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Qu’on le veuille ou non, le christianisme influence encore fortement les valeurs prônées par les sociétés occidentales et que l’école, consciemment ou non, se charge de transmettre aux générations montantes. On peut même ajouter que, depuis la Réforme, ces valeurs ont été promues par deux grands courants, l’un catholique, l’autre protestant. Au surplus, ces deux grands courants partagent, par le Christ et par les débuts du christianisme, des origines communes qui sont aussi, mais à des degrés divers, le lot des orthodoxes, des musulmans, voire des juifs. Bref, les débuts du christianisme sont un point marquant de bon nombre de religions monothéistes.

Jusqu’à très récemment, les débuts du christianisme ont surtout fait l’objet d’études théologiques et bibliques. Les livres saints se sont prêtés et se prêtent encore à des interprétations diverses souvent divergentes ayant conduit au fil des siècles à des affrontements qui, parfois, ont dégénéré en schismes, sources de dissensions et de persécutions verbales ou physiques. Mais souvent, sinon toujours, dans tous ces affrontements, les antagonistes s’appuient sur une approche dite autoritaire de ce que, de part et d’autre, on qualifie de vérité ; nous devrions plutôt dire que chacun considère comme sa vérité. C’est l’argument du « Crois ou meurs » érigé en doctrine et que traduisent très bien les petits catéchismes qui, depuis quelques siècles, du moins depuis le Concile de Trente, sont devenus l’instrument didactique par excellence pour instruire les chrétiens et en particulier les écoliers. Le système scolaire québécois a été longtemps dominé par cette approche dogmatique.

Toutefois, là comme ailleurs, le développement qu’ont connu, depuis plus d’un siècle, les différentes sciences sociales s’est fait sentir. Après l’histoire, l’archéologie, l’ethnologie, la géographie et les autres disciplines dites classiques, l’étude de la religion et la théologie n’ont pas pu rester sourdes aux approches conceptuelles et méthodologiques véhiculées par les différentes sciences sociales, en particulier la sociologie. C’est de ce mouvement intellectuel et de son influence que témoigne le Handbook of early christianity. Cet ouvrage, publié sous la direction d’Anthohy J. Blasi, Jean Duhaime et Paul-André Turcotte, réunit les textes de plus de vingt-cinq intellectuels qui ont réfléchi à une approche issue des sciences sociales et qui l’ont appliquée aux débuts du christianisme.

L’ouvrage compte six parties. Dans la première, trois auteurs se partagent trois chapitres qui, à tour de rôle, font l’état de la question (Horrell), identifient les principales théories (Turcotte) et dessinent les grandes avenues méthodologiques (Blasi). Ces chapitres présentent l’essentiel des débats et des enjeux d’une approche issue des sciences sociales, appliquée à un domaine de connaissances plutôt résistant à une logique qui prend appui sur des événements établis, critiqués, analysés, circonstanciés et interprétés. La démarche est d’autant plus valable que le christianisme, du moins dans ses origines, s’appuie en partie, sinon en totalité, sur des textes (le Nouveau testament) rédigés à une époque où l’imprimerie n’existait pas et consignés, pour la plupart, quelques années après les événements qu’ils relatent.

De là l’intérêt de recourir à d’autres approches fondées sur des méthodes issues de l’archéologie ou de l’architecture (chapitre 4) ; de l’interrogation historique (chapitre 5) ; de la critique des sources littéraires (chapitre 6) ; des statistiques (chapitre 7) ; de l’analyse de la rhétorique (chapitre 8) ; et même du structuralisme et du symbolisme (chapitre 9).

La voie étant ainsi tracée, les rédacteurs peuvent alors illustrer par des études de cas l’application des méthodes issues des sciences sociales à des questions d’ordre historique (partie III) ; d’ordre politique (partie IV) ; d’ordre économique (partie V) ou d’ordre psychosocial (partie VI). Il en résulte une vision nuancée et circonstanciée des débuts du christianisme. On peut élargir mieux alors notre compréhension du Nouveau testament et de la portée de ses enseignements. C’est un large pan des origines de la culture occidentale qui s’en trouve éclairé.

Par son contenu et sa facture, cet ouvrage présente un intérêt certain pour le spécialiste de l’éducation. D’abord, il concourt à une meilleure compréhension des courants de pensée qui ont façonné et influencé les systèmes occidentaux d’éducation et, en particulier, celui du Québec. En effet, depuis le régime français, en passant par les écoles de fabrique, puis par l’abolition du ministère de l’Instruction publique et sa réinsertion sous le nom de ministère de l’Éducation, les Québécois de toute dénomination religieuse ont composé avec un système fortement influencé par une idéologie chrétienne. Or, cette idéologie prend ses racines dans les débuts du christianisme que le présent ouvrage s’efforce de mieux comprendre en le situant dans son contexte spatiotemporel, d’où son intérêt certain pour les héritiers.

Sur le plan méthodologique, cet ouvrage illustre comment les sciences sociales peuvent inspirer, sinon de nouvelles interprétations, du moins une meilleure compréhension d’un champ disciplinaire. L’application aux sciences de l’éducation peut s’effectuer d’autant plus facilement que plusieurs considèrent encore ces dernières comme un champ disciplinaire et non comme une discipline.

Enfin, des transferts épistémologiques (l’expression est à la mode) peuvent se concrétiser d’autant mieux que l’éducation pendant longtemps a rejeté ou ignoré une approche non autoritaire de la réalité. Le savoir était détenu par le maître qui avait pour mission de le transmettre à ses élèves considérés comme « des vases à remplir ». Or, le présent ouvrage remet en cause cette approche et permet ainsi d’élargir la compréhension de la réalité.

Bref, à la lecture de cet ouvrage, le spécialiste de l’éducation trouvera matière à réflexion et à action.