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Introduction

À l’heure actuelle, où une tendance mondiale cherche à promouvoir l’accès à l’éducation et la réussite pour tous les élèves, les problèmes posés en adaptation scolaire découlent du manque de définitions au regard des interventions relevant de l’adaptation scolaire et de l’identification de la population concernée, ainsi que de la difficulté d’élaborer des théories cohérentes plus explicites sur l’enseignement et l’apprentissage lorsque les besoins de tous les élèves sont considérés (Rose, 2002). Cet article tente de combler certaines de ces lacunes. Il est issu d’une réponse à l’appel d’offre pour une recension des écrits sur le concept d’élèves à risque et sur les interventions éducatives efficaces, lancé par le ministère de l’Éducation (MÉQ) et le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC), à l’automne 2002. Deux objectifs avaient été fixés par ces organismes. Le premier consistait à cerner le concept d’élèves à risque en repérant, dans les écrits, les différentes conceptions, les contextes de son utilisation, les caractéristiques des personnes touchées, celles des environnements familial, scolaire et social. Le deuxième devait faire un état de la situation des acquis des recherches les plus récentes portant sur l’intervention auprès des élèves à risque afin de repérer les approches les plus fréquemment préconisées et celles qui sont les plus efficaces. Cet article présente uniquement les éléments du premier objectif se rattachant au concept d’élèves à risque. Ce texte retrace donc les origines du concept, ainsi que les différents contextes de son utilisation, et il explore comment il est mis à contribution dans le milieu scolaire.

Méthodologie de recherche

Nous avons adopté une méthodologie en six tâches, inspirée de Jackson (1989) et développée par Fortin et Bigras (1996). La première tâche consiste à faire le choix des questions et des objectifs de l’étude. Dans le contexte d’appel d’offre, les objectifs du MÉQ et du FQRSC ont été retenus. La deuxième se rapporte à l’échantillonnage de l’étude (les recherches portant sur le sujet à l’étude). La période de recherche visée se situe de 1997 à 2003. Cette période, particulièrement riche en réflexions quant au rôle et à la place des programmes et des services en adaptation scolaire, s’est aussi démarquée par une évolution des mentalités vers l’intégration scolaire d’élèves à risque. Quatre banques de données ont été consultées : ERIC ; PSYCINFO ; FRANCIS et REPÈRE. Les descripteurs utilisés sont présentés dans l’annexe I. Certains textes ont été prélevés de banques de données présentant les textes entiers, comme ERIC, REPÈRE, Éducation et francophonie. D’autres ont été téléchargés de sites internet. Plusieurs ont été trouvés dans des revues scientifiques ou professionnelles (voir annexe I). D’autres, enfin, sont des monographies, des rapports de recherche et des documents gouvernementaux.

La troisième tâche a été d’organiser la représentation des caractéristiques des études et de leurs résultats. Afin de traiter cette somme d’informations, une grille a été élaborée pour effectuer l’enregistrement des données et pour colliger les éléments d’information pertinents aux objectifs posés (Schmidt, Tessier, Drapeau, Lachance, Kalubi et Fortin, 2003). Le contenu de la grille coïncide avec la démarche d’analyse empruntée pour chacun des objectifs poursuivis. Le logiciel ACCESS a servi à enregistrer les données tout en facilitant l’accès ultérieur aux informations.

La quatrième tâche consiste à faire l’analyse des études. Rose (2002) recommande de procéder à une méta-analyse pour établir des similitudes et des distinctions entre les recherches. Toutefois, cette démarche exige que le domaine de recherche soit très bien développé, ce qui n’est pas le cas dans le champ d’étude des élèves à risque. Cette recension permettra de faire le point et pourra conduire, éventuellement, à une méta-analyse. Les analyses sont faites en lien avec les différentes acceptions du concept d’élèves à risque et comportent quatre points : (1) la définition utilisée ; (2) le contexte d’utilisation ; (3) les caractéristiques des personnes touchées et celles des environnements familial, scolaire et social concernés et (4) la classification du contexte (dans les termes d’approches prédictive, descriptive, unilatérale, écosystémique et institutionnelle (Hixson et Tinzmann, 1990). La cinquième tâche se rapporte à l’interprétation des résultats. Elle vise à faire émerger des consensus, sinon des tendances, parmi les chercheurs et au sein d’organismes gouvernementaux. La sixième tâche est la rédaction du rapport de recherche.

