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Introduction

L’évaluation de la composante théorique de l’enseignement se fait presque automatiquement dans les universités nord-américaines (Bernard, Postiaux et Salcin, 2000). Toutefois, même si, dans une proportion de 62 %, les politiques des universités canadiennes stipulent que les activités d’enseignement telles la direction de thèses, la supervision d’étudiants en stage ou en clinique peuvent être évaluées, il semble que l’intervention du professeur en salle de cours soit pratiquement la seule activité d’enseignement qui fasse l’objet d’une évaluation (Bernard, Grenier et Kérouac, 1994 ; Murray, 1991).

Dans les programmes professionnels universitaires, tels les sciences de la réadaptation, les sciences infirmières, la médecine, la formation des maîtres, la composante théorique d’un cours sert souvent de base pour le développement des habiletés des étudiants ; ces habiletés sont améliorées par le biais des expériences pratiques (Viverais-Dresler et Kutschke, 2001). Les sciences infirmières font partie de ces programmes où les expériences cliniques occupent une part importante de la formation, soit environ 50 % de la totalité des enseignements reçus (Benor et Leviyof, 1997 ; Ferguson, 1996 ; Kotzabassaki, Panou, Dimou, Karabagli, Koutsopoulou et Ikonomou, 1997). Or, même si toutes les professions croient en l’importance de l’enseignement pratique pour transformer les étudiants novices en professionnels compétents, il demeure tout de même que les recherches conduites sur l’évaluation de ce volet de l’enseignement sont beaucoup plus rares que celles qui touchent l’évaluation du volet théorique (Nehring, 1990 ; Paterson, 1991 ; Scanlan, 2001). Des chercheuses en sciences infirmières (Gignac-Caille et Oermann, 2001 ; Kanitsaki et Sellick, 1989 ; Löfmark et Wikblad, 2001 ; Morgan, 1997 ; Windsor, 1987 ; Zimmerman et Westfall, 1988) ont mené des études portant sur l’évaluation de l’enseignement en milieu clinique et ce, dans différents programmes des sciences infirmières. Elles ont utilisé des approches quantitatives qui leur ont permis de faire ressortir des listes de caractéristiques ou de comportements indicateurs de la qualité de l’enseignement clinique. Cependant, selon Scanlan (2001), leurs résultats sont non concluants, car certains de ces travaux présentent des problèmes méthodologiques importants. De plus, les buts de ces recherches sont souvent imprécis et leurs résultats, souvent contradictoires.

Par contre, des chercheuses (Carr, 1983 ; Pardo, 1991 ; Paterson, 1991 ; Rosenthal, 1987 ; Scanlan, 1997) ont utilisé des approches qualitatives pour définir les composantes du processus de l’enseignement clinique. Leurs travaux n’ont toutefois pas été considérés dans l’élaboration d’un cadre conceptuel pouvant sous-tendre l’évaluation de l’enseignement clinique en sciences infirmières.

L’identification des éléments d’évaluation de l’enseignement clinique en sciences infirmières selon une approche qualitative est le but de la présente recherche. L’intérêt et la pertinence d’utiliser une approche de ce type sont soutenus par les propos de Hedin (1989). Cette dernière déplore que les méthodologies utilisées dans la plupart des études menées pour évaluer l’enseignement en milieu clinique mettent l’accent sur les interactions professeures-étudiantes, mais ne permettent pas aux professeures de réfléchir sur leurs pratiques d’enseignement en milieu clinique.

Recension des écrits

Pour appuyer cette étude, une revue exhaustive de la documentation portant sur l’évaluation de l’enseignement clinique en sciences infirmières a été réalisée. Ce cadre d’analyse a permis d’alimenter la discussion des résultats.

Recherche sur l’évaluation de l’enseignement clinique en sciences infirmières

Les recherches sur l’évaluation de l’enseignement clinique en sciences infirmières peuvent être classées en trois catégories : celles qui rapportent les perceptions des étudiantes, ou les perceptions des professeures, ou encore les recherches qui ont comparé les perceptions des deux groupes.

Perceptions des étudiantes

De nombreuses études (Benor et Leviyof, 1997 ; Cooke, 1996 ; Hamilton, 1996 ; Hartland, 1993 ; Kanitsaki et Sellick, 1989 ; Morgan, 1997 ; Pugh, 1980) se sont penchées exclusivement sur l’identification des perceptions des étudiantes au regard des éléments d’évaluation de l’enseignement clinique en sciences infirmières. Tout comme les buts de ces recherches qui sont multiples, les méthodologies employées et les populations visées le sont tout autant. Il a tout de même été possible de catégoriser les résultats, ce qui a permis d’identifier les éléments importants pour évaluer l’enseignement clinique. Les éléments identifiés sont reliés au concept de rapport (disponibilité à l’égard des étudiantes, relations interpersonnelles, caractéristiques personnelles), de même qu’aux habiletés pédagogiques (pratiques d’enseignement et d’évaluation, compétence clinique). Il faut signaler la diversité des résultats de ces recherches quant à l’importance accordée par les répondantes à chacun des éléments qui leur étaient présentés dans les instruments de collecte de données.

Perceptions des professeures

Les perceptions des professeures concernant les comportements pertinents à l’évaluation de l’enseignement clinique ont aussi été explorées (Choudhry, 1992 ; Morgan, 1991 ; Rogers, 1997 ; Sellick et Kanitsaki, 1991 ; Wellard, Rolls et Ferguson, 1995 ; Whitman, 1988 ; Wirfs, 1991). À l’instar de leurs collègues, qui ont uniquement mesuré les perceptions des étudiantes, leurs résultats, bien qu’ils rejoignent sensiblement les mêmes catégories, sont inconsistants. Ainsi, les conclusions de Sellick et Kanitsaki (1991) sont en accord avec celles de Pugh (1980), qui révèle que les comportements rattachés à l’enseignement, la compétence infirmière, l’évaluation, le rôle de conseillère et l’application de la théorie à la pratique sont d’égale importance pour favoriser les apprentissages des étudiantes. Toutefois, en comparant leurs résultats à ceux des études qui incluent les perceptions des étudiantes, Sellick et Kanitsaki concluent que, tout comme les étudiantes, les professeures considèrent que les comportements reliés à l’enseignement sont de première importance, alors que ceux qui touchent l’évaluation sont relayés au dernier plan.

