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Introduction

La situation[1] québécoise permet d’illustrer deux facettes particulières de la relation entre la recherche et l’action syndicale en éducation : celle de la place de la recherche au sein des organisations syndicales et celle des relations de l’action syndicale avec le milieu de la recherche. Elle permet de façon particulière de soulever la portée effective du rôle de la recherche institutionnelle au sein de l’organisation ainsi que sa contribution à la fonction d’influence inhérente à une organisation syndicale.

Dans le cas de la CSQ, l’analyse vise à explorer la contribution de la recherche, menée à l’interne ou à l’externe, au processus de renouvellement du syndicalisme ainsi qu’à l’évolution de l’éducation au Québec.

Un contexte syndical particulier

Quelques remarques s’imposent en préalable sur le contexte syndical du milieu de l’éducation de base au Québec. L’encadrement de la représentation syndicale au Québec et l’évolution historique du syndicalisme enseignant ont contribué à constituer un monopole de représentation pour l’ensemble des enseignantes et des enseignants du Québec du préscolaire, du primaire et du secondaire, incarné par la Centrale des syndicats du Québec (auparavant, la Centrale de l’enseignement du Québec). S’ajoute à ce monopole original, celui lié à la représentation des professionnelles et des professionnels des commissions scolaires (autres que le groupe enseignant) ainsi qu’une représentation partielle du groupe du personnel de secrétariat et du personnel technique. Acteur incontournable pour les uns, force implacable pour d’autres, il faut bien admettre que la CSQ joue un rôle indéniable dans l’évolution du système scolaire du Québec.

Le point de vue développé sera celui d’un acteur participant et toujours actif au sein de l’organisation syndicale dont il est question. L’analyse proposée s’appuiera avant tout sur l’observation, complétée par la référence à certains documents « phares » et complétée par des références à certains éléments d’expériences nord- américaines du syndicalisme enseignant. Les sources secondaires sont rares sur le sujet et il peut être utile, en pareil cas, de mettre à plat une expérience, sous plusieurs aspects inédits, pour favoriser une meilleure compréhension des relations de la recherche à l’action.

La période traitée part de la création d’une équipe de recherche au sein de la CSQ en 1983, car celle-ci marque une rupture avec les approches antérieures à l’égard de la recherche pour la Centrale. Le contexte historique ayant amené un tel choix mérite d’être précisé puisqu’il sert de terreau aux évolutions subséquentes. Le développement de relations nouvelles avec le milieu de la recherche découlera de la création de l’équipe de recherche, de là l’intérêt de traiter cette question dans un second temps.

L’organisation de la recherche au Québec

Parmi les éléments de contexte, il faut aussi considérer l’organisation de la recherche au Québec. L’épine dorsale du système de recherche au Québec est constituée par la recherche universitaire. Celle-ci repose sur les professeurs qui doivent concilier dans la plupart des cas enseignement, tâche administrative et recherche, et qui doivent faire appel à leurs étudiants et à quelques professionnels de recherche pour mener à bien leurs travaux. Il existe des centres ou groupes de recherche au sein des universités ou sous un mode interuniversitaire, mais même là, c’est une infime minorité des chercheurs universitaires qui se consacrent essentiellement à la recherche.

Les instituts ou centres dont le personnel se consacre entièrement à la recherche sont rares, voire inexistants en dehors du réseau de l’INRS (Institut national de la recherche scientifique). Or même à ce niveau, l’éducation, le travail et le syndicalisme demeurent les parents pauvres de la recherche. Il y a bien eu un temps l’INRS-éducation, mais voilà plus de vingt ans que sa fermeture a été décrétée. Il y a eu aussi un Institut de recherche appliquée sur le travail, financé à même les deniers publics et les contributions des organisations syndicales, géré par un conseil d’administration composé de chercheurs universitaires et de syndicalistes, un peu comme l’IRES en France, mais celui-ci n’allait pas survivre aux restrictions budgétaires et à la nouvelle vague politique du début des années 1990.

Le mode de valorisation de la recherche et de reconnaissance des professeurs d’université mérite aussi certaines considérations. L’agrégation comme professeur d’université nécessite une évaluation positive des pairs où les réalisations en matière de recherche tiennent une place importante. Les réalisations en matière de recherche s’évaluent à l’aune du volume des subventions obtenues d’organismes officiels de la recherche (avec comité d’évaluation de pairs), des publications scientifiques et du nombre d’étudiants supervisés aux études supérieures. A contrario, les contrats de recherche « en commandite » (par exemple, un contrat avec une centrale syndicale), la diffusion et la vulgarisation des résultats de recherche auprès des milieux de pratique ainsi que la participation à des colloques ou publications professionnels n’apportent rien aux chercheurs universitaires au plan de la carrière. Pire : trop de temps consacré à ces tâches nuit à la reconnaissance universitaire, puisque cela amène à désinvestir les tâches valorisées.

La recherche en éducation mérite toutefois certaines remarques particulières. Les facultés ou départements des sciences de l’éducation des universités québécoises ont été développés avec l’objectif premier de former le personnel oeuvrant dans les écoles, au premier titre les enseignantes et les enseignants. De fait, ces facultés ont une fonction professionnelle prépondérante et la recherche y jouera longtemps un rôle secondaire. Au tournant des années 1990, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le sous-développement chronique de la recherche en éducation. Madame Lise Bissonnette, éditorialiste au quotidien Le Devoir, représente la figure de proue du mouvement qui s’élève pour revendiquer une amélioration de l’investissement pour la recherche en éducation. À la faveur d’une campagne pour la réussite scolaire, les membres de la CSQ manifesteront aussi le besoin d’un meilleur accès à la recherche. Le débat apparaîtra de façon très claire lors des États généraux de l’éducation en 1996.

Les pouvoirs publics donnèrent finalement suite à ces pressions et on assista à une croissance progressive des programmes de recherche en éducation, avec une attention accrue pour l’intervention. En 2000, les participantes et les participants au Sommet du Québec et de la jeunesse, rencontre organisée par le gouvernement du Québec regroupant les principaux représentants de la société civile dans le but d’établir de façon « concertée » les priorités en matière de politique jeunesse, exprimèrent une nouvelle préoccupation : celle de la diffusion des résultats de la recherche en éducation, principalement les travaux concernant la réussite scolaire. On verra comment la recherche à la CSQ s’est insérée dans ce contexte.

