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Le collectif Enseigner et former à l’éthique situe les demandes d’une formation à l’éthique dans son contexte historique : une société qui a perdu ses repères et où le citoyen, le formateur, l’élève se doivent d’élaborer leurs propres principes pour diriger leurs actions personnelles et professionnelles. Il propose une éthique de la diversité en mettant en évidence des points de vue singuliers à partir desquels on peut penser le problème de l’éthique : son rapport à la morale et à la déontologie, ses liens avec le transfert psychanalytique, les valeurs éducatives privilégiées, les dilemmes éthiques dans des actions éducatives particulières.

L’éducateur est-il inspiré par la barbarie violente ou douce de l’éducation (Faber), par la recherche de la vie bonne (Gohier), par le caractère aventureux de l’enseignement (Bourgeault), par la mise en face à face de la liberté et de la contrainte dans l’acte éducatif (Soëtard), par le passage de l’amour du maître à la rupture avec ses savoirs (de Villiers Grand-Champs), par la construction et la reconstruction de la solidarité dans les interactions (Chené), par le rôle de l’influence et du pouvoir dans la relation éducative (Desaulniers, Jutras, Legault), par le conflit des valeurs en éducation (Jeffrey), par le masque des valeurs communes (Houssaye), par l’implicite des valeurs et des théories qui sous-tendent les actions (Guibert), ou par un discours qui fait de l’éthique une stratégie managériale (Kaddouri) ? Autant de façons de nommer les questionnements éthiques, autant de points de repères qui constituent des sources multiples de l’éthique éducative (Fabre) et qui servent à donner une direction aux actions éducatives choisies, que ce soit celles des réformes, des programmes d’études ou des activités de formation. Un collectif qui entretient la réflexion éthique !

Ne serait-il pas éclairant de situer le questionnement éthique, le questionnement sur le rapport à l’autre, qu’il soit collègue, élève ou étudiant, non pas dans une optique de discontinuité historique (nous n’avons plus de repères) mais dans celle d’une continuité éthique : Comment avons-nous besoin de modifier de façon minimale nos pratiques éducatives, nos rapports à l’autre pour que nos visées éducatives prennent davantage forme ?

Si nous n’avons plus de repères, ce n’est pas qu’ils soient inexistants : c’est que nous sommes séduits par l’idée de la nouveauté et que nous croyons à chaque fois, à chaque réforme, refaire le monde. Cela tient davantage de notre difficulté à relier, à ressentir la communauté qui nous lie à ceux qui nous ont précédés, à ceux qui nous sont différents plutôt qu’à une absence de repères. Cela illustre aussi les défis de la pensée relationnelle, interactive, éthique, une pensée qui n’exclut nullement le désaccord, le différend, l’incertitude, le doute.

Les réformes qui placent l’élève au centre du processus d’enseignement-apprentissage et qui, dans leurs formes extrêmes, mettent en arrière-plan les visées éducatives du formateur seraient, de notre point de vue, des réformes qui vont à l’encontre d’une formation à l’éthique, parce que l’autre, l’enseignant ou le professeur, devient absent de l’interaction. Une telle visée éducative n’enseigne pas à rencontrer le différent, le surprenant, l’autre. Elle serait fondamentalement non-éthique puisqu’elle ne saurait enseigner le rapport à l’autre, pas plus que ne saurait le faire une approche éducative qui veut fabriquer l’autre à son image.