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Introduction

Dans le domaine scolaire, le modèle de la motivation proposé par Dweck et ses collaborateurs s’élabore à partir de la conception de l’intelligence. Le concept d’intelligence renvoie ici à un construit fonctionnel et unitaire se rapportant à un attribut de soi. Dweck et ses collaborateurs postulent que les croyances de la personne sur la nature de l’intelligence jouent un rôle pivot dans sa motivation à l’accomplissement intellectuel, dans ses décisions d’accepter ou non des défis, dans ses comportements stratégiques pendant l’exécution de tâches et dans son interprétation des succès et échecs (Cain et Dweck, 1989 ; Chiu, Hong et Dweck, 1994 ; Dweck, 1991 ; Dweck, Chiu et Hong, 1995 ; Dweck et Leggett, 1988). Selon ces auteurs, la personne adhère à l’une ou l’autre de deux conceptions, relativement opposées, de ce qu’est l’intelligence. Dans la première, l’intelligence est conçue comme une entité statique, alors que dans la deuxième, elle est, à l’inverse, conçue comme une qualité dynamique. Plus précisément, selon cette théorie, la personne adhérant à une conception statique de l’intelligence croit que l’intelligence constitue une sorte de réservoir de capacités délimitées. Ainsi, elle conçoit l’intelligence comme une caractéristique individuelle relevant d’un trait plutôt stable, incontrôlable, et de ce fait très peu modifiable. Par la confrontation à diverses situations et problèmes, ainsi que la comparaison sociale, une telle personne peut s’informer de l’ampleur et la nature de son réservoir personnel de capacités. Préoccupée de faire la preuve de son intelligence, elle est particulièrement vulnérable aux situations d’échec ; une piètre performance constituerait la confirmation de ses limites intellectuelles. En contrepartie, la personne adhérant à une conception dynamique croit que l’intelligence est une qualité malléable qui peut se développer par l’investissement d’effort. La confrontation à diverses situations et problèmes devient l’occasion d’améliorer cette qualité. La personne qui a une conception dynamique s’attarde aux processus et aux actions, et sa performance la renseigne sur le degré d’efficacité des stratégies qu’elle a utilisées ou encore sur la qualité des efforts qu’elle a investis.

Selon le modèle de Dweck et de ses collaborateurs, la conception de l’intelligence constitue le premier maillon de la chaîne déterminante du comportement stratégique et du rendement dans le domaine scolaire. Elle affectera directement la motivation de l’élève en le conduisant à opter pour des buts d’apprentissage particuliers, à accepter ou non de relever des défis, et à adopter des comportements plus ou moins stratégiques pendant l’exécution des tâches. Tout cela devrait avoir, en bout de piste, un impact important sur le rendement.

Les types de buts réfèrent à des ensembles d’intentions comportementales qui déterminent comment les personnes abordent les activités d’apprentissage. Malgré les appellations différentes que leur associent les différents auteurs, préoccupation d’habileté ou de maîtrise (Ames et Archer, 1988), buts de performance ou d’apprentissage (Elliott et Dweck, 1988), et implication de l’ego ou implication dans la tâche (Nicholls, Patashnick et Bobbitt Nolen, 1985), les deux types de buts distingués par ces auteurs varient principalement quant à la perception et à la valorisation de l’apprentissage comme moyen ou comme fin en soi. Dans la présente étude, nous avons choisi de les identifier par les termes « buts de performance » et « buts de maîtrise ».

Les buts de maîtrise conduisent la personne à vouloir améliorer et développer ses habiletés. Son sentiment d’accomplissement dérive alors des qualités inhérentes à la tâche, tels que le défi et l’intérêt qu’elle suscite. Ici, l’apprentissage constitue une fin en soi. La préoccupation de la personne poursuivant de tels buts concerne l’accroissement de son savoir et l’acquisition de nouvelles habiletés. La question qui sous-tend sa motivation peut se formuler comme suit : « Comment puis-je m’y prendre pour accroître mes connaissances dans ce domaine et développer mon habileté à maîtriser cette activité ? » (Dweck et Elliott, 1983) En revanche, les buts de performance reflètent le souci de la personne de montrer la supériorité de son habileté. Son sentiment d’accomplissement dérive de la démonstration de cette dernière et de l’obtention de renforcement positif externe. L’apprentissage constitue, pour elle, le moyen de parvenir à ces fins. Préoccupée de faire la preuve de sa capacité, la question sous-jacente à sa motivation peut s’énoncer ainsi : « Suis-je assez intelligent(e) ou habile pour accomplir cette tâche  ? » (Dweck et Elliott, 1983)

