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Si nous supprimions notre sujet, ou encore la seule nature subjective des sens en général, toute la nature, tous les rapports des objets dans l’espace et dans le temps disparaîtraient. Non seulement l’espace même et le temps disparaîtraient, et en tant que phénomènes, ils ne peuvent pas exister en soi, mais seulement en nous.

I. Kant, Critique de la raison pure

Introduction

Chacun de nous a certainement conservé de nombreux souvenirs – vifs et lointains, plaisants et irritants – du temps passé sur les bancs d’école. Ils sont liés inévitablement aux figures de référence qui, toutes, ont marqué notre vie d’une manière ou d’une autre, de la figure maternelle de la maîtresse à l’école primaire, à celle plus exigeante et « paternelle » des professeurs du lycée. Cependant, ces images n’ont plus cours. Les changements économiques, technologiques et socioculturels qui se sont imposés ces dernières années dans le monde occidental [1], requièrent en effet une réflexion profonde et radicale sur le rôle et sur la formation des formateurs.

Cet article décrit la mise en oeuvre, à partir de l’exploration d’un contexte socioculturel nouveau, d’un projet de développement social – le Progetto Poschiavo [2] – basé sur des nouvelles technologies de la communication. Ce projet, conçu au départ comme un projet de formation à distance dans le domaine des nouvelles technologies, s’est rapidement transformé en un projet de développement régional, culturel, social dans lequel les technologies et leur apprentissage ont joué un rôle de moteur et de catalyseur essentiel. Cette articulation du processus de formation au contexte et aux particularités du « territoire » ont nécessité le développement d’une nouvelle conception de la relation formateur-apprenant et de l’ingénierie de la formation dont la portée est suffisamment générale pour que l’on puisse en imaginer le transfert, en tous cas partiellement, à d’autres sphères du monde de l’éducation et de la formation. C’est à l’explicitation de ce nouveau paradigme qu’est consacrée notre contribution.

Révolution technologique et perception du monde

On parle de révolution, en qualifiant celle-ci de technologique, afin de pouvoir attribuer une étiquette, une référence partagée, une sorte de garantie à une réalité qui désoriente. Chaque révolution possède ses effets déclencheurs. Sans craindre de nous tromper, nous pourrions identifier la pénétration actuelle de l’ordinateur et de l’informatique au sein de toutes les sphères de l’activité sociale comme les responsables de la situation actuelle.

L’omniprésence, voire l’invasion, des microprocesseurs ainsi que les énormes avantages qu’entraîne la société du silicium, principalement du point de vue de la communication, sont en train de jeter les fondements de ce qu’on nomme la société de l’information. Une société qui présente une importante évolution sous l’angle de deux dimensions majeures : la dimension spatiotemporelle et la dimension professionnelle.

Catégories de l’espace et du temps

Joshua Meyrowitz (1993) a apporté une contribution notoire au débat sur le rôle que le temps et les lieux de l’action sociale jouent dans une société au moment où elle assimile une culture de la communication. Il décrit les changements produits par les nouveaux médias de communication dans la société américaine, prenant comme métaphore de cette transformation l’image du théâtre grec et de sa répartition des espaces en scène et en arrière-scène. Quinze années ont passé depuis la première édition de ce livre et non seulement les positions de l’auteur se trouvent confirmées aujourd’hui, mais elles acquièrent une validité de plus en plus générale. La société de l’information est en voie d’abolir la distinction entre scène et arrière-scène, ainsi, d’ailleurs, que cette autre, entre public et privé. L’espace et le temps semblent perdre leurs caractéristiques rassurantes de réalité empirique et d’idéalité transcendante que Kant leur avait conférées il y a plus de deux siècles [3]. Les temps de travail et de non-travail se confondent, les distances s’annulent, les murs de la maison, comme avant la première révolution industrielle, délimitent à nouveau le lieu où s’exerce la profession, transformant ainsi les paramètres fondamentaux de la vie civile et sociale (Rifkin, 1995). L’espace de travail s’immisce dans les espaces de la vie privée, et vice-versa, les limites qui séparent le public du privé deviennent de moins en moins identifiables (Perriault, 1996).

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, dans le domaine de ce qu’on reconnaît désormais universellement comme la computer-mediated communication (CMO), ont un rôle important dans la définition du scénario décrit par Meyrowitz. Nous tendons à agir et à nous déplacer accompagnés de nos prothèses électroniques – des prothèses cognitives – qui nous permettent de surmonter les limites de la réalité physique : les caractéristiques du courrier électronique (rapidité et modalité de diffusion, accessibilité, caractère intrusif, etc.) constituent de ce point de vue un exemple. Ce sont donc nos conceptions fondamentales, celles de l’être, de l’espace et du temps, qui se trouvent complètement modifiées.

Il est presque perçu comme plus normal de mesurer le temps selon les nouveaux paramètres électroniques de l’octet par seconde que selon les systèmes de référence traditionnels. De la même façon, la métaphore des fenêtres nous permet de vivre – dans l’abstraction cognitive rendue possible par l’ordinateur – une pluridimensionnalité dans l’espace virtuel.

Une nouvelle morphologie du territoire est en train de naître et elle lui confère de vastes marges de virtualité. Il n’y a plus ni centre ni périphérie, car leurs rôles peuvent aussi s’invertir. La nouvelle territorialité est sociale (Maghaghi, 2000) et sa construction passe toujours davantage par l’utilisation des réseaux télématiques (Schürch, 2000).