La place de la recherche au sein de la CSQ

Émergence au tournant d’une crise

L’année scolaire 1982-1983 a été marquée d’un affrontement majeur entre le gouvernement et les grandes centrales syndicales lors du renouvellement des conventions collectives des employés des secteurs publics et parapublics ; affrontement particulièrement virulent avec la CSQ et le groupe des enseignantes et des enseignants. La négociation avait été précédée d’une campagne d’opinion publique, menée par le gouvernement, qui prenait à mal les enseignantes et les enseignants, suscitant une vive réaction émotive et une mobilisation exceptionnelle des enseignantes et des enseignants. Après quelques jours de grève des enseignantes et des enseignants ainsi que d’autres groupes de la CSQ, le gouvernement vota une loi spéciale, particulièrement dure, décrétant les conditions de travail et forçant le retour au travail, à défaut de quoi les personnes visées perdaient le double de leur salaire ainsi que des années d’ancienneté pour chaque journée de grève. La grève fut suspendue quelques jours plus tard, mais la CSQ et le personnel enseignant en sortirent profondément marqués. Soulignons, pour l’histoire, que les procédures judiciaires consécutives à cette grève se termineront au printemps 2004 par le remboursement aux enseignantes et aux enseignants de la double coupure de salaire.

Ce conflit ouvre une période de profondes remises en question au sein de la CSQ. La grève avait été exemplaire du point de vue du syndicalisme traditionnel : forte mobilisation des membres, solidarité soutenue lors de la grève, présence majeure dans les médias, etc. Par contre, les résultats étaient désastreux : recul systématique des conditions de travail et d’emploi, démoralisation des enseignantes et des enseignants, etc. Sous l’angle professionnel, on parlait d’une crise de la condition enseignante, à tel point que le Conseil supérieur de l’Éducation, organisme conseil indépendant au ministère de l’Éducation, produira un avis sur la condition enseignante (CSE,1984) à la suite d’une large consultation du milieu de l’éducation. Pour la CSQ, qui a défini son mandat syndical comme intégrant trois volets comprenant les conditions de travail, la vie professionnelle et l’action sociale, la recherche de nouvelles stratégies syndicales s’imposait d’emblée.

Ce contexte n’est pas particulier à la CSQ. Les syndicats de l’enseignement aux États-Unis et au Canada anglais ont aussi été traversés par des remises en cause du modèle traditionnel du syndicalisme industriel développé dans le milieu de l’éducation (Urbanski, 2001). On insiste sur le caractère de plus en plus dysfonctionnel du modèle de syndicalisme industriel (Naylor, 2002). Le courant du « new unionism », incarné de façon emblématique par le syndicat des enseignants de Rochester, avance que le syndicalisme enseignant ne peut plus se limiter à la négociation des droits et avantages de ses membres et qu’il doit dorénavant agir plus globalement sur la profession enseignante et pour l’amélioration de l’efficacité des écoles pour l’ensemble des étudiants (Urbanski, 2001). De façon plus concrète, les syndicats de l’enseignement devraient jouer, selon cette nouvelle approche, un rôle actif dans la réforme de l’éducation. On propose un modèle de syndicalisme professionnel (Naylor, 2002) ayant pour objectif d’améliorer la qualité de l’éducation. Le courant du « new unionism » va jusqu’à proposer aux syndicats une fonction de contrôle de la qualité de l’enseignement, une fonction qui soulève d’importantes résistances à la base (Murray, 2000).

Si le « new unionism » correspond à une des formes de remise en cause du modèle issu du syndicalisme industriel, les formes et modalités de cette remise en cause prendront des voies différentes pour la CSQ. Déjà la CSQ admettait un volet professionnel à son mandat syndical. Du début des années 1970 à 1982, cette préoccupation s’était incarnée de diverses façons, notamment par la publication du manifeste L’école au service de la classe dominante (CEQ, 1972), par des travaux sur la fonction de reproduction sociale de l’école (CEQ, 1974), par la diffusion de propositions d’interventions pédagogiques sur des enjeux sociétaux et par l’adoption d’une Proposition d’école illustrant le projet d’école de la Centrale. De plus, à la faveur de la montée d’un syndicalisme très combatif au Québec à la même période, la CSQ participera avec les deux autres centrales, la FTQ et la CSN, à d’importantes campagnes à portée sociétale.

Néanmoins, la crise vécue lors du conflit de 1982-1983 exprime à sa façon le blocage des voies traditionnelles de négociation et va forcer une remise en cause stratégique importante. Le malaise profond de la profession enseignante suggère un rééquilibrage de l’importance relative des différents volets de l’action syndicale, notamment par un renforcement des volets professionnel et sociétal, ainsi que par une révision des approches utilisées. À terme, cette démarche s’incarnera par un Congrès sur les services et structures de la Centrale (1992), par un Congrès spécial sur l’éducation (1996), par un Congrès d’orientation (1997) et par un certain nombre d’énoncés de politiques (notamment sur l’intégration interculturelle, la formation professionnelle et technique, la formation continue, etc.). La création de l’équipe de recherche en 1982 s’est donc inscrite au début d’un processus de repositionnement stratégique de l’organisation. Comment la recherche a-t-elle contribué à ce repositionnement ?

Pourquoi la recherche ? Les fondements d’une recherche syndicale

« Pourquoi la recherche ? Pourquoi l’unité de recherche ? » C’est ainsi que s’amorce la « Proposition pour une plate-forme de la recherche à la CEQ » (CEQ, 1983A). Ce « texte fondateur » énonce clairement les fondements sur lesquels va reposer l’évolution subséquente de l’équipe de recherche.

Si d’entrée de jeu le besoin d’une recherche fondamentale et prévisionnelle est affirmé, il fut aussi établi, dès le point de départ, que la recherche devait avoir pour premier objectif « d’appuyer l’action de la Centrale », en lien avec les enjeux fondamentaux qui confrontaient l’organisation. Tout en faisant le choix de développer une recherche rigoureuse et crédible, il fallait l’arrimer aux priorités et préoccupations de l’organisation. Il s’agit à la fois d’une condition de survie et d’une contrainte inhérente à son insertion institutionnelle. Condition de survie, puisqu’une telle innovation devait démontrer son utilité. Contrainte inhérente, admise et assumée, dans le cadre d’une organisation financée par les cotisations de ses membres et régie par un fonctionnement démocratique.