Perceptions des professeures et des étudiantes comparées

O’Shea et Parsons (1979) ont comparé les perceptions des professeures et des étudiantes concernant les comportements indicateurs de qualité en enseignement clinique. Bien qu’ils puissent paraître anciens, leurs travaux, encore aujourd’hui maintes fois cités, ont donné le pas à plusieurs recherches du même type.

Ces recherches ont été conduites auprès de populations de professeures et d’étudiantes issues de différents programmes de formation en sciences infirmières (Bergman et Gaitskill, 1990 ; Gignac-Caille et Oermann, 2001 ; Hamilton, 1996 ; Johnson, Aasgaard, Wahl et Salminen, 2002 ; Krichbaum, 1994 ; Löfmark et Wikblad, 2001 ; Mogan et Knox, 1987 ; Murphy, 1988 ; Nehring, 1990 ; Reeve, 1994 ; Sando, 1997 ; Stoltenberg, 1997). Une grande variabilité dans la taille des échantillons distingue ces études entre elles, ce qui peut expliquer le manque de fidélité des résultats produits. Quoique ces derniers témoignent d’une certaine constance dans l’identification des éléments d’évaluation de l’enseignement clinique (qualité des relations entre professeure et étudiantes, importance de la multiplicité des rôles d’infirmière ou d’enseignante, qualités personnelles), ils demeurent toutefois inconsistants. En effet, certaines auteures indiquent que la qualité des relations interpersonnelles est plus importante pour les étudiantes, alors que les professeures privilégient d’abord la compétence professionnelle (Brown, 1981 ; Murphy, 1988). Paradoxalement, d’autres études ont montré une certaine homogénéité entre les perceptions des deux groupes (Bergman et Gaitskill, 1990 ; Knox et Mogan, 1985 ; Mogan et Knox, 1987 ; Lee, Cholowski, Krystyna et Williams, 2002). Les résultats de certaines recherches démontrent que le niveau académique des étudiantes semble être une variable d’influence, puisque les opinions des professeures et des étudiantes se rapprochent d’autant plus que ces dernières sont en fin de programme (Hamilton, 1996 ; Sando, 1997) ; cette affirmation est, par contre, réfutée par Morgan (1997).

Nonobstant le fait que les recherches recensées dévoilent des résultats intéressants sur l’évaluation du volet clinique de l’enseignement en sciences infirmières, des problèmes d’échantillonnage et de méthodologie font en sorte qu’il est presque impossible de synthétiser ces résultats et d’avoir une vision claire des éléments à évaluer en enseignement clinique. Les principales critiques adressées à ces recherches touchent l’absence d’un cadre conceptuel, l’échantillonnage et les types de méthodologies utilisées.

Recherches sur les composantes du processus de l’enseignement clinique en sciences infirmières

La consultation de certains travaux de recherche (Rosenthal, 1987 ; Carr, 1983 ; Pardo ; 1991 ; Paterson, 1991 ; Scanlan, 1997) s’est avérée précieuse pour décrire et expliquer le processus de l’enseignement clinique, de manière à en faire ressortir les composantes. Les résultats de ces recherches permettent de dire que les composantes centrales de l’enseignement clinique comprennent (1) la transmission des savoirs théoriques vers les savoirs pratiques, (2) l’évaluation des besoins et de la compétence clinique des étudiantes. Ces composantes centrales sont influencées par certains facteurs tels que :

  1. Premier niveau d’influence

    • La qualité des relations de la professeure à la fois avec les étudiantes et le milieu clinique.

    • L'utilisation de stratégies d'enseignement adaptées aux besoins d'apprentissage des étudiantes et aux objectifs à atteindre.

  2. Deuxième niveau d’influence

    • Les valeurs personnelles et professionnelles (caring) de la professeure.

    • La notion de l'identité professionnelle de la professeure dans le milieu d'enseignement.

  3. Troisième niveau d’influence

    • La définition de la fonction d'enseignement reliée à la notion de l'identité professionnelle.

But et question de recherche

Le but de la présente étude est de préciser l’intention du processus d’évaluation de l’enseignement clinique, c’est-à-dire les éléments pouvant constituer l’objet de l’évaluation de l’enseignement clinique en sciences infirmières. La question de recherche s’énonce comme suit : Quels sont les éléments sur lesquels devrait porter l’objet de l’évaluation de l’enseignement clinique en soins infirmiers au niveau collégial ?

Méthodologie

Cette recherche s’est déroulée dans le contexte de l’enseignement clinique des soins infirmiers en milieu collégial. La collecte des données a été réalisée auprès de six professeures et six étudiantes francophones de trois collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps) de la région de Montréal, qui offrent le programme de Soins infirmiers, d’une durée de trois ans. La sélection des professeures a été effectuée en respectant deux critères : 1) enseigner en milieu clinique au niveau de la troisième année de formation ; 2) avoir un minimum de trois sessions d’expérience dans ce volet de l’enseignement des soins infirmiers.

Tableau 1

Profil des professeures participantes

Profil des professeures participantes

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Comme le tableau 1 en témoigne, l’expérience des professeures dans l’enseignement clinique dépassait largement les exigences requises pour participer à la présente étude. Cette grande expérience des professeures dans les milieux d’enseignement clinique a permis de recueillir des points de vue riches, puisque toutes ont pu se référer aux différentes étapes de leur évolution en tant qu’enseignante en milieu clinique. Le seul critère exigé chez les étudiantes était d’être inscrites en troisième année au programme collégial de soins infirmiers.