Le monde professionnel

La deuxième dimension est celle des catégories professionnelles. Ce n’est pas par hasard si la question typique qu’on posait aux enfants autrefois, « Que veux-tu faire quand tu seras grand ? » , est en train de disparaître. On assiste probablement à la réduction de l’espace de la pensée (Resnik, 1990) dans lequel les jeunes concevaient leurs projets pour l’avenir.

La présence des technologies et des intelligences artificielles au sein du système de production rend de plus en plus superflue l’exécution de certains processus, générant des profils professionnels difficiles à identifier. La réalité professionnelle s’arrête souvent devant l’écran d’un ordinateur, au-delà duquel le monde concret ne prend forme qu’à travers un processus dense de virtualité.

C’est dans ce contexte brièvement décrit que prend forme le débat sur les compétences et sur les qualifications [4] (Gonon, 1996 ; Perret et Perret-Clermont, 2001). D’une part, il est toujours difficile de décrire ce qu’est une compétence professionnelle d’autant sa durée de vie et sa validité semblent ne plus connaître de stabilité. D’autre part, nous ne savons pas plus quelles sont les spécificités d’une entreprise en termes de compétences. Il semble même qu’une solide culture générale soit aujourd’hui préférée à l’extrême spécialisation qui, il y a quelques années encore, semblait la meilleure assurance pour trouver un emploi. La spécialisation, si nous voulons continuer à l’appeler ainsi, s’apprend directement sur le lieu de travail et, rapidement obsolète, elle doit souvent être abandonnée pour céder la place à des compétences nouvelles. La formation continue, la requalification professionnelle, les formes d’autoapprentissage, le travail par projet sont des mots clés du monde professionnel actuel.

Conséquences pour le monde de la formation 

Dans ce contexte, une grande disponibilité et une autonomie sont exigées de l’apprenant. Mais alors, ne faudrait-il pas aussi repenser le rôle et l’identité même de la formation ? Dans quelle mesure les sciences de l’éducation et de la formation disposent-elles de théories et de modèles capables d’encourager l’assimilation positive de la révolution technologique en cours et d’exploiter les potentialités offertes, par exemple, par la communication médiatisée par ordinateur (CMO) ? Comment entrer sur le terrain de la communication globale ? Qu’enseigner et comment l’enseigner pour que les nouvelles générations réussissent à s’insérer dans la société de l’information ? Comment situer la formation et la requalification professionnelle des adultes et comment concevoir la formation des formateurs ? Voilà des questions que le monde de la formation est appelé à se poser maintenant et à tenter de résoudre.

Identité des changements

Le monde de la formation est souvent mis en accusation et l’urgence des changements auxquels nous sommes confrontés renforce encore cette situation. On reproche à l’école, surtout au regard de la formation de base, de s’éloigner toujours plus des exigences de la vie réelle, de ne pas réussir à comprendre et encore moins à traduire les besoins de la société. Sur le plan de la formation professionnelle, les difficultés à intégrer les dynamiques d’un monde économique de plus en plus fluctuant creusent encore plus profondément ce fossé.

Souvent les médiateurs de ce processus, c’est-à-dire les formateurs, sont la cible de ces critiques. On est confronté à l’incapacité chronique de définir la spécificité professionnelle du formateur et à adapter sa pédagogie comme sa didactique au moment historique : souvent, l’enseignement suit dans les mêmes formes qu’il y a un demi-siècle, la leçon frontale reste la méthodologie la plus utilisée (Oelkers, 1993).

Changer cet état des choses peut se faire dans quatre directions principales. Il importe a) de favoriser l’acquisition d’un savoir de base sur lequel greffer par la suite des compétences clé, un savoir flexible et capable de s’adapter aux demandes du monde du travail ; b) de transmettre les instruments qui soient en mesure de favoriser les formes d’autoapprentissage ; c) de développer des méthodes et des modèles de formation qui dépassent les limites des temps et de lieux d’apprentissage de la salle de classe ; d) de redécouvrir les formes d’apprentissage informel.

Apprendre au-delà de la salle de classe

La formation a été étroitement associée à une dimension physique précise faite d’espaces constitués et destinés explicitement à la transmission du savoir et à l’apprentissage. La salle de classe s’avère centrale dans cette visée. Toutefois, la diffusion des instruments de la CMO est en train de changer les rapports entre scène et arrière-scène (Meyrowitz, 1985/1993). Autrement dit, la scène scolaire – le bâtiment et la salle de classe – est en train de laisser la place au réseau au sein duquel les distinctions fondées sur le sexe, le genre, la race, l’âge, la classe sociale sont balayées donnant à tous, sans discrimination, un accès à toutes sortes d’informations selon des règles informelles.

Il importe d’abandonner l’hypothèse séculaire selon laquelle la salle de classe serait le lieu principal, peut-être unique, de la formation. Les lieux de la formation se multiplient grâce à la télématique qui permet d’apprendre de différentes manières selon le rythme propre de chacun. On passe ainsi d’une situation très formalisée à une réalité où, au contraire, le facteur informel est devenu prédominant.

La nouvelle identité du formateur

Le contexte esquissé jusqu’ici impose de repenser la fonction de la classe, mais encore faut-il que ses acteurs principaux soient prêts à s’adapter à ce changement.

