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Introduction

Depuis quelques années, la violence à l’école est devenue un sujet médiatique à la mode, une question politique sensible et une préoccupation centrale dans le discours des acteurs du système éducatif (Debarbieux et Blaya, 2002). Les textes traitant de violence en milieu scolaire commencent d’ailleurs souvent par égrainer une série de faits divers récents rapportés par la presse, comme pour démontrer l’actualité et l’urgence du problème (Ganty, 1995). Ce faisant, ces textes risquent de véhiculer une définition du problème qui le fait paraître nouveau, comme provenant surtout des élèves et comme étant constitué principalement d’agressions physiques. Or on peut se demander si ces a priori sont justifiés, car les informations fiables sur les phénomènes de violence en milieu scolaire sont peu nombreuses. Ce n’est que très récemment que les chercheurs ont commencé à s’intéresser systématiquement à ces phénomènes en Europe (Debarbieux et Blaya, 2001).

Au fond, à quoi se réfèrent les acteurs du monde scolaire quand ils parlent de violence à l’école ? Les écoles sont-elles réellement envahies par des violences de plus en plus graves et précoces, comme le laissent entendre certains discours ? Doit-on plutôt mettre en cause la violence que le système scolaire lui-même exerce à l’égard de certains jeunes par l’intermédiaire de l’échec, de la relégation, de l’exclusion ou, plus simplement, d’un enseignement où l’activité principale de l’élève est de s’asseoir et de se taire ? Avant tout, il s’agit de définir le problème. La violence en milieu scolaire est un phénomène social qui est généralement d’abord posé en termes politiques, médiatiques, juridiques, etc. L’enjeu pour les chercheurs consiste donc à ne pas se laisser enfermer dans ces définitions du problème (tout en étant attentifs à la demande sociale qui les accompagne) et à les interroger au regard des connaissances et des critères de leur discipline (Nicholls, 1989). En effet, la façon de définir le problème délimite les hypothèses envisageables et oriente donc immanquablement la démarche de recherche et les recommandations qui peuvent s’en dégager.

En plus d’être rares, les études systématiques disponibles sur l’ampleur réelle des phénomènes de violence présentent plusieurs limites méthodologiques importantes (Charlot et Emin, 1997 ; Debarbieux et Blaya, 2001). Premièrement, elles se basent rarement sur un échantillon représentatif, mais se limitent généralement à certaines villes ou sous-régions ou à certains types d’écoles (filières professionnalisantes, en discrimination positive, etc.). Autrement dit, on ignore si les résultats de ces études reflètent plutôt des phénomènes locaux ou s’ils peuvent être généralisés à l’ensemble d’un système d’enseignement. Deuxièmement, la formulation des questions posées dans ces études est souvent très générale. Par exemple, le type de victimation investigué n’est pas toujours clairement défini, la période couverte par l’enquête n’est pas précisée, etc. Troisièmement, la fiabilité et la validité des questionnaires utilisés font rarement l’objet d’un examen détaillé, c’est-à-dire, entre autres, que la cohérence et le regroupement des réponses selon les catégories postulées sont rarement vérifiés. De plus, les analyses statistiques restent généralement assez sommaires. Les techniques multivariées, qui permettent de prendre en compte l’effet de plusieurs variables à la fois, sont sous-exploitées et la taille des effets mis en évidence est rarement prise en compte. Autre limitation majeure, les enquêtes existantes ne concernent le plus souvent que les élèves et portent uniquement sur les violences au sein même de l’école. Le point de vue des équipes éducatives est souvent peu détaillé, et ce qui se passe hors de l’école est presque toujours ignoré. Finalement, les conséquences de la violence ont été peu étudiées de façon systématique, c’est-à-dire qu’on connaît mal l’impact réel des événements répertoriés.

L’objectif de la présente étude est de combler en partie ces lacunes et de dresser un tableau le plus fidèle possible des phénomènes de violence dans l’enseignement secondaire de la Communauté française de Belgique. Ce système d’enseignement est de taille relativement modeste — environ 335 000 élèves pour l’année scolaire 1995-1996 (EuryBase, 2001) —, ce qui a l’avantage de permettre un échantillonnage représentatif à un coût abordable. La méthode retenue est celle de l’enquête de victimation, qui consiste à interroger les gens à propos des événements dont ils ont été directement victimes. Dans cette enquête, nous nous sommes intéressés non seulement aux faits pouvant être définis sur une base légale, mais également à d’autres catégories d’événements susceptibles d’être vécus comme des « micro-victimations » par ceux qui y sont confrontés. Pour les élèves, il s’agit du sentiment d’être rejeté par ses pairs (Juvonen, Nishina et Graham, 2000). Pour les membres des équipes éducatives, il s’agit de l’indiscipline et de l’absentéisme des élèves (Friedman, 1995). La méthode de l’enquête de victimation permet de recueillir des informations de façon beaucoup plus rapide et, en un sens, beaucoup plus fiable qu’une recension des faits de violence, puisque les données de victimation autorapportée ne doivent pas transiter par la structure institutionnelle (Carra et Sicot, 1997).

