Corps de l’article

Introduction

L’enseignement de l’oral au secondaire fait partie intégrante de la classe de français. En effet, les programmes d’études du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ, 1980, 1995) intègrent l’apprentissage et la pratique de l’oral dans leurs objectifs. Le programme d’études en vigueur (MEQ, 1995)[1] propose de nouvelles et motivantes activités d’équipes qui favorisent le développement de l’argumentation de la 1re à la 5e secondaire : discussions, exposés explicatif et critique, débats. Même si des manuels scolaires ont développé quelques projets d’oral à partir de ces programmes, les enseignants de français langue première du secondaire éprouvent toujours de l’inconfort devant son enseignement (Perrenoud, 1991 ; de Pietro et Wirthner, 1996 ; Lafontaine, 2001). Ils se sentent démunis devant l’imprécision des objectifs des programmes d’études, le manque de matériel didactique concret et l’insécurité ressentie devant l’oral, un savoir souvent qualifié de non « enseignable » (Wirthner, 1991 ; Halté, 1992, Lafontaine ; 2001).

En dépit de ce malaise pédagogique, nous pouvons constater, d’une part, que les enseignants de français utilisent l’oral pour réaliser plusieurs tâches d’enseignement. Il s’agit par exemple de la correction orale d’exercices divers et d’examens, d’interventions disciplinaires et de réponses aux questions des élèves. D’autre part, nous pouvons également observer qu’ils enseignent des contenus relatifs à l’oral dans des activités précises telles que la discussion, l’exposé et le débat (de Pietro et Wirthner, 1996 ; Dolz et Schneuwly 1998 ; Lafontaine, 2001). En fait, les enseignants de français se retrouvent devant deux possibilités : utiliser l’oral comme médium d’enseignement, c’est-à-dire l’utiliser à des fins autres que son enseignement systématique, ou le considérer comme un véritable objet d’apprentissage, par l’enseignement explicite et la mise en pratique d’activités qui obligent les élèves à s’exprimer oralement.

Problématique

Pourquoi l’enseignement de l’oral est-il si difficile ? Faut-il laisser parler librement l’élève ou l’obliger à le faire à un moment précis ? Faut-il exercer un contrôle en dirigeant la discussion (Lahire, 1993) ? Quelles doivent être les qualités de la langue orale utilisée par les élèves ?

C’est à l’enseignant que revient la tâche d’organiser les échanges entre élèves – par exemple lors de débats – et de s’assurer de la qualité des situations de communication telles que les exposés oraux formels, les jeux de rôles, les débats, les discussions et l’oral spontané. Toutefois, comme les élèves s’expriment fréquemment dans un langage spontané, susceptible de se révéler pauvre et confus, il devient difficile pour l’enseignant de savoir comment structurer et améliorer son enseignement (Doutreloux, 1989). Dans le même ordre d’idées, Wirthner (1991) affirme que l’enseignement de l’oral est encore lacunaire, car il manque d’indications et d’objectifs méthodologiques précis. Lazure (1994) souligne cette lacune à laquelle les enseignants de français langue première sont confrontés en précisant qu’il y a très peu d’indications sur les critères de progression des apprentissages oraux dans les programmes d’études. En effet, dans le programme du MEQ de 1995 ne figurent ni des renseignements précis à cet égard, ni des stratégies, ni des façons d’enseigner l’oral.

Un indice flagrant de l’imprécision de l’enseignement de l’oral se trouve dans le fait que les enseignants ont plutôt tendance à donner des consignes et des explications sur, par exemple, les éléments prosodiques et le non-verbal, et ce, avant même de présenter un projet de communication aux élèves (Lahire, 1993). Doutreloux (1989) affirme que :

[...] 80 % des difficultés qu’on attribue à l’oral viennent du fait que nous voulons aborder cette matière avec le même souci d’analyse, de progression méthodique et de contrôle que s’il s’agissait d’un champ sémantique d’apprentissage tel que l’écrit ou les mathématiques.

p. 23

Ce constat rejoint les propos de Schneuwly et ses collègues (1996) ainsi que ceux de de Pietro et Wirthner (1996) qui affirment que, dans presque tous les pays francophones, l’oral demeure l’élément le moins considéré dans l’enseignement du français. Si tel est le constat fait en Europe, il est possible d’affirmer qu’il en est de même au Québec (Doutreloux, 1989 ; Lafontaine, 2001). Les facteurs responsables de cette situation sont divers : difficultés à objectiver et à évaluer les performances des élèves ; inconfort des enseignants devant l’enseignement et l’évaluation de l’oral ; absence de matériel didactique clair ; utilisation de méthodes d’enseignement intuitives ; manque de précision au sujet des objectifs généraux ; difficultés liées à la situation de présentation de l’activité orale et notamment à la réaction des pairs et à l’environnement dans lequel se produit l’activité. En somme, que ce soit en Europe ou au Québec, le constat reste le même : l’oral est une des bêtes noires de l’enseignement du français. Dans le même ordre d’idées, l’étude de Messier (2004) révèle que seulement quatre universités québécoises[2] offraient, en 2004, un cours complet sur les différents volets de l’enseignement de l’oral dans la formation des enseignants de français du secondaire. Cela démontre que même dans les programmes de formation des enseignants, la didactique de l’oral n’occupe pas encore une place très importante.

Cependant, il nous semble quelque peu paradoxal que l’oral demeure le « parent pauvre » de l’enseignement du français. En effet, plusieurs enseignants et chercheurs s’entendent pour affirmer son importance dans l’enseignement de la langue. Comme le précisent de Pietro et Wirthner dans une recherche non publiée sur l’enseignement de l’oral en 6e année en Suisse romande, des enseignants ne faisant presque pas d’activités d’oral insistent tout de même sur l’utilité de celles-ci. Cela démontre bien que la place de l’oral en classe de français est toujours ambiguë.

