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Les troubles du comportement, la compétence sociale et la pratique d’activités physiques chez les adolescents

Depuis plusieurs années, les troubles de comportement chez les jeunes constituent une préoccupation importante pour les agents d’éducation. Les écrits montrent d’ailleurs que beaucoup plus d’élèves manifestent des difficultés de comportement à l’école qu’auparavant (American Psychiatric Association, 1994 ; MEQ, 2000a ; Walker, Colvin et Ramsey, 1995). Selon les données du ministère de l’Éducation (2001), la proportion d’élèves en difficulté de comportement au primaire aurait triplé en l’espace de quinze ans, passant de 0,78 % en 1984-85 à 2,50 % en 1999-2000. Selon le Conseil supérieur de l’éducation (2001) et le ministère de l’Éducation du Québec (1996), ces jeunes demeurent sous-identifiés par les milieux scolaires, malgré une telle augmentation. Il est à noter que la majorité de ces élèves sont des garçons qui ont tendance à avoir des comportements extériorisés agressifs et violents (Kauffman, 1997). Les élèves présentant des troubles du comportement démontrent des taux particulièrement faibles de réussite du DES (Diplôme d’études secondaires), soit 14,9  % par rapport à 83,1  % de réussite pour les élèves non déclarés EHDAA[1] durant leur cheminement scolaire (MEQ, 2000b). Les problèmes associés aux troubles du comportement ont des répercussions sur les apprentissages que l’élève doit réaliser afin de se développer normalement et de réussir son adaptation scolaire et sociale (Desbiens, 2000 ; Poliquin-Verville et Royer, 1992). L’objectif de la présente étude est de comparer le profil psychosocial et les habitudes de vie d’adolescents identifiés comme ayant des troubles du comportement à l’école (TC) avec celui d’adolescents non identifiés en troubles du comportement (non-TC). Les paragraphes suivants introduisent et décrivent certaines des variables utilisées pour comparer ces deux échantillons d’adolescents.

Selon Cloutier (1996) et Scheier et ses collaborateurs (2000), la compétence sociale relève d’un ensemble d’habiletés que les adolescents possèdent à différents niveaux : l’estime de soi, le sentiment d’efficacité personnelle, la cognition sociale et la résolution de problèmes interpersonnels.

Ayant terminé une revue de la littérature sur le sujet, Scheier, Botvin, Griffin et Diaz (2000) concluent que l’estime de soi à l’adolescence est associée à la promotion de la santé physique et mentale, à l’attachement parental, à des relations interpersonnelles positives, à la réussite scolaire et à la résilience face aux événements stressants de la vie. Selon Patrick (1996) ainsi que Scheier et ses collaborateurs (2000), le manque d’estime de soi est souvent un indicateur de problèmes de comportement, de consommation de psychotropes et d’un faible niveau d’habiletés sociales.

Par ailleurs, le sentiment d’efficacité personnelle (auto-efficacité) correspond à la perception que l’on a de pouvoir agir pour atteindre ses buts (Bandura, 1986, 1997). Étroitement lié au concept d’estime de soi, le sentiment d’auto-efficacité est associé à la capacité d’adaptation psychosociale (compétence sociale et habiletés sociales) trop souvent déficiente chez des adolescents présentant des difficultés de comportement (Scheier et al., 2000 ; Wright, Harwell et Allen, 1998).

La cognition sociale et la capacité à résoudre des problèmes interpersonnels relèvent de la famille des habiletés sociales. La cognition sociale est la capacité de se mettre à la place des autres et de reconnaître leurs sentiments et leurs intentions (Cloutier, 1996). Ayant interprété adéquatement les éléments de son contexte interpersonnel, l’individu peut ajuster sa conduite d’après celui-ci.

La capacité à résoudre des problèmes interpersonnels est un élément clé de la compétence sociale. L’adolescent apte à résoudre des problèmes interpersonnels est en mesure d’identifier le problème, de proposer des solutions, de déterminer des objectifs et de prévoir les conséquences de ses actions (Cloutier, 1996 ; Goldstein, 1999 ; Goldstein et McGinnis, 1997).

Les experts rapportent d’ailleurs que les jeunes présentant des troubles du comportement démontrent généralement de faibles habiletés sociales les limitant ainsi dans leur capacité à développer des relations sociales satisfaisantes (Desbiens, 2000 ; Goldstein, 1999 ; Goldstein et McGinnis, 1997 ; Vitaro, Dobkin, Gagnon et LeBlanc, 1994). Le déficit observé dans leurs habiletés sociales représente une variable critique dans leur intégration scolaire et sociale (Desbiens, 2000). De plus, Scheier et ses collaborateurs (2000) rapportent qu’un faible niveau de compétence sociale entraîne des habitudes de consommation hâtive d’alcool chez les jeunes et une dégradation du niveau d’estime de soi.

Dans ce contexte, divers programmes basés sur la théorie de l’apprentissage social (Bandura, 1986) et portant sur la compétence sociale et l’entraînement aux habiletés sociales ont été développés pour répondre aux besoins des élèves en difficulté de comportement (Gresham, 1998 ; Kauffman, 1997). Leur objectif ultime est l’apprentissage de comportements socialement adaptés afin que l’élève puisse les intégrer dans son répertoire comportemental.

Malgré leur popularité, l’efficacité des programmes d’entraînement aux habiletés sociales demeure modeste (Gresham, 1998 ; Massé, 1999 ; Walker et al., 1995). Les chercheurs dans le domaine concluent que ces programmes démontrent généralement : 1) peu ou pas d’effet à court, à moyen ou à long terme, 2) de faibles niveaux de transfert et de maintien des acquis et 3) un faible niveau de généralisation et d’intégration de nouveaux comportements prosociaux dans le répertoire du jeune (Desbiens, 2000 ; Gresham, 1998 ; Massé, 1999 ; Vitaro et al., 1994). Parmi les raisons évoquées pour tenter d’expliquer ces modestes résultats, certains auteurs mentionnent : 1) l’enseignement des habiletés dans des conditions peu naturelles, 2) le manque d’opportunités pour mettre les habiletés en pratique dans un contexte éducatif supervisé et 3) le manque de liens entre les habiletés sociales enseignées en classe et les situations vécues au quotidien par les jeunes (Gresham, 1998 ; Quinn, Kavale, Mathur, Rutherford et Forness, 1999). En fait, les programmes s’adressant aux adolescents visent davantage le volet de mise à niveau des connaissances plutôt que celui de la mise en pratique (Royer, Morand et Gendron, 2005).