Le plan d’action de la Centrale de l’époque précise les objectifs opérationnels de l’équipe de recherche :

  • permettre une meilleure coordination de la recherche à l’interne ;

  • assurer une planification de la recherche ;

  • produire des travaux de recherche ;

  • établir une collaboration avec des ressources externes (universités, centres, etc.).

De fait, la nouvelle équipe de recherche pouvait s’appuyer sur une expertise interne déjà existante, mais davantage liée à des problématiques de court terme. La fonction de planification situait la recherche en position transversale d’appui aux autres services et équipes de la Centrale. Ce positionnement à l’intérieur de l’institution nécessitait de rechercher un profil particulier dans la sélection des individus qui allaient constituer l’équipe de recherche. Bien que recrutées au sein du personnel de la centrale, donc n’exerçant pas de fonctions politiques dans l’organisation, ces personnes avaient pour caractéristique commune de détenir une maîtrise. Les champs couverts étaient diversifiés : sciences de l’éducation, science politique et économie. La possession de ce grade universitaire garantissait aux yeux de la centrale une certaine compétence en matière de recherche. Un des chercheurs était issu de l’enseignement secondaire mais à l’emploi de la centrale depuis quelques années. Deux autres avaient une expérience de l’enseignement collégial et universitaire mais limitée à des postes précaires. Deux chercheurs entreprirent par la suite des études de doctorat en sciences de l’éducation, complétant la scolarité sans toutefois obtenir ce grade universitaire.

Il importe de préciser une caractéristique du syndicalisme québécois qui, bien qu’il rejoigne les tendances nord-américaines, le distingue du contexte institutionnel du syndicalisme européen, et en particulier de la situation française. Il s’agit de la présence au sein des appareils syndicaux d’un corps d’experts, à l’emploi des organisations syndicales, qui travaillent dans leur champ d’expertise spécifique en appui aux élus syndicaux. Ces « experts » ne sont pas sujets aux élections et possèdent un lien d’emploi stable avec le syndicat qui les embauche. Dans le cas de la constitution de l’équipe de recherche à la CSQ, cela vient renforcer la portée stratégique à moyen terme de ce choix institutionnel puisqu’elle permet le développement d’une réelle expertise interne et offre la stabilité requise pour établir des relations suivies avec les autres milieux de recherche. Notons, cependant, que ce contexte institutionnel ne met pas pour autant la recherche à l’abri des soubresauts politiques internes, y inclus en ce qui concerne son existence même.

En effet, le choix de constituer une équipe de recherche nécessitait pour l’organisation de consentir à ce que certains membres de son personnel oeuvrent sur des perspectives de moyen terme et soient, du moins partiellement, à l’abri des exigences de la conjoncture immédiate. Les centrales syndicales étant des actrices majeures de la société civile, les pressions des élus pour obtenir un support sur les dossiers d’intérêt immédiat sont toujours très grandes. Cela a d’ailleurs conduit à une remise en cause de l’existence de l’équipe de recherche à peine quatre ans après sa création. L’Exécutif de la Centrale voulait affecter les membres de l’équipe de recherche à des dossiers conjoncturels et abolissait l’équipe de recherche. Le débat interne que cette décision provoqua amena une reconsidération rapide de la décision, mais l’événement permet de révéler une tension qui demeurera constante entre les intérêts politiques immédiats et l’intérêt institutionnel de développer une perspective de moyen terme appuyée par des travaux de recherche. Cette tension se retrouvera même dans l’organisation du temps des chercheurs, puisqu’il fut admis, dès le départ, qu’ils devaient consacrer une partie de leur temps à l’appui aux interventions immédiates de la Centrale. On verra par la suite que cette tension avec le politique s’incarnera aussi dans bien d’autres facettes comme le choix des priorités de recherche, la diffusion des résultats et les suivis à donner aux constats de recherche.

Comment assurer cette fonction de recherche de façon à contribuer à l’élaboration d’une orientation stratégique pour une organisation syndicale ? S’agissant de l’expérience du Syndicat des enseignants de Colombie-Britannique (British Columbia Teachers’ Federation-BCTF), Naylor mentionne l’importance que la recherche syndicale développe un rôle proactif face aux syndicats d’enseignants (Naylor, 1997). Trois préoccupations principales doivent, selon lui, guider le développement de la recherche :

  • les syndicats ont perdu leur capacité d’influencer les changements en éducation auprès des gouvernements et des organismes responsables de l’éducation ;

  • les syndicats d’enseignants ont perdu la confiance des parents et du public ;

  • les changements au sein de la profession enseignante nécessitent une nouvelle approche qui engage davantage les jeunes membres syndicalement.

Les préoccupations exprimées par la plate-forme de la CSQ (CEQ à l’époque) ne sont pas éloignées de celles de Naylor, bien que les formulations de celui-ci puissent mériter une reformulation pour tenir compte du contexte québécois. La plate-forme CEQ précise que les recherches vont viser « à appuyer une stratégie de proposition ». En se centrant sur « ce qui change », la recherche devait accroître la capacité de « comprendre où va le syndicalisme », dans le contexte d’une sortie de crise du capitalisme caractérisée au plan politique et idéologique par la montée du néo-libéralisme. A posteriori, on peut juger de la portée de cette vision sur la planification de la recherche syndicale à travers le choix des thématiques et des objets de recherche. À titre d’illustration, on retrouve parmi les grands chantiers de recherche de la CSQ qui ont meublé la décennie subséquente de l’équipe de recherche, les thèmes suivants :

  • une critique des services éducatifs offerts aux enfants dits doués ;

  • les enjeux d’une immigration diversifiée pour l’éducation ;

  • l’implantation des technologies de l’information et des communications avec leurs impacts sur les différentes catégories de personnel en éducation ainsi que sur leur portée sociétale en termes de relations formation-emploi ;

  • le vieillissement au travail du personnel de l’éducation ;

  • les politiques sociales face à la pauvreté ;

  • la précarité d’emploi et les politiques d’emploi, en éducation et au plan sociétal ;

  • l’évolution de l’organisation du travail en éducation ;

  • le financement public de l’école privée.