Cependant, de plus en plus d’auteurs en sont venus à considérer, particulièrement en contexte scolaire, la nécessité de distinguer un troisième type de buts, souvent confondu avec ceux de performance (Bouffard, Vezeau, Romano, Chouinard, Bordeleau et Filion, 1998 ; Elliott et Harackiewicz, 1996 ; Meece, Blumenfeld et Hoyle, 1988 ; Nicholls, Patashnick et Bobbitt Nolen, 1985). La définition des buts de performance est souvent ambiguë, puisqu’elle regroupe des dimensions différentes sous une même appellation. Par exemple, on parlera indifféremment d’un but de performance pour l’élève qui se soucie de cette dernière, soit pour obtenir les résultats les plus élevés possibles, soit pour se distinguer en se situant parmi les meilleurs de son groupe, ou encore pour obtenir tout juste la note requise et ne pas échouer au cours. Si on peut présumer que les deux premières dimensions peuvent aboutir à des patrons semblables de comportements et d’engagement cognitif, on admet sans peine qu’il en va tout autrement de la troisième. Considérant cela, il nous paraît essentiel de distinguer cette dernière dimension comme un type de buts en soi, appelé but d’évitement, et qui consistent pour l’élève à ne faire que le travail minimum afin d’éviter l’échec.

Les buts d’apprentissage affecteront donc directement la démarche de l’élève dans les tâches scolaires, en influençant, entre autres, le choix qu’il fera de tâches comportant ou non des défis, sa manière de les aborder, sa persévérance, etc. Selon nombre d’auteurs (Ames et Archer, 1988 ; Covington et Omelich, 1984 ; Dweck, 1986), le type de buts d’apprentissage aura un impact important sur la perception de compétence de l’élève. Ainsi, l’élève qui adhère à des buts de performance se préoccuperait davantage de son rendement et chercherait constamment à évaluer s’il possède les habiletés nécessaires pour réussir la tâche. Il en viendrait donc à être moins sûr de celles-ci et à les considérer comme plus fragiles. Cependant, dans une étude où l’un des objectifs consistait à vérifier si le type de buts est lié au sentiment d’autoefficacité exprimé dans une tâche nouvelle, Vezeau, Bouffard et Tétreault (1997) ont montré qu’un profil motivationnel caractérisé par une préoccupation élevée, tant vers des buts de maîtrise que vers des buts de performance, amène les sujets à se percevoir plus capables de bien réussir la tâche présentée.

Dweck et ses collaborateurs (Bergen et Dweck, 1989 ; Dweck et al., 1995 ; Dweck et Leggett, 1988) proposent qu’il existe un lien direct entre la conception de l’intelligence de l’élève et le type de buts qu’il adopte. Ils postulent que son adhésion à une conception statique de l’intelligence l’amène à poursuivre des buts de performance. Plus précisément, l’intelligence prise comme une entité plus ou moins fixe le conduirait à vouloir documenter l’ampleur de son réservoir personnel. Préoccupé de faire la preuve de son intelligence, l’aboutissement de sa démarche prendrait le pas sur le processus d’exécution. Son rendement représentant à ses yeux un verdict sur son intelligence, réussir au-delà de la moyenne deviendrait son objectif. En contrepartie, l’élève adhérant à une conception dynamique serait enclin à poursuivre des buts de maîtrise. Sa croyance que l’intelligence est une qualité malléable le conduirait à vouloir développer et améliorer cette qualité. Comprendre et apprendre seraient ses objectifs prioritaires. Enfin, notons que le modèle de Dweck étant antérieur à la distinction maintenant faite dans les buts de performance, ce modèle ne comporte aucune prédiction quant à la relation entre les deux conceptions de l’intelligence et les buts d’évitement.