Au-delà de la nature et de l’ampleur des phénomènes de violence, une autre question importante consiste à identifier à quels facteurs sont associés ces phénomènes. Mieux connaître les facteurs reliés positivement ou négativement à l’ampleur des victimations est une étape fondamentale dans l’élaboration d’actions de prévention ou d’interventions, en ce qui concerne la violence à l’école. On peut par exemple s’interroger sur le rôle des caractéristiques de la population d’élèves fréquentant chaque établissement (Debarbieux, Dupuch et Montoya, 1997). On peut aussi s’intéresser aux relations entre victimations et caractéristiques socio-démographiques (sexe, âge, profession des parents, nationalité des parents, etc.) ou scolaires (doublement, filière d’enseignement, résultats, etc.) des élèves ou des enseignants (Guerra, Huesmann, Tolan, Van Acker et Eron, 1995). Si intéressants qu’ils soient, ces facteurs échappent cependant largement au champ d’action des équipes éducatives. Il nous a donc paru pertinent d’inclure dans cette enquête des facteurs reflétant le type de pratiques éducatives et organisationnelles mises en place dans les établissements scolaires, davantage sous le contrôle des équipes éducatives et susceptibles d’avoir une incidence sur les phénomènes de violence. À partir des résultats disponibles dans la littérature, nous nous sommes intéressés aux perceptions des élèves relatives à la qualité des interactions entre enseignants et élèves et aux structures de buts reflétées par les pratiques pédagogiques des enseignants (Midgley, 2002). Chez les enseignants, le rôle de la perception de la manière dont la fonction de leadership est assurée et du soutien perçu de la part des collègues (Van Dick et Wagner, 2001) a été examiné. Prenant en compte à la fois la composition du public des établissements, les caractéristiques individuelles et les perceptions du contexte scolaire, un objectif de cette enquête est donc d’identifier les facteurs liés à la victimation en milieu scolaire.

Enfin, une autre question qui se pose est celle de l’impact de différentes formes de violence. Toutes les formes de violence à l’école ont-elles le même retentissement dans la vie des personnes ? Les violences physiques ont-elles plus d’impact que les autres formes de violence ? Est-ce plutôt le caractère répétitif d’une atteinte qui porte à conséquence ? Dans cette étude, nous nous sommes intéressés aux liens entre différentes formes de victimation et le niveau de violence perçu au sein de l’établissement fréquenté, ainsi que le sentiment d’insécurité à l’école. Les relations entre différentes formes de violence et le bien-être subjectif (symptômes de dépression), ainsi que les conduites de protection (éviter certains endroits, ne pas rester seul, etc.), ont également été examinées. Grâce à ces quatre indicateurs, l’objectif est de mieux cerner les formes de violence qui ont le plus d’incidence sur la qualité de vie des personnes fréquentant les établissements scolaires. Cette démarche nous semble un complément utile aux tentatives de définition et de quantification des phénomènes de violence. En prenant en compte le vécu des victimes, elle permet d’évaluer ces phénomènes autrement que selon une grille de lecture juridique ou morale.

En résumé, la présente enquête vise à répondre aux questions suivantes, tant du point de vue des élèves que du point de vue des enseignants : (1) Quelle est la fréquence de différents types de victimation à l’école et en dehors de l’école ? (2) Quels sont les facteurs qui permettent de prédire ces victimations ? (3) Quel est l’impact de ces victimations sur le sentiment d’insécurité, le bien-être subjectif et les conduites ? Dans un souci de clarté et de concision, nous chercherons en priorité à dégager des tendances globales plutôt qu’à examiner précisément l’une ou l’autre variable.

Méthode

Échantillon et procédure

L’échantillonnage a été réalisé en deux étapes. Pour commencer, les implantations ont été sélectionnées selon une probabilité proportionnelle à la taille de celles-ci. Ensuite, un nombre constant d’élèves a été prélevé dans chaque implantation retenue. Cette procédure permet d’obtenir un échantillon autopondéré. Environ 5000 élèves et 1500 membres des équipes éducatives provenant d’une quarantaine d’établissements appartenant aux différents réseaux et réparties sur tout le territoire géographique de la Communauté française de Belgique ont participé à cette enquête (la composition de cet échantillon est détaillée dans le Tableau 1).

Tableau 1

Composition de l’échantillon

Composition de l’échantillon

Note. CE = Communauté européenne.

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Cinquante questionnaires destinés aux membres des équipes éducatives ont été distribués dans chaque établissement. Les questionnaires destinés aux élèves ont été remplis en classe sous la direction d’un chercheur. Les classes d’élèves et les membres des équipes éducatives ont été choisis de manière aléatoire, et la procédure garantissait l’anonymat des répondants. L’enquête a eu lieu aux mois de mai et juin 2000[1].

Mesures

Certaines questions ont été posées à la fois aux élèves et aux équipes éducatives, de façon à permettre de comparer leurs réponses. D’autres questions ont été posées uniquement aux élèves ou uniquement aux équipes éducatives. La structure des échelles regroupant plusieurs items a été vérifiée au moyen d’analyses factorielles.

Questions posées aux élèves et aux membres des équipes éducatives

Victimations

Une liste de 11 actes de victimation a été établie : les rumeurs, les insultes racistes, les moqueries, les intimidations verbales, le racket, les vols, la dégradation volontaire de matériel, les menaces avec objets ou armes, les coups, la proposition de drogue, les attouchements ou actes sexuels non désirés. Chacun des actes était défini le plus clairement possible, en se basant si possible sur sa définition légale. Les participants étaient priés de rapporter la fréquence (de jamais à quatre fois et plus) à laquelle ils y avaient été confrontés sur une période de cinq mois (ici, depuis les vacances de Noël). Ceux qui avaient été victimes au moins une fois d’un fait particulier étaient amenés par la suite à en préciser le ou les responsable(s). Une distinction a été établie entre les faits qui se produisaient dans l’école et en dehors de celle-ci, afin de permettre certaines comparaisons par la suite.