La recherche a privilégié deux méthodes de collecte de données, l’observation directe de même que l’entrevue semi-structurée. L’observation directe de chacune des professeures en interaction avec son groupe de six étudiantes dans leur milieu d’enseignement clinique respectif a précédé les entrevues. Ces six périodes d’observation étaient d’une durée de huit heures chacune, correspondant ainsi à une journée d’enseignement clinique ; les interactions entre les professeures, les étudiantes et les patients ont été observées. Durant les périodes d’observation, la chercheuse a tenu un journal de bord où elle a inscrit ses perceptions de la situation et ses sentiments au regard des valeurs véhiculées par les participantes. Les observations ont également été appuyées par des anecdotes, de même que par des réflexions recueillies sur le site.

L’entrevue individuelle semi-structurée, enregistrée sur bande magnétophonique et d’une durée approximative de 60 minutes, s’est déroulée auprès de chacune des 12 participantes (professeures et étudiantes). Afin de rejoindre les perspectives des répondantes de chacun des deux groupes, deux guides d’entretien différents ont été élaborés. Certains thèmes sur lesquels étaient construits les guides étaient similaires pour les deux groupes de participantes. Ces thèmes étaient :

  • Vision du processus d'enseignement clinique

  • Caractère distinctif de l'enseignement clinique

  • Éléments d'évaluation de l'enseignement clinique

Par ailleurs, certaines différences entre les deux guides étaient observables, au regard des éléments suivants :

  • La perception du rôle de la professeure en milieu clinique

  • Les attentes des étudiantes envers la professeure

  • L'apprentissage en milieu clinique

Les données recueillies ont été traitées, analysées et interprétées selon le plan suivant :

  1. La transcription et la détermination des unités d’analyse

    • Transcription du verbatim

    • Lecture en profondeur pour une pré-analyse

    • Codage manuel des données pour déterminer les unités de sens

  2. L’analyse sélective et le codage

    • Identification des catégories provisoires

    • Codage mixte (catégories fermées et catégories ouvertes)

  3. Le traitement et l’interprétation des données

    • Production de cartes de concepts individualisées pour chacune des participantes

    • Révision des catégories et sous-catégories

    • Validation externe auprès d’experts en enseignement clinique des soins infirmiers

    • Validation interne auprès de chacune des participantes à l’étude

    • Classification finale des catégories à partir de la grille d’analyse

    • Émergence des compétences comme objet d’évaluation

Analyse des résultats

L’analyse des données permet d’énoncer que l’objet d’évaluation de l’enseignement clinique en soins infirmiers devrait comporter cinq compétences principales : (a) humaine, (b) pédagogique, (c) technique, (d) professionnelle infirmière et (e) organisationnelle.

Figure 1

Illustration schématique des compétences comme éléments de l’évaluation de l’enseignement clinique

Illustration schématique des compétences comme éléments de l’évaluation de l’enseignement clinique

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Il paraît toutefois approprié de situer le contexte qui a généré une telle catégorisation (Figure 1). Les participantes, qui se sont tout d’abord prononcées sur leur conception de l’enseignement clinique, accordent à celle-ci un caractère particulier. Selon elles, les notions de réalité et de relation privilégiée entre la professeure et ses étudiantes ne se retrouvent pas dans l’enseignement donné en salle de cours. Dès lors, les répondantes, qui mettent l’accent sur la qualité de la relation qui s’instaure entre les deux parties, introduisent les éléments d’évaluation de l’enseignement clinique. Ainsi, pour les participantes, le maintien de la qualité de la relation est imputable à la professeure, car en milieu clinique elle doit gérer les nombreux facteurs qui influencent cette relation. En réponse à ces facteurs d’influence, la professeure développe des compétences principales auxquelles se greffent des compétences satellites. Ces dernières sont davantage explicitées par des indicateurs. Dans cette étude, les sens accordés à ces trois termes sont les suivants :

  1. Compétence principale :savoir y faire d’ordre général, englobant toutes les interactions sociales, cognitives, affectives et psychomotrices entre la professeure et la réalité du milieu clinique (Perrenoud, 1997, p. 63, définition adaptée par l’auteure de cette étude).

  2. Compétence satellite :savoir y faire spécifique, permettant d’illustrer concrètement une compétence principale (définition de l’auteure de cette étude).

  3. Indicateur :élément qui renseigne sur le développement d’une compétence satellite (définition de l’auteure de cette étude).

Les participantes conçoivent les éléments d’évaluation selon un ensemble de compétences principales à acquérir, imbriquées les unes dans les autres, plutôt que sur des comportements présentés de façon cloisonnée. Chacune des cinq compétences est présentée de façon analytique.

La compétence humaine

La compétence humaine (Tableau 2) occupe une place de choix, puisque la majorité des répondantes l’ont spontanément mentionnée en premier lieu. Les étudiantes précisent que la compétence humaine est encore plus importante pour les étudiantes de première année. Cette compétence touche les qualités interpersonnelles et personnelles qui facilitent les rapports avec les étudiantes ainsi qu’avec le personnel clinique. La compétence humaine est d’autant plus significative qu’elle permet de contrer les effets du niveau d’anxiété, très élevé chez les étudiantes lorsqu’elles évoluent en milieu clinique.

Tableau 2

La compétence humaine comme premier élément d’évaluation de l’enseignement clinique

La compétence humaine comme premier élément d’évaluation de l’enseignement clinique

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Les participantes définissent des compétences satellites auxquelles la compétence humaine fait référence, soit l’établissement du climat de confiance, la manifestation d’une attitude empathique et l’utilisation des qualités personnelles. Ces dernières sont raffinées de telle sorte qu’elles permettent de concrétiser la compétence humaine.