Parmi les tentatives d’évolution, signalons les courants qui tâchent d’introduire les méthodes de la recherche dans la salle de classe (Altrichter, 1998). En outre, un débat est en cours depuis des années sur la valeur épistémologique des théories subjectives (Dann, 1994) des formateurs. Ce débat a permis de faire émerger une vision de l’enseignant différente de celle du simple applicateur de programmes et de normes (Schürch, 1995). Dans une société de l’information, le formateur ne peut plus être considéré comme le détenteur d’un savoir à transmettre selon des modalités canoniques comme l’induction, le contrôle et la répétition (Callari-Galli, 1993).

Le formateur est appelé à concilier deux dimensions qui s’opposent : d’une part, celle de la mémoire historique selon laquelle l’école aurait surtout pour rôle de permettre aux jeunes générations de connaître l’histoire, le passé et, d’autre part, celui du changement qui faciliterait l’acquisition des instruments qui permettent de comprendre un monde informatisé.

La complexité sociale pousse à considérer le formateur de la société de l’information comme celui qui est en mesure de favoriser l’organisation, la structuration du savoir. Autrement dit, on serait en train de dépasser le clivage entre la dimension historique et celle du changement. En suivant cette piste, on peut esquisser quelques hypothèses sur les compétences qui définissent le nouveau rôle du formateur :

  • la souplesse cognitive pour ne pas succomber à la surcharge d’informations produite par le web ; le formateur sait comment s’en servir en appliquant des critères de recherche, de sélection et d’élaboration du flux ;

  • l’accompagnement des apprenants, une compétence clé dans la mesure où la libération de la formation de toutes contraintes spatiotemporelles aura pour conséquence le développement privilégié de l’apprentissage autonome ;

  • la structuration et l’organisation du savoir, conséquences directes du point précédent ; celui qui apprend de façon autonome a besoin de savoir organiser l’apprentissage en fonction de ses capacités et de ses ressources cognitives ;

  • la maîtrise des contextes socioculturels puisque le processus de globalisation met toujours plus en contact des cultures et des sociétés différentes ; le formateur devra posséder des clés de lecture pour les interpréter et pour faciliter la compréhension des différences chez ses « assistés » ;

  • la formation continue qui touche un public dont l’âge ne constitue pas, contrairement à ce qu’on observe en formation initiale, un critère de cohérence et d’homogénéité ; aussi, le formateur doit-il être en mesure de tenir compte des facteurs psychologiques caractéristiques des différents âges de la vie ;

  • la formation professionnelle qui conduit à disposer d’une culture qui permette de « lire » les changements qui caractérisent le monde du travail et de l’économie ; cette capacité de lecture devrait permettre d’actualiser en permanence l’accès aux sources de savoir.

Nouvelles règles dans la formation des formateurs

Mais alors, comment encourager l’acquisition de ces compétences ? Comment refondre le système de formation pour rendre possible ce changement souhaité ?

Suivant les pistes de réflexion évoquées précédemment, mais aussi sur la base des résultats d’un projet pilote mené par l’Institut suisse de pédagogie pour la formation professionnelle (ISPFP), on peut observer que les sciences de la formation sont de plus en plus appelées à faire preuve des caractéristiques suivantes.

Les sciences de la formation doivent d’abord jeter les bases pour un développement de rapports interinstitutionnels selon une logique de réseau où chaque institution dispose d’un profil de compétences. Ceci signifie reconfigurer la position des sciences de la formation dans le panorama complexe des sciences humaines ; orienter l’étude et l’apprentissage vers des contenus se référant à des savoirs interdisciplinaires, savoirs qui peuvent être adaptés et transférés dans des situations et contextes différents ; concevoir les institutions de formation organisées selon des modalités de participation, en renonçant aux limites imposées par les frontières géopolitiques.

Les sciences de la formation doivent ensuite considérer l’innovation comme une partie d’un processus permanent et en encourager l’assimilation. L’offre et l’apprentissage de compétences auront lieu en grande partie à distance. Dans cette perspective, on devrait commencer, par exemple, à dépolariser les lieux et les temps de la formation, à repenser et à restructurer les centres de formation ainsi que leurs fonctions ; ces centres se présenteraient alors de plus en plus comme des lieux de rencontre sociale, qui encouragent et garantissent l’échange en présence, à côté des différentes formes de CMO.

Les sciences de la formation doivent : a) abandonner le principe de la formation destinée à des catégories spécifiques d’âge, de sexe, de race, de classe sociale, etc. ; b) promouvoir des modèles d’installation et d’utilisation de nouvelles technologies qui soient compatibles avec le contexte socioculturel où ils s’insèrent ; c) promouvoir la valorisation des caractéristiques culturelles régionales, en les protégeant de l’homogénéisation et de l’aplatissement qu’entraîne inévitablement la globalisation, notamment, en tenant compte des caractéristiques culturelles, historiques, économiques du territoire dans lequel les apprenants vivent ; d) concevoir des lieux de formation flexibles qui suivent des voies de développement susceptibles de sauvegarder ces caractéristiques culturelles locales ; e) encourager la préservation du sens d’appartenance à la culture d’origine de l’apprenant et, par conséquent, de son identité, aussi d’un point de vue historique et environnemental en découpant des cartes territoriales qui reflètent les rapports à distance entre sites nés dans la nouvelle géographie de la communication virtuelle.