Au sujet des programmes d’études, nous pouvons dire que le programme du MEQ de 1995 préconise l’intégration des pratiques de lecture, d’écriture et d’oral. De plus, il semble que ce soit par le biais de situations de communication signifiantes que les élèves apprennent à mieux maîtriser leur langue orale (MEQ, 1980, 1995 ; Boisseau et Raffestin, 1986). Afin de pallier les problèmes précédemment évoqués et pour donner à l’oral sa place comme objet d’enseignement, la Suisse romande a engagé une rénovation de l’enseignement du français dans laquelle celui-ci fonctionne par genres. On entend ici par « genres » divers types de discours oraux qui relèvent tant des discours courants (tels que des articles d’encyclopédie, des articles de journaux, des textes de vulgarisation scientifique, etc.) que des discours littéraires (tels que des contes, des nouvelles littéraires, des récits, etc.). Ces genres rejoignent les types de discours oraux mis de l’avant dans les programmes du MEQ (1980 , 1995) : discours courants et discours littéraires. Les genres sont également des pratiques orales socialisées que les élèves peuvent retrouver à la télévision et dans la vie de tous les jours, telles que des débats et des discussions. Lorsque ces genres sont précisés, des objectifs d’enseignement peuvent alors être élaborés. Pour illustrer ces propos, Schneuwly et son équipe (1996) précisent que l’enseignement de l’oral doit porter d’abord et avant tout sur des formes bien définies et régulées de l’extérieur, telles que des situations de communication publique. Il faut faire entendre aux élèves la langue orale telle que parlée au quotidien et il faut se pencher sur différentes variantes et contextes de diffusion des situations d’oral : radio, télévision, cassettes, disques, etc.

De Pietro et Wirthner (1996) indiquent que le savoir de l’élève est souvent vérifié en recourant à des activités qui utilisent la langue orale ; ce n’est alors pas la qualité de la langue orale qui est évaluée, mais plutôt la qualité des réponses données oralement par les élèves. En outre, les spécificités de l’oral sont souvent passées sous silence en classe de français. Rares sont les cours ou leçons consacrés à l’enseignement explicite des éléments prosodiques, de la construction dialogique, de la diction, des faits de langue, etc. (Lafontaine, 2001). Lahire (1993) souligne également que l’expression orale est quelquefois évaluée lors d’exercices structuraux tels que former, transformer et modifier de façon partielle des structures de phrases. Cela s’avère révélateur de ce que certains enseignants considèrent comme une « bonne expression orale ». Nous pouvons alors constater que :

La confusion [des enseignants par rapport à cette distance entre l’oral et l’écrit] naît surtout de ce que très souvent on pose la langue parlée/écrite comme deux « niveaux de langue », alors que ce sont deux réalisations, dans deux systèmes différents, de la langue.

Peytard, 1970, dans de Pietro et Wirthner, 1996, p. 32

Dans le même ordre d’idées, les enseignants de français langue première ont tendance à faire de l’hypercorrection et leur compréhension des pauses orales recoupe fidèlement la ponctuation écrite. Lahire (1993) constate qu’une des règles de base des enseignants, lors de la production orale, consiste à exiger des élèves des réponses ou des interventions verbales se présentant sous la forme d’énoncés grammaticalement complets, explicites et ne comportant aucune erreur. En fait, la norme agit sur l’enseignement de la langue à l’insu de ceux qui s’en défendent.

À la lumière des propos précédents, une question s’impose : les enseignants doivent-ils enseigner une langue scolaire, plutôt décontextualisée, ou une langue plus familière, comme celle parlée dans la cour de récréation ? Selon des recherches réalisées aux États-Unis (Tannen, 1982 ; Snow, 1983), il semblerait que l’école veuille enseigner une langue plus soutenue et décontextualisée en situation formelle de communication. En effet, les études de Tannen (1982) et de Snow (1983) ont montré que les élèves réussissant le mieux le passage du primaire au secondaire sont ceux qui ont su maîtriser à la fois la langue de tous les jours et la langue décontextualisée de l’école.

Il n’y a pas de consensus dans la communauté scientifique au sujet de la norme et des registres de langue à employer en classe de français, même si la typologie proposée (registres populaire, familier, correct, soutenu) dans les programmes d’études du MEQ (1995) actuellement en vigueur est celle utilisée dans les manuels didactiques et par les enseignants en classe, avec leurs élèves. Nous pouvons aussi avancer que les élèves ont à la fois besoin de la langue contextualisée, plus familière, et de la langue décontextualisée, plus standard et plus scolaire, pour fonctionner en société (Snow, 1983 ; Amétooyona, 1995 ; Lafontaine, 2001).

En bref, nous pouvons affirmer que l’oral demeure le parent pauvre de l’enseignement du français. Sa place en classe de français demeure toujours ambiguë, car l’oral est surtout considéré comme un médium plutôt que comme un objet d’enseignement. Effectivement, les enseignants passent souvent par l’oral pour faire réaliser des activités d’écriture à leurs élèves. C’est dans ce sens qu’un modèle didactique descriptif de la production orale peut aider les enseignants à former leurs élèves, car il fournit des pistes permettant de développer, entre autres, des activités d’oral structurées telles que les discussions, les exposés et les débats. Des activités semblables, imposées par le MEQ (1980, 1995), relèvent du registre de langue soutenu.

Objectifs de recherche

Nous avons réalisé une recherche qualitative en 2000 dont l’objectif général était d’élaborer un modèle didactique descriptif de la production orale adapté à l’enseignement de l’oral en classe de français langue première au secondaire. Les objectifs spécifiques consistaient à : 1) définir les composantes de différents modèles théoriques traitant de l’enseignement des langues ; 2) dégager les modèles implicites que les enseignants se font de l’enseignement de l’oral ; 3) mettre en relation les composantes dégagées chez ceux-ci et les composantes tirées des modèles théoriques consultés dans les écrits afin de produire un modèle didactique de la production orale. Nous avons répondu à la question de recherche suivante : quelles sont les composantes d’un modèle didactique descriptif de la production orale au secondaire en classe de français langue première ?