L’établissement du climat de confiance, en plus de préserver la relation privilégiée entre la professeure et les étudiantes, est un moyen de faciliter la réussite des apprentissages des étudiantes. Le mandat des professeures à ce niveau est de deux ordres : créer la confiance mutuelle et augmenter la confiance en soi de l’étudiante. D’une part, la confiance établie entre les deux parties diminue le stress de l’enseignante, car celle-ci sent l’étudiante ouverte à l’apprentissage et à la rétroaction ; d’autre part, l’étudiante ne se perçoit pas comme constamment jugée dans ses apprentissages. De plus, en stimulant la confiance en soi de l’étudiante, la professeure favorise l’honnêteté et l’authenticité chez cette dernière, lui permettant de s’auto-évaluer de façon juste. La valorisation des étudiantes, qui est la troisième compétence satellite à l’établissement du climat de confiance, est certainement celle sur laquelle insistent le plus les étudiantes pour se donner d’abord confiance et, par la suite, faire confiance à leur professeure.

La deuxième compétence satellite, la manifestation d’une attitude empathique, quoique plus abstraite par le terme, se concrétise par les indicateurs qui la décrivent. L’ouverture à l’autre, la compréhension et la préservation de l’ego, tout en étant des indicateurs très près l’un de l’autre, revêtent des sens complémentaires. Par son ouverture à l’autre, la professeure s’intéresse à l’étudiante comme personne ; par sa compréhension de l’étudiante, elle est davantage centrée sur celle-ci dans son processus d’apprentissage. La préservation de l’ego vient compléter les deux précédents en ce que la professeure porte attention à l’étudiante comme personne, en ayant le souci de préserver sa dignité, mais également en intégrant la réflexion au rang de ses objectifs d’apprentissage.

L’utilisation des qualités personnelles est probablement la compétence satellite dont l’importance est la plus significative pour les étudiantes. En effet, les étudiantes font ressortir de nombreuses qualités personnelles qu’elles apprécient chez leurs professeures ; ces qualités contribuent au succès de leurs apprentissages. Du côté des professeures, les commentaires sur le sujet sont plus rares. C’est plutôt l’observation de ces dernières en milieu clinique qui a permis de corroborer les propos des étudiantes. Toutes les qualités personnelles énumérées sont valorisées ; cependant, il apparaît évident que selon toutes les étudiantes, c’est l’ouverture à la critique qui chapeaute l’ensemble.

La compétence pédagogique

La compétence pédagogique (Tableau 3) est, hors de tout doute, un des éléments d’évaluation essentiels de l’enseignement clinique. Toutefois, les deux groupes sont partagés sur le niveau de priorité qu’elles lui accordent. Les professeures ont une préoccupation pédagogique constante ; les étudiantes ont des positions diversifiées : pour la moitié d’entre elles, la compétence humaine se situe au premier rang. Elles sont par ailleurs unanimes dans l’identification des compétences satellites, soit le respect du programme de soins infirmiers, l’utilisation des stratégies d’enseignement variées et l’évaluation des besoins et de la compétence des étudiantes.

Tableau 3

La compétence pédagogique comme deuxième élément de l’évaluation de l’enseignement clinique

La compétence pédagogique comme deuxième élément de l’évaluation de l’enseignement clinique

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De l’avis des professeures interviewées, toutes expertes dans leur domaine, l’écart avec leurs collègues novices et expertes qui enseignent dans les cégeps est particulièrement visible au niveau du respect des objectifs du programme de soins infirmiers. Il est à souligner que cette compétence satellite ne comporte pas d’indicateurs, puisqu’elle est de nature dichotomique, soit le respect ou le non-respect des objectifs. Ainsi, selon ces participantes, les expertes se concentrent sur l’enseignement des processus pour amener les étudiantes à avoir une vision globale du patient, alors que les novices mettent l’accent sur la supervision des techniques de soins. Cependant, comme toutes les professeures veulent permettre aux étudiantes de faire les liens entre la théorie et la pratique et comme toutes les étudiantes désirent faire ces liens, les deux groupes sont très sensibles aux stratégies d’enseignement.

La troisième compétence satellite à la compétence pédagogique est l’évaluation des besoins et de la compétence des étudiantes. L’influence de la compétence humaine se fait particulièrement sentir à ce niveau. D’une part, les professeures se préoccupent autant des patients que des étudiantes quand il s’agit de doser le niveau de supervision à accorder. Les étudiantes le savent et, malgré leur besoin d’autonomie dans l’exécution des soins, elles font confiance au jugement de la professeure pour éviter de porter préjudice aux patients. D’autre part, l’intention formative donnée à l’évaluation traduit l’intérêt des professeures envers l’étudiante en apprentissage. La sélection des expériences d’apprentissage adaptées à leurs capacités, le respect de leur rythme d’apprentissage et une rétroaction continue amènent les étudiantes à avoir confiance dans la compétence des professeures pour évaluer leurs besoins et leur compétence professionnelle. Elles insistent donc sur le fait que les professeures doivent être centrées sur l’évaluation formative pour les aider à apprendre.

La compétence technique

La compétence technique (Tableau 4) fait référence aux connaissances et aux habiletés manuelles qui permettent de faire des interventions sécuritaires auprès des patients. Au contraire des autres compétences, cette compétence ne comporte pas de compétences satellites, mais plutôt des motifs pour lesquels les professeures y ont recours. Ces motifs sont les indicateurs de la compétence technique.

Tableau 4

La compétence technique comme troisième élément d’évaluation de l’enseignement clinique

La compétence technique comme troisième élément d’évaluation de l’enseignement clinique

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La compétence technique est importante à considérer comme élément d’évaluation pour deux raisons. Tout d’abord, elle permet de démontrer les techniques de soins aux étudiantes, de les assister au besoin et de les évaluer. Deuxièmement, cette compétence fait en sorte que les étudiantes accordent une certaine crédibilité à la professeure sur le plan pédagogique. Cependant, comme les infirmières des unités peuvent suppléer à ce niveau de façon occasionnelle, la compétence technique de la professeure, bien que nécessaire, n’est pas primordiale. Comme les infirmières peuvent assister les professeures, elles sont également de bons juges de la compétence technique des professeures, de sorte que les milieux cliniques émettent fréquemment leurs opinions sur la compétence de la professeure à cet égard. Le bien-être et la sécurité des patients sont également préservés par l’utilisation de la compétence technique.