Les sciences de la formation doivent enfin permettre le développement des potentialités métacognitives et autoréflexives afin de conduire les apprenants à assumer des responsabilités spécifiques dans des contextes organisationnels complexes et à intégrer le changement dans le parcours de vie, en le conciliant avec la mémoire historique. Ce dernier objectif présuppose la pratique de méthodes biographiques et des récits de vie ainsi que la capacité de transformer l’action formative en paroles, en communication, et cette dernière, à son tour en textes qui permettent aux acteurs de comprendre les éléments qui constituent les représentations et les théories subjectives [5].

Une nouvelle identité pour le formateur : l’assistant de pratique en formation à distance (APFD)

Une pédagogie répondant aux caractéristiques qui viennent d’être décrites peut être mise en oeuvre comme en témoigne le projet pilote Progetto Poschiavo.

L’hypothèse de travail sur laquelle s’est construit le Progetto Poschiavo consiste à donner à la formation des bases nouvelles dont la figure professionnelle de l’APFD constitue un bon exemple. Nous analyserons son identité, sa place et son importance au sein du projet, sa formation ainsi que les différentes activités dont il a la responsabilité. Mais auparavant, il est utile de présenter le contexte même du projet dans lequel cette figure professionnelle s’est développée.

Contexte du Progetto Poschiavo et sa signification pour la recherche

Le projet visait à tenter d’enrayer le dépeuplement d’une vallée périphérique de la Suisse italienne, la vallée de Poschiavo. Ce problème s’explique en grande partie par l’absence d’une offre de formation professionnelle adaptée : pour poursuivre leurs études professionnelles, les jeunes sont en très grande majorité contraints d’abandonner leur région ou leur village d’origine dans lequel ils ne reviendront finalement plus. En outre, on observe d’autres conséquences encore comme un appauvrissement des traditions culturelles et linguistiques locales. Les valeurs de toute une culture semblent destinées à disparaître sous l’influence de la globalisation. Mais c’est précisément à ce moment-là qu’a été lancée la tentative d’inverser cette tendance, en redonnant à Poschiavo et à sa vallée leur rôle de centre.

Il s’agit d’un projet de mise en oeuvre sociale des nouvelles technologies et de la CMO, poursuivant des objectifs de formation d’une part et de développement territorial de l’autre, projet qui subordonne les premiers objectifs aux seconds.

Le projet s’est développé durant sept années, tentant d’analyser le potentiel des TIC pour sauvegarder et développer des minorités linguistiques et culturelles et accordant au formateur un rôle central. L’implantation s’est déroulée suivant deux axes principaux : d’un côté, un parcours de formation de formateurs, le cours pour assistants de pratique en formation à distance (APFD) ; de l’autre, la possibilité offerte à la population de réaliser des projets de développement territorial – que l’objectif en soit économique, culturel ou environnemental – en s’organisant en groupes de projet (GP). Ces deux lignes d’action ont en commun l’usage des nouvelles technologies et, comme conséquence, le développement d’un réseau sur plusieurs aspects.

Au sujet de l’usage des TIC, précisons que le Progetto Poschiavo a recouru au courrier électronique pour la gestion de la communication, mais aussi très largement aux ressources du web et de la visioconférence. Il a de plus développé un modèle pédagogicodidactique d’utilisation de cette dernière (Nicoletti, Brighetti et Schürch, 2000).

Au-delà de l’expérience pratique et parallèlement à celle-ci, une importante réflexion et une recherche scientifique ont été menées à partir de l’ensemble du projet [6] dans le but d’étudier les effets psychosociaux, mais aussi économiques, géographiques, politiques et culturels, d’une mise en oeuvre sociale engageant toute une communauté. Cette étude a permis de faire d’intéressantes observations à propos des deux axes de travail déjà mentionnés et de faire progresser la réflexion sur la formation et sur le formateur de demain.

En particulier, pour tester l’hypothèse qui voit dans l’assistant de pratique en formation à distance la nouvelle figure de l’enseignant (Deane et Harris, 1996), on a utilisé une méthodologie de recherche fondée sur l’entretien semi-structuré, des entretiens/narrations, des cartes conceptuelles. Ces entretiens ont concerné les 10 personnes qui ont obtenu le diplôme d’assistant de pratique en formation à distance, les membres des 21 groupes de projet (environ 130 personnes) qui ont vécu l’accompagnement des assistants de pratique en formation à distance et, enfin, une trentaine d’élèves de l’École professionnelle de Poschiavo.

L’assistant de pratique en formation à distance, figure centrale du projet

L’assistant de pratique en formation à distance est apparu comme une figure centrale pour le développement du projet. Sa dénomination rappelle la double nature pédagogique (d’accompagnateur) et technique (d’expert en formation à distance) de sa fonction. Elle évoque celle du Praxisberater dont l’origine historique se situe en Suisse alémanique : il s’agit de la figure professionnelle qui, normalement, accompagne les enseignants en formation sur le terrain de leur pratique.

Le trait fondamental de cette figure est son double caractère de médiateur et de témoin ; il est médiateur en tant que figure créatrice de pont entre l’institution qui offre la formation et le « territoire » ; il est témoin par son appartenance au territoire dans lequel s’insère le projet. Il est donc un témoin culturel, s’efforçant à la fois de sauvegarder les traditions locales sans perdre de vue les tendances globalisantes.