Cadre conceptuel

Nous avons recensé quelques modèles utilisés en enseignement des langues et défini le concept « modèle didactique ». L’étude de ces modèles nous a permis de tracer un portrait plus clair de certains éléments essentiels à l’élaboration d’un modèle didactique de la production orale en classe de français langue première au secondaire.

Les modèles de l’enseignement de l’oral commentés par Tochon (1997)

Le modèle écologique de Tochon (1997) nous a particulièrement intéressées, car il propose d’utiliser la prise de parole afin de renforcer les corrélations, dans un projet commun, entre les manifestations du langage. En effet, ce type de modèle rejoint la préoccupation du MEQ (1995) et de certains chercheurs (de Pietro, Érard et Kaneman-Pougatch, 1996 ; Dolz et Schneuwly, 1998) qui souhaitent faire réaliser en classe des projets d’intégration de la lecture, de l’écriture et de l’oral afin qu’un même sujet puisse toucher ces trois éléments de la langue. Il faut cependant être conscient de la longueur et de l’exigence que demande un tel projet pour être réalisé.

Les modèles intégrés de l’enseignement de l’oral commentés par Tochon (1997) montrent qu’il se développe à partir des diverses matières enseignées à l’école. Dans cette perspective, l’oral est intégré au contenu du cours, ce qui rejoint les objectifs du programme de français du MEQ (1995) et les propos des chercheurs au sujet de l’intégration des genres dans l’enseignement de l’oral. Les derniers modèles recensés par Tochon (1997) sont les modèles polymorphes d’enseignement de l’oral. Ces modèles semblent également intéressants, car ils intègrent les meilleurs aspects des modèles précédemment décrits. En fait, ces modèles supposent une compatibilité entre des apprentissages jusqu’à maintenant considérés opposés. Nous pensons qu’il faut retenir les avantages des divers modèles pour l’enseignement de l’oral en classe afin de s’assurer d’intéresser tout enseignant se sentant à l’aise dans la manipulation d’un ou plusieurs éléments de ceux-ci. Nous retenons donc les modèles d’intégration stratifiés qui prévoient une intégration sur plusieurs niveaux. Tochon (1997) suggère un tel modèle qui unit les relations entre les domaines du français (orthographe, grammaire, conjugaison, vocabulaire) dans des projets ou des expériences, sans pour cela négliger les apprentissages oraux particuliers.

Les modèles didactiques de certains genres de Dolz et Schneuwly (1998)

Dolz et Schneuwly (1998) et de Pietro et ses associés (1996) affirment que les genres peuvent être enseignés par la mise en pratique de modèles didactiques des genres, comme l’interview, l’exposé oral, le débat régulé et la lecture faite à quelqu’un d’autre. Cependant, ceux-ci ne représentent pas un modèle général de la didactique de l’oral. Ces modèles didactiques, certes très intéressants, s’avèrent plutôt limités, car ils ne rendent compte que d’une composante de l’oral : les genres et leurs spécificités, ce qui a déjà été amené par d’autres chercheurs, notamment Nonnon (1999).

Un modèle didactique des genres s’avère un « présupposé ainsi que le résultat de l’élaboration et de la réalisation d’une séquence didactique » (Schneuwly et al., 1996, p. 80). Ce type de modèle est également le résultat d’une description sommaire des éléments principaux d’un genre dans la visée de l’enseignement, c’est-à-dire un construit théorique dont la mise en marche s’effectue selon plusieurs choix complexes et qui remplit de nombreuses fonctions. Il explique également les principes, les mécanismes et les formulations qui doivent sous-tendre les objectifs d’apprentissage pour les élèves (Dolz et Schneuwly, 1998). Toujours selon ces chercheurs, on doit aussi retrouver dans un modèle didactique des savoirs de référence mis de l’avant pour travailler tel ou tel genre. Ces savoirs doivent être assez clairement expliqués afin d’être compris à la fois des chercheurs scientifiques et des experts du genre étudié. Les modèles didactiques des genres doivent donc poursuivre une perspective didactique, c’est-à-dire décrire des pistes pour l’action et pour l’intervention didactiques et aider les enseignants à comprendre les erreurs.

Ces modèles didactiques proposent des séquences pédagogiques élaborées sur divers genres (de Pietro et al., 1996 ; Dolz et Schneuwly, 1998). Ces séquences suivent toutes la même démarche, mais diffèrent au niveau de leur contenu :

  1. production initiale : les élèves réalisent une quelconque production à partir de leurs connaissances antérieures ;

  2. état des connaissances des élèves et de leurs représentations ;

  3. réalisation d’un projet concret réalisé pour quelqu’un (une autre classe, un comité, etc.) et déclenché dans la production initiale ;

  4. réalisation de productions simplifiées (modules divers) pour enrichir la production finale ;

  5. production finale.

Cette démarche nous paraît particulièrement intéressante. Conséquemment, nous avons considéré un tel déroulement dans l’élaboration de notre modèle didactique.

Le concept « modèle didactique »

Le modèle didactique que nous avons construit correspond aux attentes théoriques de ce type de modèle. En effet, un modèle est un système qui simplifie la réalité et qui représente une synthèse de l’objet à l’étude, en l’occurrence l’enseignement de l’oral comme il est vécu par certains enseignants de français langue première du secondaire (Walliser, 1977 ; Bertrand, 1979 ; Gosselin, 1990 ; L’Écuyer, 1990 ; Poisson, 1990 ; Sauvé, 1992 ; Legendre, 1993). Cependant, cette réalité n’est que partielle, car les phénomènes que le modèle veut schématiser sont plus complexes et continuent d’évoluer (L’Écuyer, 1990). Cette simplification permet alors une meilleure compréhension de l’objet (L’Écuyer, 1990). Rappelons que tout modèle est incomplet, car la modélisation privilégie certaines propriétés du système et en néglige d’autres.