En se centrant sur des thèmes perçus comme autant d’expressions des changements en cours, mais en adoptant une perspective d’étude en moyenne et longue période, la programmation de recherche visait à répondre aux exigences de repositionnement de l’organisation, tout en se détachant des préoccupations immédiates de la conjoncture à court terme. Si les chercheurs de la CSQ ont pu jouir de la liberté intellectuelle et de l’autonomie professionnelle requise par un travail de recherche rigoureux, la tension provoquée entre cet horizon de moyen terme et les exigences plus immédiates de l’organisation est demeurée constante et se maintient encore de nos jours. Cette tension s’accroît du fait qu’au fur et à mesure qu’un chercheur développe une connaissance poussée d’un sujet par sa recherche, il devient en quelque sorte un expert de la question, attirant vers lui un nombre accru de sollicitations. Ce phénomène est vécu de façon paradoxale, puisque son ampleur, sur un sujet donné, vient confirmer la pertinence des priorités de recherche et des résultats obtenus, tout en restreignant le temps à consacrer à de nouveaux projets.

Il n’y a pas eu de problèmes concernant l’exigence de rigueur intellectuelle des recherches menées depuis la création de l’équipe de recherche de la CSQ en 1983. Il existait un consensus largement partagé à l’effet que la crédibilité de la recherche à la CSQ tiendrait, pour l’essentiel, à la rigueur scientifique de sa démarche. De plus, il était aussi admis que la Centrale n’avait rien à gagner à une recherche qui ne répondrait pas aux critères de rigueur scientifique, car à défaut de cette rigueur, elle perdait les balises qu’elle recherchait pour son repositionnement.

L’éducation dans son contexte historique et social ; une recherche en action

On peut distinguer deux grandes catégories de recherches parmi celles réalisées à la CSQ depuis 1983 : les synthèses et les enquêtes sociologiques. Chacune présente son utilité propre, bien qu’une enquête sociologique présuppose généralement d’être précédée d’une revue de la littérature.

Nous entendons par synthèse une revue critique de la littérature existante sur un sujet choisi. Ces synthèses rejoignent les revues de littérature universitaires réalisées au Québec par le fait qu’elles vont puiser autant dans les recherches nord-américaines qu’européennes, en particulier les recherches françaises. Elles s’en distinguent néanmoins par le souci d’être accessibles, par le ton et la forme, aux membres de la Centrale et aux autres intervenants du monde de l’éducation, mais surtout par la préoccupation d’en dégager un sens pour l’action. Il s’agit de dépasser la simple présentation de ce qui a déjà été écrit pour chercher à dégager certaines lignes de force pouvant inspirer les orientations à venir, ou l’action des membres dans leur milieu. On peut y voir une forme particulière de transfert des résultats de recherche vers les milieux de pratique.

Une des caractéristiques de la recherche syndicale à la CSQ tient souvent à la diffusion très large dont elle fait l’objet. À titre d’illustration, plusieurs des synthèses réalisées depuis 1983 donnèrent lieu à la publication de livres, en coédition par la Centrale et un éditeur privé. Une telle approche a permis de rejoindre largement non seulement les membres actuels de la Centrale, mais aussi les futurs membres par l’insertion de plusieurs de ces ouvrages au programme de certains cours des facultés universitaires. Parmi les synthèses les plus importantes qui furent éditées, mentionnons L’école de son rang (Berthelot, 1987) sur la douance, Formation professionnelle, éducation et monde du travail au Québec (Payeur, 1991) sur la formation professionnelle et technique, Apprendre à vivre ensemble (Berthelot, 1989) sur l’intégration interculturelle et S’appauvrir dans un pays riche (Langlois, 1990) sur la pauvreté.

Une des synthèses réalisées mérite une attention particulière. Il s’agit de celle qui conduisit à la publication d’Une école de son temps (Berthelot, 1994). En effet, si certaines des productions antérieures intégraient d’une façon ou d’une autre des contributions de certains collègues oeuvrant au sein d’autres secteurs de la Centrale ou d’une de ses fédérations, L’école de son temps réalise une somme de l’ensemble des études et recherches réalisées au sein de l’organisation sur les différents aspects des enjeux de l’heure en éducation. De plus, cet ouvrage représente une contribution notable à l’analyse des grandes tendances sociétales et de leur prolongement en éducation. Il n’est pas excessif d’affirmer que cet ouvrage fit époque au sein de la CSQ et qu’il eut aussi un impact notable au sein du milieu éducatif québécois.

D’un point de vue institutionnel, un tel mode d’édition contribua à une meilleure reconnaissance de la recherche syndicale. Ces livres furent notamment recensés dans les revues universitaires. Leurs auteurs furent invités à titre de conférenciers lors de colloques scientifiques et participèrent, à titre d’auteurs, à plusieurs ouvrages universitaires. Ils furent aussi invités, à titre d’experts, à siéger à des groupes de travail ministériels ou à des organismes conseils du gouvernement. À certains égards, cela contribua à une certaine diversification des avenues de l’influence syndicale. L’autonomie accordée aux chercheurs jouxtée à la rigueur intellectuelle attendue de leurs travaux ont donc contribué à servir ultimement les intérêts institutionnels de l’organisation syndicale.

Les enquêtes furent l’autre type de recherche développé. Celles-ci concernèrent pour l’essentiel des situations vécues par différentes catégories de membres de la CSQ. Profitant d’un contexte et de moyens permettant de rejoindre les différents intervenants du milieu de l’éducation, ces enquêtes abordèrent avec le temps un spectre assez large de sujets : outre l’impact des nouvelles technologies sur le personnel enseignant ou sur le personnel de soutien, on retrouve également le vieillissement au travail chez le personnel enseignant et le personnel professionnel de commissions scolaires, la situation du personnel à statut précaire des commissions scolaires et la situation vécue au sein des conseils d’établissement, pour ne nommer que les plus significatives.

Ces enquêtes ont permis de développer un nouveau mode de collaboration avec le milieu de la recherche. L’objet de cette collaboration, particulièrement au début, se centrait sur la méthodologie de la recherche avec le double objectif d’obtenir une validation externe favorisant une meilleure reconnaissance et de renforcer les capacités méthodologiques internes à l’équipe de recherche de la CSQ.