Le présent article résume une partie du rapport d’origine.

Historique et contextes d’utilisation du concept de risque

Le concept de risque tire son origine des études épidémiologiques en médecine. Il réfère à des facteurs qui accentuent (facteurs de risque) ou diminuent (facteurs de protection) les chances d’apparition de maux ou d’états déficients, ainsi que les processus qui les sous-tendent (Haggerty, Sherrod, Garmesey et Rutter, 1996). La reconnaissance de ces facteurs permet de faire des prédictions relativement aux individus à risque d’éprouver des problèmes de santé particuliers. Ce concept de risque a été étendu à divers domaines des sciences humaines (Trudel et Puentes-Neuman, 2000), à l’intérieur desquels la nature du risque a pris des connotations particulières : individus à risque d’éprouver des difficultés d’adaptation sociale, de développer des problèmes de santé mentale et, plus récemment, de vivre l’échec et le décrochage scolaire (Langevin, 1992 ; ministère de l’Éducation du Québec, 2000 ; Saint-Laurent, 2001). Les thèmes cernés sont tributaires du travail de pionniers réalisé auprès des enfants dans le champ des difficultés de nature développementale. Les facteurs de risque sont recherchés sous différents angles : 1) caractéristiques génétiques, biologiques, sensorielles [(Raines, Brennan et Farrington, 1997) et cognitives (Coe, Usher et Cargo, 1993) ; complications périnatales, faible poids à la naissance, naissance prématurée (Rose, Feldman, Rose, Wallace et McCarton, 1992) ; genre (Turner, Norman et Zunz, 1995)] ; 2) précurseurs comportementaux (troubles du comportement extériorisés ou intériorisés, déficit attentionnel et hyperactivité) (Barkley, 1990 ; Farrington, Loeber, Elliot, Hawkins et Kandell, 1990) ; 3) prédispositions positives et négatives de la personnalité (désordre affectif) (Smith et Prior, 1995 ; William, Anderson, McGee et Silva, 1990) ; et 4) environnements familial et communautaire [(famille monoparentale (Éthier et La Frenière, 1993), relation parents-enfant (Veerlaan et LaFrenière, 1994), parent schizophrène ou alcoolique (Stein, Newcomb et Bentler, 1993 ; Yarrow, 1990), milieu socio-économique défavorisé (Cortes, 1990 ; Davidson, 1990)]. Plusieurs études questionnent les effets du cumul et de la combinaison de facteurs de risque (Werner, 1993), ceux des interrelations entre les facteurs de risque et de protection, ainsi que l’impact du stress auquel peuvent être soumis les individus dans les interactions avec leur milieu (Garmesy et Masten, 1994 ; Masten et Wright, 1997). D’autres tentent de dégager des patterns en identifiant les origines, les contextes développementaux et situationnels qui caractérisent différents parcours de vie (Werner et Johnson, 1999). Les recherches nombreuses et variées empruntent diverses méthodes, principalement les histoires de cas (Comer, 1988) et les études longitudinales (Werner et Johnson, 1999).

Des auteurs (Garmesy, 1993 ; Tarter, 1988 ; Werner, 1993) rattachent le concept de vulnérabilité aux caractéristiques de l’enfant, réservant celle de risque à l’influence de l’environnement. D’autres chercheurs (Masten, 1994 ; Turner et collab., 1995) trouvent que l’enfant peut évoluer seul et contre tous. Cette vision les amène à s’intéresser aux processus de résilience qui permettent à un individu de s’adapter positivement, malgré les risques et l’adversité auxquels il est soumis (Kaplan, 1999 ; Kumpfer, 1999). La résilience serait le produit des interrelations entre les facteurs de risque et de protection. Le concept de risque illustrerait donc deux visions aux caractéristiques opposées : une statique (compatissante) et l’autre, dynamique (prométhéenne) (Rutter, 1987). La vision statique considère le risque comme une catastrophe inévitable venant de l’environnement, et l’enfant, comme une victime à sauver. La vision dynamique conçoit le risque comme une des composantes incontournables d’un processus adaptatif, dynamique et complexe, susceptible de mouvance et de recomposition. Ici, l’enfant jouerait un rôle actif dans son développement, déterminé par des interactions complexes bidirectionnelles entre ses propres caractéristiques et celles de son environnement, à différentes étapes de la vie (Trudel et Puentes-Neuman, 2000).