Le modèle didactique que nous avons élaboré s’inscrit dans une situation pédagogique, soit une situation contextuelle où se déroulent les processus d’enseignement et d’apprentissage (Legendre, 1993). Celle-ci consiste en un ensemble d’éléments interreliés Sujet (élèves du secondaire) – Objet (enseignement de l’oral) – Agent (enseignants de français langue première du secondaire) dans un milieu donné. Pour nous, le modèle didactique est donc une :

[…] représentation d’un certain type de processus d’organisation et de gestion de la situation pédagogique, en fonction de buts ou objectifs globaux particuliers et en relation avec un cadre théorique qui le justifie et lui confère une dimension exemplaire, prescriptive.

Sauvé, 1992, p. 183

Le modèle étant un système, nous avons respecté les préceptes de l’approche systémique de Le Moigne (1977) qui représente la dynamique d’actualisation en classe. De plus, cette approche permet de reconnaître « les interrelations au sein et entre les composantes d’une situation pédagogique » (Legendre, 1993, p. 93). Dans notre modèle, la pertinence permet de sélectionner et d’expliquer les composantes et les articulations estimées significatives et importantes dans un processus. Le globalisme exige que l’objet d’étude soit perçu comme une partie insérée et active dans un plus grand tout. La téléologie permet de ne pas seulement considérer la relation de cause à effet qui peut être invalide dans certaines situations. La téléologie est aussi une réflexion sur les finalités de l’objet à connaître comme des clés d’entrée du dispositif de l’intelligence rationnelle. L’agrégativité permet d’interpréter des éléments qui sont intéressants à travers des simplifications qui imposent la sélection d’agrégats pertinents.

Nous avons voulu construire un modèle proche de la réalité de la classe. Il nous semblait alors indispensable de considérer les modèles implicites de l’oral que possèdent les enseignants en les observant et en les interrogeant. Nous avons cru plus utile et plus pertinent de proposer des pistes pour bâtir un modèle didactique descriptif à partir de leurs modèles implicites et du cadre conceptuel que de le bâtir uniquement à partir de ce cadre puisque les difficultés face à l’enseignement de l’oral proviennent des conceptions que se font les enseignants et de leurs connaissances sur les composantes de l’oral (de Pietro et Wirthner, 1996 ; Lafontaine, 2001).

Méthodologie

Nous avons effectué une recherche qualitative, car nous avons voulu comprendre finement un point de vue, celui des enseignants de français langue première du secondaire au sujet de leur enseignement de l’oral. Pour ce faire, nous avons réalisé des observations non participantes des enseignants en salle de classe durant toute une séquence d’enseignement de l’oral. Par la suite, à la lumière de nos observations, nous les avons interrogés sur leur enseignement de l’oral.

Les participants

Notre recherche s’inscrivant dans un paradigme qualitatif, il convenait que notre échantillon soit restreint. Il était composé de sept enseignants (un enseignant de 1re secondaire [E1A] ; un de 3e secondaire [E3A] ; deux de 4e secondaire [E4A et E4B] ; trois de 5e secondaire [E5A, E5B et E5C]). Ces enseignants pratiquaient l’exposé oral (1re et 3e secondaire), la dramatisation de la nouvelle littéraire (4e secondaire) et le débat (4e et 5e secondaire).

Cet échantillon, quoique exigeant dans le traitement des données, représente un nombre minimal de participants pour permettre de couvrir les divers niveaux de l’ordre d’enseignement secondaire ainsi que les différents types d’oraux traités dans les classes des enseignants. De plus, lors de notre analyse, nous avons remarqué qu’au fur et à mesure de la cueillette, nos données devenaient moins fructueuses, car répétitives ou saturées (Deslauriers, 1991).

L’observation

Nous avons commencé notre expérimentation par l’observation des enseignants dans leurs classes. Les cours étaient enregistrés sur vidéocassettes. Nous avons assisté à une séquence complète d’enseignement de l’oral, c’est-à-dire à l’enseignement des aspects théoriques par l’enseignant et à la partie pratique, à savoir le travail préparatoire à l’activité d’oral ainsi que la production orale des élèves. Nous avons observé des activités d’oral structuré suivant de près les pratiques exigées par les programmes du MEQ qui étaient en vigueur lors de notre expérimentation (1980, 1995). C’est à partir des activités de l’exposé oral, de la dramatisation de la nouvelle littéraire (présentation théâtrale avec narration et jeu des personnages), du débat et des pratiques proposées par le programme du MEQ (1995) que nous avons construit trois grilles de visionnement des bandes vidéo. Les séquences d’enseignement ont duré environ trois à cinq cours de 75 minutes chacun, soit de 3,5 à 6,5 heures pour chaque enseignant. Nous avons d’abord fait une observation directe en prenant des notes, dans la classe, à partir d’une grille d’observation dans laquelle nous notions nos commentaires sur ce que l’enseignant et ses élèves faisaient. Ensuite, nous avons analysé les bandes vidéo, en notant nos observations à l’aide de grilles de visionnement des bandes vidéo. Ces grilles étaient séparées en deux parties ; la première portant sur l’enseignement magistral de l’activité d’oral dispensé par l’enseignant et la seconde sur l’évaluation des élèves par l’enseignant.