Progressivement, l’expérience aidant, les méthodologies de recherche se sont complexifiées, mixant les approches quantitatives et qualitatives de façon complémentaire. Par exemple, il peut être intéressant de connaître la pensée des enseignantes et des enseignants, par voie de sondage, sur leur perception de l’usage des technologies à l’école. Or c’est autre chose que de tirer une analyse de l’observation dans un certain nombre d’écoles de la mise en oeuvre des technologies à des fins pédagogiques. À l’usage, une telle mixité des approches s’est révélée pertinente tant au plan de la rigueur scientifique que des besoins spécifiques de la CSQ dans l’élaboration de ces orientations et politiques.

Les sujets de l’enquête étant aussi membres de l’organisation, ce type de recherche offre à la Centrale un double avantage. Premièrement, les enquêtes permettent de témoigner de façon fine de la réalité vécue par ces personnes et fournissent à la CSQ un outil supplémentaire pour jouer un de ses rôles fondamentaux, celui de porte-parole des intérêts économiques, professionnels et sociaux de ses membres. Les résultats de recherche ne se substituent pas au processus démocratique de prise de décision, ils viennent l’appuyer. Deuxièmement, la diffusion de ces travaux permet d’établir avec plus de transparence les considérants qui ont guidé la décision sur un sujet donné, contribuant de la sorte au renforcement institutionnel, en facilitant une meilleure adhésion des membres. Ce scénario vertueux ne met pas pour autant la recherche à l’abri des tensions du processus politique interne.

La recherche et le processus politique interne

Au-delà des débats politiques qui ont pu entourer le choix des objets de recherche, c’est bien le propre d’une recherche institutionnelle, en particulier celle réalisée en milieu syndical, d’avoir une vie après que le travail de recherche en tant que tel soit terminé, puisque débute dès lors son insertion dans le processus politique de l’organisation. On retrouve là l’essentiel de l’impact de la recherche sur l’organisation.

En parallèle au travail d’élaboration d’un énoncé de politique s’appuyant sur les résultats de recherches, ceux-ci ont généralement fait l’objet d’une diffusion très large, s’appuyant sur différents supports (livres, synthèses, articles dans les magazines et revues internes), s’insérant à l’ordre du jour des instances décisionnelles de la Centrale, de ses fédérations et de syndicats locaux, tout en étant aussi présentés dans différents colloques professionnels. La recherche s’insère alors en appui au débat politique interne.

Par la suite, un énoncé de politique est mis en consultation au sein des affiliés. Après présentation et débats au sein des instances de la Centrale, des syndicats locaux et des fédérations, le projet d’énoncé revient en Conseil général ou en Congrès pour adoption finale. Toute cette démarche implique généralement le chercheur, qui rencontre ainsi de nombreux milieux pour expliquer et justifier les orientations proposées. D’un point de vue strict de recherche, cette période s’assimile à de l’observation participante et poursuit en quelque sorte la démarche de recherche. Elle constitue aussi une activité de transfert de la recherche, puisque l’énoncé de politique vise à traduire les effets concrets de la recherche. Elle est un retour vers celles et ceux qui ont été très souvent « l’objet de la recherche », un retour que la recherche universitaire se soucie fort peu de faire.

Ce scénario a connu un seul véritable blocage politique, soit dans le dossier de l’organisation du travail. Ce chantier de recherche avait été confié à l’équipe de recherche dans l’objectif d’élargir le champ des préoccupations syndicales et d’appuyer les milieux dans leur action pour le réaménagement des tâches, la gestion du temps, etc. Un contexte difficile de négociation, qui soulevait beaucoup de méfiance face aux intentions patronales, n’a pas permis d’aller bien loin dans cette voie.

L’influence sur les politiques et les pratiques éducatives

Les recherches menées à la CSQ s’inséraient dans une stratégie visant à intervenir sur les grands enjeux éducatifs et à renforcer la capacité d’action de l’organisation sur ses propres priorités en éducation. La défense et la promotion d’une école publique démocratique, ouverte à la diversité scolaire et sociale et prenant en compte les changements en cours dans la société québécoise ont ainsi guidé la définition des grands axes de recherche en éducation.

Les travaux réalisés étaient généralement d’une grande actualité. Repris par les médias, parfois objets de controverses, ils avaient dès le départ une certaine influence dans le débat public, mais la stratégie d’influence dépassait largement un intérêt médiatique passager. Outre leur objectif de contribuer à préciser les orientations de la CSQ , ils visaient à influencer les politiques publiques et les pratiques éducatives. Dans certains cas, les résultats de la recherche affrontaient les perceptions ou les pratiques, ce qui n’était pas sans provoquer des tensions dont nous donnerons quelques exemples typiques, sans toutefois être exhaustifs.

Les nouvelles technologies

Au début des années 1980, les premiers ordinateurs faisaient leur apparition dans les établissements scolaires. Les difficultés étaient nombreuses, qu’il s’agisse de la mauvaise qualité des appareils, de l’absence de soutien aux utilisations pédagogiques, etc. Les enseignantes et les enseignants étaient devenus, aux yeux des médias, les boucs émissaires du cafouillage informatique : ils étaient trop vieux et résistaient au changement.

Ce fut l’occasion des premiers travaux de l’équipe de recherche. Une enquête par questionnaire, auprès d’un nombre élevé d’enseignants afin de disposer d’une banque de données suffisante pour ceux utilisant déjà l’ordinateur, a été conduite dans les règles de l’art.

Ses résultats ont profondément transformé la perception dominante. Ils révélaient en effet que les enseignants étaient très ouverts à l’utilisation de l’ordinateur en classe, qu’ils consacraient temps et argent pour se mettre à jour, qu’ils étaient laissés à eux-mêmes, les logiciels étant inadéquats et le soutien technique insuffisant (CEQ, 1985). Les médias ont fait leur mea culpa en publiant les principales données et un résumé du rapport. Le ministère de l’Éducation a utilisé la banque de données pour procéder à sa propre évaluation sur une base régionale. Des redressements ont suivi.

Cette enquête fut suivie d’une autre, avec une approche qualitative cette fois. Le titre du rapport résume l’état de la situation : « Un grand intérêt, un grand dénuement » (Berthelot et al.,1986). On y insistait notamment sur l’importance d’une formation adéquate du personnel et sur des logiciels éducatifs de qualité.

Les travaux menés auprès des autres catégories de personnel[2] vinrent compléter ce portrait et permirent de compléter l’état des besoins du personnel en matière d’intégration réussie des technologies.