Les résultats des études empiriques portant sur le lien théorique entre la conception de l’intelligence et le type de buts sont contradictoires. Si certaines études confirment les liens théoriques postulés par le modèle (Dweck, Tenney et Dinces, 1982 ; Bandura et Dweck, 1985 ; Leggett, 1985 ; ces trois études sont citées par Chiu et al., 1994 ; Strage, 1997), d’autres n’obtiennent que des confirmations partielles (Bempechat, London et Dweck, 1991 ; Dupeyrat et Escribe, 2000 ; Roedel et Schraw, 1995 ; Stipek et Gralinski, 1996) et d’autres encore n’observent aucune relation ou même des relations inverses à celles attendues (Filion, 1998 ; Hayamizu et Weiner, 1991).

L’explication de ces divergences réside, en partie du moins, dans des méthodologies différentes pour mesurer les conceptions de l’intelligence et les buts d’apprentissage. Initialement, la façon de mesurer la conception de l’intelligence comportait un choix forcé où une série de phrases pairées étaient présentées aux sujets, l’une mettant l’accent sur une conception statique de l’intelligence et l’autre, sur une conception dynamique (Dweck et Henderson, 1989). Les sujets devaient alors choisir la phrase la plus vraie pour eux. Il s’est avéré que tous les sujets avaient tendance à sélectionner au fur et à mesure de l’exercice les énoncés se rapportant à la vision dynamique de l’intelligence. Les auteurs en ont conclu que le choix de la conception dynamique attirait et apparaissait sans doute socialement plus désirable. C’est dans le but d’éliminer ce « biais » de réponse que Dweck et Henderson (1989) ont décidé de présenter uniquement des énoncés relatifs à une vision statique de l’intelligence. Leur raisonnement était que les sujets enclins à adhérer à une conception statique devraient se sentir plus libres d’exprimer leur accord s’ils n’étaient pas confrontés aux aspects plus favorables de la vision dynamique. Pour les sujets qui ont une conception dynamique, les auteurs jugeaient que ces sujets étant peu attirés par la vision statique ne devraient pas hésiter à exprimer leur désaccord à des énoncés relevant d’une telle vision. Ainsi modifié, l’instrument compte trois items se rapportant à une conception statique de l’intelligence (par exemple, « Chaque personne a une certaine quantité d’intelligence et, en réalité, il n’y a rien qu’on peut faire pour changer cela. »). Pour chacun des trois énoncés, les sujets indiquent sur une échelle de Likert leur degré d’accord allant de 1 (fortement en désaccord) à 6 (fortement en accord). Pour les auteurs de la mesure, les tenants d’une conception statique de l’intelligence sont ceux qui obtiennent un score moyen entre 4 et 6 et les tenants d’une conception dynamique, ceux qui obtiennent un score moyen situé entre 1 et 3. Pour éviter les difficultés d’interprétation des scores moyens se situant entre 3 et 4, les auteurs proposent de les éliminer. Les indices de cohérence interne rapportés par Dweck et al. (1995) lors de six études de validation sur cet instrument à trois items varient entre 0,94 et 0,98.

La manière de mesurer les croyances des sujets quant au caractère statique ou dynamique de l’intelligence est extrêmement variable selon les études. Une première catégorie d’études comprend celles qui ont utilisé l’instrument à trois items développés par Dweck et Henderson (1989) (Dupeyrat et Escribe, 2000 ; Filion, 1998 ; Mueller et Dweck, 1998 ; Stone, 1999). D’autres études utilisent des questions impliquant un choix forcé entre les deux dimensions (Ablard et Mills, 1996 ; Bempechat, London et Dweck, 1991 ; Braten et Olaussen, 1998 ; Jones, Slate, Marini et DeWater, 1993 ; Roedel et Schraw, 1995). Finalement, certains chercheurs utilisent des items différents pour mesurer séparément les deux dimensions (Faria et Fontaine, 1997 ; Strage, 1997 ; Stipek et Gralinski, 1996 ; Vermetten, Lodewijks et Vermunt, 2001). Dans ce dernier cas, l’hypothèse d’une opposition entre l’adhésion à l’une ou l’autre de deux dimensions n’est pas clairement démontrée. Par exemple, dans l’étude de Stipek et Gralinski (1996), la corrélation entre les deux dimensions est quasi nulle (entre - 0,02 et 0,07). Ces deux conceptions ne seraient donc pas mutuellement exclusives, ainsi que le prétend Dweck.