L’entrevue semi-dirigée

Afin d’arriver à la compréhension fine des points de vue des enseignants, nous avons également effectué des entrevues semi-dirigées qui leur ont permis d’expliquer leurs façons d’enseigner l’oral. Le guide d’entretien est séparé en deux parties : enseignement de l’oral et langue. La section « enseignement de l’oral » est divisée en deux sous-sections : les modèles et les activités d’oral (différentes selon l’ordre d’enseignement). La section « langue » est séparée en trois sous-sections : les fonctions du langage, la décontextualisation de la langue et les éléments prosodiques.

Nous avons validé nos instruments auprès d’experts des milieux scolaires et universitaires, en l’occurrence trois enseignants de français langue première au secondaire et deux chercheurs universitaires. Nous leur avons fait remplir une grille de validation dans laquelle chaque dimension et chaque sous-dimension de l’enseignement de l’oral à observer ont été explicitées.

La triangulation des données

Nous avons utilisé quelques instruments de recherche dans notre expérimentation, soit les deux types de grilles d’observation et le questionnaire d’entrevues semi-dirigées qui ont été combinés pour éviter les biais inhérents à chacun lorsque considérés de façon individuelle. Afin de réunir les meilleures conditions possible pour observer les séquences d’enseignement de l’oral et de pallier les biais liés à l’observation, nous avons fait appel à un codificateur externe qui a codifié, en plus de nous-mêmes, les séquences didactiques filmées avec nos grilles de visionnement des bandes vidéo. Nous avons ensuite comparé nos grilles.

Le mode de saisie et de traitement des données

Nous avons codifié les données tirées à la fois de notre grille d’observation directe sur le terrain, de nos grilles de visionnement des bandes vidéo et de nos transcriptions d’entrevues semi-dirigées selon des catégories issues de notre cadre conceptuel. Nous avons eu recours à l’analyse de contenu pour analyser les contenus manifestes, mais surtout latents ; nous avons identifié les composantes implicites des modèles d’enseignement de la production orale des enseignants en les rendant explicites dans notre modèle didactique descriptif.

Résultats

Nous rappelons qu’un de nos objectifs spécifiques de recherche était de mettre en relation les composantes dégagées chez les enseignants et les composantes tirées des modèles théoriques consultés dans les écrits afin de produire un modèle didactique descriptif de la production orale. Nous avons donc conclu, à la lumière de nos analyses des observations faites en classe et lors des entrevues, que l’exposé oral classique (compte rendu de lecture et exposé argumentatif) était l’activité privilégiée par trois enseignants (E1A, E3A et E5A). Ces enseignants étant représentatifs de tout l’ordre d’enseignement secondaire, nous avons remarqué que l’exposé oral est une activité encore ancrée dans les pratiques scolaires. Toutefois, les enseignants du deuxième cycle du secondaire (soit E4B, E5B et E5C) ont mis en pratique une activité novatrice : le débat. Cela s’avère d’autant plus intéressant que, lors de la collecte des données en 2000, le programme du MEQ de 1980 était encore en vigueur au deuxième cycle du secondaire et ne proposait qu’une seule activité de production orale : l’exposé. Les enseignants susmentionnés s’étaient donc éloignés du programme et avaient fait preuve de créativité quant à l’enseignement de l’oral. Ces conclusions nous ont permis de constater, à l’instar d’autres chercheurs cités plus haut, que l’enseignement de l’oral se recoupe en deux finalités : il est considéré comme médium et comme objet d’enseignement.

L’oral comme médium d’enseignement

La situation par excellence lors de laquelle l’oral est considéré comme un médium d’enseignement est l’exposé oral formel. Nous faisons ici une nuance importante entre l’idée de « moyen » d’enseignement, élaborée par de Pietro et al. (1996) ainsi que par Dolz et Schneuwly (1998) et le concept de « médium » d’enseignement. Comme nous l’avons vu plus tôt, la référence à l’oral utilisé comme moyen d’enseignement se limite à la notion d’oral « au service » d’autres volets du français. Or, dans notre analyse, nous avons constaté que l’oral, lorsqu’il n’est pas enseigné, est utilisé de façon beaucoup plus diversifiée par les enseignants.

Nous avons observé que les enseignants E1A, E3A et E5A considéraient l’oral comme un médium d’enseignement et non comme un objet, et ce, malgré leurs dires. Leur conception de l’enseignement de l’oral était davantage centrée sur la transmission d’informations : donner des consignes, des explications et des exigences (faire une introduction, un développement et une conclusion ; utiliser un registre de langue correct ou soutenu ; ne pas réciter ou lire un texte, etc.). Ils n’enseignaient pas l’oral systématiquement puisqu’ils ne guidaient pas les apprentissages des élèves. Pour eux, l’oral servait à noter les élèves au bulletin deux fois par année : avant le congé de Noël et à la fin de l’année scolaire, en juin. Afin d’illustrer leurs attentes, ils ont effectué une modélisation de l’exposé devant leurs élèves. Toutefois, celle-ci n’était que partielle, car aucun retour n’était fait sur les forces et les faiblesses des exposés présentés. En ce qui concerne la structure de l’exposé oral, nous avons observé que ces sujets accordaient une grande importance au plan. Cependant, celui-ci semblait plutôt être un outil pour les enseignants que pour les élèves. Le plan restait un schéma des constituants de l’exposé, une sorte de liste à cocher. En somme, ces enseignants n’arrivaient pas à actualiser leurs exigences une fois dans l’action. Dans les cours consacrés à l’exposé, aucun n’était centré sur l’enseignement véritable de l’oral.