La douance

Ce néologisme québécois a inspiré tout un courant de pensée conservateur au début des années 1980. Une nouvelle forme de darwinisme social souhaitait que l’État développe des écoles ou des classes particulières pour des enfants identifiés, à partir de tests, comme étant doués, et implicitement présentés comme l’élite de demain.

L’idéologie de la douance se répandait comme une traînée de poudre. Ce fut l’origine d’une réflexion sur la question par les chercheurs de la CSQ, malgré les hésitations de la direction politique de l’organisation, dont certains craignaient qu’une approche critique isole l’organisation de l’opinion publique et de celle de ses membres (Berthelot, 2003).

La recherche retrace l’histoire de ce courant de pensée avec ses nombreux écarts de conduite, qu’il s’agisse des politiques d’immigration ou des diverses thèses de hiérarchisation des êtres humains (Berthelot, 1987). Elle s’attarde à l’analyse des principaux arguments invoqués à la défense de programmes spéciaux pour les enfants dits doués et propose des pratiques éducatives pour tenir compte de la grande diversité des élèves en classe.

Sa parution a fait beaucoup de bruit, suscité bien des débats. Elle fut suivie d’un large débat dans les établissements, souvent en mettant les deux thèses en présence. Après une large consultation, la CSQ se dota d’une politique sur le sujet qui rejetait les thèses déterministes de la douance et proposait des moyens d’action pour une école mieux adaptée à la diversité. Le ministère de l’Éducation qui observait le phénomène, tout en apportant son appui à Douance-Québec, l’organisation de promotion de la douance, fit volte face. Quelques années plus tard, Douance-Québec disparaissait, entraînant avec elle le mouvement qu’elle avait encouragé. Les pressions en faveur d’une stratification plus grande de l’enseignement, particulièrement au secondaire, n’ont pas pour autant pris fin. Elles se sont redéployées, prenant la forme d’écoles dédiées à des projets particuliers sélectionnant leurs élèves à l’entrée sur la base des résultats scolaires, à l’image des établissements privés. Mais de douance, il ne fut plus guère question.

La formation et l’emploi

En parallèle aux études concernant l’impact des nouvelles technologies sur le personnel de l’éducation, la CSQ avait entrepris des travaux concernant l’impact des technologies sur l’emploi et l’évolution des besoins de formation. Ces travaux allaient mener à la publication, en 1991, d’une synthèse sur le sujet (Payeur, 1991).

Cette recherche permit de décrire le contexte historique de la formation professionnelle et technique au Québec, et d’illustrer la place marginale de cette formation dans le cheminement des élèves. On y faisait état de la situation dans plusieurs pays, dégageant les tendances des politiques récentes au Québec et ailleurs.

Ces travaux permirent l’émergence de ce dossier parmi les préoccupations majeures de la CSQ et amenèrent la Centrale à prendre une part plus active dans la valorisation de ce secteur et dans la participation au débat social sur l’emploi. Le ministère de l’Éducation fut amené à créer un groupe de travail sur la relance de la formation professionnelle et technique chez les jeunes, auquel fut associée la CSQ. Les recommandations de ce groupe de travail reçurent un accueil très favorable.

Vieillissement et condition enseignante

Au début des années 1990, on fait largement état, notamment dans les médias, du vieillissement du personnel en éducation et en particulier des enseignantes et des enseignants. On attribue à ce vieillissement une part des problèmes vécus par le système d’éducation. L’écart d’âge entre le personnel enseignant et leurs élèves nuisait à la réussite de ces derniers, selon les préjugés répandus à l’époque.

Le fait était que le personnel enseignant vieillissait, effet inéluctable de l’embauche massive d’enseignantes et d’enseignants à la fin des années 1960. La proportion des 45 ans et plus dépassait 40 % du personnel enseignant et professionnel en 1990, alors que ce groupe d’âge représentait alors 26,3 % de la population active.

Le principal effet de cette recherche, menée conjointement avec l’IRAT, fut de démontrer qu’il n’y avait pas de relation entre l’âge et le rapport au travail du personnel enseignant et professionnel (David et Payeur, 1991, et Payeur et David, 1993). Les véritables problèmes relevaient de l’organisation de la tâche et du perfectionnement, notant au passage une situation problématique concernant l’entrée dans la profession des jeunes enseignantes et enseignants.

Une réflexion d’ensemble sur l’éducation

Au tournant des années 1990, la CEQ était fortement préoccupée par les glissements conservateurs que connaissait l’éducation québécoise. Elle considérait que seule une large réflexion collective sur l’état et les besoins de l’éducation permettrait de dégager un nouveau consensus démocratique pour les prochaines années, mais le gouvernement se refusait à une telle démarche d’ensemble, préférant procéder à la pièce.

Le Congrès de la Centrale allait donc demander, en 1992, que l’équipe de recherche entreprenne une telle réflexion, à la fois pour faire pression sur le gouvernement et pour être en mesure d’influencer un éventuel débat social. Le rapport parut lors du Congrès de 1994. Il retraçait l’histoire de l’éducation québécoise, faisait état des grands changements sociaux prévisibles et de leurs conséquences sur l’éducation et mettait de l’avant un projet pour l’école et le collège (au Québec, un niveau qui suit le secondaire) basé sur les résultats de la recherche en Amérique du Nord et en Europe (Berthelot, 1994).

Pour la très influente éditorialiste du journal Le Devoir, madame Lise Bissonnette, la CEQ était en voie de « s’installer curieusement dans un rôle de suppléance à l’État » ; l’organisation syndicale était en voie de devenir, écrivait-elle, « le moteur unique de la réforme scolaire[3] ».

Le Congrès de la CEQ décida de continuer de poursuivre sur cette voie. Une synthèse de la recherche servit à l’organisation de colloques dans toutes les régions du Québec, dans le but d’amener le personnel de l’éducation à convenir collectivement d’un nouveau projet pour l’éducation québécoise (CEQ, 1995).

Le Parti québécois, alors dans l’opposition, s’était engagé, en réponse aux pressions syndicales, à convoquer des États généraux sur l’éducation s’il était porté au pouvoir. C’est ce qui arriva à l’automne de 1994. Les États généraux furent lancés alors que le projet de la CEQ était déjà en discussion dans les milieux.