Devant ce constat de limites majeures associées aux programmes d’entraînement aux habiletés sociales, les chercheurs et les praticiens se doivent d’explorer de nouveaux moyens et de nouvelles stratégies pour actualiser et améliorer l’efficacité de leur intervention.

Parmi les stratégies à envisager, l’activité physique et les jeux coopératifs démontrent un potentiel intéressant. En effet, plusieurs études révèlent que la pratique d’activités physiques entraîne des bénéfices sur le plan psychologique pour les personnes actives, y compris les enfants et les adolescents (Barnett, 1991 ; Bordeleau, Morency et Savinski, 1999 ; Butki, 1998 ; Cartledge et Milburn, 1995 ; FÉÉPEQ, 1995 ; Landers, 2002 ; MacMahon, 1990 ; MacMahon et Gross, 1988 ; McAuley, 1994 ; Thibault, 2001 ; Weinberg et Gould, 1997). Les principaux bénéfices rapportés par ces auteurs sont une amélioration des habiletés de communication et d’adaptation, du concept de soi, de l’estime de soi, de la confiance en soi, de l’auto-efficacité, du sentiment d’autocontrôle, des habiletés à résoudre des conflits, de la stabilité émotionnelle, du rendement scolaire, du bien-être et de l’humeur. D’autre part, on constate une diminution des niveaux d’anxiété, de dépression, de stress, de tension et d’hostilité ainsi que la réduction du tabagisme et de la consommation de psychotropes.

Le jeu et l’activité physique font depuis longtemps partie des stratégies d’intervention utilisées auprès de jeunes ayant des difficultés diverses (ex. : autisme, déficience intellectuelle, hyperactivité, délinquance, toxicomanie) (Bordeleau, Morency et Savinski, 1999 ; Cartledge et Milburn, 1995 ; CÉÉPQ, 1993 ; Santé Canada, 2000). Un nombre limité de chercheurs dans le domaine de l’activité physique se sont intéressés tout particulièrement aux adolescents présentant des troubles sévères du comportement (Butki, 1998 ; Mahoney et Stattin, 2000 ; McAuley, 1994 ; Parish-Plass et Lufi, 1997).

Bordeleau, Morency et Savinski (1999) ont mené une étude auprès de 20 étudiants de niveau secondaire âgés entre 13 et 15 ans sur l’activité physique et la relation d’aide comme outils de prévention de la violence en milieu scolaire. Selon ces auteurs, l’éducation physique peut constituer un moyen pour diminuer la violence ainsi que la frustration chez les adolescents. Utilisé dans cette étude à titre de moyen d’intervention privilégié, le judo a permis aux participants de développer une meilleure capacité d’adaptation à la vie sociale. Bordeleau et son équipe (1999) concluent que « les effets communs ont été le drainage d’énergie négative, la découverte de soi, l’intégration de mécanismes permettant au jeune d’éviter des situations propices aux conflits et aux affrontements » (p. 65). Toujours selon ces mêmes auteurs, les résultats observés permettent de constater qu’un éducateur physique peut influencer les comportements d’élèves en difficulté en utilisant l’activité physique associée à une approche de relation d’aide.

Pour leur part, Branta et Goodway (1996) ont réalisé une des rares études portant sur le développement des habiletés sociales par l’utilisation de l’éducation physique. À l’issue d’une recherche réalisée sur trois ans, dans deux écoles élémentaires de milieux urbains défavorisés aux États-Unis (n=940), Branta et Goodway (1996) concluent que pour faire face aux divers problèmes sociaux actuels affectant notre jeunesse, les agents d’éducation doivent stratégiquement privilégier une approche de collaboration faisant appel à l’activité physique afin de favoriser positivement le développement d’habiletés sociales. Le jeu et divers types d’activités, surtout de nature coopérative, peuvent offrir des opportunités positives de socialisation (Branta et Goodway, 1996 ; McHugh, 1995). En ce sens, les cours d’éducation physique et les activités parascolaires représentent des moyens intéressants et accessibles (Gendron et Desharnais, 1999).

La pratique d’habiletés sociales par le biais de l’activité physique permet à l’élève de généraliser et de transférer les apprentissages faits dans d’autres contextes sociaux de sa vie (Gendron et Desharnais, 1999 ; Solomon, 1997). D’ailleurs, Branta et Goodway (1996) mentionnent que les activités sportives et le jeu offrent un ensemble important d’opportunités pour interagir avec ses pairs, partager des intérêts communs, apprendre à respecter des règles et à coopérer (autant avec des pairs qu’avec un superviseur adulte) et à réagir correctement à une saine compétition. La responsabilisation, la communication et la réussite dans la résolution de problèmes sont d’autres exemples d’habiletés sociales pouvant être développées grâce aux interactions du jeu dans les activités physiques collectives (Barnett, 1991 ; Branta et Goodway, 1996 ; CPRA, 1998). En fait, ce type d’activités aurait pour effet de permettre au participant de recevoir de la rétroaction de la part de ses pairs et de l’adulte superviseur, ce qui contribuerait à déterminer sa propre compétence sociale. Selon McHugh (1995), l’atmosphère informelle du gymnase peut contribuer à établir un contexte idéal pour y développer des habiletés sociales en éducation physique.

