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Dans cet ouvrage, l’auteur poursuit l’objectif de présenter les conditions institutionnelles des stratégies des usagers et des acteurs des établissements scolaires dans les processus ségrégatifs en cours dans le milieu scolaire en France.

Dès l’introduction, l’auteur questionne le rôle joué par les administrateurs scolaires (l’Inspection académique et le Rectorat) dans ces processus. Le premier chapitre insiste sur les disparités des offres de formation et des décisions administratives pour expliquer la ségrégation scolaire. Le chapitre 2 traite de l’affectation des élèves et revient sur la politique du laisser-faire des administrateurs scolaires. Le chapitre 3 porte sur le pilotage administratif et les dérives locales du curriculum. Dans le chapitre 4, l’auteur insiste sur les facteurs exogènes et endogènes qui expliquent ce laisser-faire. Dans le chapitre 5, il pointe la division du travail bureaucratique, le manque d’implication des administrateurs dans les problématiques vécues par les établissements scolaires, la faible communication entre ces deux types d’acteurs, l’incapacité à intéresser les établissements scolaires à la lutte contre la ségrégation et l’absence de concertation avec les familles, comme autant de facteurs qui contribuent à isoler l’Inspection Académique et le Rectorat de la réalité du terrain. Ce constat amène l’auteur à proposer en conclusion une piste d’action de lutte contre la ségrégation scolaire, qui repose sur l’instauration d’espaces de discussions à différents niveaux entre les institutions scolaires et les familles afin d’élargir les espaces d’action et de codéfinir le monde commun.

Les forces de cet ouvrage tiennent à plusieurs aspects. La ségrégation scolaire est ici traitée dans une mise en relation entre les injonctions et les contraintes liées à leur réalisation ; l’auteur identifie également sans complaisance divers responsables de la situation, dont l’État lui-même qui, par ses politiques contradictoires et l’imposition de contraintes organisationnelles et institutionnelles, place les administrateurs dans une situation intenable. L’auteur insiste aussi sur la nécessité d’établir un partenariat entre le milieu scolaire (administrateurs et établissements) et la communauté (élus et familles) pour la mise en place de facteurs favorisant la réalisation de la lutte contre la ségrégation scolaire.

Néanmoins, on peut regretter quelques faiblesses, surtout dans les trois premiers chapitres. Ainsi, l’absence d’une explicitation plus détaillée de la méthode d’enquête ethnographique utilisée a pour effet, à la fois, de questionner la validité des résultats présentés par la suite, mais aussi de réduire leur potentielle richesse, puisque le lecteur se trouve dans l’impossibilité de faire des mises en relations contextuelles. Nous avons aussi noté le manque d’uniformisation dans la présentation du nom pour un même établissement, la présence de doublons dans les citations, détails qui concourent à rendre la lecture fastidieuse. Également, le texte aurait pu être davantage resserré afin d’éviter les nombreuses redondances. Enfin, l’ouvrage aurait également gagné à être complété en introduction par quelques lignes présentant un portrait sociodémographique des milieux résidentiels et scolaires auxquels l’auteur se réfère constamment. Toutefois, ces faiblesses sont rapidement oubliées lorsque le lecteur aborde le quatrième chapitre. À partir de ce moment et jusqu’à la conclusion, le style devient rapide, le texte est ramassé, l’analyse de la situation se réalise de manière très fine et se déroule selon une perspective d’entonnoir. Également, on voit émerger l’un après l’autre les divers enjeux sous-jacents et souvent contradictoires des divers acteurs en présence, enjeux qui expliquent les diverses actions entreprises par les uns et les autres. En outre, les informations qui émergent au fur et à mesure de l’argumentation permettent de saisir le processus d’instauration et de maintien de la ségrégation scolaire.

Cet ouvrage demeure pertinent pour diverses catégories de lecteurs, en particulier, les chercheurs intéressés par le monde scolaire et, plus spécifiquement, les personnes qui travaillent sur les processus de ségrégation scolaire et les enjeux de pouvoir en action. Par ailleurs, cet ouvrage nous semble également à recommander aux étudiants désireux d’observer à l’oeuvre une analyse des organisations. Celle qui est réalisée ici contribue très certainement à enrichir les connaissances sur l’espace scolaire français et ses modalités de fonctionnement. De plus, plusieurs éléments présentés dans cet ouvrage pourraient nourrir une réflexion comparative et critique avec la situation qui prévaut actuellement dans l’enseignement au Québec, notamment en ce qui concerne l’importance d’établir un lien fort entre l’école et la communauté.