En somme, la démonstration du caractère opposé de ces deux conceptions reste à faire. À cet égard, le premier objectif de cette étude vise à vérifier s’il existe une relation entre les deux conceptions de l’intelligence chez une même personne. Le deuxième objectif vise à examiner si les relations postulées par le modèle de Dweck entre chacune des deux conceptions et les buts d’apprentissage sont observées, en particulier lorsque les conceptions sont évaluées avec des items différents. Même s’ils sont théoriquement tributaires de la conception de l’intelligence, les types de buts poursuivis dans le cadre d’un cours devraient constituer une variable plus proximale de la motivation et du rendement que la conception de l’intelligence. De façon à élargir l’examen du rôle de la conception de l’intelligence dans la motivation de la personne, les variables suivantes seront également étudiées : l’utilité reconnue par la personne à la matière présentée dans le cours, sa perception de sa compétence dans la matière de même que son rendement à la fin du cours.

Méthode

Sujets

L’échantillon comporte un total de 487 étudiants et étudiantes (105 hommes et 382 femmes ; âge moyen : 29,8 ans, écart-type : 7,9 ans) provenant de dix cours différents du baccalauréat en psychologie (premier cycle universitaire).

Instruments et procédures

La conception de l’intelligence est mesurée à l’aide de six items dont la formulation est inspirée des échelles de Dweck et Henderson (1989) pour les items relatifs à la conception statique, et de Dupeyrat (2000) pour ceux relatifs à la dimension dynamique. Les items mesurant la conception statique (α = 0,75) sont les suivants : 1) Comme chaque personne, je suis né(e) avec un certain niveau d’intelligence et, en réalité, je ne peux rien faire pour changer cela ; 2) L’intelligence est une caractéristique personnelle et je pense que, comme tout le monde, je ne peux rien faire pour modifier la mienne ; 3) Je peux apprendre de nouvelles choses, mais je ne peux réellement changer mon intelligence de base. Les trois items mesurant la conception dynamique (α = 0,76) sont : 1) Quand je pense à comment j’étais, il y a quelques années, je me rends compte que mon intelligence s’est améliorée ; 2) Avec de l’entraînement, je pourrais arriver à améliorer mon intelligence ; 3) Plus j’apprends, plus je deviens intelligent(e). Comme pour toutes les autres échelles utilisées dans cette étude, les sujets doivent répondre pour chaque item sur une échelle de Likert en six points allant de 1 (tout à fait en désaccord) à 6 (tout à fait d’accord).

Les buts d’apprentissage sont mesurés par le Questionnaire des buts en contexte scolaire (QBCS) (Bouffard et al., 1998). Les items sont formulés de façon à mettre l’accent sur les objectifs d’apprentissage de la personne pour le cours dans lequel elle est rencontrée. Sept items servent à mesurer les buts de maîtrise (α = 0,88) (exemple : « Ce qui est d’abord important pour moi dans ce cours, c’est d’apprendre des choses nouvelles. »). Les buts de performance (α = 0,81) sont mesurés à l’aide de huit items (exemple : « C’est important pour moi de faire mieux que les autres dans ce cours. »), alors que six items servent à mesurer les buts d’évitement (α = 0,78) (exemple : « Dans ce cours, je fais seulement ce qui est nécessaire pour éviter l’échec. »).

La troisième échelle, qui évalue la perception de compétence (α = 0,88), a trait à la confiance de la personne d’avoir les capacités requises pour bien réussir dans le cours. Elle est composée de sept items (exemple : « Je me sens facilement capable de bien saisir la matière de ce cours. »). La quatrième et dernière échelle contient également sept items qui évaluent la perception par la personne de l’utilité du cours dans sa formation générale dont voici un exemple d’item inversé : « Je considère que ce cours est une perte de temps pour ma formation. » (α = 0,92). Finalement, la note de fin de session, rendue en pourcentage, est recueillie comme mesure du rendement dans le cours.

Les étudiants et les étudiantes répondent aux questionnaires durant les heures régulières de cours. Les consignes précisent d’y répondre en fonction du cours dans lequel ils sont interrogés (ce sont tous des cours de spécialisation en psychologie). La durée moyenne pour compléter les questionnaires est de 15 à 20 minutes.