Au regard du concept de résilience, Terrisse (2000) expose comment les définitions évoluent. Ce concept est apparu en réaction à une perspective béhavioriste déterministe qui considère que la seule exposition aux facteurs négatifs détermine la probabilité d’apparition d’inadaptations psychosociales. Un modèle cognitiviste a alors été proposé, pour lequel il est nécessaire d’analyser la dynamique d’exposition et de réaction aux interactions entre les facteurs de risque et de protection ainsi que des phénomènes qui en découlent. Récemment, une perspective socioconstructiviste (Terrisse, 2000) s’est centrée sur le résultat de processus expérientiels individuels ancrés dans l’expérience sociale et nourris par l’interaction de socialisation enfant-milieu. Ces modèles épistémologiques sont importants à comprendre, puisqu’ils exercent une influence sur les voies d’action privilégiées dans l’intervention auprès d’élèves à risque. L’adoption du concept de risque, en sciences humaines, a été orientée initialement vers une réflexion sur les facteurs susceptibles de prédire l’apparition ultérieure de difficultés d’inadaptation psychosociale. Les recherches qui ont recours à ce concept insistent sur l’importance d’agir tôt, dans une perspective de prévention, pour briser la dynamique responsable de l’émergence des comportements inadaptés ainsi que leur rigidité et la résistance qu’ils acquièrent avec le temps. Utilisé couramment dans les champs de la psychologie et des sciences sociales, le concept de risque a fait une percée récente dans le milieu de l’éducation. De fait, l’école est un milieu de vie privilégié pour les élèves et, très tôt, y apparaissent des difficultés d’apprentissage et d’adaptation chez certains d’entre eux. Par ailleurs, la réflexion sur les diverses problématiques émergeant dans le contexte scolaire a pavé la voie à ce concept, qui est susceptible de venir améliorer la compréhension de l’émergence des difficultés liées à la scolarisation et au devenir des élèves tout au long de leur parcours scolaire.

Le concept d’élèves à risque en milieu scolaire

Dans le cadre de la réforme actuelle de l’éducation au Québec, le MÉQ propose, comme orientation fondamentale, dans sa Politique de l’adaptation scolaire (1999, p. 17), d’aider l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage à réussir sur les plans de l’instruction, de la socialisation et de la qualification. La vision de la réussite éducative est ainsi élargie, dépassant les seules acquisitions liées au curriculum. Cette prise de position place la nature du risque au centre des préoccupations éducatives. Dans les nouvelles définitions que le MÉQ (2000) propose, la catégorie d’élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage se divise en deux sous-catégories, les élèves à risque et les élèves ayant des troubles graves du comportement. Selon ces définitions, sont à risque les élèves qui présentent des difficultés pouvant mener à un échec, des retards d’apprentissage, des troubles émotifs, des troubles du comportement, un retard de développement ou une déficience intellectuelle légère.

Cette définition génère un regroupement d’élèves hétérogène, répondant au seul critère de progrès ou [d’] absence de progrès du jeune en fonction des buts que se fixe l’école au regard de ses apprentissages, de sa socialisation et de sa qualification (MÉQ, 2000, p. 5). Cette prise de position, cohérente avec les choix de l’école québécoise en faveur de la prévention et d’une approche globale des difficultés des élèves, rejette la pratique d’étiquetage maintes fois décriée. Elle permet de centrer les efforts sur les interventions préventives. Une telle approche entraîne, néanmoins, un certain désavantage. Les écrits scientifiques utilisent cette terminologie pour désigner des réalités d’élèves très diversifiées. Aux États-Unis, dans les débuts de son utilisation, le concept d’élèves à risque servait à désigner les enfants dont l’apparence physique, le langage, la culture, les valeurs et les structures familiales étaient celles de communautés ethniques minoritaires, entre autres, les Noirs et les immigrants (Hixson et Tinzmann, 1990). Cette tendance à situer les causes de l’échec scolaire dans les caractéristiques de l’élève, de sa famille et de sa communauté s’est modifiée (Natrielo, McDill et Pallas, 1990). L’utilisation de ce concept a pris différentes connotations reliées aux idéologies et aux philosophies des éducateurs, des décideurs et du public en général au regard du rôle et des responsabilités de l’école, de la famille et des élèves eux-mêmes (Ainscow, 1999 ; Kalubi, 2001).