En outre, l’identité des assistants de pratique en formation à distance est définie par le fait que ce sont des figures présentes dans n’importe quel cours de formation prévoyant un lien étroit entre la théorie et la pratique pédagogique (Huberman, 1995), et que ce sont des personnes adéquatement formées pour accompagner les participants dans leurs études. C’est tout cela qui se cache derrière l’expression « assistant de pratique », dont nous pourrions analyser comme suit les deux termes :

  • Assistant signifie celui qui facilite, permet la réflexion, reformule et recherche avec la personne en formation des solutions les plus adéquates pour affronter et résoudre les situations complexes. C’est aussi lui qui, dans le rapport entre l’institution de formation et une personne en formation, assume le rôle de l’interprète, du témoin d’un milieu professionnel particulier. Cette fonction consiste, ce qui n’est pas accessoire, à adapter les modèles de formation aux particularités des groupes professionnels et culturels auxquels ils sont destinés [7].

  • Pratique évoque intensément un noeud depuis toujours critique dans la formation des formateurs. L’assistant de pratique est celui qui renforce la présence d’un accompagnement sur le terrain de la pratique; sa fonction est celle de monitorer, de rendre explicites, les principes qui règlent l’activité de la personne en formation.

Nous reproduisons dans la figure 1 certaines définitions que donnent eux-mêmes les assistants de pratique en formation à distance. Ces définitions, parfois exprimées avec ironie ou sous forme de boutade, paraissent fort proches des caractéristiques principales que nous avons abordées jusqu’ici sous un angle plus théorique.

La formation des assistants de pratique en formation à distance : objectifs et modalités d’organisation

Le parcours de formation prévoyait deux phases : une première année de formation définie comme théorique [8], et une seconde année de pratique assistée.

La première phase a concerné les 13 participants inscrits [9]. Les contenus traitaient des aspects techniques (utilisation des instruments de la CMO, systèmes d’opération, etc.) et psychopédagogiques (gestion de groupes, andragogie, résolution de problème, etc.). Le mode de formation prévoyait une alternance des séquences collectives et présentielles et d’autres caractérisées par un apprentissage individuel accompagné à distance par des formateurs ou des conférenciers extérieurs.

La seconde phase, celle de la pratique assistée, s’est déroulée directement sur le terrain du Progetto Poschiavo. Dès ce moment, les assistants de pratique de formation à distance ont assumé leur rôle professionnel en aidant les groupes de projet qui s’étaient annoncés entre-temps pour participer au Progetto Poschiavo. Dans cette phase aussi, ils ont bénéficié de l’assistance des formateurs. Celle-ci, organisée principalement à distance, comportait des moments de rencontre et de réflexion sur leur expérience. Plus précisément, cette phase avait commencé avec l’assistance aux groupes de projet dans la préparation et la reformulation des divers projets de développement régional. Puis l’activité sur le terrain des assistants s’est centrée sur la préparation et la publication des sites web des divers groupes de développement.

La formation s’est achevée par une phase d’autoévaluation à travers la rédaction d’un journal personnel et l’analyse de type autoévaluatif des épisodes formatifs. Nous pouvons résumer par le schémas suivant le parcours de formation.

Figure 2

Le parcours de formation des assistants de pratique de formation à distance

Le parcours de formation des assistants de pratique de formation à distance

forme: 007362aro001n.png Moments de formation en commun (en présence)

forme: 007362aro002n.png Moments de formation individuelle accompagnée

forme: 007362aro003n.png Interventions sur le terrain

forme: 007362aro004n.png Accompagnement

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Même si ce cours a été conçu comme une formation à distance, il n’a pu échapper à des réunions régulières présentielles, ce qui constitue une des premières leçons de cette expérience : il ne peut y avoir de formation à distance qui ne recoure partiellement au face à face et, en particulier, lors de ses phases initiales.

Autrement dit, la création et la mise à disposition d’un réseau de CMO n’induit pas nécessairement une attitude favorable à la communication et à l’interaction comme l’ont montré certains épisodes de « manque de communication » au sein des groupes de projet. Une communication en réseau devient féconde lorsqu’il existe une connaissance préalable, née d’une relation présentielle, des partenaires du groupe. Accorder de l’importance et du temps à ce genre de réunion améliore à terme la qualité de la CMO dans une proportion que nous avons pu estimer à 25 % (Cattaneo et Schürch, 2000).

Ce n’est pas un hasard si cet aspect est confirmé par des données de nature tant qualitative que quantitative (tableau1). D’une part, les entretiens consacrés aux moments marquants de la formation montrent que les premières journées de formation en présence obtiennent en absolu la préférence des participants. D’autre part, des questionnaires recueillis justement lors de ces réunions en présence, il ressort que la rencontre physique, présentielle, avec les autres participants conserve, et augmente même, sa prédominance par rapport à d’autres variables.

Tableau 1

Moments privilégiés de la formation [11]

Moments privilégiés de la formation 11

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Potentiel d’une formation réussie 

Dans la vie concrète du projet, l’assistant de pratique de formation à distance est principalement appelé à exercer son activité sur deux fronts. Il travaille côte à côte avec une ou plusieurs personnes en formation, facilitant le passage à de nouveaux modèles d’enseignement et d’apprentissage. C’est dire qu’il a un rôle d’interlocuteur privilégié de facilitateur, d’interprète et d’accompagnateur tout au long du processus d’apprentissage. Il est aussi capable de donner un sens à l’utilisation des TIC dans le processus d’apprentissage, dans la mesure où il accompagne les participants dans l’acquisition des modalités de travail qui allient connaissances et compétences de natures techniques, sociales et communicationnelles.

Dès lors, on peut s’interroger sur l’atteinte des objectifs de la formation. Les figures 3 et 4 comparent les intentions déclarées du cours et les représentations subjectives des apprenants relatives au degré auquel ils estiment les objectifs atteints.