Dans un autre ordre d’idées, tous les sujets nous ont dit utiliser l’oral comme médium d’enseignement de façon consciente dans des activités d’oral spontané. Selon eux, les activités d’oral spontané sont des pratiques d’oral improvisées, non prévues à leur horaire, fréquentes et souvent de courte durée. Par exemple, certains contextes comme la gestion de classe se prêtent à ces prises de parole ; les discussions à brûle-pourpoint en début de cours sur un événement quelconque sont des pratiques régulières. Ces activités d’oral spontané représentent des occasions d’utiliser l’oral comme stratégie pour enseigner d’autres volets du français. De plus, les enseignants tolèrent davantage l’utilisation d’un langage plus familier dans ces pratiques, car elles ne sont pas évaluées et font partie du quotidien. Toutefois, comme ces activités spontanées reflètent davantage le vrai langage des élèves, il leur arrivait de travailler ce langage avec eux afin de l’enrichir.

L’oral comme objet d’enseignement

L’oral est également utilisé comme un objet d’enseignement ; cela apparaît dans des activités comme la dramatisation de la nouvelle littéraire et le débat. Nous avons observé que les enseignants E4A, E4B, E5B et E5C favorisent des projets de communication visant l’intégration des pratiques de lecture, d’écriture et d’oral. Ensuite, de façon intuitive, ils font suivre aux élèves la démarche didactique proposée par Dolz et Schneuwly (1998) décrite plus haut[3] : production initiale, état des connaissances des élèves, ateliers formatifs en oral et production finale. Selon eux, cette démarche favorise la prise en charge par l’élève de sa propre communication orale. Par exemple, ils font immédiatement suivre l’explication d’une notion par un atelier pratique afin de constater les forces et faiblesses de leurs élèves sur cette connaissance. Aussi, une modélisation totale est souvent exercée, c’est-à-dire qu’elle est suivie d’un retour. De plus, les sujets insistent sur les procédés propres à l’oral comme la formulation de phrases interrogatives courtes et l’importance de la narration. Ils mettent aussi l’accent sur des spécificités de l’oral, par exemple modifier le texte écrit pour l’exprimer à l’oral, éviter les redondances, varier la formulation d’idées, prendre du temps pour reformuler, identifier l’intention de communication. Ces enseignants mettent également en pratique un autre élément proposé par Dolz et Schneuwly (1998) : celui du destinataire autre. En proposant aux élèves de réels destinataires (élèves et personnel de l’école, auditoire réel d’un concours, caméra, amis et enseignants d’autres classes), ceux-ci sont d’autant plus motivés. Ces enseignants préparent ainsi des ateliers formatifs afin de consolider les apprentissages des élèves, pour ensuite les mener vers une évaluation sommative préparée. Selon les enseignants observés, les élèves ont appris à prendre en charge leur propre communication orale et à transférer les apprentissages faits dans d’autres volets de l’enseignement du français.

En d’autres mots, les sujets E4A, E4B, E5B et E5C présentent d’abord aux élèves l’intention et la situation de communication. Pour eux, présenter l’intention de communication de façon systématique démontre aux élèves que l’oral ne se réduit pas seulement à une note accordée, mais signifie des apprentissages. Pour ce faire, les sujets disent expliquer aux élèves les buts d’apprentissage de l’activité : connaître le but de l’exercice, voir le fil conducteur du projet, faire une critique personnelle, informer, convaincre, etc. En fait, l’intention de communication s’avère le point de départ d’un projet de communication orale.

À l’intention de communication se greffe la situation de communication. Il nous est apparu que cette dernière se divise en deux parties : les types de sujets et la prise en compte des intérêts des élèves. Les enseignants présentent les sujets aux élèves selon quatre formes : sujets d’actualité (liste) ; sujets traitant de la vie scolaire ; sujets culturels et sujets tirés de la vie courante. Les enseignants affirment choisir des sujets qui sont soit signifiants (près du vécu des élèves, donc qui les intéressent d’emblée), soit non signifiants (sujets culturels n’intéressant pas les élèves au premier abord). Les enseignants rendent ces sujets intéressants par des mises en situation et les choisissent parce qu’ils désirent ouvrir les élèves au monde et à la culture et ainsi favoriser un apprentissage. Ensuite, la prise en compte des intérêts des élèves se traduit dans plusieurs domaines : le jeu, le destinataire autre et la prise en compte de l’auditoire.

Lorsque l’intention et la situation de communication sont présentées, les enseignants mettent en pratique de façon intuitive la démarche didactique proposée par Dolz et Schneuwly (1998). Cette démarche se greffe à leurs activités d’oral planifié et intégré et leur permet de rendre explicite leur enseignement de l’oral. Les sujets trouvent important de faire vivre l’activité aux élèves avant la production finale, que ce soit par tous les élèves ou par quelques-uns qui servent de modèle aux autres. Ils ajoutent que les ateliers formatifs sont une stratégie utilisée pour enseigner des éléments de l’activité d’oral qui permettent de leur faire partager les forces ainsi que les faiblesses et de leur faire vivre différents rôles oraux. Ces ateliers permettent également aux enseignants de s’ajuster aux besoins des élèves. Ils y voient aussi un autre avantage : la diminution du stress, de l’anxiété chez les élèves, car ils se sentent prêts à être évalués.