La compétence professionnelle infirmière

La compétence professionnelle infirmière (Tableau 5) est nécessaire pour transmettre la globalité de la profession infirmière, ce sur quoi ont insisté toutes les professeures.

Tableau 5

La compétence professionnelle infirmière comme quatrième élément d’évaluation de l’enseignement clinique

La compétence professionnelle infirmière comme quatrième élément d’évaluation de l’enseignement clinique

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Les étudiantes ne l’ignorent pas, mais apportent un point de vue plus implicite, en soulignant que cette compétence devrait se refléter dans les comportements d’une bonne infirmière, ce que toutes leurs professeures devraient être. L’analogie suivante montre que la compétence professionnelle infirmière est directement reliée à la compétence pédagogique en ce que la première dicte le quoi enseigner, alors que la seconde porte sur le comment enseigner. Cette compétence principale comme élément de l’évaluation est raffinée par des compétences satellites, soit l’enseignement des valeurs personnelles et professionnelles inhérentes à la formation infirmière, l’enseignement des processus à la base de la formation infirmière et le développement de la connaissance de soi de l’étudiante. Les indicateurs de cette compétence n’ont pas été dégagés, car le discours des participantes était davantage global.

La compétence professionnelle infirmière est la seule compétence où toutes les participantes font intervenir la notion de conflits de valeurs. C’est pourquoi, dans un contexte d’enseignement, cette compétence est importante à retenir comme élément d’évaluation. Elle comble les lacunes des institutions dans lesquelles les valeurs professionnelles sont souvent mises de côté, au profit de l’accomplissement de la tâche technique.

La compétence organisationnelle

La compétence organisationnelle (Tableau 6) est la dernière compétence principale.

Tableau 6

La compétence organisationnelle comme cinquième élément d’évaluation de l’enseignement clinique

La compétence organisationnelle comme cinquième élément d’évaluation de l’enseignement clinique

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Cette compétence se traduit par l’utilisation de trois compétences satellites, soit la préparation individuelle de la professeure, la collaboration avec les intervenants des milieux et la négociation avec le caractère imprévisible des milieux. Tout comme dans la compétence précédente, les indicateurs n’ont pas été dégagés, puisque le discours des participantes sous-entendait la notion de globalité. Contrairement aux quatre compétences principales précédentes, elle n’est pas en lien direct avec le contenu des apprentissages des étudiantes, mais plutôt avec l’établissement d’un climat harmonieux dans le milieu clinique. Le recours à cette compétence, fortement influencée par les éléments de compétence humaine, démarque sans conteste l’enseignement en milieu clinique de l’enseignement en salle de cours.

La préparation individuelle de la professeure est le moyen par excellence pour apprivoiser le milieu et ainsi faire le lien entre les attentes de celui-ci et celles des étudiantes. Par une préparation minutieuse, les professeures s’assurent de la collaboration des intervenants des milieux pour les seconder aux niveaux technique et pédagogique. Cette assistance leur est précieuse pour les aider à prendre des décisions au regard des actions correctives à entreprendre pour permettre à l’étudiante d’atteindre les objectifs fixés. Finalement, la gestion des contraintes de temps et d’organisation existantes dans les milieux sont deux éléments pertinents pour s’assurer de la compétence de la professeure à négocier avec le caractère imprévisible du milieu.

Discussion

Les similitudes avec les recherches qui traitent de l’évaluation de l’enseignement clinique dans le domaine des sciences infirmières

Les éléments de similitude entre cette étude et celles qui ont porté sur l’évaluation de l’enseignement clinique dans le domaine des sciences infirmières sont nombreux. Ce sont : les qualités interpersonnelles, les caractéristiques personnelles de la professeure, la disponibilité envers les étudiantes, la compétence professionnelle, les comportements qui touchent les pratiques d’enseignement et d’évaluation, ainsi que l’assistance aux étudiantes.

Les qualités interpersonnelles

Dans la plupart des travaux de recherche sur l’évaluation de l’enseignement du volet clinique des sciences infirmières, l’importance de maintenir la qualité des relations interpersonnelles est relevée (Bergman et Gaitskill, 1990 ; Flager, Loper-Powers et Spitzer, 1988 ; Gignac-Caille et Oermann, 2001 ; Hamilton, 1996 ; Johnson et collab., 2002 ; Kanitsaki et Sellick, 1989 ; Mogan et Knox, 1987 ; Murphy, 1988 ; Nehring, 1990 ; Pugh, 1980 ; Sando, 1997 ; Stoltenberg, 1997). Cet élément d’évaluation est également ressorti dans la présente étude.

Cependant, l’approche de type qualitatif qui a été utilisée permet d’expliciter davantage cet élément, puisque les participantes dressent un portrait à la fois plus englobant et plus détaillé de ce qu’elles entendent par qualités interpersonnelles. L’analyse des résultats permet de constater que les répondantes regroupent quatre des catégories de comportements relevées dans les écrits sur l’évaluation de l’enseignement clinique sous un terme plus englobant, celui de compétence humaine. Elle comprend les catégories suivantes : la disponibilité envers les étudiantes, les relations interpersonnelles, les caractéristiques personnelles de la professeure, ainsi que l’assistance aux étudiantes.