Par ailleurs, Thibault (2001) et la FÉÉPEQ (1995) mentionnent que ce type d’activités, par l’entremise de la reconnaissance et de la valorisation sociale, a des retombées positives sur l’estime de soi et sur le concept de soi de l’individu. Le participant profite de nombreuses situations offertes dans le jeu pour recueillir de l’information sur ses compétences. Le renforcement social des pairs et de l’adulte (encouragements, félicitations, sentiment d’appartenance) représentent, pour un jeune, un facteur important dans la modification d’un comportement (Weinberg et Gould, 1997). Tel que recommandé par plusieurs auteurs (Cloutier, 1996 ; Elliott, 1994 ; Gendron et Desharnais, 1999 ; Gendron, Royer, Potvin et Bertrand, 2003, Goldstein et Conoley, 1997 ; Vitaro et al., 1994 ; Bowen, Desbiens, Rondeau et Ouimet, 2000), l’ajout d’un volet de mise en pratique des habiletés sociales aurait pour effet de diminuer simultanément les facteurs de risque et d’augmenter les facteurs de protection.

La pratique d’activités physiques peut également contribuer au développement de la compétence sociale et de l’adaptation psychosociale (Mahoney et Stattin, 2000 ; Thibault, 2001). Elle peut permettre de bonifier le processus d’intervention des programmes de développement de la compétence sociale chez les adolescents en favorisant le maintien, le transfert et la généralisation des apprentissages, contrant ainsi les limites souvent évoquées pour expliquer leur manque d’efficacité (Gresham, 1998 ; Massé, 1999).

Différentes formes d’activités physiques peuvent offrir des opportunités et des retombées sur le plan de la santé globale et sur le développement de la compétence sociale : l’éducation physique (CÉÉPQ, 1993 ; FÉÉPEQ, 1995 ; McHugh, 1995 ;Mercier, 1993), le jeu coopératif (Barnett, 1991 ; Bordeleau et al., 1999), les activités parascolaires (Branta et Goodway, 1996 ; Cartledge et Milburn, 1995 ; FÉÉPEQ, 1995 ; Mahoney et Stattin, 2000), les activités sportives et l’entraînement (Bordeleau et al., 1999 ; Collingwood, 1997 ; Landers, 2002 ; Thibault, 2001) et l’activité physique de loisir (Branta et Goodway, 1996 ; Kino-Québec, 1998). Les études sur l’utilisation de l’activité physique pour développer la compétence sociale proviennent majoritairement d’expériences réalisées auprès d’enfants de niveau primaire. Celles réalisées auprès d’adolescents sont moins nombreuses et sont centrées principalement sur le drainage d’énergie négative. Rares sont les études qui tentent d’établir une relation entre les troubles du comportement, la compétence sociale et la pratique d’activités physiques chez les adolescents (Bordeleau et al., 1999 ; McAuley, 1994).

Malgré divers problèmes méthodologiques, les études sur le sujet ont rapporté des résultats prometteurs. Leurs auteurs recommandent que les recherches à venir tentent d’identifier les mécanismes qui entraînent ces bénéfices et évaluent les effets sur d’autres aspects, tels que les habiletés sociales et scolaires (Barnett, 1991 ; MacMahon, 1990 ; MacMahon et Gross, 1988).

L’objectif de la présente étude est de comparer un échantillon d’adolescents identifiés en troubles du comportement à l’école (TC) avec un groupe d’adolescents non identifiés en troubles du comportement (non-TC). Les questions de recherche portent sur la comparaison des élèves TC et non-TC en ce qui concerne les habitudes de pratique d’activités physiques (fréquence et type de pratique), le niveau d’habiletés sociales (coopération, contrôle de soi, affirmation de soi, empathie), les capacités d’adaptation psychosociale (estime de soi, autoefficacité, support social perçu) et les habitudes de vie à la santé (tabagisme, alcool, drogue, alimentation, sommeil).

Méthode

Participants

L’échantillon est composé de 185 adolescents et adolescentes provenant de trois écoles secondaires de la grande région de Québec. Les sujets sont âgés entre 12 et 14 ans, il y a une différence significative (t = 6,233, p < 0,001) dans la moyenne d’âge des groupes TC (M = 13,4, ET = 0,76) et non-TC (M = 12,7, ET = 0,75). Cette différence s’explique par le fait que plusieurs des élèves TC, faisant partie de classes d’adaptation scolaire, accusent un retard académique causé par des difficultés d’apprentissage qui ont entraîné une reprise d’année scolaire. Cette situation est caractéristique des élèves en troubles de comportement qui cumulent aussi des troubles d’apprentissage et des échecs scolaires.

Le groupe TC est formé en majorité de garçons (68,9 %), alors que le groupe non-TC est surtout formé de filles (59,6 %). D’après les données du ministère de l’Éducation du Québec (1996, 2000b), cette caractéristique de notre échantillon est représentative des populations québécoises d’élèves à risque (garçons = 65,6 %) et d’élèves du régulier (filles = 51,1 %).

Le premier groupe dit TC (n = 77) comprend des élèves de classes en adaptation scolaire et de classes régulières de premier cycle identifiés comme présentant des difficultés de comportement. Le dépistage de ces élèves a été fait en deux étapes. À partir de la liste de tous les élèves de premier cycle de son école et du Systematic Screening for Behavior Disorders (SSBD) de Walker et Severson (1992), chaque enseignant a identifié les élèves qui présentaient, selon lui, des difficultés de comportement de type extériorisé et les a classés par ordre décroissant (du plus extériorisé au moins extériorisé) en se référant à une liste de comportements inadaptés types. Les élèves identifiés au moins une fois dans les trois premiers rangs de la liste d’un enseignant ou ceux identifiés par trois enseignants ou plus (peu importe le rang) ont fait l’objet d’une deuxième étape d’évaluation. Cette seconde étape consiste à évaluer les élèves à partir de l’Échelle d’évaluation des dimensions du comportement (EDC) de Bullock et Wilson, traduit par Tremblay (1996), pour déterminer l’intensité des troubles du comportement (coefficient alpha, α = 0,95).