Perception du niveau de violence dans l’école

Il était également demandé aux participants d’évaluer la fréquence à laquelle dix faits de violence se produisent selon eux dans leur établissement scolaire (échelle de réponse de 0 = « jamais » à 4 = « très souvent »). Ces différents actes de violence sont les suivants : vandalisme, insultes, menaces, vols, agressions sexuelles, racket, coups et blessures, bagarres, drogue ou alcool, menaces avec objets usuels ou armes (alpha = 0,87 pour les élèves et 0,83 pour les membres des équipes éducatives).

Sentiment d’insécurité

Les six questions de cette échelle avaient pour but d’évaluer dans quelle mesure les participants se sentent en sécurité dans leur école et aux alentours de celle-ci (échelle de réponse de 0 = « pas du tout d’accord » à 4 = « tout à fait d’accord »). Par exemple : « Je suis stressé(e) à l’idée de venir à l’école », « J’ai peur de me faire agresser quand j’arrive ou quitte l’école » (alpha = 0,74 pour les élèves et 0,66 pour les membres des équipes éducatives).

Échelle de dépression de Moos

Il s’agit d’un ensemble de 13 items validés qui mesurent la fréquence de symptômes de dépression chez les participants (Billings et Moos, 1982). La dépression est un trouble émotionnel majeur qui a de nombreuses conséquences négatives, dont le fait d’être un facteur de risque pour les tentatives de suicide (alpha = 0,90 pour les élèves et pour les membres des équipes éducatives).

Stratégies de protection

Les participants étaient amenés à se positionner sur les stratégies de protection qu’ils mettent en oeuvre lorsqu’ils se sentent insécurisés. Cette échelle, qui s’inspire en partie de Carra et Sicot (1997), est composée de six items tels que « Je m’arrange pour être accompagné(e) d’une autre personne » ou « J’évite certains endroits » (échelle de réponse de 0 = « jamais » à 4 = « très souvent » ; alpha = 0,83 pour les élèves et 0,74 pour les membres des équipes éducatives).

Questions posées uniquement aux élèves

Perceptions du contexte scolaire

Il était demandé aux participants de se positionner par rapport à des affirmations relatives au contexte organisationnel et pédagogique de leur école (échelle de réponse de 0 = « pas du tout d’accord » à 4 = « tout à fait d’accord »). Trois groupes de questions leur étaient posées. Un premier groupe de cinq questions portait sur des pratiques pédagogiques susceptibles de favoriser l’apprentissage et le développement optimal des capacités de tous les élèves (structure centrée sur l’apprentissage, alpha = 0,62). Un deuxième groupe de quatre questions portait sur des pratiques pédagogiques focalisées sur la sélection et la promotion des élèves les plus performants (structure centrée sur la compétition, alpha = 0,70). Dans un troisième groupe de dix questions, il était demandé aux élèves dans quelle mesure les membres de l’équipe éducative de leur école se comportaient envers eux de manière respectueuse, équitable et soutenante (relations enseignants-élèves, alpha = 0,82). Ces questions ont fait l’objet d’une validation et sont documentées comme étant déterminantes pour le vécu scolaire des élèves (Galand et Dupont, 2002).

Sentiment d’exclusion

Quatre questions portaient sur la manière dont les élèves se sentent intégrés au sein de leur école (échelle de réponse de 0 = « tout à fait faux » à 4 = « tout à fait vrai »). Par exemple : « Dans cette école, je me sens exclu(e) par certaines personnes », « Dans cette école, certaines personnes me rejettent » (alpha = 0,78).

Relation avec le père et la mère

Deux questions portaient sur la qualité des relations que l’élève entretient, de son point de vue, avec son père et sa mère.

Nombre d’ami(e)s à l’école

Les élèves étaient priés d’indiquer le nombre d’ami(e)s qu’ils avaient dans l’établissement fréquenté.

Résultats scolaires

Il était demandé à chaque élève de situer son niveau de résultats par rapport aux autres élèves de sa classe.

Questions posées uniquement aux membres des équipes éducatives

Perceptions du contexte professionnel

Il s’agissait pour les participants d’émettre une opinion sur le contexte général de leur école (échelle de réponse de 0 = « pas du tout d’accord » à 4 = « tout à fait d’accord »). Les résultats de l’analyse factorielle indiquent que les réponses se regroupent suivant deux dimensions couvrant respectivement 37 % et 17 % de la variance. Neuf items portent sur la façon dont la fonction de leadership est assurée dans l’établissement, par exemple : « Si vous avez un problème, vous savez que vous pouvez compter sur l’appui de la direction », « La coordination des équipes pédagogiques est encouragée » (leadership, alpha = 0,89). Trois items concernent la nature des relations entre collègues, par exemple : « Il y a des conflits entre les membres de l’équipe éducative » (relations avec les collègues, alpha = 0,60).

Indiscipline des élèves

Il s’agissait pour les enseignants d’indiquer à quelle fréquence, pendant leurs heures de cours, se produisent une série de petits incidents liés au non-respect des consignes par les élèves (échelle de réponse de 0 = « jamais » à 4 = « très souvent »). Ces incidents sont par exemple : « manger ou boire », « garder sa veste, sa casquette, etc. », « circuler sans permission », « écouter un walkman » (alpha = 0,92). Une question spécifique portait également sur l’absentéisme des élèves.