Résultats

Avant d’examiner le premier objectif de l’étude portant sur la nature de la relation entre les deux conceptions de l’intelligence, une analyse de la variance multivariée a été effectuée pour vérifier s’il existe des différences entre les hommes et les femmes quant aux conceptions de l’intelligence (tableau 1). Les résultats de cette analyse n’indiquent aucune différence significative en fonction du sexe [F(2, 484) = 0,17, ns]. La comparaison des moyennes de chacune des deux conceptions à l’aide de tests t jumelés indique que celles-ci sont significativement élevées plus pour la conception dynamique que statique (t = 9,49, dl = 104, p < 0,001 et t = 21,88, dl = 381, p < 0,001, respectivement pour les hommes et les femmes). Compte tenu de cette absence de différence entre les résultats des hommes et des femmes, ce facteur ne sera pas inclus dans les analyses subséquentes.

Tableau 1

Scores moyens et écart-type sur la mesure des deux conceptions de l’intelligence selon le sexe (score maximum = 6)

Scores moyens et écart-type sur la mesure des deux conceptions de l’intelligence selon le sexe (score maximum = 6)

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Le tableau 2 présente les résultats des analyses de corrélation de Pearson faites pour examiner les liens entre les deux conceptions de l’intelligence ainsi qu’entre ces dernières et chacune des variables motivationnelles. Les résultats que rapporte ce tableau montrent que les deux conceptions de l’intelligence sont négativement reliées, mais que cette relation est cependant modérée.

Tableau 2

Relations entre les deux conceptions de l’intelligence et les buts d’apprentissage, la perception de compétence, de l’utilité de la matière et du rendement scolaire

Relations entre les deux conceptions de l’intelligence et les buts d’apprentissage, la perception de compétence, de l’utilité de la matière et du rendement scolaire
*

p < 0,05 ;

**

p < 0,01 ;

***

p < 0,005.

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Selon ces résultats, les relations entre les deux conceptions de l’intelligence et les buts d’apprentissage sont en partie conformes aux prévisions du modèle théorique. Ainsi, on observe une relation positive entre la conception dynamique et l’adhésion à des buts de maîtrise et une relation négative entre ces mêmes buts et la conception statique. Aucune relation n’est cependant notée entre les buts de performance et l’une ou l’autre des deux conceptions. L’examen du tableau 2 permet également de constater que plus les étudiants rapportent avoir une conception dynamique de l’intelligence, plus ils rapportent se sentir compétents et juger positivement l’utilité de la matière et moins ils rapportent poursuivre de buts d’évitement. À l’inverse, plus les étudiants adhèrent à une conception statique, plus ils rapportent de buts d’évitement et moins ils jugent que la matière est utile. Notons cependant que toutes ces relations sont généralement très faibles. Enfin, aucune des deux conceptions de l’intelligence n’est reliée au rendement obtenu à la fin de la session dans le cours, ce dernier étant plutôt reliée à toutes les variables motivationnelles, en particulier à la perception de compétence et buts de performance.

Les liens proposés par le modèle de Dweck ont ensuite été examinés par des analyses de régression pas à pas sur chacun des buts d’apprentissage où dans un premier bloc sont évalués les effets liés au sexe et aux deux types de conception de l’intelligence et, dans un second bloc, les perceptions de compétence et de l’utilité de la matière. Une dernière analyse de régression a porté sur l’impact de ces variables sur le rendement scolaire ; dans ce dernier cas, outre les deux premiers blocs, un troisième a été défini pour introduire les buts d’apprentissage parmi les variables indépendantes.

Tableau 3

Indices bêta des régressions pas à pas pour les relations entre le sexe, les conceptions de l’intelligence et les variables motivationnelles avec les buts d’apprentissage comme variables dépendantes

Indices bêta des régressions pas à pas pour les relations entre le sexe, les conceptions de l’intelligence et les variables motivationnelles avec les buts d’apprentissage comme variables dépendantes
*

p < 0,05 ;

**

p < 0,01 ;

***

p < 0,005.