Figure 4

Degré d’atteinte des buts selon les représentations des participants

Degré d’atteinte des buts selon les représentations des participants

forme: 007362aro005n.png Atteint

forme: 007362aro006n.png Partiellement atteint

forme: 007362aro007n.png Pas atteint

forme: 007362aro008n.png Aucune réponse

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Ces deux aspects qui relèvent de la nature pédagogique et didactique, d’un côté, et technologique, de l’autre, n’ont cessé de s’entrecroiser dans la tentative de définir d’un point de vue théorique les compétences et le domaine de l’assistant pratique de formation à distance (Cattaneo, Messi et Schürch, 2000).

Après avoir explicité l’identité de cette nouvelle figure professionnelle et le contexte dans lequel elle a dû exercer, nous analysons brièvement son activité, en cherchant à en tirer quelques considérations de caractère plus général.

Une nouvelle pratique professionnelle : méthode de travail de l’assistant pratique de formation à distance 

Les résultats des recherches relatives au Progetto Poschiavo permettent d’identifier trois axes fondamentaux autour desquels se regroupent les différentes activités de l’assistant pratique de formation à distance.

Ces activités montrent des ressemblances assez significatives avec l’approche dite d’« ingénierie de l’innovation pédagogique » qui constitue une nouvelle référence pour les sciences de la formation et dont le Progetto Poschiavo représenterait un exemple prototypique. Ces trois axes correspondent à la formation (qui comprend les aspects liés aux compétences, à l’identité et au rôle), à la structure d’organisation (et au niveau de granularité le plus élevé, le contexte socioculturel dans lequel s’insère l’activité de l’APFD), et aux TIC (élément clé de la société de l’information).

La formation

L’analyse menée dans le cadre de la recherche a montré que certaines compétences méthodologiques ont joué un rôle majeur. Ces compétences permettent justement de définir le rôle de l’assistant pratique de formation à distance et en constituent, en partie, l’identité pédagogique. Parmi les plus importantes, on note :

  • appliquer la méthodologie du learning by doing à la formation même des APFD et dans l’assistance qu’ils apportent aux groupes de projet. La pratique sur le terrain semble constituer la meilleure façon d’acquérir des compétences et c’est cette méthodologie que les APFD ont utilisée, obtenant des résultats tangibles. À la base du concept se trouve l’impératif pédagogique « faire-réfléchir-conceptualiser » ;

  • exercer la pratique réflexive (Schön, 1983) qui permet d’atteindre, entre autres objectifs, la compétence d’apprendre à apprendre grâce à l’examen du processus d’apprentissage, à la volonté de le décrire et à l’explicitation des théories subjectives sous-jacentes à l’apprentissage lui-même ;

  • recourir à son expérience précédente (formation reçue, pratique professionnelle) ;

  • se présenter comme un exemple, surtout en ce qui concerne les modalités de communication CMO ;

  • adapter la méthodologie aux capacités du participant, permettant que ce soit lui qui oriente et règle son parcours d’apprentissage tout en exploitant les possibilités offertes par l’assistance ;

La structure d’organisation

L’analyse de la structure d’organisation permet l’articulation, selon une visée psychosociale, entre l’aspect identitaire de l’assistant pratique de formation à distance et son rôle. La capacité d’adapter les méthodologies aux caractéristiques de l’individu semble renforcée par l’appartenance au même territoire, par la connaissance des gens et d’un contexte culturel commun à travers des métaphores liées au quotidien partagé.

Cette proximité culturelle constitue les fondements du rôle, déjà défini comme essentiel, de témoin culturel qu’est l’assistant pratique de formation à distance en tant qu’il est interprète de l’institution promotrice de la formation auprès du territoire, mais en même temps du territoire auprès de l’institution [12]. De plus, la possibilité d’assurer une approche interculturelle de la formation explique la nécessité de disposer de formateurs qui soient en premier lieu témoins du territoire au sein duquel s’insère la formation.

Une telle approche sociale et systémique fait voir l’importance des formes organisationnelles de la formation. On soulignera l’intérêt d’un système souple qui puisse exploiter et dominer cette capacité négative [13] dont Lanzara (1993) définit l’importance. Aussi est-il nécessaire de disposer de personnes ressources capables de faire émerger les besoins directement du territoire, en les explicitant et en visant un développement de la structure vers un modèle « adhocratique » (Mintzberg, 1992).

Nouvelles technologies

Un projet de développement territorial et de formation, tel le Progetto Poschiavo exige une articulation entre les aspects organisationnels et ceux liés aux TIC : celle-ci s’incarne dans les stratégies de communication surtout en ce qui concerne le sens à donner (Weick, 1995). Ce n’est qu’en saisissant les buts et les modalités d’action que les acteurs en cause réussissent à leur donner un sens et à les intégrer dans leur contexte normativosymbolique, selon l’expression de Mantovani (1995). Les erreurs comme le manque de pertinence des stratégies de diffusion de l’information ruinent cette intégration et peuvent influer sur l’efficacité de l’action elle-même d’autant que la perception réciproque de la confiance sur laquelle se fonde le fonctionnement correct du système communicatif s’en trouve nécessairement altérée.