Figure 1

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les élèves

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les élèves

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Figure 2

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les élèves

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les élèves

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Figure 3

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les membres des équipes éducatives

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les membres des équipes éducatives

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Figure 4

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les membres des équipes éducatives

Fréquence moyenne et pourcentage de victimes par type de victimation à l’école pour les membres des équipes éducatives

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Résultats

Victimations : quoi, qui, combien ?

Les taux de victimation à l’école pour les différents faits étudiés figurent dans les Figures 1 et 2 pour les élèves et dans les Figures 3 et 4 pour les membres des équipes éducatives. Ces figures présentent à la fois la fréquence moyenne de chaque type de victimation sur une échelle de 0 = jamais à 3 = quatre fois et plus (Figures 1 et 3) et le pourcentage de personnes victimes au moins une fois par type de fait étudié (Figures 2 et 4). La première chose qui saute aux yeux est la différence des taux entre jeunes et adultes. Les élèves sont les premières victimes, loin devant les membres des équipes éducatives, et ce, pour tous les faits. Le deuxième constat évident est la prépondérance des atteintes verbales, suivies par les atteintes contre les biens, puis par les atteintes physiques. Les faits les plus graves d’un point de vue pénal sont les moins fréquents et touchent le moins de personnes.

Qui sont les auteurs de ces différents actes ayant eu lieu au sein des établissements scolaires ? Suivant les faits, les élèves se déclarent victimes d’autres élèves dans 54 à 87 % des cas (moyenne = 72 %) et de membres des équipes éducatives dans 2 à 18 % des cas (moyenne = 8 %). Les membres des équipes éducatives, quant à eux, rapportent être victimes de certains élèves dans 40 à 94 % des cas (moyenne = 79 %) et d’autres membres des équipes éducatives dans 4 à 59 % des cas (moyenne = 17 %). Seule une très faible proportion des atteintes ayant lieu dans l’école est attribuée à des personnes de l’extérieur. Les atteintes subies hors de l’école sont par contre majoritairement le fait de personnes qui ne fréquentent pas l’établissement.

Le risque de victimation est-il plus élevé dans l’école qu’à l’extérieur de celle-ci ? Pour faciliter la lecture des données, nous avons regroupé les différents actes de victimation énumérés dans le questionnaire en quatre catégories, fondées sur des distinctions d’ordre juridique, que nous utiliserons dans les analyses qui suivent. La première catégorie, relative aux atteintes verbales, regroupe les insultes racistes, les rumeurs, les moqueries et les intimidations verbales. La seconde, relative aux atteintes physiques, regroupe le racket, les menaces avec objets ou armes, les coups et les attouchements ou actes sexuels non désirés. La troisième, relative aux atteintes aux biens, regroupe les vols et la dégradation du matériel. La quatrième catégorie concerne la proposition de drogue, qui constitue plus un facteur de risque qu’une victimation proprement dite et qui a été traitée séparément (Hawkins, Catalano et Miller, 1992). La fréquence à laquelle les actes répertoriés dans ces quatre catégories surviennent dans l’école a été comparée avec la fréquence de ces actes à l’extérieur de celle-ci. Pour les élèves, les résultats montrent que les victimations sont plus fréquentes à l’extérieur de l’école qu’au sein de celle-ci, sauf pour les plus jeunes, chez qui elles sont aussi fréquentes, voire plus fréquentes, à l’intérieur de l’école qu’à l’extérieur (les fréquences diminuent avec l’âge au sein des écoles, mais restent stables en dehors). Pour les membres des équipes éducatives, les résultats indiquent que les atteintes physiques et les atteintes contre les biens sont aussi fréquentes à l’intérieur de l’école qu’à l’extérieur, mais que les atteintes verbales sont plus fréquentes dans l’école qu’en dehors.

Signalons encore que le sentiment de rejet par les pairs est assez peu présent chez les élèves (M = 1,2 ; E-T = 0,9 ; sur une échelle de 0 à 4). De même, la fréquence des incidents disciplinaires rapportés par les enseignants est assez faible (M = 1,4 ; E-T = 0,8), mais l’absentéisme des élèves est perçu comme plus répandu (M = 2,4 ; E-T = 0,9).

Prédicteurs de la victimation

Des analyses de régression ont été réalisées en utilisant la méthode pas à pas (stepwise, Howel, 1998). Vu la taille de l’échantillon et le nombre de variables concernées, un seuil d’inclusion de 0,001 a été adopté. De plus, afin de ne pas encombrer les tableaux avec des effets négligeables, les variables entraînant un changement de la valeur du R2 inférieur à 0,005 ont été exclues et le total ajusté. En plus des réponses des participants à différentes questions qui leur étaient posées, plusieurs caractéristiques de la composition de l’établissement fréquenté par chaque participant ont été incluses dans les équations de régression (nombre d’élèves fréquentant l’établissement, niveau socio-économique moyen du quartier de résidence des élèves, retard scolaire moyen, pourcentage d’élèves nés en Belgique, proportion d’élèves en filières qualifiantes par rapport aux filières de transition[2]). Conformément aux objectifs de cet article, dans la présentation des résultats de ces analyses l’accent est surtout mis sur les effets récurrents et les patrons qui émergent, plutôt que sur le détail de chaque coefficient pour chacune des variables.

Tableau 2

Indices bêta des régressions pas à pas pour les victimations subies par les élèves comme variables dépendantes

Indices bêta des régressions pas à pas pour les victimations subies par les élèves comme variables dépendantes

Notes. N = 2964 ; A : atteintes subies ; filières : Q = de qualification, T = de transition ; sexe : 0 = féminin, 1 = masculin ; tous les coefficients présentés sont significatifs à p < 0,001.