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Selon les résultats de ces analyses (tableau 3), le pourcentage de variance totale, expliquée exclusivement par le sexe et les deux conceptions de l’intelligence, est assez faible dans le cas de chacun des trois types de buts. L’intégration des perceptions de compétence et de l’utilité de la matière contribue à augmenter de façon marquée la variance expliquée dans les mesures de buts, particulièrement dans ceux de maîtrise et ceux d’évitement. Pour les buts de maîtrise, dont on explique 56,3 % de la variance totale, les variables y contribuant de façon significative sont les perceptions de l’utilité de la matière et de sa compétence, ainsi que la conception dynamique de l’intelligence. Pour les buts de performance, dont on explique 10,8 % de la variance totale, les variables y contribuant cette fois sont le sexe, les deux conceptions de l’intelligence et les perceptions de compétence. Maintenant, en ce qui a trait aux buts d’évitement, l’ensemble des variables permet d’expliquer 33,3 % de la variance totale : seules les perceptions de l’utilité de la matière et de sa compétence sont significativement, mais négativement reliées à ce type de buts. Enfin, l’analyse de régression effectuée sur la note de fin de session obtenue dans le cours indique que l’ensemble des variables permet d’expliquer 16,8 % de la variance totale. La perception de sa compétence (ß = 0,26 ; p < 0,005) et les buts de performance (ß = 0,19 ; p < 0,005) sont reliés positivement à la note de fin de session, tandis que l’adhésion à la conception dynamique lui est liée négativement (ß = -0,17 ; p < 0,005).

Discussion

Le premier objectif de cette étude visait à vérifier la relation entre les deux conceptions de l’intelligence lorsqu’elles sont mesurées séparément. Les résultats ne permettent pas d’affirmer que ces conceptions sont des visions nécessairement opposées du développement de l’intelligence. La relation qui les unit est certes négative, mais son ampleur est plutôt modeste. L’idée de considérer qu’être en désaccord avec les items exprimant une théorie statique signifie qu’on soit d’accord avec une théorie dynamique vient d’une étude d’Henderson (1990, dans Dweck et al., 1995) dans laquelle on demandait aux sujets de justifier leurs réponses : ceux qui exprimaient leur désaccord avec les items reliés à la théorie statique donnaient des justifi- cations que les auteurs estimaient être associées à la conception dynamique.

Plusieurs autres auteurs ont cependant déjà postulé la coexistence des deux conceptions chez une même personne (Anderson, 1995 ; Darley, 1995 ; Schunk, 1995). Ainsi, selon Darley (1995), nous sommes constamment exposés à des arguments qui parfois soutiennent l’une des conceptions, parfois l’autre. D’une certaine façon, conclut-il, nous savons tous que l’intelligence est à la fois fixe et malléable. Schunk (1995) semble assez d’accord avec cette position. Selon lui, dans certains domaines comme l’éducation par exemple, une personne peut fort bien considérer qu’il existe effectivement une limite à son intelligence qu’aucun effort ne permettra de surpasser, de sorte qu’ayant à se prononcer sur les énoncés indiquant une conception statique, elle se dira d’accord avec ceux-ci. Cependant, cette personne peut en même temps, malgré tout, estimer tellement élevée cette limite, qu’avec des efforts et de la persévérance elle peut progresser, augmenter sa compétence, et se rapprocher de cette limite. Ayant cette fois à se prononcer sur les énoncés indiquant une conception dynamique, elle se dira également d’accord avec ceux-ci. Rappelons aussi l’étude de Bergen (1991) qui a montré que, lorsqu’on leur fait lire un texte défendant l’une ou l’autre des deux positions, les personnes vont par la suite se dire d’accord avec celle à laquelle elles viennent d’être exposées. Cela suggère que la prégnance, ou même la simple présence d’arguments soutenant une conception plutôt que l’autre, peut suffire pour que la personne adhère à un moment donné à une conception particulière, sans que cela ne préjuge cependant de son opinion sur l’autre. Autrement dit, les deux conceptions ne sont pas antinomiques et l’adhésion de la personne à l’une ne s’oppose pas à son adhésion à l’autre, des arguments différents étant disponibles pour justifier chacune.

Enfin, il faut bien aussi soulever le problème du contenu ou des dimensions auxquelles se réfère la personne quand on la questionne sur sa conception de l’intelligence comme étant statique ou dynamique. Ainsi, ayant à se prononcer sur cette question, elle pourra, par exemple, se centrer sur une définition fondée sur la capacité d’abstraction de la pensée et sur la vitesse de traitement de l’information, ou se centrer sur la capacité d’acquérir un vocabulaire plus riche, de développer des connaissances générales plus vastes, et d’améliorer son jugement. Se fondant sur le contenu de la première dimension, elle pourra être encline à se prononcer en faveur du caractère statique de l’intelligence, et inversement pour le caractère dynamique si elle privilégie plutôt les capacités nommées dans la seconde dimension. C’est ce que pourraient suggérer les résultats de l’étude de Braten et Olaussen (1998) menée auprès de sujets universitaires de premier cycle. Les auteurs n’ont observé qu’une relation de 0,47 entre le jugement sur le caractère fixe ou malléable d’un ensemble de facultés mentales particulières (attention, curiosité intellectuelle, raisonnement logique, etc.) et la réponse des sujets à une question générale leur demandant dans quelle mesure ils croyaient que l’intelligence se développe. Manifestement, le contenu auquel les sujets assimilaient la notion d’intelligence dans la question générale ne recoupait qu’en partie les facultés mentales spécifiées dans leur instrument.

