personnel enseignant des structures d’affirmation et de mobilisation collective (Dubar, 2000) et que les employeurs sont des vecteurs prépondérants de la reconnaissance professionnelle (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007), il est permis de supposer que leurs propositions sont particulièrement influentes.

Par ailleurs, une partie du discours institutionnel présente les approches et les méthodes d’enseignement en les associant à des théories éducatives. Ces propos visent à traduire les valeurs et les orientations ministérielles relatives aux programmes d’études de la formation générale des adultes. Nous savons que, lorsqu’une autorité établit, formalise et diffuse les valeurs de son organisation de travail, elle offre à ses membres la possibilité de se positionner. Ce positionnement peut faire l’objet d’adhésion, d’opposition ou de refus, et influencer le sentiment d’appartenance à la collectivité (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007). Dans le cas des enseignants de la formation générale des adultes, ceux-ci pourraient éprouver de la difficulté à se situer, les propos officiels n’étant pas toujours congruents. Nous avons vu notamment que la documentation ministérielle tend à opposer l’andragogie au courant constructiviste, alors qu’il est généralement admis que l’andragogie s’abreuve de différents courants de pensée (Elias et Merriam, 2005). Selon Demazière et Dubar (1997), le discours institutionnel peut faire obstacle à la compréhension qu’a le sujet de sa propre expérience. D’autres études seront nécessaires pour voir si les ambiguïtés relatives aux valeurs éducatives en formation générale des adultes peuvent nuire à l’exercice quotidien du travail et à la structuration de sa représentation.

Enfin, il ressort que l’enseignant de ce secteur ne dispose pas de référentiel de compétences spécifiques et qu’il a un accès limité aux notions théoriques. La documentation officielle présente un secteur éducatif qui paraît avoir évolué sans la contribution d’artisans, d’auteurs ou de penseurs, sans l’apport d’un corps de connaissances déjà constitué qui le différencie d’autres secteurs. Il est clair alors que les savoirs théoriques ne peuvent constituer des repères identificatoires centraux chez les enseignants de la formation générale des adultes, type de savoir pourtant privilégié des professionnels pour soutenir l’identification à une compétence singulière et à une expertise particulière (Dubar, 2000). Assise du développement de l’identité individuelle et de l’identité collective, le rapport au savoir paraît un enjeu secondaire dans le discours institutionnel.

6. Conclusion

Dans une perspective exploratoire, notre étude s’est intéressée à l’influence du discours institutionnel et du discours scientifique sur le développement identitaire des enseignants de la formation générale des adultes. Pour examiner si les orientations gouvernementales et ministérielles concernant la formation générale des adultes identifient et diffusent des notions propres à l’andragogie qui procurent des repères d’identification, nous avons procédé à une étude documentaire pour vérifier la présence de ces notions dans des textes réglementaires, politiques et administratifs. L’analyse s’étant limitée à des textes publiés après l’année 2000, elle n’a pas permis de situer l’évolution de la situation sur une longue période. De même, nous nous sommes intéressées à l’andragogie sans questionner sa validité ou sa pertinence pour l’étude de l’enseignement des adultes en milieu scolaire. Cependant, une telle perspective critique sur l’andragogie demeure difficile, compte tenu de l’insuffisance de la production scientifique sur l’enseignement individualisé en milieu scolaire offert à un public adulte. En effet, très peu de travaux scientifiques ont été réalisés sur la pratique enseignante dans le contexte spécifique de la formation générale des adultes dans une perspective descriptive. De futures recherches devraient permettre de décrire empiriquement les stratégies et les méthodes d’enseignement utilisées par le personnel ainsi que les contenus du matériel de formation employé auprès des élèves adultes en privilégiant l’analyse documentaire, l’observation et les récits de pratique.

Pour l’heure, nous pouvons conclure que le discours officiel sur la formation générale des adultes offre quelques traces des principes et des valeurs de l’andragogie. Mais celles-ci peuvent, tout au plus, sensibiliser le personnel et les autres acteurs sociaux aux caractéristiques de l’adulte et à ses conditions d’apprentissage. En ce qui a trait à l’information institutionnelle diffusée au sujet du contexte et de l’intervention éducative, elle ne peut servir d’assises pour percevoir les spécificités de l’enseignement aux adultes ni pour baliser l’exercice du travail, ce qui permettrait le développement d’une identité professionnelle. À cet égard, il semble que les instances ministérielles ne font pas beaucoup usage des connaissances scientifiques développées par l’andragogie pour établir les orientations relatives à la formation générale des adultes. Cette situation se répercute sur les enseignants qui peuvent difficilement se référer au discours officiel pour se situer professionnellement. Il revient aussi au champ de l’andragogie de mieux consolider et déployer son corps de connaissances et d’affirmer la pertinence de son rôle pour le développement professionnel. Une relation plus articulée entre le champ scientifique et le champ administratif pourrait contribuer à structurer un groupe professionnel, avec une identité forte. Ce groupe serait composé d’enseignants qui connaissent les principes et les fondements de leur expertise. Dans un contexte où l’école, dans sa forme traditionnelle, fait l’objet de critiques, il semble pertinent que la formation générale des adultes s’affirme comme un secteur distinct au sein du système éducatif et que les enseignants disposent d’assises pour s’identifier à leur spécificité professionnelle.