Hixson et Tinzmann (1990) regroupent sous quatre catégories les définitions de l’élève à risque qui prévalent actuellement : l’approche prédictive ; l’approche descriptive ; l’approche unilatérale et l’approche institutionnelle. L’approche prédictive identifie un élève comme étant à risque lorsqu’il fait face à des conditions spécifiques comme le déficit d’attention, la famille monoparentale, etc. Ces conditions ou facteurs sont associés à une augmentation de la probabilité d’apparition de l’échec ou du décrochage scolaire. L’approche descriptive identifie les élèves à risque à partir du moment où les problèmes commencent à se manifester (faible rendement académique, redoublement scolaire, absentéisme, agressivité…). L’approche unilatérale statue, en raison de la complexité des problèmes auxquels les jeunes d’aujourd’hui ont à faire face, que tous les élèves sont à risque d’une manière ou d’une autre. La vision égalitaire des droits et des valeurs, véhiculée par cette approche, s’est transposée en une croyance selon laquelle l’intervention doit être la même pour tous les élèves, même ceux présentant des besoins particuliers. Enfin, l’approche institutionnelle se centre sur les facteurs scolaires pouvant constituer des causes potentielles de risque : 1) les horaires inflexibles ; 2) l’étroitesse du curriculum ; 3) l’accent prioritaire sur les habiletés élémentaires ; 4) l’appui démesuré sur les tests standardisés pour l’élaboration des plans d’intervention ; 5) le redoublement scolaire et la stratégie des voies séparées au secondaire ; 6) les classes spéciales et les classes ressources et 7) les attitudes et les croyances des enseignants et des administrateurs envers les élèves et leurs parents.

Après l’analyse des avantages et des inconvénients de chacune de ces approches, Hixson et Tinzmann (1990) proposent

une approche écologique qui reconnaît l’éducation comme un processus prenant place, à la fois, à l’intérieur et à l’extérieur de l’école et qui est affecté par : 1) l’organisation sociale et académique de l’école ; 2) les caractéristiques personnelles des élèves et de leurs familles ; 3) les environnements communautaire, familial et scolaire et 4) la relation entre chacun de ces facteurs.

Le statut de risque ne réside pas uniquement dans le lien avec un seul individu ni avec l’école. La société tout entière est concernée, parce qu’elle édifie des écoles à l’image d’une idéologie dominante, crée des environnements dans lesquels certains enfants seront à risque. Cette catégorisation présente des points communs avec l’évolution des paradigmes épistémologiques décrite par Terrisse (2000) et semble intéressante pour identifier les fondements des différentes définitions.

Sur le total des documents recensés (n = 157), les approches qui tentent de définir le concept d’élèves à risque ou qui l’utilisent ont pu être identifiées uniquement pour 52 des documents répertoriés. C’est l’approche descriptive qui est revenue plus fréquemment. De fait, 28 documents s’y réfèrent dans leur utilisation du concept d’élèves à risque. Le Tableau 1 présente les auteurs, la nature du risque et le type de documents. Cette définition implique que l’on tente de saisir la notion d’élèves à risque en décrivant les problèmes que les élèves manifestent. Ces auteurs mentionnent, entre autres, un faible rendement scolaire, des troubles du comportement, de piètres compétences sociales, des troubles émotionnels, des difficultés d’apprentissage, des difficultés de diverses natures à l’école et des conditions familiales adverses. Cette approche recoupe les difficultés qui ont incité le MÉQ (2000) à catégoriser certains élèves à risque.

Tableau 1

Le risque selon l’approche descriptive : nature du risque et type de documents

Le risque selon l’approche descriptive : nature du risque et type de documents

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La définition d’élèves à risque, chapeautée par l’approche institutionnelle, a été retracée auprès de 12 auteurs (voir Tableau 2). Est à risque celui qui n’a pas terminé les années de scolarisation obligatoires, qui est sous-performant, qui présente un faible rendement scolaire, qui a redoublé, qui a accumulé un retard de deux années dans son cheminement scolaire. Ces conditions sont tributaires des services dispensés ou non par l’école.