Cette approche devient particulièrement pertinente dans le cas des nouvelles technologies, objet et instruments du processus d’apprentissage. En ce sens, leur efficacité est proportionnelle à leur degré d’intégration dans le contexte de référence des participants à la formation : l’introduction des technologies doit être accompagnée et doit devenir objet de réflexion tant que les acteurs ne leur ont pas attribué un sens défini et ne leur ont pas fait une place dans leur quotidien. Notons qu’à long terme, ce sens et cette place sont susceptibles d’évoluer. Des considérations analogues peuvent être faites à propos de l’utilisation de la CMO comme ressource pour l’acquisition d’informations et de savoirs. Enfin, du processus d’attribution d’un sens dépend l’approche des technologies qui, dans le cas présent, pourrait se muer en une réaction de refus, entraînant en conséquence une faible utilisation de l’outil.

Mais que signifie, en pratique, intégrer les TIC dans le système normativo-symbolique d’une communauté ? S’asseoir devant un écran, ouvrir et entrer dans un programme, envoyer un message par courriel (e-mail), créer une page sur le web, participer à une rencontre en visioconférence, étudier une loi de la physique en se servant d’un cédérom, etc. Voilà des actions qui, dans le Progetto Poschiavo, auraient dû devenir des comportements habituels. Réaliser naturellement ces tâches est le résultat visible de l’intégration mentionnée ci-dessus. C’est aussi le premier pas pour faciliter leur enracinement dans le contexte culturel dans lequel on opère.

Toutefois, cette attitude naturelle doit aussi tenir compte des conditions structurelles auxquelles les TIC soumettent les utilisateurs et, en particulier, de celles qui sont liées à la langue écrite, qui est souvent source de peurs et de refus, et aux règles de la communication. (Trognon,1992 ; Peraya, 1999). Ce n’est qu’à partir d’un code de communication partagé, qui présuppose aussi un langage partagé, lequel se base à son tour sur un espace culturel commun, qu’on pourra exploiter l’instrument et ses ressources [14]

Plus généralement, les nombreuses formes de rencontres formatives pratiquées dans le cadre du projet ont donné lieu à deux observations fondamentales. Premièrement, il est rare que les artefacts technologiques qu’on trouve dans le commerce (cédéroms, hypertextes, etc.) correspondent aux caractéristiques d’apprentissage des adultes [15]. De plus, le contenu de certains produits est rapidement obsolète tandis que leur coût de production reste encore élevé. Le Progetto Poschiavo a montré à cet égard que les artefacts doivent être légers et s’intégrer facilement dans une didactique par projet. En outre, les participants doivent avoir la possibilité de modeler l’artefact même. Deuxièmement, la présence (jugée nécessaire) des artefacts technologiques dans un processus de formation présuppose l’adoption de modalités d’étude et d’évaluation autonomes. Ces modalités doivent être acquises à travers des formes d’accompagnement et de tutorat. Ceci requiert la présence de personnel hautement qualifié et capable de recourir à des compétences qui relèvent en grande partie des sciences de la formation et de l’apprentissage des adultes.

L’ingénierie de l’innovation comme nouvel horizon de la formation

Les résultats obtenus dans le cadre du Progetto Poschiavo font état de nombreux facteurs tant sociaux qu’institutionnels qui conditionnent la mise en pratique d’une expérience de formation basée sur l’utilisation des TIC et impliquant en même temps une communauté entière. Cette dernière s’est révélée un creuset de projets qui, paradoxalement, ne pouvaient faire abstraction des dimensions présentielle et relationnelle parmi les partenaires. Dans cette visée, l’analyse des activités des groupes de projet montre une certaine difficulté à transformer la perception de l’espace virtuel en la perception d’un lieu réel – une plateforme, justement – où le contact et la présence perdent parfois de leur consistance. Autrement dit, dans certains cas, la dimension sociale s’est avérée plus difficile à réaliser que prévu, même si, dans d’autres, elle a donné des résultats surprenants.

Les nouvelles technologies peuvent trouver une place privilégiée dans le cadre d’une nouvelle approche – systémique, interdisciplinaire, stratégique, souple, etc. – de la conception des situations pédagogiques. Cette approche des technologies permet d’entrevoir la reformulation du concept de projet pédagogique tel que nous le connaissons dans les réformes scolaires, à savoir l’ingénierie de l’innovation pédagogique (Bausch, Cattaneo et Schürch, 2001). Ce concept peut être vu comme le principal résultat de l’expérience du Progetto Poschiavo. En effet, il apparaît comme un cadre de référence apte à intégrer et conférer un sens, d’un point de vue psychopédagogique, à l’utilisation des TIC. La figure professionnelle comme celle de l’assistant pratique de formation à distance, les projets de développement confiés à des gens appartenant au territoire, enfin, une organisation systémique et interdisciplinaire contribuent largement à cette réussite.

Tout ceci constitue une mosaïque dont chaque élément vise à configurer un nouvel horizon de la formation. Jusqu’ici, nous avons peu à peu tracé, à partir de points de vue convergents, les compétences qui semblent être essentielles pour fonder une culture de la formation des formateurs qui soit différente et tendue vers l’avenir.

Pour conclure, voici quelques catégories essentielles donnant une vision générale de ce qui est devenu, ou deviendra bientôt, la nouvelle culture de la salle de classe.