Le second groupe (témoin, dit non-TC) (n = 108) est composé d’élèves de premier cycle du cheminement régulier provenant des mêmes écoles que le groupe TC. Tout élève n’ayant pas répondu aux critères du groupe TC lors du dépistage a été jugé éligible pour faire partie du groupe témoin. Dans chacune des écoles, un groupe de première et de deuxième secondaire a été sélectionné de façon aléatoire pour constituer cet échantillon. Tout élève faisant partie de ces groupes et ayant été identifié lors du dépistage des élèves TC a été exclu de l’échantillonnage du groupe non-TC.

Instruments de mesure

L’objectif de cette étude corrélationnelle est de comparer un groupe de 77 élèves TC avec un échantillon de convenance de 108 élèves non-TC fréquentant les mêmes écoles. Les deux groupes sont comparés sur leur niveau de pratique d’activités physiques, d’habiletés sociales, d’adaptation psychosociale et sur certaines habitudes de vie à la santé. La comparaison est faite à partir de résultats tirés de trois questionnaires.

1. Questionnaire de l’Enquête sur la pratique des activités physiques au secondaire[2]

Construit dans le but d’identifier différentes variables associées à la pratique d’activités physiques et aux habitudes de vie, ce questionnaire est constitué d’échelles de type Likert de 3 à 6 points. Il comporte 56 items regroupés en trois grandes catégories : 1) bilan, 2) contexte de vie et 3) prédiction. Pour la présente étude, seules des variables des deux premières catégories sont utilisées.

Les variables de la catégorie « bilan » (8 items) servent à tracer un portrait de la dernière année scolaire de l’élève concernant : a) son niveau général de pratique (fréquence de participation à des activités physiques) dans ses moments de loisirs (« Au cours de la dernière année scolaire, je pratiquais des sports et/ou activités physiques dans mes moments de loisirs… »), (b) le type de pratique (compétitif, récréatif, libre, conditionnement physique) dans lequel il a été le plus actif (« J’ai surtout été impliqué dans… »), et (c) le niveau de satisfaction générale retirée de sa pratique (« Au cours de la dernière année scolaire, j’évalue ma participation à des sports et/ou à des activités physiques dans mes moments de loisirs, je garde… »).

D’autre part, dans la catégorie « contexte de vie » (25 items), les variables à l’étude sont : a) certaines habitudes de vie liées à la santé, telles que le tabagisme, la consommation de drogue et d’alcool, l’alimentation et le sommeil (« Laquelle des situations suivantes décrit le mieux ton expérience avec… », la cigarette : « Je n’ai jamais fumé » à « Je fume régulièrement, tous les jours »), et (b) l’adaptation psychosociale telle que l’estime de soi (α = 0,81) (« Toute chose considérée, je suis satisfait de moi comme personne… ») et le support social perçu (α = 0,72) (« Quand j’ai des problèmes et que je veux en parler pour avoir de l’aide, je peux facilement compter sur les personnes suivantes… »). Ces auteurs rapportent que cet outil a été validé et utilisé auprès d’élèves du secondaire âgés de 12 à 17 ans. Le rapport de recherche du projet EPAPS (Desharnais et Godin, 1995) ne fait état d’aucune donnée métrologique, bien que ces auteurs mentionnent avoir fait une préenquête pour fins de validation du questionnaire.

2. Questionnaire d’évaluation des habiletés sociales[3]

Pour notre étude, nous avons utilisé la version « adolescent » autorévélée qui a pour but de mesurer la fréquence d’apparition d’un certain nombre d’habiletés sociales chez l’élève ainsi que l’importance accordée à celles-ci dans les relations avec autrui. Cet outil est composé de 39 items et d’une échelle de type Likert en 3 points. En plus d’obtenir un score total standardisé (39 items, α = 0,85), ce questionnaire permet d’évaluer quatre sous-échelles d’habiletés sociales, soit (a) la coopération (ex. : « J’écoute les adultes lorsqu’ils me parlent », 10 items, α = 0,73), (b) l’affirmation de soi (ex. : « Je me fais facilement des amis », 10 items, α = 0,67), (c) l’empathie (ex. : « Je me sens peiné(e) lorsque les gens vivent des situations déplaisantes », 10 items, α = 0,72), et (d) le contrôle de soi (ex. : « Je peux être en désaccord avec les adultes sans pour autant leur tenir tête ou me battre avec eux », 10 items, α = 0,70). Gresham et Elliott (1990), mentionnent que sa version originale anglaise a été utilisée dans plusieurs recherches et validée auprès d’un vaste échantillon d’adolescents en milieux scolaires américains (α = 0,83).

3. Questionnaire sur l’autoefficacité[4]

Basé sur la théorie d’apprentissage sociale de Bandura (1986), le concept d’auto-efficacité fait référence au sentiment de compétence et de pouvoir que la personne ressent face à sa capacité à prendre des décisions et à effectuer des changements dans sa vie dans des contextes spécifiques. Ce questionnaire est en version abrégée et comporte 10 items évalués à partir d’une échelle de type Likert en 4 points (« J’arrive toujours à résoudre mes difficultés si j’essaie assez fort », « J’ai confiance que je peux faire face efficacement aux événements inattendus »). Le score total détermine le sentiment d’autoefficacité. Plus il est élevé, plus la personne s’attribue un bon niveau de capacité décisionnelle. Schwarzer et ses collaborateurs (1997) ainsi que Schwarzer (1993) mentionnent avoir validé leur version du questionnaire auprès de plusieurs échantillons (α = 0,81 à 0,91). Pour la présente étude, le coefficient alpha de la version française est de α = 0,86.

Procédures

Pour l’ensemble de l’échantillon, la collecte des données a eu lieu simultanément en novembre 2000 dans les trois écoles ciblées. La participation des élèves s’est effectuée en sous-groupes, sur une base volontaire. Les élèves ont été rencontrés par des auxiliaires de recherche, étudiants de premier et deuxième cycle de l’Université Laval ayant reçu une formation sur l’application du protocole d’évaluation de cette étude. Les questionnaires ont été administrés en classe lors d’une période régulière de 75 minutes.

Résultats

En préambule à l’interprétation des résultats, précisons que nous avons fait état de trois niveaux de signification (p < ,05, p < ,01, p < ,001), principalement pour tenir compte du problème des tests multiples[5] (Glass et Hopkins, 1996, p. 377 ; Kirk, 1995, p. 137).