Tableau 2

Le risque selon l’approche institutionnelle : nature du risque et type de documents

Le risque selon l’approche institutionnelle : nature du risque et type de documents

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C’est aussi l’élève qui a un taux d’absence élevé, qui manifeste des problèmes de comportements pour lesquels l’intervention n’a pas aidé. C’est l’élève qui n’a pas développé la batterie de compétences reliées à la scolarisation, et cela, sur plusieurs années, qui est un apprenant non traditionnel (ayant des habiletés artistiques, manuelles ou techniques très développées) ou doué au regard des apprentissages scolaires. Cette définition englobe aussi l’élève qui a des besoins particuliers.

L’approche prédictive est ressortie dans huit documents (voir Tableau 3). Est à risque celui qui vient d’une famille dysfonctionnelle (violence familiale, alcoolisme des parents, etc.), qui présente un risque biologique (handicap, maladie chronique, etc.), personnel (estime de soi négative, problème de concentration, etc.), familial (statut socio-économique défavorisé, chômage, maladie physique ou mentale chez les parents, etc.), scolaire (manque de motivation et d’intérêt pour l’école, échecs scolaires répétés, etc.). Pour cette approche, le risque peut aussi provenir de la société (attitudes publiques et politiques défavorables aux désavantagés, etc.) et de la communauté (danger du voisinage, criminalité, etc.). Cette définition englobe aussi l’élève qui a eu une expérience de maltraitance, qui a eu une mauvaise préparation pour l’entrée dans le système scolaire (sous-stimulation durant la période préscolaire), qui a de piètres habiletés langagières. Cet élève dit à risque ne présente pas encore de problèmes reliés à son cheminement scolaire, mais il vit des conditions adverses, susceptibles d’affecter négativement différents aspects de son vécu ou de son rendement à l’école.

Tableau 3

Le risque selon l’approche prédictive : nature du risque et type de documents

Le risque selon l’approche prédictive : nature du risque et type de documents

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La définition d’élèves à risque proposée par l’approche écologique est ressortie dans trois documents (Clère, 1998, étude de cas ; Salema, 2001, recherche évaluative ; Trudel et Puentes-Neuman, 2000, texte de réflexion). Ici, le risque provient à la fois des caractéristiques de l’élève et de celles de ses différents environnements (familial, scolaire et social), plus précisément des relations entre ces facteurs. Le risque ne se situe pas uniquement dans l’élève ou dans l’école, la société et la communauté sont aussi concernées puisque d’elles découle l’idéologie dominante qui prévaut dans la création des divers environnements dans lesquels gravite l’élève. Un seul auteur (Ashton, 1997, texte de réflexion) a abordé le concept d’élèves à risque, en référence à l’approche unilatérale. Ici, serait à risque l’élève que l’on place dans des conditions ne lui permettant pas d’actualiser son potentiel comme être humain. Selon cette approche, il est impossible de distinguer les élèves à risque des autres élèves, puisque tous doivent se libérer des conditions qui les empêchent de devenir pleinement humains.

Les tenants des différentes approches qui tentent de cerner le concept d’élèves à risque n’utilisent pas nécessairement des balises mutuellement exclusives. Au contraire, il est possible de saisir que ce qui constitue le risque pour certains devient la cause du risque pour d’autres. Les différentes définitions du concept de risque trouvent-elles écho dans le milieu scolaire ? Pour répondre à cette question, il importe d’examiner quelques résultats de recherches menées auprès d’administrateurs et de personnel travaillant en milieu scolaire. C’est l’objectif de la dernière section de l’article.

Les intervenants scolaires et leur conception de la notion de risque

Edwards, Danridge et Pleasants (2000) ont examiné les conceptions d’enseignants et d’administrateurs (n=12) face au terme à risque, et l’impact que ces conceptions ont sur la façon d’intervenir. Ils proposent que le sens de ce terme provienne des praticiens en éducation, puisque ce phénomène doit être compris dans le contexte de relations interpersonnelles (école/famille, enseignant/élève, enseignant/parent) et l’expérience scolaire. Ces intervenants détiendraient des théories implicites concernant le risque, théories qui prendraient racine dans leur formation professionnelle, leur expérience d’enseignement, leurs propres expériences scolaires antérieures et leurs croyances. Ces théories de tous les jours influenceraient les pratiques éducatives et pourraient créer ou reproduire le risque si elles demeurent implicites ou non explorées. Les données de cette étude ont été collectées au moyen d’une entrevue ouverte, peu structurée, puisque les chercheurs voulaient obtenir de nouvelles informations, saisir les perspectives des praticiens, leurs idées et leurs croyances ainsi que favoriser une prise de conscience chez ceux-ci. Différents types de programmes ont été considérés.

