Corps de l’article

En février 2004, grâce au dynamisme de l’équipe du laboratoire de recherche du LCF (Laboratoire de recherche sur les langues, les textes et les communications dans les espaces créolophones et francophones), un colloque a rassemblé, à la Réunion, plus d’une vingtaine de chercheurs sur le thème Situations scolaires plurilingues. Il s’agissait de faciliter l’émergence d’une réflexion sur la question de l’enseignement dans des situations de pluralité linguistique en contextes sensibles, de présenter quelques résultats de recherche et de détailler des scénarios d’intervention. Plus précisément, il s’agissait aussi de questionner les défis et les enjeux de l’introduction d’une langue minorée, le créole réunionnais, en contexte scolaire.

La grande force de l’ouvrage résultant de ce colloque tient au fait que l’on trouve là des textes variés de chercheurs spécialistes des îles de l’océan Indien, des Antilles, de la Guyane, mais aussi d’Europe et d’Amérique. Ces chercheurs oeuvrent dans les disciplines complémentaires de la didactique des langues, de la linguistique, de la sociolinguistique, de l’anthropologie sociale, etc. et ont le plus souvent une expérience déterminante dans le domaine de la formation des enseignants.

Dans la première partie, sept textes différents offrent un portrait de la complexité de La situation réunionnaise en abordant plusieurs points tels que : les rapports entre l’école réunionnaise et le contexte sociolinguistique dans lequel elle s’insère, les politiques et les situations linguistiques du point de vue des relations familles-écoles, des enseignants, la place de la prise en compte du créole réunionnais à l’université, la formation des futurs maîtres, et enfin, les enjeux linguistiques et sociolinguistiques de l’écriture du créole et de son enseignement. Dans le cadre d’un ouvrage qui se veut plus large, les directeurs soulignent que la présentation de cette situation réunionnaise est conçue comme un point d’ancrage et sert de référent à d’autres lieux et à d’autres communautés.

Ainsi, la deuxième partie, Des situations en écho, comprend quatre textes qui permettent d’établir des points de comparaison tout à fait pertinents avec des situations linguistiques présentes en Amérique andine, en Guyane, à Madagascar et à l’île Maurice.

La troisième section (six textes), Des concepts en question, permet d’approfondir des notions et des concepts clés dans le domaine, tels que le rôle de la L1 dans les acquisitions ultérieures, la question des normes, de l’identité et de l’apprentissage en situation de contact, les répertoires et les parlers bilingues, etc. L’intérêt de cette section est la réaffirmation d’une nécessaire remise en question de certains concepts, tels que la définition idéalisée du bilingue ou encore la diglossie qui a contribué à geler les perceptions autour des deux pôles créole et français. Or, une analyse plus approfondie des usages dément l’existence d’une telle bipolarisation : le contact, la cohabitation, la tangence, le frottement, le panachage de langues proches parentes, voici en contrepoint l’approche sociolinguistique qui s’impose ici (p. 4).

Enfin, la dernière partie (quatre textes) porte sur Les modèles, les expérimentations, les actions en débat. La réflexion sur les interventions didactiques à mettre en place souligne l’intérêt des approches fondées sur l’intercompréhension entre les langues parentes, la didactique des langues intégrées ainsi que l’Éveil aux langues, qui vise à sensibiliser les élèves à la diversité linguistique. Soulignons d’ailleurs que cette dernière approche, particulièrement novatrice, vient aussi d’être implantée au Canada (voir le site www.elodil.com).

Je n’aurais qu’un regret à formuler sur cet ouvrage : la question de la situation des élèves immigrants y est rapidement abordée à différentes reprises ; il aurait été intéressant d’aborder explicitement et en soi cette dimension qui constitue, particulièrement dans certains pays marqués par des enjeux de dualité linguistique et d’immigration comme le Québec et la Catalogne, une autre forme de contexte sensible.

En conclusion, il s’agit d’un excellent ouvrage qui offre une vision panoramique très intéressante à tout chercheur et enseignant qui se questionne sur la façon dont l’école doit prendre en compte la diversité linguistique, en fonction des contextes spécifiques. Je partage entièrement l’une des conclusions des directeurs de l’ouvrage (p. 13), selon laquelle le chantier le plus urgent – nécessitant une action concertée entre des chercheurs et des pédagogues – concerne le développement de supports didactiques et de curricula plurilingues adossés aux approches plurielles des langues et des cultures expérimentées à ce jour.