Il faut souligner que la disponibilité à l’égard des étudiantes, qui est une catégorie isolée dans la revue de la documentation, est ramenée, dans la présente recherche, sous la rubrique qualités personnelles, et ce, au même titre que les nombreux autres attributs personnels. De plus, les précisions apportées par les participantes sur les éléments de compétence humaine ont permis d’identifier des compétences satellites et, de ce fait, de dresser un portrait plus détaillé de l’ensemble de cette compétence. Ces compétences satellites touchent l’établissement du climat de confiance, la manifestation d’une attitude empathique et l’utilisation des qualités personnelles de la professeure. L’établissement du climat de confiance, qui est une compétence satellite sur laquelle toutes les participantes ont insisté pour favoriser les apprentissages des étudiantes, n’est pas relevé de façon aussi claire dans les recherches.

Même si la généralisation des résultats n’est pas le but visé dans la présente étude, elle permet tout de même de corroborer les conclusions de certaines auteures (Bergman et Gaitskill, 1990 ; Brown, 1981 ; Murphy, 1988). Pour ces dernières, les professeures, tout autant que les étudiantes, accordent une importance première à la qualité des relations interpersonnelles en milieu clinique. Les présents résultats peuvent également être mis en parallèle avec ceux d’autres études (Brown, 1981 ; Hamilton, 1996 ; Knox et Mogan, 1985 ; Mogan et Knox, 1987 ; Pardo, 1991 ; Sando, 1997). Selon ces dernières, les opinions des étudiantes et des professeures tendent à converger, selon que les étudiantes sont en début ou en fin de programme. De même, les étudiantes participant à la recherche, toutes en dernière année de leur programme de formation, adoptent des positions très similaires aux professeures, particulièrement quand elles traitent de la compétence humaine ; cette variable identifiée par les auteures concernant le niveau de formation des étudiantes est donc importante à considérer dans l’identification des éléments d’évaluation de l’enseignement clinique. Cette conclusion peut s’expliquer par le fait que les étudiantes en fin de programme ont intégré la globalité professionnelle infirmière et tendent à avoir une réflexion qui se rapproche des professeures qui leur ont enseigné. Ainsi, la compétence humaine de l’infirmière qui se manifeste dans des comportements de caring auprès des patients est transposée dans les éléments d’évaluation de l’enseignement clinique par les étudiantes ; ces dernières exigent ces mêmes comportements chez leurs professeures.

Nonobstant le fait que les qualités interpersonnelles aient été relevées comme éléments d’évaluation dans la plupart des études, l’ordre d’importance qui leur est attribué est variable. En effet, dans certaines recherches sur le sujet (White, 1997 ; Wills, 1997), dans lesquelles les perceptions des étudiantes ont été prises en considération, les qualités interpersonnelles viennent au premier rang d’importance. Ces résultats vont toutefois à l’encontre d’autres études (Benor et Leviyof, 1997 ; Morgan, 1997) qui leur accordent une importance moindre, en les plaçant au troisième rang. Les résultats des travaux qui ont porté sur la description du processus de l’enseignement clinique appuient aussi l’idée de l’importance de la valeur des qualités interpersonnelles : ces résultats permettent de leur allouer un premier niveau d’influence sur l’acte d’enseigner (Carr, 1983 ; Pardo, 1991 ; Paterson, 1991 ; Rosenthal, 1987 ; Scanlan, 1997). Malgré ces divergences marquées dans l’ordre de priorité attribué aux qualités interpersonnelles, un fait demeure : toutes les recherches les considèrent. La présente étude appuie également l’intérêt de les inclure au chapitre de l’évaluation de l’enseignement clinique, en tant qu’éléments d’évaluation.

La compétence professionnelle

Certains auteurs (Benor et Leviyof, 1997 ; Green, 1988 ; Mogan et Knox, 1987 ; Wills, 1997) considèrent que les compétences technique et professionnelle infirmière forment un tout, soit la compétence infirmière. Cependant, les participantes à cette étude font une distinction très nette entre ces deux dimensions de la profession, ce qui est précieux, particulièrement pour les professeures débutantes. Les éléments d’évaluation de l’enseignement clinique considérés selon des compétences principales permettent à la professeure novice de se situer au regard des exigences générales de sa fonction en milieu clinique. Cette perspective générale, par la suite explicitée par des compétences satellites auxquelles renvoient les compétences principales, donne des pistes plus précises pour l’aider à compléter sa préparation. Une telle approche de l’évaluation peut être également profitable à la professeure experte pour l’amélioration de son enseignement.

Les pratiques d’enseignement et d’évaluation

Un autre élément de similitude rejoint les comportements au regard des pratiques d’enseignement et d’évaluation, qui sont relatés dans l’ensemble de la documentation consultée. Les professeures, tout autant que les étudiantes, ont longuement élaboré sur le sujet, ce qui montre un vif intérêt pour ces deux aspects qui composent la compétence pédagogique. De plus, tout comme dans les travaux de Paterson (1991) et de Scanlan (1997), il est mentionné que la supervision, la sélection des expériences d’apprentissage, l’utilisation de la rétroaction et les travaux écrits sont précieux pour évaluer les étudiantes.

Par contre, l’ajout d’une troisième dimension à cette compétence, soit le respect des objectifs du programme, revêt une importance particulière pour les professeures. Quoique cet élément de compétence pédagogique puisse paraître indissociable de l’acte d’enseigner, les professeures soulignent que certaines de leurs collègues sont quelquefois davantage centrées sur l’accomplissement de la tâche, négligeant ainsi l’intention pédagogique qui devrait être présente en milieu clinique. Les professeures estiment également qu’il est important de respecter les objectifs du programme pour faire montre d’une compétence pédagogique qui tienne compte du niveau de formation de l’étudiante. Scanlan (1997) a aussi fait mention de cet aspect dans ses travaux, mais elle ne le relève pas d’une façon explicite comme faisant partie des pratiques d’enseignement clinique. Comme les résultats des recherches reliés aux qualités interpersonnelles, ceux qui se rapportent aux pratiques d’enseignement sont peu homogènes, cela étant dû à la variété des instruments de collecte de données employés. Dans certains questionnaires, les habiletés d’enseignement et l’évaluation des étudiantes sont des catégories distinctes sur lesquelles devaient se prononcer les répondantes ; d’autres questionnaires les fusionnent. Des disparités du même genre existent au niveau de la définition de la catégorie évaluation (Knox et Mogan, 1985 ; Krichbaum, 1994 ; Mogan et Knox, 1987 ; Nehring, 1990). Scanlan résume bien cette situation de confusion en soulignant le flou conceptuel des catégories d’un enseignement clinique efficace présentées dans les écrits. Les précisions qui sont apportées par la présente étude à cette catégorie de comportements sur les pratiques d’enseignement et d’évaluation sont manifestement précieuses pour faciliter l’évaluation de la professeure sur le plan pédagogique.