Niveau de pratique d’activités physiques

Comme le révèle le tableau 1, les résultats de l’analyse des différences entre les moyennes n’indiquent aucune différence notable entre les deux groupes sur la fréquence de pratique de sports et/ou d’activités physiques dans les moments de loisirs au cours de la dernière année scolaire. En moyenne, les élèves des deux groupes pratiquent ce genre d’activités dans leurs moments de loisirs environ une fois par mois.

Niveau de satisfaction générale retirée de la pratique d’activités physiques

En évaluant leur participation à des sports et/ou à des activités physiques dans leurs moments de loisirs pour la dernière année scolaire, les élèves des deux groupes gardent en moyenne un bon souvenir de leur expérience. L’analyse des résultats du tableau 1 pour cette variable montre que le groupe non-TC rapporte un niveau de satisfaction plus élevé face à la pratique d’activités physiques que le groupe TC.

Types de pratique d’activités physiques

Le type de pratique d’activités physiques fait référence à deux grandes catégories : le sport organisé (compétitif, récréatif) et le sport non organisé (libre, conditionnement physique). L’analyse des résultats du tableau 2 révèle une association significative (X² de Pearson = 7,312 , p < 0,01) entre le type de pratique d’activités physiques et le fait d’être ou non classifié en troubles de comportement. En fait, 63 % des élèves TC participent à un sport non organisé alors que 58 % des élèves non-TC sont portés vers la pratique du sport organisé.

Dans la sous-catégorie du sport organisé compétitif (sports pratiqués à des heures précises, dirigés par un moniteur ou un entraîneur, à caractère compétitif (victoire ou défaite) avec des tournois, des ligues et un calendrier de rencontres), les élèves du groupe non-TC y participent en plus grand nombre. Par ailleurs, aucune différence notable n’est à souligner, autant pour le sport organisé récréatif (similaire au sport organisé compétitif, sauf que l’accent est davantage mis sur le plaisir, la victoire étant ici moins importante que la participation et l’amusement) que pour le sport non organisé de type libre (sports pratiqués sans horaire précis, sans les conseils [ou presque] d’un moniteur ou d’un entraîneur) ou de type conditionnement physique (le jogging, la marche rapide, la danse aérobique, les exercices de musculation, etc., pratiqués seul ou en groupe, avec ou sans horaire, avec ou sans supervision d’un moniteur).

Tableau 1

Pratique d’activités physiques (AP), habiletés sociales, adaptation psychosociale et habitudes de vie à la santé des adolescents

Pratique d’activités physiques (AP), habiletés sociales, adaptation psychosociale et habitudes de vie à la santé des adolescents
*

p < 0,05

**

p < 0,01

***

p < 0,001

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Habiletés sociales

Le score total moyen du groupe TC pour les habiletés sociales est plus faible que celui du groupe non-TC. Le tableau 1 rapporte une différence significative entre ces scores moyens et cela, malgré le fait qu’ils doivent être interprétés comme un niveau dit « moyen » d’habiletés sociales, selon l’échelle de scores standardisés proposé par ses auteurs Gresham et Elliott (1990). Voici les résultats des quatre sous-échelles associées à l’évaluation des habiletés sociales ayant été complétée par l’élève.

Tableau 2

Types de pratique d’activités physiques des adolescents

Types de pratique d’activités physiques des adolescents

X2 de Pearson = 7,312 , p < 0,01

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Coopération. L’analyse des résultats du score de coopération démontre un écart entre les groupes TC (M = 13,66) et non-TC (M = 15,97). Au même titre que pour le score total moyen des habiletés sociales, la différence pour le niveau de coopération entre les sujets des deux groupes est significative. Par ailleurs, lors de leur interprétation, ces résultats figurent à nouveau dans la même catégorie de scores standardisés (niveau dit « moyen »).

Affirmation de soi. Pour la sous-échelle de l’affirmation de soi, aucune différence saillante n’est à noter : TC (M = 13,61) et non-TC (M = 14,03). Ces résultats correspondent à un niveau dit « moyen » lorsque comparés aux scores standardisés.

Empathie. L’écart entre le niveau d’empathie du groupe TC (M = 14,14) et celui du groupe non-TC (M = 15,41) apporte des résultats intéressants.

Contrôle de soi. La situation de la sous-échelle du contrôle de soi ressemble à celle de l’empathie. La différence entre les scores du groupe TC (M = 11,22) et ceux du groupe non-TC (M = 12,52) se situe dans la catégorie de scores standardisés dits « moyens ». Bien que modeste, ce résultat doit aussi être perçu comme une tendance.

Adaptation psychosociale

Estime de soi. Identifié comme l’un des indicateurs du bon fonctionnement psychologique à l’adolescence, le niveau d’estime de soi rapporté par les élèves du groupe TC (M = 2,76) est plus faible que celui des élèves du groupe non-TC (M = 3,01). D’ailleurs, le tableau 1 illustre des scores significativement différents pour cette variable.

Support social perçu. Par ailleurs, l’analyse des résultats du second indicateur représenté par le support social perçu par l’adolescent ne dénote aucun écart significatif entre les groupes TC (M = 3,73) et non-TC (M = 3,87).

Autoefficacité. Le score moyen du sentiment d’autoefficacité perçue par les élèves du groupe TC (M = 2,94) est inférieur à celui du groupe non-TC (M = 3,27), montrant un écart significatif entre les résultats. En fait, les élèves TC ont un sentiment d’autoefficacité moins élevé, ce qui signifie qu’ils se sentent moins aptes à prendre des décisions pour atteindre leurs objectifs.

Habitudes de vie à la santé

Tabagisme. En ce qui concerne la consommation de cigarettes, l’analyse des résultats du tableau 1 rapporte une différence significative entre les élèves TC (M = 2,79) et les non-TC (M = 1,83). En fait, face à leur expérience avec la cigarette, les élèves TC affirment : « Il m’arrive encore de fumer, mais à l’occasion seulement, pas de façon régulière », alors que les non-TC déclarent « avoir déjà fait l’expérience de la cigarette, mais ne pas fumer depuis ».