Les résultats des colloques régionaux furent soumis à un Congrès extraordinaire sur l’éducation, en février 1996. La consultation avait révélé certains enjeux majeurs où les données de la recherche affrontaient la pratique enseignante. Ce fut notamment le cas du redoublement. La recherche démontre, en général, que le redoublement au primaire n’est pas un modèle efficace pour permettre aux élèves en situation d’échec de réussir. Par contre, une majorité d’enseignantes et d’enseignants considèrent que de ne plus permettre le redoublement ou de ne le permettre qu’exceptionnellement est synonyme d’un enseignement à rabais. C’est donc une orientation peu engageante qui fut incluse sur ce sujet dans la Déclaration de principes sur l’éducation adoptée à cette occasion. Le débat se poursuit toujours.

Après une dernière phase de consultation, au printemps 1996, le rapport final de la Commission des États généraux sur l’éducation fut rendu public à l’automne 1996. Le rapport était très favorable aux orientations défendues par la CEQ ; à tel point que certains ont accusé la CEQ d’en avoir dicté les conclusions, mais les dix chantiers prioritaires recommandés par la Commission ne furent pas repris en totalité par le plan d’action ministériel pour la réforme de l’éducation qui a suivi, notamment en ce qui concerne l’arrêt du financement public de l’enseignement privé.

Les rapports de la CSQ au milieu de la recherche : du recours utilitaire à la collaboration et à l’institutionnalisation

La création d’une équipe de recherche et la systématisation qu’elle provoque de la planification de la recherche vont progressivement transformer les relations de la Centrale avec le milieu de la recherche.

Jusqu’à la création de l’équipe de recherche, le mode privilégié de recours de la CSQ aux chercheurs consistait en l’octroi de contrats de recherche sur un objet déterminé par la Centrale. Cette formule, qui exprimait autant la méfiance qu’une certaine méconnaissance à l’égard du milieu de la recherche, donna des résultats plutôt insatisfaisants, les conclusions de ces travaux s’insérant souvent difficilement dans les préoccupations de la Centrale.

Une autre forme de recours au milieu de la recherche fut l’association de certains chercheurs « amis » à des groupes de travail ou à des sessions de travail internes. Cette approche servira de base aux développements ultérieurs de la collaboration avec le milieu de la recherche. Elle pose implicitement certains principes de base tels la reconnaissance de l’apport spécifique de la recherche, la nécessité d’offrir une interface facilitant la transcription des résultats de la recherche en intrants utiles à l’organisation et la recherche d’une complémentarité entre les travaux internes et les contributions externes.

Outre le recours aux chercheurs universitaires comme appui au volet méthodologique des recherches, la collaboration avec le milieu de la recherche a progressivement gagné en consistance. Il y eut d’abord des projets conjoints, soit avec des chercheurs universitaires, soit avec le ministère de l’Éducation et d’autres organismes du milieu de l’éducation. Ces projets donnaient lieu à des protocoles formels précisant les droits et responsabilités de chacun. Dans les cas où plusieurs organismes étaient présents, un comité d’orientation de la recherche fut créé, notamment dans le cas d’une recherche sur les conseils d’établissement. La recherche sur le vieillissement au travail en éducation fut réalisée conjointement par la CSQ et l’IRAT grâce à une subvention du ministère de l’Éducation. Ces projets en collaboration présentent aussi l’intérêt pour la Centrale de contribuer à une lecture commune des enjeux étudiés, favorisant ultérieurement la recherche de solutions.

Un premier pas vers l’institutionnalisation des relations avec les universités fut la signature de protocoles avec l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ces protocoles s’inscrivaient dans le cadre de la politique des services à la collectivité des universités et visaient l’appui des ressources universitaires à la recherche et à la formation syndicale. Un comité conjoint fut constitué pour chacun des protocoles afin d’évaluer les projets soumis et d’en assurer le suivi. Dans le cas du protocole avec l’Université Laval, celui-ci donna surtout lieu au dégagement de quelques professeurs pour leur permettre de travailler à des projets développés par la Centrale. Les moyens institutionnels octroyés à ce protocole ne permirent pas sa reconduction au-delà des quatre premières années. Le protocole avec l’UQAM, qui s’intégra par la suite à un protocole avec les deux autres grandes centrales québécoises (la CSN et la FTQ), servit peu aux besoins en recherche de la centrale en éducation et donna lieu surtout à des projets en santé et sécurité au travail et sur l’action syndicale proprement dite, à une exception près, la recherche sur la précarité d’emploi du personnel de l’éducation.

La création du Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), en 1992, marque une étape importante dans la collaboration de la CSQ avec le milieu universitaire. Créé au départ sur la base d’un partenariat entre la Centrale et la Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université Laval, le CRIRES est dirigé par un conseil d’administration où l’on compte un nombre égal de représentants de la CSQ et de l’Université Laval. Les activités de recherche relèvent pour leur part d’un comité scientifique composé majoritairement de chercheurs universitaires, mais où sont aussi présents des chercheurs de la Centrale. En 2001, le CRIRES deviendra un centre interuniversitaire reconnu, présent dans cinq universités, et associant au sein de son conseil d’administration les principales organisations du milieu de l’éducation (Fédération des Commissions scolaires du Québec, Fédération des comités de parents, Fédération des Cégeps).

Au sein de la CSQ, la volonté de créer le CRIRES relève de convergences multiples. Au début des années 1990, la Centrale avait lancé une vaste campagne sur le thème de la réussite scolaire qui avait forcé le ministre de l’époque à lancer un plan d’action spécifique sur la question. En parallèle, la CSQ avait tenu une série de colloques régionaux « Réussir l’école, réussir à l’école », où nombre de participantes et de participants avaient fait valoir le besoin d’une meilleure connaissance de la recherche en éducation et d’une recherche plus proche de l’intervention. Pour les membres de l’équipe de recherche, l’intérêt d’une meilleure collaboration avec la recherche universitaire se faisait sentir, notamment pour donner suite à certaines observations sur le terrain auxquelles la réponse en termes de recherche débordait largement leur mandat.

Du côté universitaire, un courant se développait aussi en faveur d’une recherche en éducation davantage tournée vers l’intervention. Profitant de l’effervescence entourant la réussite scolaire, des chercheurs de la CSQ et de l’Université Laval développèrent le projet d’un centre de recherche en partenariat, qui reçut l’aval des autorités des deux organisations. La CSQ réussit à obtenir un appui financier substantiel du ministre de l’Éducation de l’époque. La programmation de recherches se développa progressivement, soutenue aussi par les fonds pour la recherche universitaire selon les règles habituelles.