La disparité avec les recherches qui traitent de l’évaluation de l’enseignement clinique dans le domaine des sciences infirmières

Dans un premier temps, il faut noter que, contrairement aux études recensées sur l’évaluation de l’enseignement clinique, où les auteures présentent des listes de comportements sur lesquels devrait porter l’évaluation de l’enseignement en milieu clinique, l’analyse des résultats présente plutôt l’évaluation de cet aspect de l’enseignement comme tributaire de cinq compétences principales, soit humaine, pédagogique, technique, professionnelle infirmière et organisationnelle. En second lieu, sans réfuter d’emblée les conclusions d’un grand nombre d’auteures (Flager et collab, 1988 ; Hamilton, 1996 ; Hartland, 1993 ; Kanitsaki et Sellick, 1989 ; Karns et Schwab, 1982 ; Morgan, 1997 ; Sando, 1997 ; Sellick et Kanitsaki, 1991 ; Wellard et collab., 1995 ; Wills, 1997 ; Windsor, 1987 ; Zimmerman et Waltman, 1986), qui soutiennent l’intérêt d’évaluer la professeure en milieu clinique selon les rôles d’infirmière ou d’enseignante qu’elle peut emprunter durant l’enseignement en milieu clinique, l’évaluation de l’enseignement clinique selon des compétences pourrait davantage répondre aux attentes des étudiantes et des institutions d’enseignement envers la professeure.

L’évaluation de l’enseignement clinique selon des compétences

Les compétences principales répertoriées permettent de définir la fonction de la professeure selon une perspective globale, en insistant sur les compétences principales à développer, plutôt qu’en distinguant les comportements de professeure ou d’infirmière préalablement établis dans des questionnaires. Elles sont aussi plus spécifiques, puisqu’elles sont en lien avec les facteurs qui influencent la relation d’enseignement-apprentissage. De plus, les éléments d’évaluation identifiés à partir des compétences principales dressent un portrait plus fidèle de l’enseignement en milieu clinique, puisque ces compétences émergent du vécu des participantes.

L’intérêt de considérer l’évaluation de l’enseignement clinique selon les compétences technique et professionnelle infirmière

Les résultats de la présente étude, comme ceux des études recensées, amènent à concevoir l’évaluation de la professeure en milieu clinique selon les dimensions pédagogique, infirmière et humaine de la fonction d’enseignement. Cette étude se distingue toutefois, puisqu’elle permet de définir de façon exhaustive les aspects à évaluer dans chacune de ces dimensions. En effet, les recherches qui portent sur l’évaluation de l’enseignement clinique exposent les comportements qui représentent la fonction d’enseignante. Cependant, elles ne dissèquent pas les deux volets que comporte la compétence infirmière, soit le volet technique et celui qui implique de prodiguer des soins selon une vision globale du patient. Ce second volet, sur lequel les six professeures ont fortement insisté, implique que l’enseignement de la pratique infirmière requiert des éléments de compétence qui ont trait aux habiletés techniques inhérentes à cette pratique. Cependant, les professeures appuient également la nécessité de faire preuve d’une compétence à enseigner les divers processus qui touchent l’approche globale au patient. Ainsi, comme les professeures se doivent de montrer et d’évaluer les techniques de soins chez les étudiantes, il serait inacceptable que ces dernières ne soient pas expertes à ce niveau.

Néanmoins, pour répondre aux exigences de l’enseignement de la profession infirmière selon une globalité, elles doivent posséder les valeurs personnelles et professionnelles infirmières. Cette intégration des valeurs permet à la professeure de faire cheminer l’étudiante dans sa démarche d’actualisation de soi. L’intérêt de cette compétence spécifique a d’ailleurs été souligné dans l’étude de Toth (1996), dans laquelle ont été recueillies les perceptions des infirmières pratiquant dans les milieux cliniques. Selon elles, le comportement primordial à acquérir pour les professeures qui enseignent dans leurs milieux est la démonstration des valeurs, attitudes et habiletés qu’elles veulent inculquer à leurs étudiantes. Cette conclusion de Toth, appuyée par Benor et Leviyof (1997), ressort également dans la présente étude. L’enseignement de la pratique infirmière en référence aux divers processus qui la constituent fait également partie de la compétence professionnelle infirmière que doivent posséder les professeures. Ces dernières ont donc l’obligation de centrer les étudiantes sur la communication thérapeutique avec leurs patients, de les amener à travailler selon une démarche de soins, afin qu’elles apprennent à identifier les besoins de leurs patients. La collaboration avec les intervenants des milieux est un autre processus sur lequel elles doivent cibler leur enseignement.