Le deuxième objectif de cette étude visait à vérifier certaines prédictions du modèle de la motivation scolaire de Dweck et ses collaborateurs quant aux relations entre le type de buts poursuivis et les conceptions de l’intelligence. À cet effet, les auteurs affirment que l’adhésion à une conception dynamique conduit la personne à opter pour des buts de maîtrise, et les résultats observés vont dans le sens de cette hypothèse. La conception dynamique est positivement reliée aux buts de maîtrise, mais d’autres variables, en particulier le jugement d’utilité sur la matière et la perception de sa compétence, paraissent plus importantes. De façon à départager l’importance respective des trois variables, nous avons effectué des analyses de corrélation partielle entre les buts de maîtrise et chacune des trois variables lui étant liée, en contrôlant simultanément l’effet des deux autres. Cette analyse confirme que le jugement d’utilité (r = 0,65) est la variable la plus déterminante de ce type de buts, que la perception de sa compétence (r = 0,25) lui est aussi liée, tout comme la conception dynamique (r = 0,12) mais dans une moindre mesure. Bref, les résultats appuient l’hypothèse, mais plutôt faiblement.

Les auteurs postulent aussi qu’une conception statique de l’intelligence incite à adopter des buts de performance. Nos résultats montrent cependant que les deux conceptions semblent pareillement reliées à ce type de buts. Là encore, nous avons procédé à des analyses de corrélation partielle entre les buts de performance et chacune des quatre variables lui étant liées dans l’analyse de la régression, en contrôlant simultanément l’effet des trois autres. Les résultats indiquent que seule la perception de sa compétence demeure reliée (r = 0,32) aux buts de performance. Cependant, il faut rappeler que la mesure de ces buts diffère quelque peu de celle généralement utilisée par les auteurs du modèle. Dans la plupart de leurs études, les auteurs n’ont pas mesuré directement les buts, mais ils les ont plutôt inférés à partir des comportements des sujets. Ils concluaient que, devant un choix parmi un ensemble de tâches de difficulté variable, le sujet optant pour une tâche facile manifestait par là sa préoccupation pour la performance, alors que celui optant pour une tâche difficile manifestait sa préoccupation pour la maîtrise. Bref, quand on mesure directement les buts de performance, sans les confondre avec ceux d’évitement du travail, il ne semble pas que l’une ou l’autre des deux conceptions de l’intelligence soit reliée au choix qu’en fait la personne. Selon nos résultats, plus la personne se sent compétente, plus elle se fixe des buts de performance élevés.

Même si les buts d’évitement n’ont fait l’objet d’aucune hypothèse en relation avec les conceptions de l’intelligence, nous avons exploré la possibilité d’une telle relation. Les résultats n’indiquent rien de tel, ces buts n’étant liés qu’à une perception négative de sa compétence dans la matière, de même que de l’utilité de cette dernière. Ces deux dernières variables ont aussi été incluses dans l’étude afin d’élargir l’examen des variables associées aux buts d’apprentissage. Cela a fait voir que, sauf l’association plutôt faible entre les buts de performance et le jugement d’utilité de la matière, cette dernière variable ainsi que la perception de sa compétence paraissent nettement reliées aux buts d’apprentissage.

Il faut certes soulever la question du décalage entre les niveaux de spécificité des variables mises en relation, très spécifiques dans le cas des perceptions de l’utilité et de compétence et très globale dans le cas de la conception de l’intelligence. Il n’est donc pas surprenant que les liens observés avec la mesure des buts, elle aussi spécifique à une matière, soient plus élevés qu’avec une mesure portant sur une conception fort générale de l’intelligence.