Dès le départ, le respect de l’autonomie des chercheurs fut la pierre d’assise du partenariat avec la Centrale. Certains chercheurs refusèrent de s’associer au CRIRES, craignant que la présence de la CSQ les amène à faire des recherches « idéologiques ». C’était mal comprendre l’intérêt de la CSQ à l’égard de ce centre. Pour la CSQ, le CRIRES n’était pas un centre syndical mais un centre fondé sur un partenariat qui visait avant tout à influencer les priorités de recherche, non à dicter des résultats. C’est ainsi que la CSQ proposa le développement d’un chantier de recherche sur la situation de la réussite chez les garçons et les filles, ainsi qu’un autre sur les pratiques éducatives s’adressant aux décrocheurs ou aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage qui reçurent un accueil favorable des chercheurs.

Ce qui distingue le CRIRES d’un centre universitaire habituel tient entre autres à son souci pour l’intervention. Ce souci s’exprime à travers les priorités de recherche, certes, mais il trouve aussi à se concrétiser par un souci important de liaison avec le milieu de l’intervention. Le lancement officiel du CRIRES donna lieu à un important colloque où les ateliers se partageaient entre universitaires et praticiens. Les Actes de ce colloque furent largement diffusés. On produisit un inventaire des pratiques novatrices au sein des commissions scolaires pour rendre compte des projets réalisés par le personnel de l’éducation, inventaire maintenant disponible sur le site Internet du CRIRES. Le Bulletin du CRIRES fut une des innovations les plus marquantes. Ce bulletin constitue un véhicule de vulgarisation s’adressant au personnel de l’éducation. Il rend compte dans un style accessible du résultat d’une recherche du CRIRES. Il est publié à plus de 100 000 copies et est disponible aussi sur le Web. Lors des premiers bulletins, les chercheurs ont eu beaucoup de difficultés à accepter d’adapter leur discours à une publication à large diffusion. Ils ont rapidement changé d’avis en constatant la reconnaissance dont jouissaient leurs travaux une fois aussi largement diffusés.

Il ne faut pas sous-estimer la tension entre la fonction recherche, la préoccupation de l’intervention et l’importance souhaitée des activités de diffusion. L’objectif de départ étant de créer un véritable centre de recherche universitaire, il fallut accepter de vivre avec les contraintes inhérentes à ce choix, tout en maintenant la préoccupation pour l’intervention et la diffusion. Heureusement, la recherche intervention reçut progressivement un meilleur appui des programmes de recherche, mais il fallait, pour devenir un centre universitaire reconnu, publier dans les revues « savantes » et participer à des colloques universitaires, laissant moins de temps à la diffusion vers les milieux de pratique. L’existence d’un centre et d’un financement atypique (soutien de la CSQ, du ministère, etc.) ont permis d’assurer la fonction de diffusion en publiant le Bulletin, en éditant plusieurs ouvrages, en organisant des colloques, etc. En fait, la fonction diffusion nécessite un soutien organisationnel, car à défaut, les chercheurs ne peuvent répondre à cette demande de façon satisfaisante.

Cette préoccupation pour la diffusion des résultats de recherches a connu de nouveaux développements avec la création, en janvier 2002, du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ). La CSQ et le CRIRES furent associés de près à la création du nouveau centre et participèrent à son développement avec d’autres organismes du milieu de l’éducation et centres de recherche en éducation. Ce Centre de transfert a pour but de produire du matériel à destination du personnel de l’éducation et des élèves en se fondant sur des travaux de recherche. Il s’agit de soutenir le développement de pratiques éducatives s’appuyant sur les résultats de recherches en développant, avec la collaboration des chercheurs, du matériel adapté aux besoins des milieux.

Le CTREQ n’est pas un organisme de subventions. Il s’agit d’un centre d’expertise ayant pour mission de favoriser le transfert de la recherche. L’approche force le développement d’une expertise nouvelle et confronte souvent les chercheurs dans leurs habitudes puisqu’elle les amène à franchir une nouvelle étape dans l’appropriation des résultats de recherches par le milieu.

Conclusion

La création d’une équipe de recherche au sein d’une organisation constitue un apport important pour l’organisation dans l’adaptation de ses orientations et pratiques. Elle constitue une source de dynamisme interne tout en permettant un élargissement de ses modes et champs d’influence.

La recherche syndicale remplit une fonction complémentaire à la recherche universitaire. Elle a les mêmes exigences de rigueur, mais elle doit composer avec un contexte qui lui est propre. Ce qui distingue fondamentalement la recherche syndicale tient en bonne partie à ce qu’elle agit en support au développement d’orientations et de pratiques au sein de l’organisation. Cependant, le souci de considérer l’état de la recherche sur ses sujets d’étude amène la recherche syndicale à jouer un rôle important d’intermédiaire entre le milieu de la recherche, le milieu syndical et le monde scolaire. Ce rôle d’intermédiaire a été renforcé dans le cas de la CSQ par la création du CRIRES et du CTREQ.

Les conditions propres au succès du développement de la recherche au sein d’une organisation syndicale, du moins en se référant au cas de la CSQ, relèvent d’une double logique. Il faut d’abord admettre que le travail de recherche a sa part d’autonomie et ses contraintes propres. Puis il faut que le travail de recherche aille au-delà de sa propre logique en s’inscrivant explicitement en appui au processus politique interne. En même temps, la recherche doit faire preuve de modestie et laisser les instances démocratiques décider des orientations qui pourront s’inspirer de ses conclusions sans nécessairement s’y limiter. A contrario, l’effort de recherche est bien inutile s’il se limite à répondre à des commandes ou à illustrer des conclusions établies à l’avance.

On peut, par ailleurs, parler d’un rôle de substitution à l’égard d’une recherche universitaire trop souvent timorée dans sa participation aux débats qui agitent le milieu de l’éducation.

Il n’en demeure pas moins que l’échange entre la recherche syndicale et la recherche universitaire doit être soutenu et amélioré. Il en va de l’intérêt mutuel des deux milieux. L’expérience démontre que cet échange peut se réaliser dans le respect de chacun et qu’il est source d’une dynamique profitable.