L’évaluation de l’enseignement clinique selon la compétence organisationnelle

La compétence organisationnelle, qui ressort de la présente étude comme étant un élément essentiel dans l’évaluation de la professeure en milieu clinique, est directement reliée à l’influence de l’environnement où se déroule cet enseignement. L’influence de l’environnement clinique a été également identifiée par Paterson (1991). Pour cette dernière, il apparaît primordial que la professeure fasse preuve de comportements qui témoignent de son habileté à négocier avec les membres de l’équipe de soins, que Paterson nomme le système permanent. Par la démonstration de comportements de négociation, la professeure favorise sa propre acceptation et celle de ses étudiantes. Paterson identifie la professeure et ses étudiantes comme un système temporaire qui s’installe à l’intérieur du système permanent qu’est l’équipe de soins. Les résultats de la présente recherche vont donc dans le sens de cette chercheuse qui, bien qu’elle ne se soit pas consacrée à identifier les éléments d’évaluation de l’enseignement clinique, a tout de même contribué à relever les composantes du processus de l’enseignement clinique.

La problématique de la présente recherche fait état du statut particulier de la professeure qui évolue en milieu clinique ; toutefois, les études qui traitent de l’évaluation, et sur lesquelles est basé notre cadre conceptuel ne rapportent pas de façon précise les comportements qui se rattachent à la compétence de négociation de la professeure avec le milieu d’enseignement clinique. À titre d’exemple, certains instruments de collecte de données utilisés par les chercheuses relèvent de rares comportements qui se rapportent à la compétence organisationnelle, et ceux-ci sont chapeautés par des catégories trop englobantes pour permettre de bien cerner cette compétence. À l’extrême, certains autres questionnaires ne contiennent aucun item qui touche la compétence organisationnelle.

Cette constatation s’oppose aux résultats des recherches ethnographiques (Carr, 1983 ; Paterson, 1991), qui ont porté sur la définition du processus d’enseignement clinique. Ces auteures, par l’utilisation de méthodes qualitatives, apportent davantage d’explications sur l’importance, pour la professeure, de négocier et de maintenir la qualité de ses interactions avec les membres présents dans l’environnement clinique. Leurs conclusions de recherche soutiennent l’intérêt de considérer la compétence organisationnelle dans l’évaluation de l’enseignement clinique.

Conclusion

La contribution de la présente étude touche deux domaines particuliers : celui de l’éducation et celui du domaine des sciences infirmières. D’un point de vue plus spécifique, sa contribution devrait rejoindre les intérêts des concepteurs des modèles d’évaluation et des professeures qui enseignent la profession infirmière en milieu clinique.

La contribution pour les concepteurs des modèles d’évaluation de l’enseignement clinique

Les cinq compétences principales et les nombreuses compétences satellites identifiées comme éléments de l’évaluation de l’enseignement clinique en soins infirmiers pourraient servir de cadre pour jeter les premiers jalons des instruments d’évaluation. Ces instruments, qui tiendraient compte des compétences principales et satellites comme bases du construit de l’évaluation de l’enseignement clinique en soins infirmiers, pourraient tout de même offrir une certaine latitude à ses concepteurs. Cette latitude pourrait également bénéficier aux concepteurs de l’évaluation de l’enseignement pratique des autres programmes professionnels universitaires, tels que la physiothérapie, la médecine, l’ergothérapie, la formation des maîtres, le travail social ou tout autre programme relié à l’éducation. En effet, l’évaluation de l’enseignement pratique de ces programmes professionnels universitaires, comme celui des soins infirmiers au collégial, présente un caractère particulier qui nécessite que la professeure fasse appel à de multiples compétences. L’approche qualitative et analytique utilisée dans cette recherche pourrait servir de modèle générique pour développer la structure théorique du processus d’évaluation de l’enseignement pratique de ces professions. Le nombre limité d’étudiants que comporte l’enseignement pratique de ces professions, de même que la dimension humaine qui fait référence à des situations réelles d’application des savoirs théoriques, en plus de la nécessité, pour la professeure, de posséder une compétence professionnelle, sont autant de raisons qui suggèrent aux évaluateurs de se référer à la méthodologie employée dans cette étude pour construire l’évaluation.

La contribution pour les professeures qui enseignent en soins infirmiers

La contribution de la présente recherche est significative pour les professeures qui enseignent en soins infirmiers et pourrait se manifester à trois niveaux. Tout d’abord, cette étude devrait les aider à circonscrire les composantes de leur fonction d’enseignement en milieu clinique, puisque les compétences identifiées offrent un guide précieux pour leur permettre de mieux comprendre cette fonction dans toute sa complexité. L’identification des composantes multiples de la fonction d’enseignement en milieu clinique devrait également amener les professeures à mieux se préparer à remplir leur fonction. En effet, les compétences dégagées offrent un cadre de référence à la fois précis et détaillé, qui devrait leur donner des indications claires au regard des habiletés à développer pour s’acquitter de leur tâche de manière professionnelle. Cette seconde implication s’avère particulièrement à propos pour les professeures novices qui, bien qu’elles puissent être soucieuses de bien accomplir leur tâche, ne possèdent pas, comme les expertes, l’intuition de l’entité de la fonction d’enseignement. D’ailleurs, même si les professeures chevronnées ont, au fil des ans, expérimenté la tâche qui leur est dévolue en milieu clinique, il demeure que la recherche sur le sujet leur offre peu d’éléments sur lesquels s’appuyer pour améliorer leur performance. Finalement, l’objectif de la présente recherche ne saurait être atteint si les professeures ne considéraient pas l’objet de l’évaluation de l’enseignement clinique comme un ensemble de compétences à développer pour leur permettre d’offrir aux étudiantes infirmières un enseignement qui conduirait ces dernières vers une autonomie professionnelle. C’est ainsi que les compétences présentées pourraient fort justement s’insérer dans le cadre d’une évaluation formative. Le but formatif donnerait l’occasion aux professeures d’identifier leurs forces et leurs faiblesses au regard des critères de qualité de l’enseignement clinique privilégiés par les institutions d’enseignement de même que par les milieux cliniques.

Les retombées de cette recherche peuvent s’appliquer à l’évaluation de l’enseignement pratique dans d’autres programmes professionnels (ergothérapie, physiothérapie, médecine, formation des maîtres, travail social), il serait sûrement justifié que des recherches futures permettent de valider les résultats de la présente étude.