Drogue. L’expérience de l’usage de la drogue (mari ou hasch) représente un autre résultat significatif, lorsque l’on compare le groupe TC (M = 2,37) et le groupe non-TC (M = 1,53). Le score moyen des élèves TC se situe, dans une échelle ordinale, entre le fait « d’avoir déjà fait l’expérience de la drogue mais de ne plus en prendre depuis » et « en consommer encore à l’occasion mais pas de façon régulière », alors que le score moyen des élèves non-TC se positionne entre le fait de « n’avoir jamais pris de drogue » et « avoir déjà essayé mais de ne plus en prendre depuis ».

Alcool. Les jeunes du groupe TC rapportent en moyenne « avoir déjà fait l’expérience de l’alcool et d’en consommer encore à l’occasion, pas de façon régulière » (M = 2,75), alors que les jeunes non-TC déclarent « avoir déjà fait l’expérience de l’alcool, mais n’en prennent plus depuis » (M = 2,31). Ce résultat est significatif au même titre que pour la consommation de la cigarette et de la drogue.Alimentation. Face à leur alimentation, les élèves signalent en moyenne « prendre habituellement un bon déjeuner tous les matins ». Il n’existe aucune différence notable entre les groupes TC (M = 1,67) et non-TC (M = 1,78).

Sommeil. Les élèves rapportent en moyenne « dormir habituellement 8 heures par jour ». Les résultats entre les groupes TC (M = 2,33) et non-TC (M = 2,25) face à cette variable ne présentent aucune différence significative.

Discussion

Selon l’analyse des résultats, il paraît évident que des différences importantes existent entre les deux groupes d’élèves, TC et non-TC, sur le plan de la pratique d’activités physiques, du niveau d’habiletés sociales et de coopération, sur les niveaux d’estime de soi et d’autoefficacité perçue ainsi que sur des habitudes de vie comme le tabagisme et la consommation de drogue et d’alcool. Dans la discussion qui suit, nous reprendrons chacun des éléments.

La première question de recherche visait à vérifier si les élèves TC pratiquaient le même type d’activités physiques que les élèves non-TC. Les résultats indiquent que les élèves TC sont plus susceptibles de participer à des activités physiques de type sport non organisé. Les résultats d’études antérieures confirment que la participation à des activités non organisées est associée à des niveaux élevés de comportements antisociaux, alors que les activités organisées sont étroitement liées à de faibles niveaux de comportements déviants (Mahoney et Stattin, 2000 ; Osgood, Wilson, O’Malley, Bacman et Johnston, 1996). Comme ces derniers auteurs, nous croyons que ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les élèves TC peuvent percevoir, dans la pratique du sport organisé (compétitif ou récréatif), plusieurs contraintes dont celles de la supervision par un adulte, le respect de règles établies et de la discipline que ce type de pratique demande au participant. En lien avec notre échantillon TC, majoritairement masculin et représentatif de cette population, Bouchard et St-Amant (1999) mentionnent, dans les résultats d’une enquête qualitative sur l’amour de l’école et les différences entre les sexes, que les garçons tendent à s’opposer à l’encadrement et aux règlements. Cela pourrait aider à comprendre les raisons pour lesquelles les élèves TC sont plus portés vers une pratique d’activités physiques de type non organisé.

Selon Mahoney et Stattin (2000), il existe des preuves pour associer la pratique d’activités de loisir non organisées et des comportements antisociaux (criminalité, comportement agressif, consommation d’alcool et de drogue, délinquance, décrochage scolaire). D’après Thibault (2001), « […] on prétend que certains des problèmes vécus présentement par beaucoup de jeunes dans notre société postmoderne résultent de l’absence de modèles de comportement auxquels ils pourraient s’identifier. Or, dans la pratique sportive encadrée, les jeunes trouveront bien souvent une ambiance et un code de comportements favorables au développement de leur compétence sociale » (p. 223).

De façon générale, les élèves ayant des problèmes de comportement s’associent pour former un groupe dont les activités se déroulent pendant et après l’école, ce qui crée des assises pour des associations futures dans des regroupements de pairs déviants ou des gangs (Mahoney et Stattin, 2000 ; Osgood et al., 1996 ; Walker et al., 1995). Des études longitudinales ont montré que les élèves TC consacrent significativement moins de temps à participer à des activités et à des jeux structurés durant les récréations que ne le font les élèves du même âge et du même sexe considérés comme socialement adaptés (Walker et al., 1995). En fait, les élèves TC n’ont pas tendance à être intéressés par des activités dans la cour d’école qui sont structurées et qui comportent des règles établies contrôlées par des pairs. En contrepartie, les élèves TC s’associent entre eux durant cette période pour s’adonner à des jeux libres (Mahoney et Stattin, 2000 ; Osgood et al., 1996 ; Walker et al., 1995). D’ailleurs, la non-participation à des activités organisées laisse du temps aux jeunes pour donner libre cours à des comportements déviants (Mahoney et Stattin, 2000 ; Osgood et al., 1996). D’après Osgood et son équipe (1996), les jeunes ayant des problèmes de comportement sont surreprésentés dans les activités de loisirs non structurées.

La seconde question de recherche portait sur la fréquence de la pratique d’activités physiques et le niveau de satisfaction générale retiré de cette pratique. Il est à noter que les jeunes d’aujourd’hui, comparativement à ceux d’il y a trente ans, sont 40 % moins actifs, particulièrement au début de l’adolescence, où un nombre important de jeunes diminuent de façon significative leur niveau de pratique d’activités physiques ou le délaissent complètement (Kino-Québec, 1998 ; Patrick, 1996). Malgré le fait que, dans la présente étude, le niveau de pratique d’activités physiques (fréquence) ne soit pas différent d’un groupe à l’autre, il en est autrement pour le niveau de satisfaction face à cette même pratique. Quoique les deux groupes rapportent garder un bon souvenir de leur expérience avec la pratique d’activités physiques, les élèves non-TC sont, dans l’ensemble, un peu plus satisfaits.