Si l’on s’attarde cette fois aux résultats obtenus à la fin de la session, il ressort qu’une conception dynamique lui est négativement liée, alors que des relations positives sont observées avec les perceptions de compétence et les buts de performance. Ces relations positives sont peu étonnantes et s’accordent assez bien avec la documentation scientifique. Pour ce qui est des buts de performance, de plus en plus d’études montrent que lorsque ces buts visent à surpasser les autres ou à obtenir les notes les plus élevées possibles, ils sont positivement associés à un bon rendement (Boileau, Bouffard et Vezeau, 2000 ; Bouffard, Boisvert, Vezeau et Larouche, 1995 ; Church, Elliot et Gable, 2000 ; Elliot, McGregor et Gable, 1999 ; Harachiewicz, Barron, Carter, Lehto et Elliot, 1997 ; Harackiewicz, Barron, Tauer, Carter et Elliot, 2000 ; Kaplan et Midgley, 1997 ; Pintrich, 2000 ; Skaalvik, 1997 ; Wolters, Yu et Pintrich, 1996). Ces résultats remettent de nouveau en cause le caractère négatif longtemps attribué aux buts de performance quant au rendement scolaire. Selon Harackiewicz (Harackiewicz, Barron et Elliot, 1998 ; Harackiewicz et al., 2000), il s’agissait d’une conclusion prématurée issue du flou conceptuel entourant les premières définitions des buts de performance. Lorsqu’ils mettent l’accent sur la poursuite et l’atteinte par l’élève de buts élevés, ces objectifs sont favorables à son rendement scolaire. Cette fois, au regard de la relation entre les perceptions de compétence et le rendement, le résultat obtenu dans cette étude est à ajouter à ceux déjà nombreux ayant montré l’importance prédominante des perceptions de compétence dans l’engagement et le rendement (Bandura, 1986 ; Berry et West, 1993 ; Borkowski, Carr, Rellinger et Pressley, 1990 ; Bouffard-Bouchard, 1990, 1992 ; Bouffard-Bouchard et Pinard, 1988 ; McCombs, 1989 ; Mone, Baker et Jeffries, 1995 ; Multon, Brown et Lent, 1991 ; Zimmerman, 1986 ; Zimmerman et Martinez-Pons, 1990 ; Zimmerman, Bandura et Martinez-Pons, 1992). La plupart de ces études ayant cependant été réalisées auprès d’ élèves plus jeunes, l’intérêt particulier de celle-ci est d’avoir montré que la perception de sa compétence constitue aussi chez des sujets plus âgés un déterminant de la qualité de leurs apprentissages.

Enfin, il faut bien admettre que même si elle est modeste, la relation négative observée entre la conception dynamique de l’intelligence et le rendement est étonnante. Notre recension des écrits n’a pas permis de trouver une seule étude ayant examiné les rapports entre ces deux variables. La documentation scientifique intéressée aux conceptions de l’intelligence dans la perspective de son caractère dynamique ou statique est peu abondante et c’est par l’intermédiaire des buts d’apprentissage que ces conceptions sont, en principe, reliées au rendement. Selon le résultat obtenu ici, ce serait les personnes obtenant les rendements les moins élevés qui seraient davantage d’accord avec une conception dynamique de l’intelligence. Cela pourrait s’expliquer par le fait que, sachant qu’elles doivent consentir davantage d’efforts que d’autres pour réussir, ces personnes considèrent qu’il existe une certaine zone dans laquelle elles peuvent progresser. Si cette explication a quelque sens, on devrait s’attendre à ce que, lorsque des personnes sont réparties en deux groupes selon la méthode de Dweck et Henderson (1989), les personnes classées comme ayant une conception dynamique élevée rapportent des perceptions de compétence plus faibles que celles classées dans le groupe faible. Les résultats de l’analyse faite pour examiner cette hypothèse montrent que c’est bien le cas : les personnes classées dans le groupe élevé pour la conception dynamique rapportent des perceptions de compétence moins élevées [x̄ = 4,30 par rapport à x̄ = 4,48 ; F(1, 485) = 4,47, p < 0,05] que celles classées dans le groupe faible.

Pour terminer, cette étude a montré que bien plus que la conception de l’intelligence de la personne, ce sont la perception de sa compétence dans un domaine d’apprentissage et l’utilité qu’elle attribue à celui-ci qui contribuent à son engagement cognitif envers des objectifs particuliers, et en bout de piste à la qualité du rendement qu’elle parvient à atteindre.