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Chez les élèves

Comme l’indiquent les résultats présentés dans le Tableau 2, les atteintes subies à l’école diminuent avec l’avancement dans le cursus, mais l’exposition à la drogue augmente avec l’âge. Les atteintes verbales mises à part, les garçons sont plus souvent victimes que les filles, sauf pour le rejet social où la tendance s’inverse. Les autres caractéristiques socio-démographiques ou scolaires n’ont pas d’effet systématique. De bonnes relations avec ses parents apparaissent comme un léger facteur de protection contre l’exposition à la drogue et le rejet social. Le fait d’avoir des amis à l’école est associé avec une moindre victimation à l’école. Des interactions de qualité entre enseignants et élèves ont un effet similaire, alors que des pratiques d’enseignement qui mettent l’accent sur la compétition sont associées avec une légère augmentation de la victimation.

Tableau 3

Indices bêta des régressions pas à pas pour les victimations subies par les enseignants comme variables dépendantes

Indices bêta des régressions pas à pas pour les victimations subies par les enseignants comme variables dépendantes

Notes. N = 1038 ; A : atteintes subies ; filières : Q = de qualification, T = de transition ; sexe : 0 = féminin, 1 = masculin ; tous les coefficients présentés sont significatifs à p < 0,001.

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La composition de l’établissement fréquenté n’a quasiment aucun effet notable, si ce n’est une plus grande exposition à la drogue dans les établissements où le retard scolaire moyen est plus important.

Chez les enseignants

À la lecture du Tableau 3, on peut noter que la victimation est positivement associée au retard scolaire moyen des élèves de l’établissement fréquenté, ainsi qu’avec la proportion d’élèves nés à l’étranger. Il faut noter que ces facteurs de risque n’apparaissent pas chez les élèves ; ils sont donc spécifiques aux relations entre élèves et équipe éducative.

Par ailleurs, mieux le leadership est assuré, plus le risque de victimation est bas. En d’autres termes, plus les enseignants se sentent soutenus par leur direction et partie prenante d’une équipe ayant un projet cohérent, moins ils rapportent être victimes de « violences » à l’école. Le fait d’avoir de bonnes relations avec ses collègues est associé avec un risque moins élevé d’atteintes verbales et physiques. Enfin, le sexe, la filière et le cycle d’enseignement ont de légers effets sur l’exposition à l’indiscipline des élèves, mais non sur les atteintes subies. Être une femme et enseigner dans des filières qualifiantes est très légèrement associé à davantage d’incidents disciplinaires et d’absentéisme des élèves. De plus, les enseignants du cycle supérieur rapportent moins d’indiscipline, mais davantage d’absentéisme. Le très faible pouvoir de prédiction relativement aux atteintes physiques et aux atteintes contre les biens tient probablement à leur variance très réduite.

Mesures d’impact

En moyenne, le niveau de violence perçue dans l’école, le sentiment d’insécurité à l’école, le niveau de dépression et la mise en oeuvre de stratégies de protection sont assez faibles (sur une échelle de 0 à 4, toutes les moyennes sont inférieures à 1,5). La fréquence perçue d’une série de faits de violence au sein de l’école est identique chez les élèves et chez les adultes (M = 1,33 versus 1,35). Comparés aux membres des équipes éducatives, les élèves rapportent par contre se sentir plus insécurisés (M = 1,35 versus 0,95), plus déprimés (M = 1,38 versus 0,97) et mettre en place davantage de stratégies de protection (M = 1,36 versus 0,78), toutes ces différences étant statistiquement significatives (p < 0,001). L’examen détaillé de ces stratégies indique que le fait d’amener un objet défensif à l’école est exceptionnel, c’est d’ailleurs la stratégie de protection la moins employée parmi celles qui sont proposées.

Comme pour les victimations, l’importance de différents facteurs prédictifs a été évaluée au moyen d’analyses de régression multiple.

Chez les élèves

Les résultats présentés dans le Tableau 4 montrent que le sentiment d’insécurité diminue avec l’avancement dans le cursus, mais que les symptômes de dépression augmentent. Les filles rapportent davantage de symptômes de dépression et disent opter davantage pour des stratégies d’évitement et de soutien social que les garçons. Les élèves des filières qualifiantes rapportent ressentir plus d’insécurité, mais avoir moins recours à des conduites de protection. Les résultats figurant dans le Tableau 4 indiquent aussi que les faits de violence sont perçus comme d’autant plus fréquents au sein de l’école que la personne a elle-même été victime de violence à l’école et qu’elle estime les occasions d’interaction offertes par les enseignants de qualité moindre. Quant au sentiment d’insécurité, il est d’autant plus élevé que l’élève est victime d’atteintes verbales, qu’il perçoit un niveau élevé de violence dans son école et qu’il se sent rejeté. Ces mêmes facteurs sont également associés à davantage de symptômes de dépression. De plus, un élève se dit d’autant plus déprimé qu’il a de moins bons résultats scolaires et qu’il juge moins bonnes ses relations avec ses parents. Enfin, le recours à des stratégies de protection est positivement associé au sentiment d’insécurité, à la qualité des interactions enseignants-élèves et au rejet social.

Tableau 4

Indices bêta des régressions pas à pas pour les indicateurs de qualité de vie à l’école chez les élèves

Indices bêta des régressions pas à pas pour les indicateurs de qualité de vie à l’école chez les élèves

Notes. N = 2625 ; filières : Q = de qualification, T = de transition ; sexe : 0 = féminin, 1 = masculin ; ext. : hors de l’école ; tous les coefficients présentés sont significatifs à p < 0,001.