Figure 5

Vision générale des éléments fondamentaux de l’innovation pédagogique

Vision générale des éléments fondamentaux de l’innovation pédagogique

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Accompagnement

Le formateur de demain n’est pas un docens au sens traditionnel : le savoir ne lui appartient pas par définition, il n’en est pas le dépositaire unique. Sa fonction est plutôt d’accompagnement, de soutenir, à la façon échafaudage – scafolding chez les anglo-saxons. Autrement dit, l’accompagnement doit offrir une structure favorisant le développement, mais sans contraintes. Pour utiliser une autre image, on pourrait le représenter, comme les bras d’une mère, toujours prêts à protéger et à suivre son enfant, mais aussi à le laisser libre de choisir où il veut aller.

Accompagnement signifie aussi pouvoir se reposer sur deux compétences apparemment opposées, mais aussi complémentaires : d’une part, la capacité de suivre individuellement les sujets en formation, en essayant de comprendre leurs besoins en recourant à une pédagogie individualisée, et de l’autre, la capacité de reconnaître et de gérer les dynamiques de groupe.

Méthodologies

Ce qui précède nécessite forcément que le formateur soit capable de recourir à des méthodologies didactiques pour chacune des situations d’apprentissage.

On peut toutefois aborder le discours méthodologique d’un point de vue plus vaste et l’on pourra alors se référer à la capacité de gérer et d’encourager des formes d’apprentissage autonome que les changements actuels contraignent toujours plus souvent à affronter (Stracka, Stöckl, 1998). À leur tour, ces compétences évoquent la capacité de gérer et de planifier sa propre formation continue.

Capacité d’élaborer des projets : espace mental et ingénierie

La capacité de concevoir, de réaliser et d’évaluer des projets qui font face à des situations de complexité semble impliquer deux dimensions. Il y a une dimension existentielle, qui fait que la tâche du formateur est aussi de garantir au jeune en formation un espace de pensée, et la capacité d’élaborer des projets optimistes pour son avenir. On constate en effet que, surtout dans le secteur professionnel, la participation précoce à une activité de production réduit le temps de réflexion par rapport à un étudiant poursuivant des études universitaires. Il y a aussi une dimension formative qui rappelle fortement l’approche de l’ingénierie de l’innovation pédagogique, c’est-à-dire la vision d’une pédagogie par projets qui permet de mettre en pratique ses propres desseins et surtout de développer une compétence liée à l’initiative et à l’esprit d’entreprise.

Synthèse entre formation et travail

Le formateur est appelé de façon de plus en plus insistante à réaliser la synergie, toujours prônée en théorie, entre les mondes du travail et de l’école. Cette dernière compétence qui s’apparente au transfert est essentielle et doit donc faire l’objet d’une attention particulière alors qu’elle est souvent considérée comme naturelle. Mais le dialogue entre formation et profession nécessite également plusieurs autres compétences, comme la capacité de créer ou du moins d’utiliser des réseaux interinstitutionnels. Conséquence directe de cette compétence, il faut aussi développer une capacité à se situer par rapport aux organisations. Enfin, insistons sur le fait que tout ceci ne sera possible qu’à la condition de développer la capacité d’évaluer et de situer sa propre capacité de travail et son rendement à l’intérieur du système. Il s’agit donc de compétences autoévaluatives.

Médiation: gestion du changement et de la complexité

Le terrain de la formation est toujours plus informel (Perret-Clermont, Nicolet, 1988) ; il trouve ses espaces d’existence dans les formes infinies de diffusion du savoir et est habité par des sujets qui s’y consacrent indifféremment le jour ou la nuit. Dans ce panorama, on demande au formateur de gérer le changement en acte, autrement dit de réussir à saisir la valeur et la spéficité des formes d’apprentissage mises en oeuvre dans presque tous les moments de la vie quotidienne.

Maîtrise des TIC

La dimension sociale est un facteur irremplaçable dans le processus d’assimilation et d’élaboration renouvelée du savoir. En contexte dominé par des formes d’interaction à distance à travers la médiation de la technologie, il faut concevoir des lieux de rencontre en présence pour échanger et comparer les expériences individuelles. Au-delà de ces conclusions, la nécessité demeure pour le formateur de maîtriser à fond ces instruments et d’être capable de donner un sens à leur utilisation. Par ailleurs, les bouleversements des rythmes, des temps et des lieux de travail suscités par cette utilisation impliquent l’existence de normes, de critères éthiques.

Identité et territoire

L’assimilation de la nouveauté est psychologiquement possible dans la mesure où il s’agit aussi d’intégration consciente et partagée dans une mémoire qui comprend plusieurs aspects d’expérience. Cette intégration est possible dans la mesure où on permet aux sujets de se situer dans un parcours historique et existentiel. Un tel parcours doit à tout moment prendre en compte le sens de l’identité et de l’appartenance au groupe et à son territoire. Sur la base de la logique des mutations évoquée dans ce texte, on ne peut exclure que la didactique en salle de classe soit peu à peu remplacée par une pédagogie du développement territorial (Altrichter et Rolff, 2000). Ce type de pédagogie nécessitera des compétences particulières, liées à la capacité de lire le territoire, ses dynamiques, son économie et sa culture.

Les compétences analysées tirent leur possibilité d’existence d’une compétence transversale d’ordre supérieur, qui remonte à la capacité de puiser encore et toujours à un savoir instrumental de base. La combinaison infinie de ces connaissances permettra aussi, à l’avenir, à l’homme d’être capable d’intelligence et d’innovation. Pour les sciences de la formation, on peut supposer que le thème de l’adaptation aux changements deviendra un champ d’intérêt et d’application. La métaphore de l’ingénieur qui associe différents savoirs pour bâtir des artefacts innovants semble une composante essentielle pour une nouvelle pédagogie.