L’analyse de nos données nous a permis d’identifier cinq types d’ateliers formatifs que les enseignants font faire aux élèves. Ces caractéristiques sont spécifiques à notre modèle ; elles ne se retrouvent pas dans ceux de Dolz et Schneuwly (1998). Le premier type d’atelier porte sur la modélisation totale, c’est-à-dire une démonstration de l’enseignant ou des élèves sur laquelle l’enseignant fait un retour en groupe afin d’en identifier les forces et les faiblesses. Cet atelier permet ensuite de dégager des objectifs d’apprentissage, ce qui n’était pas le cas avec la modélisation partielle évoquée dans le statut oral « médium d’enseignement ». Le deuxième type d’atelier propose des activités sur l’apprentissage des rôles à jouer. En effet, animer une discussion, une table ronde ou un débat ne nécessite pas les mêmes habiletés. Le troisième type d’atelier porte sur les apprentissages liés aux types de pratiques. Un débat est différent d’un exposé explicatif, car on n’explique pas comme on réfute. Il est donc important pour les enseignants de faire des activités formatives concernant le genre. Le quatrième type d’atelier traite des apprentissages reliés aux faits de langue. Dans ces activités, les enseignants thématisent des erreurs ou faits langagiers afin que les élèves apprennent à les surmonter ou à les utiliser correctement. Par exemple, un enseignant a fait un atelier sur les éléments prosodiques ; un deuxième sur le registre de langue soutenu ; un troisième sur le non-verbal. Le dernier type d’atelier permet d’approfondir une autre spécificité de l’oral : l’apprentissage des techniques d’écoute. L’écoute est effectivement indissociable de la production orale, particulièrement dans les activités obligeant les participants à reformuler ou à réfuter. En bref, ces ateliers formatifs dirigent les élèves vers une évaluation sommative préparée, car ils se sont exercés de façon autonome et consciente. Finalement, selon les enseignants, le fait de considérer l’oral comme un objet d’enseignement a un impact positif sur les élèves, car ils ont fait des apprentissages durables et transférables dans d’autres situations.

Partie I de notre modèle : l’oral utilisé comme médium d’enseignement

L’oral utilisé comme médium d’enseignement constitue le premier volet de notre modèle. Dans cette perspective, l’oral est d’abord utilisé comme principale stratégie au service de l’enseignement des différents volets du français (partie I.1 de notre modèle). L’oral médium d’enseignement peut également se traduire en activités d’oral planifié (partie I.2), comme l’exposé oral formel, c’est-à-dire prévu dans la planification de l’enseignant. De plus, les enseignants font une modélisation partielle (partie I-2.1) et donnent seulement des consignes et des explications sur le contenu de l’activité (partie I.2.2) et sur les faits de langue. Ces activités débouchent sur une évaluation sommative non précédée d’une évaluation formative (partie I.2.3), de sorte que les élèves ne s’exercent pas avant d’être notés et n’ont pas développé de compétences langagières. Finalement, l’oral médium d’enseignement peut aussi se traduire en activités d’oral spontané (partie I.3) selon des types de pratiques précis (partie I.3.1). Ces pratiques se déroulent dans des contextes déterminés (partie I.3.2) qui sont différents des activités d’oral planifié. Dans ces circonstances, le niveau de langue familier (partie I.3.3) est très souvent utilisé par les élèves et parfois même par les enseignants, ou du moins il est toléré.

Il est alors facile de comprendre que l’impact sur les élèves dans ce statut d’utilisation de l’oral est très limité (partie I.4). L’oral utilisé seulement comme un médium d’enseignement ne les rend pas conscients de leurs compétences langagières et ne leur permet pas de prendre en charge leur propre communication orale.

Partie II de notre modèle : l’oral utilisé comme objet d’enseignement

L’oral utilisé comme objet d’enseignement explicite et structuré constitue le deuxième volet de notre modèle. Ce second statut est novateur. Dans cette perspective, l’oral est d’abord présenté aux élèves comme un projet de communication bien structuré, avec une intention de communication précise (partie II.1) et une situation de communication (partie II.2). Cela fait, les enseignants proposent aux élèves des activités d’oral planifié à leur horaire et intégré (partie II.3). Dans ces activités, les élèves doivent s’exprimer dans un langage correct ou soutenu, en utilisant une langue décontextualisée (comme le proposent les programmes d’études et les chercheurs). Ces activités sont organisées selon la démarche didactique proposée par Dolz et Schneuwly (1998) : production initiale (partie II.3.1), état des connaissances des élèves (partie II.3.2), ateliers formatifs en oral (partie II.3.3) et production finale (partie II.3.4). Toutefois, nous rappelons que notre modèle se démarque de la démarche de Dolz et Schneuwly, car nous y avons ajouté cinq types d’ateliers formatifs précis mis en pratique par les enseignants : la modélisation totale par l’enseignant et parfois par l’élève ; l’apprentissage des rôles à jouer (animateur, modérateur, expert, etc.) ; l’apprentissage lié aux types de pratiques (selon le genre : débat, discussion, etc.) ; l’apprentissage des faits de langue (éléments prosodiques, non verbal, registres de langue, etc.) et l’apprentissage des techniques d’écoute. Ces ateliers formatifs permettent aux élèves de vivre une évaluation sommative préparée (partie II.3.4).

L’oral considéré comme un objet d’enseignement a un impact beaucoup plus grand et positif sur les élèves (partie II.4). Ces derniers ayant suivi une démarche didactique basée sur des objectifs d’apprentissage précis prennent en charge leur communication orale et peuvent transférer leurs compétences dans d’autres situations scolaires et quotidiennes. L’oral devient ainsi un apprentissage explicite et un objet d’enseignement à part entière.

Discussion des résultats

Notre modèle didactique descriptif représente une réalité qui est celle de l’enseignement de l’oral en classe de français du secondaire tel qu’il est vécu par certains enseignants. En premier lieu, il simplifie la réalité de l’enseignement de l’oral en classe de français au secondaire, ce qui permet une meilleure compréhension ainsi qu’une synthèse de l’objet d’étude. Puisque nous avons vu que l’oral se recoupe en deux statuts – médium et objet d’enseignement – nous avons axé notre modèle sur cette dichotomie. De plus, le modèle représente une synthèse des composantes des relations SOMA au sein d’une situation didactique, telles que proposées par Legendre (1993), le Sujet étant l’élève, l’Objet se définissant comme les différents statuts de l’enseignement de l’oral, le Milieu étant la salle de classe et l’Agent devenant les enseignants.