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Concernant la composition des établissements, on note uniquement une perception plus élevée de violence là où le retard scolaire est plus répandu et un sentiment plus fort de sécurité parmi les publics économiquement plus favorisés.

Chez les enseignants

L’examen du Tableau 5 révèle un effet négatif de la fréquence des atteintes verbales sur toutes les perceptions et réactions étudiées. La fréquence de ces atteintes, l’indiscipline, l’absentéisme des élèves et la qualité du leadership ont tous un lien direct avec le niveau de violence perçu dans l’école. Un leadership perçu comme déficient, des atteintes verbales, des incidents disciplinaires et un absentéisme fréquents sont associés à la perception d’un niveau de violence plus important au sein de l’établissement. Par contre, le fait d’enseigner dans le cycle supérieur et d’avoir été victime d’atteinte physique en dehors de l’école présente des liens avec un plus faible niveau de violence perçu à l’école. Un leadership perçu plus négativement, des atteintes verbales et des incidents disciplinaires sont également associés à un sentiment d’insécurité plus élevé. Ce sentiment d’insécurité est aussi d’autant plus intense que le niveau de violence perçu dans l’école est élevé. Comme chez les élèves, on retrouve un effet du sexe sur le mode de réaction à l’insécurité. Les femmes rapportent plus d’insécurité, plus de symptômes de dépression et disent mettre en place davantage de stratégies de protection. Par ailleurs, des relations positives avec les collègues sont négativement associées à la dépression, tandis que les incidents disciplinaires, les atteintes verbales et le sentiment d’insécurité à l’école sont positivement associés au niveau de dépression.

Tableau 5

Indices bêta des régressions pas à pas pour les indicateurs de qualité de vie à l’école chez les enseignants

Indices bêta des régressions pas à pas pour les indicateurs de qualité de vie à l’école chez les enseignants

Notes. N = 820 ; A : atteintes subies ; ext. : hors de l’école ; filières : Q = de qualification, T = de transition ; sexe : 0 = féminin, 1 = masculin ; tous les coefficients présentés sont significatifs à p < 0,001.

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Les quatre indicateurs de qualité de vie à l’école retenus sont liés à certaines caractéristiques de la composition des établissements fréquentés. Généralement, moins le public d’élèves de l’établissement est favorisé d’un point de vue socio-culturel ou scolaire, moins les indicateurs sont positifs, sauf pour la dépression, qui est moins répandue dans les écoles avec un retard scolaire moyen plus élevé.

Discussion

Un des objectifs de cette enquête était de mieux cerner ce qui pose vraiment problème pour les enseignants et les élèves, au-delà des discours sur la violence à l’école. Les données recueillies permettent de définir ce qui pose problème d’après plusieurs critères : (a) le nombre de personnes touchées ou la fréquence de victimation ; (b) l’impact sur la perception du niveau de violence à l’école ; (c) l’impact sur le bien-être et la santé mentale ; (d) l’impact sur les conduites de protection ou d’évitement que les personnes mettent en oeuvre. Chez les élèves, les faits ou incidents qui correspondent à ces critères sont les atteintes verbales, principalement les moqueries, et les attitudes de rejet social, autrement dit le fait de se sentir exclus par les autres élèves et les enseignants. Bref, des difficultés liées au respect personnel et à l’acceptation sociale, qui touchent à des enjeux sans doute particulièrement sensibles pour un(e) adolescent(e) (Lehalle, 1985). Du côté des équipes éducatives, il s’agit des violences verbales également, ainsi que des incidents disciplinaires, c’est-à-dire de comportements souvent anodins, mais qui représentent des manquements au code de conduite établi par les équipes éducatives et/ou perturbent le déroulement des cours, ce à quoi on pourrait ajouter l’absentéisme des élèves. En d’autres termes, il s’agit principalement d’événements qui font obstacle à la réalisation des objectifs assignés par l’enseignant et qui semblent vécus comme une remise en cause de son rôle, de son identité professionnelle (Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit, 1999). Les violences plus « dures », comme le racket ou les menaces avec armes, sont relativement peu présentes et semblent avoir un impact limité à moyen terme. On ne peut donc réduire la violence à l’école à ces événements, ni fonder une politique scolaire uniquement sur la base de ces derniers.

La nature du problème et ses implications

À la lumière de ces résultats, il semble que ce qui fait « violence » à l’école soit assez éloigné de l’image qu’en donnent les médias ou que peut avoir le grand public, puisqu’il s’agit avant tout d’échanges verbaux, de petits manquements au code de conduite établi par les équipes éducatives, ou de difficultés relationnelles. Par ailleurs, ce sont ces petits événements répétitifs, et non les faits graves isolés, qui semblent avoir le plus d’impact sur la qualité de vie à l’école. Les grandes tendances de ces résultats rejoignent celles trouvées dans d’autres études, que ce soit pour les élèves (Carra et Sicot, 1997 ; Funk, 2001) ou pour les membres des équipes éducatives (Clémence, 2001 ; Price et Everett, 1997). On est loin de l’image d’une école envahie par une flambée de violence, même si l’on peut légitimement penser que certains faits sont trop fréquents et que l’on ne s’occupe pas assez des personnes qui en sont victimes.