Ce dernier résultat pourrait ne pas être étranger au type de pratique (sport organisé) que font les élèves non-TC. Thibault (2001) et Dishman (1994) rapportent que les effets positifs de la pratique d’activités sportives se manifestent surtout lorsque celle-ci est accompagnée de succès et qu’une récompense sociale y est associée. D’après Weinberg et Gould (1997), pour un individu, les récompenses venant de son environnement (extrinsèque) et portant sur de l’information et une rétroaction positive face à sa compétence ont pour effet d’augmenter sa motivation intrinsèque. Alors que le sport organisé propose ce genre de gratification pouvant favoriser et maintenir la motivation de l’individu face à sa participation, le sport non organisé ne lui offre que très peu de stimulants extrinsèques. Par ailleurs, le fait que les élèves TC gardent un bon souvenir de leur expérience avec l’activité physique ouvre la porte à l’intégration d’une telle composante dans un programme d’intervention (Gendron et al., 2003). Cela aurait pour effet de favoriser la participation active de l’élève à l’intérieur d’un processus dans lequel, rappelons-le, il est l’acteur principal.

En ce qui a trait à la question de recherche sur la compétence sociale, les résultats nous poussent à croire que les élèves TC ont un niveau de développement d’habiletés sociales plus faible que les autres. L’analyse des résultats tend à confirmer ce postulat et à appuyer les conclusions d’études antérieures (Goldstein et McGinnis, 1997 ; Quinn et al., 1999 ;Vitaro et al., 1994 ; Walker et al., 1995). Les scores moyens des habiletés sociales et des échelles de coopération, d’empathie et de contrôle de soi sont tous plus élevés pour les élèves non-TC.

Pour les jeunes éprouvant des troubles du comportement, les comportements agressifs et les lacunes au plan des habiletés sociales et de l’autocontrôle sont associés à des facteurs prédictifs de problèmes tels que la délinquance et la toxicomanie (Gagnon et Vitaro, 2000). Fait à noter, le faible contrôle de soi est associé à l’impulsivité, au manque de persévérance, à l’attrait pour le risque, à la préférence pour les activités concrètes et physiques, à l’égocentrisme, au manque d’empathie et à un faible seuil de tolérance (Cloutier, 1996). Lors du dépistage des participants au profil TC, ces caractéristiques ont été soulignées par le personnel scolaire comme décrivant bien cette clientèle cible.

Le rejet dont font l’objet ces jeunes augmente leurs déficits sur le plan des habiletés sociales causés par un manque d’opportunité d’apprentissages en compagnie de pairs socialement compétents (Desbiens, 2000 ; Bowen et al., 2000). L’école est l’endroit privilégié pour développer les habiletés cognitives et apprendre le processus de résolution de problèmes essentiels à une intégration adaptée en société (Bandura, 1997). Le processus d’entraînement aux habiletés sociales doit tenter de modifier les comportements associés aux interactions sociales mais aussi de modifier les perceptions du jeune face aux différentes situations et agents stresseurs pouvant influencer ses réponses (Kauffman, 1997). L’analyse des résultats montre que les élèves TC ont un réel besoin d’améliorer plusieurs aspects de leurs habiletés sociales, dont la coopération, l’empathie et le contrôle de soi, de façon à favoriser une meilleure adaptation scolaire et sociale.

La participation à des activités physiques et à des jeux coopératifs structurés exige de la part du participant d’avoir recours à un ensemble d’habiletés sociales et à avoir des interactions avec autrui (Cartledge et Milburn, 1995 ; Mahoney et Stattin, 2000). D’après un rapport de la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec (1995), « l’élève qu’on place fréquemment dans des contextes ou des situations pédagogiques qui l’obligent à interagir avec d’autres personnes apprend davantage à s’exprimer et à communiquer de façon amicale, à coopérer et à s’opposer de façon positive, à comprendre et à respecter les différences individuelles » (p. 50).

La question de recherche sur la capacité d’adaptation psychosociale des adolescents comporte deux éléments de réponse : l’estime de soi et le sentiment d’auto-efficacité. Desharnais et Godin (1995) introduisent l’estime de soi comme étant un des éléments importants. Le fait que les élèves du groupe TC aient une estime de soi plus faible que ceux du groupe non-TC vient ainsi appuyer les conclusions de certaines études antérieures (Barnett, 1991 ; Butki, 1998 ; Desbiens, 2000 ; Scheier et al., 2000). Le niveau d’estime de soi est étroitement lié au fait de goûter à la réussite et au renforcement social y étant associé (FÉÉPEQ, 1995 ; Thibault, 2001). Une faible estime de soi et une image négative de soi-même représentent des caractéristiques de plusieurs jeunes TC (Walker et al., 1995) et des facteurs de risque importants dans l’adoption de comportements déviants (Scheier et al., 2000). Il faut, selon nous, offrir à ces jeunes des activités pédagogiques attrayantes, favorisant ainsi une participation active et leur donnant toutes les chances possibles de se valoriser et de recevoir du renforcement positif face à la démonstration de comportements adaptés (FÉÉPEQ, 1995 ; Gendron et al., 2003).

Le sentiment d’autoefficacité figure aussi dans la catégorie des variables associées à la capacité d’adaptation psychosociale et à la compétence sociale (Cloutier, 1996, Scheier et al., 2000). Pour l’élève TC, la perception de sa capacité à apporter des changements et à prendre des décisions est plus faible que pour l’élève non-TC. Selon Bandura (1997), les personnes ayant un niveau élevé d’autoefficacité préfèrent habituellement les activités plus complexes et démontrent un seuil élevé de persévérance face à leur pratique. Le sentiment de compétence du jeune présentant des troubles de comportement dans son rôle d’apprenant ne peut être élevé si ce dernier, dans un contexte d’enseignement traditionnel, cumule plus d’échecs que de réussites sur le plan académique et social (CÉÉPQ, 1993). Ces mêmes jeunes sont ceux qui entretiennent en permanence des conflits, sont plus agressifs, souvent isolés en classe, vivent souvent un sentiment d’injustice, d’isolement et de rejet et finissent par avoir une attitude négative par rapport à l’école (CÉÉPQ, 1993 ; FÉÉPEQ, 1995).

