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Les six articles de ce numéro ne sont pas réunis autour d’une thématique précise. Les quatre premiers concernent la didactique de la lecture : l’un porte sur les ateliers de lecture au primaire, les trois autres sur des aspects relevant de la poétique (la modalisation autonymique dans l’argumentation, la constitution de l’identité du lecteur par l’autobiographie, les procédés métatextuels dans la série des San Antonio). Les deux derniers articles à visée plus générale se rapportent aux questions de la formation continue des enseignants et de l’éducation citoyenne.

L’étude de la modalisation autonymique, selon Bernard Nizet, pourrait s’avérer un outil linguistique utile pour aider les élèves de fin secondaire-collégial à mieux comprendre le fonctionnement des discours argumentatifs. L’auteur fournit plusieurs catégories d’exemples tirés de discours politiques et illustrant l’emploi de cette figure de style ou de cette configuration énonciative particulière par laquelle un énonciateur commente lui-même, dans son propre discours, les mots qu’il utilise ou ceux qu’il emprunte à autrui. Si les travaux de Jacqueline Authier-Revuz, ici vulgarisés, constituent sans aucun doute une oeuvre minutieuse de linguiste, qui a le mérite de vouloir lier les théories de la langue et du sens, il faut cependant déplorer dans cet article le manque de transposition didactique de la notion d’autonymie.

La série de onze ateliers que présente Luc Maisonneuve pour développer l’autonomie en lecture à la fin du primaire a été élaborée à partir des principaux problèmes observés sur le terrain, qui vont du déchiffrage au commentaire littéraire. Ce regroupement synthétise bien tous les aspects à travailler en classe de lecture et devrait amener les enseignants à réaliser qu’une tâche aussi complexe que la lecture autonome, loin de pouvoir être accomplie au moyen de simples fiches de lecture à compléter, doit faire l’objet d’un enseignement systématique. Cependant, nous convenons avec l’auteur qu’il reste à savoir comment pourraient être gérés ces contenus d’ateliers, d’abord destinés à des élèves en difficulté, dans un contexte de pédagogie différenciée.

Annie Rouxel résume et interprète ce qui ressort de textes d’élèves de niveau fin collégial qui devaient rédiger leur autobiographie de lecteur (soulignons que l’échantillon choisi est très peu représentatif, l’expérience ayant été menée dans une classe composée de 90 % de filles du profil littéraire). Ce type d’activités réflexives favoriserait chez les élèves la constitution de leur identité de lecteur et permettrait à l’enseignant de mieux évaluer leur cheminement et leurs besoins. Il aurait été ici d’un grand intérêt, justement, de connaître les conclusions de l’enseignant à ce sujet. En quoi le contenu de ces autobiographies, dont l’analyse ne nous apporte au demeurant que très peu d’informations nouvelles sur les habitudes et processus de lecture des adolescents, a-t-il influencé ses démarches pédagogiques par la suite ? De cela, on ne sait rien.

Après une habile mise à jour de quelques-uns de ces paramètres techniques – tels que les commentaires métatextuels, l’intertextualité et l’ironie – qui pourraient avoir valu à la fameuse série des San Antonio son étonnante popularité, Franck Wagner propose quelques applications didactiques, soit des questions d’étude de textes très traditionnelles, qui visent à sensibiliser des étudiants de niveau collégial ou universitaire à la question des « supposés frontières entre littérature et paralittérature ».

Karine Dejean pose de manière extrêmement générale les grandes lignes des nouveaux défis associés à la formation continue des enseignants, laquelle devrait désormais être examinée dans la perspective plus large du développement professionnel. Comme les compétences se développent dans le cadre de situations de formation tout autant formelles qu’informelles, la réflexion sur la pratique devrait partir de situations de travail concrètes et s’insérer dans un projet personnel signifiant et soutenu par la dynamique d’une organisation apprenante.

Le programme européen de formation consacré à l’éducation citoyenne à la diversité (A classroom of difference), et que Danielle Crutzen présente ici dans le détail, est destiné à des étudiants âgés de 15 à 20 ans. Objet d’une recherche-action de type systémique, ce projet est implanté depuis trois ans dans une vingtaine d’établissements français. Il a le mérite de vouloir former des équipes éducatives interdisciplinaires capables de construire des démarches très souples de diagnostic et d’action pour mieux faire face aux préjugés et aux comportements discriminatoires.

La note de lecture qui clôt le numéro porte sur le recueil de contes Les sorcières sont N.R.V. de Yak Rivais et Michel Laclos, paru à l’École des loisirs en 1988. Les raisons qui justifient ce choix d’une oeuvre, qui n’est pas récente, auraient mérité d’être explicitées, de même que la liste de questions de lecture qui terminent la note.

En conclusion, la majorité des articles de ce numéro concernent l’enseignement de la lecture. Ceux qui portent sur la modélisation autonymique ou sur les procédés métatextuels proposent de fines analyses textuelles qui intéresseront surtout les enseignants oeuvrant à la fin du secondaire ou au collégial. Il faut cependant convenir que la transposition didactique de ces notions empruntées à la linguistique ou à la narratologie reste encore à faire.