Des administrateurs, rattachés à un programme, Head Start, considèrent que le parent et l’enfant forment une unité ; le risque est donc dans la famille. Il serait possible de diminuer le risque en augmentant la compréhension que les parents ont d’eux-mêmes et de ce dont ils ont besoin pour améliorer l’apprentissage de leur enfant. C’est donc par le soutien au parent qu’on approche les facteurs de risque. Leur notion de risque repose sur l’approche prédictive. Des enseignants, du même programme, considèrent que le risque est dans l’enfant et ils se réfèrent à des indicateurs sociaux et comportementaux, à la préparation à la scolarisation et non à des indicateurs scolaires pour définir le risque. Ils mentionnent que l’on peut diminuer le risque en offrant des occasions à l’enfant pour développer de nouvelles habiletés sociales, comportementales et scolaires. Ces enseignants conçoivent le risque du point de vue de l’approche descriptive.

Dans un programme traditionnel, des administrateurs conçoivent le parent et l’enfant comme une unité. Pour eux, le risque n’est pas seulement dans l’enfant et dans la famille, il est aussi dans la communauté. Cependant, les services offerts dans ce programme, centrés sur l’enfant, ne vont pas dans le sens des théories implicites des administrateurs, en raison du manque de temps et du manque d’argent. Ces administrateurs ont une notion du risque qui se greffe sur l’approche écologique. Des enseignants de ce programme reconnaissent que le risque est dans l’enfant et qu’il consisterait en des habiletés non développées et nécessaires pour l’entrée à l’école. C’est un modèle de déficit qui prévaut chez eux, et il faut parer à ces déficits en enseignant les habiletés manquantes aux enfants. Ils voient aussi le risque dans la famille qui serait, dans ce cas, un statut socio-économique défavorisé combiné à des attentes peu élevées des parents et à un engagement faible des parents dans l’éducation de leur enfant. Ces conditions entraîneraient des difficultés scolaires et peu de possibilités pour l’avenir. Ces enseignants, comme ceux du programme Head Start, conçoivent le risque sous l’angle de l’approche descriptive. Edwards et collab. (2000) mentionnent avoir démontré que des théories implicites provenant de l’expérience personnelle et professionnelle des praticiens de l’éducation sont sous-jacentes à la conception d’élèves à risque, et que ces théories ont un impact direct sur les services dispensés à ces enfants et à leur famille.

Pour sa part, Stallings (1995) mentionne que la notion de risque la plus répandue dans les milieux scolaires est liée à une déficience personnelle de l’élève qu’il faut combler, et qu’elle oriente les interventions spécifiquement vers cette déficience. Ce serait donc l’approche descriptive, avec, en toile de fond, un modèle de déficit, qui prédominerait dans le milieu scolaire. Selon Ronzone (2000), peu d’études ont cherché à cerner le statut d’élèves à risque entretenu et développé par les enseignants, comme construit pédagogique, contextuel et culturel. Selon elle, le statut de risque est construit socialement ainsi que culturellement et le contexte dans lequel le discours sur le risque est construit exercerait une influence significative sur les mots et les actions des enseignants. Les conceptions seraient filtrées socialement et culturellement à travers des lentilles perceptuelles qui influenceraient les prises de décisions pédagogiques. Dans le cadre d’une étude ethnographique (observation participante, entrevues formelles et informelles), elle a étudié le développement de la représentation d’élèves à risque chez des enseignants engagés dans un programme d’intervention (le Instructional Support Team Process, l’IST). Il ressort des analyses que le facteur temps est un élément important dans la construction de la notion de risque : 1) le temps de l’année scolaire ; 2) le temps pour parcourir le curriculum ; 3) le temps pour l’instruction ; 4) le temps pour la remédiation individuelle ; 5) le temps correspondant au développement de l’enfant et 6) l’âge chronologique de l’enfant. Les enseignants signalent également l’augmentation de la tâche, la difficulté à répondre aux besoins de tous les élèves et aux attentes des parents d’élèves performants ou doués. Les résultats indiquent également que les enseignants dressent un portrait démographique des élèves à risque ou doués, sur la base du statut économique, de l’ethnie et du genre. Ces résultats suggèrent que les enseignants ont une conception du risque chapeautée par les approches institutionnelle et prédictive.