Les jeunes sont particulièrement sensibles au statut relatif de popularité et de prestige attribué par les pairs du réseau d’amis participants à des activités communes, ce qui a pour effet d’influencer le développement du sentiment d’auto-efficacité et les choix d’activités pratiquées (Bandura, 1997). En ce sens, l’intervention devrait être planifiée de façon à entraîner le participant dans un environnement pédagogique stimulant dans lequel il se sentira à la fois en confiance et compétent, et voudra participer de son plein gré à l’activité. En fait, la pratique d’activités physiques et du jeu coopératif a l’avantage de figurer dans le curriculum d’un certain nombre d’élèves.

Quoique rarement utilisées pour prédire les troubles du comportement et les habiletés sociales, les habitudes de vie relatives à la santé semblent être conséquentes avec les autres comportements des adolescents TC et non-TC. Notre étude s’est intéressée aux habitudes de vie à la santé à titre de facteur de prédiction. Facteur de risque important rapporté par plusieurs auteurs en ce qui a trait à divers problèmes de comportement (Collingwood, 1997 ; Kauffman, 1997 ; Bowen et al., 2000), la consommation d’alcool et de drogues fait partie du profil type des élèves du groupe TC. Appuyés par des études, les résultats associés aux habitudes de vie à la santé confirment que les élèves TC sont plus susceptibles de fumer la cigarette et de consommer de l’alcool et de la drogue, parce que ces jeunes tendent à se regrouper au sein de cliques valorisant des conduites déviantes (Bowen, Desbiens, Martin et Hamel, 2001 ; Desbiens, 2000).

Ces mauvaises habitudes de vie relatives à la santé agissent comme un cercle vicieux de renforcement provenant du regroupement de jeunes marginaux et déviants qui ont tendance à normaliser ces comportements inadaptés (Gagnon et Vitaro, 2000). Selon Thibault (2001), la diminution progressive de la pratique d’activités physiques à l’adolescence est étroitement liée à l’adoption d’habitudes de vie nuisibles pour la santé (ex. : tabagisme). La pratique de sports organisés en compagnie de pairs socialement adaptés et d’un encadrement professionnel aurait pour effet de modeler et de renforcer des comportements sains et de développer une discipline personnelle dépassant le cadre de la pratique d’activités physiques (Gendron et al., 2003). Le volet de formation personnelle et sociale présent dans les cours d’éducation physique (ou dans certains sports organisés) offre une multitude d’opportunités pour développer, chez le participant, le sens des responsabilités et l’autonomie (FÉÉPEQ, 1995). De plus, l’éducation physique et le sport organisé encadré professionnellement permettent d’encourager le jeune à adopter de saines habitudes de vie et de prévenir ou de modifier certains comportements autodestructeurs tels que le tabagisme et la consommation de psychotropes (FÉÉPEQ, 1995 ; Thibault, 2001).

Par ailleurs, notons ici quelques limites associées à cette étude. La première a trait à l’utilisation de questionnaires d’auto-évaluation qui enregistrent uniquement des données relatives à la perception de l’adolescent. Il serait très intéressant et pertinent de prendre aussi en considération dans l’interprétation des résultats la perception d’un parent et/ou d’un enseignant et de les comparer. Une deuxième limite réside dans le choix de l’échantillon. Le dépistage des participants a été fait sur la base des troubles de comportement de type extériorisé. Il faut donc en tenir compte dans la généralisation des résultats, surtout en regard de la proportion des TC et non-TC dans la population scolaire.

Conclusion

Les élèves ayant des troubles de comportement présentent des caractéristiques différentes de celles de leurs pairs socialement adaptés. Les résultats présentés permettent d’appuyer les conclusions d’études antérieures qui ont trouvé des relations significatives entre les élèves TC et de faibles niveaux d’habiletés sociales, d’estime de soi et d’autoefficacité (Goldstein et McGinnis, 1997 ; Scheier et al., 2000 ; Walker et al., 1995). Fait à noter, les élèves TC pratiquent moins de sports organisés pour des raisons qui restent à être investiguées. Ce résultat est particulièrement intéressant en lien avec le développement de la compétence sociale et fait émerger l’hypothèse suivante : est-ce que le fait de pratiquer des activités physiques organisées peut être associé à celui de posséder de bonnes habiletés sociales ?

Dans les faits, la pratique d’activités physiques est étroitement associée à des bénéfices en ce qui a trait à des niveaux plus élevés d’habiletés sociales, d’estime de soi, d’auto-efficacité et à de meilleures habitudes de vie à la santé (FÉÉPEQ, 1995 ; Patrick, 1996 ; Thibault, 2001). D’ailleurs, il semble évident qu’il faut redonner le goût aux jeunes, TC et non-TC, de participer à des activités physiques organisées, ce qui pourrait avoir pour effet d’augmenter leur niveau de satisfaction et la fréquence de la pratique associée elle-même à des améliorations de l’estime de soi et des habiletés sociales.

À la lumière des résultats présentés, nous proposons l’idée d’introduire l’activité physique et le jeu coopératif à titre de stratégie éducative et rééducative dans les interventions s’adressant aux élèves en difficulté de comportement. Ainsi, les élèves pourraient disposer d’occasions pour pratiquer leurs habiletés sociales dans un contexte éducatif et ludique, favorisant ainsi le maintien et le transfert des acquis ainsi que la généralisation de nouveaux comportements socialement adaptés. Par ailleurs, les futures recherches sur le sujet auraient avantage à utiliser des outils de mesure adaptés et déjà validés auprès d’échantillons québécois. De plus, il serait intéressant d’étudier les variables et les modèles de prédiction des habiletés sociales qui représentent des facteurs déterminants dans le développement et non de difficultés de comportement chez les adolescents.