Une première implication que l’on peut tirer de ces résultats est que, vu la nature même des problèmes désignés sous le terme « violence à l’école », des réponses essentiellement répressives n’auraient qu’une efficacité très limitée. En perturbant les apprentissages et en créant un climat de suspicion, des réponses de ce type risqueraient même d’aggraver la situation (Noguera, 1995 ; Hyman et Perone, 1998). Il est non pas question de nier la nécessité de sanctionner certains actes, mais bien de reconnaître que le noeud du problème n’est pas là. Il faut d’ailleurs ramener le problème à de justes proportions, l’image de l’école que donnent les élèves est globalement positive et l’école reste pour la plupart des élèves un lieu relativement protégé par rapport à l’extérieur en termes de victimation.

Tout en recadrant le problème de la violence à l’école, les résultats obtenus invitent à se départir d’un certain angélisme. Ils indiquent que certaines formes plus insidieuses de violence sont relativement répandues dans les écoles (par exemple moqueries, injures, rejet) et qu’elles s’accompagnent d’une réelle souffrance (Olweus, 1993). Ces formes de violence sont principalement le fait d’élèves, mais aussi de membres des équipes éducatives, c’est-à-dire de personnes de l’intérieur et non d’agents extérieurs qui se seraient infiltrés. Rassembler des dizaines et, plus souvent, des centaines de personnes, et espérer que de soi-même tout se passe sans le moindre heurt est sans doute illusoire. En outre, une certaine part d’agressivité et de conflit fait probablement partie de la socialisation normale des adolescents (Claes, 1983). Ce qui ne veut pas dire qu’il faille renoncer à les éduquer, mais il faut le faire sans dramatiser ou pathologiser chaque écart de conduite (Defrance, 2000). Il faut souligner l’effet marqué que paraissent avoir les atteintes verbales, malgré la dénégation ou la minimisation que manifestent souvent les élèves eux-mêmes à ce sujet. Sans doute y a-t-il un difficile équilibre à trouver entre le fait de garantir le respect de chacun(e) et l’ouverture à des « niveaux » ou des styles de langages différents. De plus, les résultats indiquent clairement que les élèves, surtout les plus jeunes, sont les premières victimes des phénomènes de violence en milieu scolaire. C’est donc eux qui semblent avoir besoin d’être protégés en priorité.

Il s’agit non pas de nier que certains individus peuvent avoir des comportements délinquants, mais d’établir que nous sommes surtout en face d’un malaise relationnel, fait de petites tensions quotidiennes entre des personnes ou des groupes de personnes se côtoyant dans l’espace scolaire. Ce malaise n’est certainement pas moins préoccupant que les faits de délinquance, mais il appelle évidemment d’autres réponses. Les événements qui « font violence » semblent en partie spécifiques à l’école, et leur intensité varie fortement d’un établissement à l’autre (Galand, 2001), d’où l’importance de s’intéresser au contexte dans lequel ces difficultés apparaissent.

Les facteurs prédictifs

Un autre objectif de cette étude était d’identifier des facteurs susceptibles de prédire les risques de victimation et leurs conséquences. Du côté des élèves, l’année et le sexe sont les seules caractéristiques socio-démographiques qui ont des effets relativement stables, quoique généralement faibles. En accord avec plusieurs recherches (Crick, Casas et Mosher, 1997 ; Schuster, 1996), les résultats indiquent un patron de réactions plus indirect et évitant chez les filles que chez les garçons. Ces derniers se déclarent plus souvent victimes, probablement parce qu’ils sont plus souvent impliqués dans des interactions ouvertement agressives. On constate aussi une diminution des victimations dans les années supérieures, diminution qui se retrouve dans beaucoup d’autres études sur la violence à l’école (Smith, Madsen et Moody, 1999). Grâce aux analyses multivariées, on constate que ni la profession des parents, ni la nationalité des parents, ni le nombre de doublement, ni le niveau de résultats scolaires, ni la filière fréquentée n’apparaissent comme vraiment déterminants pour le risque de victimation[3]. Ces résultats suggèrent que, sur le plan individuel, les caractéristiques socio-démographiques des élèves ne fournissent pas une base suffisante pour fonder des inférences. Statistiquement, ces inférences ont peu de valeur mais risquent, par contre, d’entraîner des effets de confirmation comportementale (Snyder et Haugen, 1994).

Au-delà des caractéristiques personnelles des élèves, les résultats mettent en évidence l’importance de la qualité des relations entre enseignants et élèves par rapport aux phénomènes de violence étudiés (Galand et Dupont, 2002). Plus précisément, les résultats suggèrent un impact positif de la disponibilité et de l’écoute des enseignants vis-à-vis des élèves, du soutien qu’ils leur apportent, de l’équité dont ils font preuve dans leurs rapports avec eux (Ryan et Patrick, 2001). Par contre, les résultats invitent à éviter tout comportement discriminatoire ou dévalorisant à l’encontre d’un élève, comme certaines plaisanteries faites devant toute la classe.

Vu leurs conséquences négatives, les pratiques d’enseignement qui favorisent la compétition entre élèves semblent également à proscrire (Midgley, 2002 ; Roeser, Eccles et Sameroff, 1998). Plus précisément, les résultats obtenus invitent à bannir les pratiques (a) qui augmentent la saillance de la comparaison sociale entre élèves ou la valeur qui lui est accordée, (b) qui véhiculent des attentes négatives vis-à-vis de certains élèves ou (c) qui accordent la priorité à certains élèves et en négligent d’autres.