Johnson (2000) a examiné les perceptions d’administrateurs en milieu scolaire à propos de l’impact des facteurs sous-jacents au risque devant lequel sont placés certains élèves. Un questionnaire mesurant l’impact de facteurs de risque de différents types, a été rempli par 28 directeurs d’école ou directeurs adjoints. Les facteurs de risque, identifiés par les administrateurs, sont reliés aux caractéristiques de l’élève, des milieux familial et scolaire, de la communauté et de la société. Les résultats, au regard d’une hiérarchisation, indiquent que les élèves se trouvent au premier rang pour l’influence qu’ils exercent sur le risque ; ceux-ci sont suivis, dans l’ordre, par la famille, la société, la communauté et l’école. L’élève serait principalement (le) porteur de risque. Cette vision du risque pourrait s’inscrire dans une approche descriptive, alors que le risque provenant de la famille, de la communauté s’inscrirait dans une approche prédictive ou écologique. Il est fascinant de constater que la notion de risque, du point de vue du personnel travaillant en milieu scolaire, s’inscrit peu dans l’approche institutionnelle. De fait, l’école s’inscrit bonne dernière dans leur hiérarchisation du risque. Ce résultat repose sur une logique certaine, puisqu’il proviendrait d’un biais dans les perceptions des administrateurs ayant comme fonction de protéger leur milieu, soit l’école. Donc, certaines définitions d’élèves à risque, même si les praticiens de l’éducation ne les identifient pas explicitement, se retrouvent au sein de l’école. Elles viennent, sans aucun doute, influencer les pratiques administratives et pédagogiques destinées aux élèves à risque.

Conclusion

Cet article fait émerger différents points de vue sur le concept d’élèves à risque qui prévalent actuellement, et fait connaître les critiques et certaines prises de position d’auteurs envers ce concept. Les conceptions des intervenants scolaires permettent de constater que la notion d’élèves à risque a fait une entrée réelle dans les pratiques administratives et pédagogiques en milieu scolaire, et que celle-ci n’est pas sans influencer la décision de dispenser des services additionnels à certaines catégories d’élèves. L’examen des documents répertoriés laisse transparaître que ce concept est largement utilisé mais, plus souvent qu’autrement, sans en clarifier le sens. C’est pourquoi il n’y a qu’un nombre restreint de documents pour lequel il a été possible d’identifier explicitement ou implicitement l’approche sous-jacente au concept d’élèves à risque.

Cet article, qui tente d’éclaircir les malentendus existant à l’égard du concept d’élèves à risque, montre bien les perspectives diverses qui sous-tendent les différentes définitions relevées. Toutefois, le concept de risque demeure un terme vague et autour duquel il n’existe pas de consensus. Il est associé aux enfants et à la famille et précédé d’étiquettes notant la nature des déficits. Peut-on envisager que le recours au concept de risque puisse être une stratégie de survie (personnelle ou de milieu) pour détourner l’attention de ce qui ne va pas dans la famille, l’école ou la société ?

Sans vouloir apporter une réponse claire à cette question, il importe de se positionner par rapport au sens à donner au concept d’élèves à risque pour mieux comprendre les besoins éducationnels des élèves aux prises avec différentes difficultés durant leur parcours scolaire. De fait, chacun peut trouver, parmi les définitions répertoriées, celle qui cadre bien avec ses conceptions de l’éducation, au sens large du terme, et avec ses conceptions du développement de l’enfant. Les définitions de type institutionnel, de type descriptif et de type prédictif, apparaissent plus utiles, viables et compréhensibles pour la pratique en milieu scolaire, en autant qu’elles s’insèrent dans un cadre épistémologique d’ordre écosystémique. Ainsi, on tient compte des interrelations entre les caractéristiques de l’enfant et de ses environnements. Cette définition offre l’avantage de mieux saisir la complexité des enjeux reliés aux élèves à risque, et de comprendre que le risque est de nature transactionnelle, et non un élément statique qu’une action brève et ponctuelle peut éliminer (Trudel et Puentes-Neuman, 2000).