Notre modèle didactique descriptif respecte également les préceptes de l’approche systémique de Le Moigne (1977). Il fait preuve de pertinence, car il tient compte des éléments de l’enseignement de l’oral qui sont nécessaires à sa fonction. Il se veut également global, cohérent et clair, ce qui en facilite la compréhension. Dans le même ordre d’idées, ce modèle est fécond puisqu’il permet de saisir la réalité de l’enseignement de l’oral sous de nouveaux angles et permet une réflexion téléologique, comme nous l’avons démontré dans l’analyse de données. Finalement, il permet d’interpréter des éléments intéressants et pertinents à l’enseignement de l’oral, car sa simplicité favorise la compréhension (principe de l’agrégativité).

Figure 1

Modèle didactique descriptif de la production orale en classe de français langue première au secondaire

Modèle didactique descriptif de la production orale en classe de français langue première au secondaire

-> Voir la liste des figures

Nous estimons que notre recherche apporte un élément neuf à la didactique de l’oral, car nous avons élaboré de façon beaucoup plus détaillée l’oral utilisé comme un médium d’enseignement que dans les modèles théoriques d’enseignement des langues considérés dans cette étude, entre autres en le reliant aux activités d’oral planifié et spontané. De plus, nous proposons une analyse de la situation de communication plus exhaustive que dans les modèles consultés. Nous avons également pu constater que les ateliers formatifs à l’oral se divisaient en cinq types bien précis : la modélisation totale par l’enseignant et parfois par l’élève, l’apprentissage des rôles à jouer, l’apprentissage lié aux types de pratiques, l’apprentissage relié aux faits de langue et l’apprentissage des techniques d’écoute.

Notre recherche qualitative comporte toutefois certaines limites. D’abord, le modèle n’est pas généralisable, car il fait état de la pratique de sept enseignants de français langue première du secondaire. Toutefois, comme il est bien connu que peu de pratiques faisant foi d’un réel enseignement de l’oral existent, nous croyons que le modèle pourrait aider les enseignants à réfléchir à des façons concrètes de mener à bien cet enseignement. Il est également clair que notre étude a dressé un portrait d’une réalité qui a probablement déjà changé. Nous rappelons qu’un modèle est imparfait, car il représente certains éléments de la réalité au détriment d’autres. Finalement, pour s’assurer de l’efficacité du modèle, il aurait fallu, d’une part, suivre les sujets sur plus d’une année scolaire afin de voir comment ils faisaient évoluer leur enseignement de l’oral et, d’autre part, suivre des élèves pour connaître leurs perceptions des apprentissages oraux qu’ils auraient faits par la mise en pratique du modèle didactique.

Finalement, à l’aube de changements didactiques dans l’enseignement secondaire qui font converger les contenus disciplinaires vers l’interdisciplinarité et les compétences transversales, nous pensons que la « didactisation » de notre modèle par les formateurs, les conseillers pédagogiques et les enseignants pourrait s’étendre à d’autres disciplines telles que l’enseignement religieux et moral ou culture religieuse, l’univers social ainsi que l’art dramatique. Nous sommes persuadées que les enseignants de français, possédant de profondes connaissances sur la langue, pourront accompagner leurs collègues des autres disciplines dans des projets communs d’enseignement et les conscientiser à l’utilisation de l’oral dans toutes les matières scolaires. Comme la compétence « communiquer de façon appropriée » est une compétence transversale reconnue dans les nouveaux programmes d’études du MEQ (2001, 2003), nous croyons que la diffusion de notre modèle dans différents milieux permettrait aux locuteurs de prendre en charge leur communication orale dans toutes les situations scolaires et quotidiennes.

Conclusion

Nous avons dégagé les modèles implicites de l’enseignement de l’oral des sujets de notre étude que nous avons mis en relation avec les composantes de modèles théoriques d’enseignement des langues issues du cadre théorique. Cela nous a permis de répondre à notre question de recherche : quelles sont les composantes d’un modèle didactique descriptif de la production orale au secondaire en classe de français langue première ? Ainsi, nous avons proposé le modèle didactique descriptif de la production orale en classe de français langue première.

Nous avons certes pu cerner la problématique de l’enseignement de l’oral, mais nous n’avons pas traité de certains points d’ombre, comme l’évaluation de l’oral. En effet, celle-ci demeure encore floue pour les enseignants et mérite d’être approfondie par d’autres recherches. Tout comme nous l’avons explicité précédemment, plusieurs enseignants ressentent de l’insécurité face à l’enseignement de l’oral, ce qui est en grande partie dû à l’évaluation.

Nous croyons que le travail fait autour du modèle proposé ouvre une autre piste de recherche, car il fait état de la production orale et non de la compréhension orale en tant que telle. Or la compréhension de l’oral, quoique intimement reliée à sa production, est un domaine encore peu exploré en français langue première et peu maîtrisé par les élèves (Broi et Soussi, 1999). Pourtant, cette compréhension est une compétence transversale qui nécessite l’attention des chercheurs et des enseignants. Nous abordons cependant l’écoute dans notre modèle didactique. Tous les enseignants interrogés dans notre expérimentation ont affirmé que l’écoute fait partie intégrante de l’enseignement de l’oral. Pourtant, plusieurs sujets ont affirmé se sentir limités dans leurs interventions face au manque d’écoute des élèves. Certains enseignants nous ont dit sensibiliser les élèves à l’écoute, mais sans résultat probant. Nous pouvons facilement constater que d’autres recherches sont nécessaires afin de trouver des solutions à cette problématique et construire des outils didactiques.

Nous soulevons aussi l’importance des faits de langue dans l’enseignement de l’oral. Même s’il nous est apparu de façon très claire dans l’expérimentation que peu prodiguent un enseignement systématique des éléments prosodiques et de l’analyse du langage, nous croyons tout à fait pertinent de pousser la recherche en ce sens afin d’outiller les futurs enseignants de français et les enseignants en exercice pour qu’ils réussissent de plus en plus à considérer l’oral comme un objet d’enseignement.