Conformément aux résultats d’autres études (Pellegrini, Bartini et Brooks, 1999 ; Schwartz, Dodge, Pettit et Bates, 2000), les résultats soulignent également l’importance de l’intégration parmi les pairs. À cet égard, on peut s’interroger sur les relations entre sentiment de rejet et victimations : il est possible que les élèves rejetés soient des cibles privilégiées pour les agresseurs. De fait, l’inclusion du rejet social dans les équations de régression augmente leur pouvoir prédictif pour toutes les autres victimations. Il est très probable qu’il s’agisse d’un cercle vicieux, les élèves isolés socialement risquant davantage d’être choisis comme victimes, ce qui renforce leur exclusion (Egan et Perry, 1998). Les résultats indiquent en outre que le rejet social, de même que la perception de violence à l’école, est positivement associé à la présence de symptômes de dépression. Les résultats scolaires sont par contre en relation négative avec le niveau de dépression. Ces résultats sont à mettre en rapport avec ceux de Juvonen, Nishina et Graham (2000), qui indiquent un effet négatif du harcèlement par les pairs sur l’adaptation scolaire (résultats scolaires et absentéisme) du fait d’une détresse émotionnelle (solitude, dépression). Il faut aussi rappeler que la dépression est un facteur de risque pour le suicide, dont on sait les ravages chez les adolescents (Ries Merikangas et Angst, 1995). Il semble donc crucial que les équipes éducatives se soucient des interactions entre élèves, puisque leur attitude paraît avoir un effet non négligeable sur la teneur de ces interactions (Astor, Meyer et Behre, 1999 ; Olweus, 1993). Cela suppose bien entendu que les enseignants soient suffisamment formés à la gestion de classe (Boulton, 1997). Ces résultats suggèrent aussi d’encourager les activités qui favorisent la création de relations amicales entre élèves, qui permettent une certaine participation et une certaine reconnaissance des élèves.

Du côté des enseignants, on constate que la façon dont le leadership est assuré au sein de l’établissement est un prédicteur important de la fréquence des incidents disciplinaires, de la victimation et du sentiment d’insécurité (Rutter, 1983). De même que les relations avec les enseignants comptent beaucoup pour les élèves, l’attitude de l’équipe de direction semble avoir des répercussions sur les enseignants. Percevoir que sa direction se préoccupe du climat de l’école, qu’elle soutient les enseignants, qu’elle renforce la coordination et la cohérence des équipes éducatives semble avoir un effet pacificateur sur le climat d’école. En parallèle avec ce que l’on observe chez les élèves, on remarque aussi que les enseignants qui se sentent soutenus par leurs collègues se disent moins victimes d’actes agressifs. Il faut noter que le sentiment d’insécurité pourrait lui-même constituer un facteur de risque, car un enseignant anxieux face à sa classe suscite davantage de comportements perturbateurs de la part des élèves (Hart, 1987). On notera également l’importance du lien entre ce qui se vit à l’école, et pas seulement ce qui tient à la « violence » des élèves, d’une part, et le niveau de dépression, d’autre part. Le bien-être subjectif des enseignants semble largement lié à leur environnement de travail (Van Dick et Wagner, 2001). On remarque en outre que les enseignants sont confrontés à davantage de comportements problématiques dans les écoles où le retard scolaire et la proportion d’élèves nés à l’étranger sont élevés. Ces effets paraissent spécifiques aux relations entre élèves et enseignants, puisqu’ils n’ont pas de parallèle chez les élèves. Ils peuvent donc difficilement servir d’argument pour prétendre que les élèves doubleurs ou nés à l’étranger seraient plus « violents » que les autres (Galand, 2001). Mais ils soulignent certaines difficultés particulières dans la relation éducative entre ces publics d’élèves et les enseignants, peut-être dues en partie à des problèmes de relégation et de ségrégation (Payet, 1998).

Sur le plan pratique, les résultats mettent l’accent sur l’importance de l’équipe de direction et de la cohésion des équipes éducatives. Ils invitent à s’interroger sur les moyens propres à assurer aux directions d’école une disponibilité pour les membres des équipes éducative, une compétence dans la gestion des relations humaines et une légitimité suffisante (Debarbieux, Garnier, Montoya et Tichit, 1999).

Rappelons que l’échantillonnage dont bénéficie cette étude offre des bonnes garanties quant à la représentativité des résultats par rapport aux élèves de l’enseignement secondaire en Belgique francophone (à l’exception de l’enseignement spécial). La multiplicité des variables et des niveaux (individu, établissement) examinés simultanément assure également un certain contrôle de la variance, qui plaide en faveur de la validité des effets mis en évidence. Soulignons en outre la cohérence globale entre les résultats présentés et ceux qu’ont obtenus d’autres chercheurs, dans d’autres systèmes éducatifs et avec des méthodes différentes (Hayden et Blaya, 2001 ; Hyman et Perone, 1998 ; Rutter, 1983). Cette cohérence renforce bien entendu la portée des implications que l’on peut tirer de ces résultats, et suggère que celles-ci ne se limitent pas au système belge francophone.

Les résultats mettent en évidence que ce qui « fait violence » pour les élèves et les équipes éducatives est d’abord constitué de petits incidents liés au respect des personnes et des règles scolaires plutôt que de passages à l’acte délinquants. Même s’ils sont corrélationnels et ne permettent donc aucune conclusion ferme en termes de causalité, les résultats suggèrent aussi que certaines pratiques internes aux établissements ont un effet marqué sur la fréquence et les conséquences de ces incidents. Loin d’une vision fataliste, les résultats de cette étude soulignent l’importance de l’action éducative.