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Ce texte a été révisé par Christelle Lison

Introduction

Selon les données du recensement national de la population canadienne effectué en 2006, l’immigration pourrait devenir la seule source d’accroissement de la population canadienne vers 2030. Selon ce même recensement, avec un poids démographique au Canada de près de 24 %, le Québec accueille 13 % de l’immigration canadienne. Pour résorber progressivement son déficit démographique, le Québec continue de miser sur l’immigration, et cette volonté se manifeste dans la planification triennale de l’immigration (2005-2007) qui prévoyait admettre jusqu’à 48 000 immigrants en 2007. Près de 70 % des immigrants au Québec s’installent à Montréal. Dans les écoles publiques (primaires et secondaires) de Montréal, sur l’ensemble des élèves inscrits en septembre 2006, 52,3 % sont issus de l’immigration récente (élèves nés à l’étranger ; nés au Québec de parents nés à l’étrangers ; nés au Québec, mais dont un parent est né à l’étranger). L’arabe est désormais la langue allophone la plus déclarée, suivie par l’espagnol, l’italien, le créole et le chinois (Comité de gestion de la taxe scolaire de l’Île de Montréal, 2007).

Quelques repères importants jalonnent l’évolution de la prise en compte de la diversité ethnoculturelle au Québec, cette dernière étant régulièrement alimentée par l’immigration. Le ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration a été fondé en 1968. En 1969, il y a eu l’ouverture des classes d’accueil. En 1977, la Charte de la langue française (Loi 101) est promue. La Charte oblige l’enfant du Québec à aller à l’école francophone. Une seule exception est permise : un enfant peut fréquenter l’école en anglais si un parent est citoyen canadien et a suivi un enseignement primaire en anglais au Canada (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006). Le MÉLS abrite également la Direction des services aux communautés culturelles, qui a comme mandat général de voir à l’élaboration et à la mise en oeuvre des orientations ministérielles relatives à l’intégration des élèves immigrants à l’école française ainsi qu’au développement de l’éducation interculturelle.

Pour un élève immigrant, la situation d’adaptation à la nouvelle société en général, et à une nouvelle école en particulier, représente un certain défi dont la difficulté est modulée par divers facteurs. La situation socio-scolaire des élèves immigrants au Québec a fait l’objet de plusieurs recherches, plus souvent sous l’angle des difficultés qu’ils rencontrent ou qu’ils posent au système. Dans cet article, nous rendons compte de résultats d’une recherche dont les auteures ont fait le pari d’explorer les conditions générales de la réussite scolaire d’élèves immigrants. Plus précisément, l’article porte sur les profils familiaux et la réussite scolaire d’élèves immigrants dans deux villes du Québec, Montréal et Sherbrooke. Nous y faisons l’hypothèse que comprendre les différentes stratégies (personnelles et familiales) ainsi que le contexte scolaire par lesquels la réussite se fait permet, non seulement, de mieux soutenir les élèves immigrants dans leur cheminement scolaire, mais aussi d’améliorer les partenariats entre l’école et les familles immigrantes.

Cadre conceptuel

Dans cette partie, nous présentons une introduction sur les défis de la catégorisation ethnoculturelle des effectifs scolaires, autant dans les publications du ministère que dans les travaux des chercheurs. Ensuite, sont abordés quelques enjeux de la situation sociale et scolaire de l’élève issu de l’immigration. Finalement, la recension permet de documenter quelques stratégies de la famille immigrante par rapport à sa relation avec l’école et au cheminement scolaire de l’élève.

Pour catégoriser l’altérité ethnoculturelle en milieu scolaire, plusieurs dénominations sont utilisées : immigrant, étranger, d’origine immigrante, issu de l’immigration, appartenant à une communauté culturelle, appartenant à une minorité ethnique, de première génération, de deuxième génération, allophone, né à l’extérieur ; par opposition à autre, natif, non immigrant, né au pays, national, francophone ou anglophone ou autochtone, etc. Selon Bennett (2007), l’expression minorité ethnoculturelle inclut des groupes immigrants et non immigrants, et réfère, au-delà de l’aspect numérique, au fait que le groupe fait face à un potentiel de subordination et de discrimination. Pour les chercheurs Berry, Phinney, Sam et Vedder (2006), la première génération désigne ceux qui sont immigrants et arrivés après l’âge de six ans ; la deuxième génération, ceux qui sont nés au pays ou arrivés avant l’âge de sept ans, les personnes de ces deux générations étant nommées immigrants. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a dressé récemment le portrait socioculturel des élèves issus de l’immigration (EII) couvrant la période de 1994 à 2004 (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006, p. 2). Dans ce document, un EII est défini comme un élève qui est né à l’extérieur du Canada (première génération) ou qui est né au Canada (deuxième génération), mais dont l’un des parents est né à l’extérieur du Canada, ou qui n’a comme langue maternelle ni le français ni l’anglais.

Circonscrire l’altérité ethnoculturelle est une tâche complexe (McAndrew et Ledoux, 1995). Toute catégorisation étant susceptible d’être prise en défaut, nous pensons que l’essentiel est de bien décrire le profil de la population ciblée en lien avec les objectifs poursuivis. En effet, un élève de deuxième génération (né de parents immigrants) peut vivre une socialisation familiale marquée par la culture d’origine de manière plus significative que ne l’est la socialisation d’un élève de première génération (immigrant). Pour quantifier l’impact de l’immigration récente en termes d’effectifs dans les écoles, le ministère, les commissions scolaires et le Comité de gestion de la taxe scolaire à Montréal utilisent l’expression élève issu de l’immigration (EII).

L’élève issu de l’immigration

Comme la recherche dont nous rendons compte des résultats s’est déroulée au Québec, nous faisons d’abord un survol de la situation scolaire des élèves québécois issus de l’immigration. Par la suite, nous nous arrêtons sur le système des classes d’accueil, car plusieurs des élèves qui ont participé à la recherche ont fréquenté l’accueil. Suit une synthèse de quelques autres études sur la situation socio-scolaire de ces élèves au-delà du contexte québécois, notamment sur le stress d’acculturation conjugué au stress scolaire.

Portrait au Québec de la situation scolaire des élèves issus de l’immigration

Selon le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2006), en 2003-2004, par rapport à l’ensemble du préscolaire, du primaire et du secondaire, les EII comptent pour 18,1 %, et ceux de première génération pour 6,2 %. Durant cette même période, 19,1 % des élèves EII et 31,8 % de ceux de première génération accusent du retard par rapport au cheminement normal, contre 16,7 % de tous les élèves du système scolaire. Parmi les groupes de langues qui présentent une proportion plus importante de EII accusant un retard scolaire, on retrouve les langues pidgins (Malherbe, 1983) et créoles, africaines noires, iraniennes et agglutinantes (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006). En 2003-2004, la proportion de EII déclarés handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage est comparable à la proportion qui prévaut pour l’ensemble des élèves. Pour les autorités politiques, la tenue régulière de telles statistiques est nécessaire pour cibler les besoins de manière différenciée et adapter les mesures de soutien à la réussite scolaire.

Dans une étude, Moisset, Mellouki, Ouellet et Diambomfa (1995) ont décortiqué le rendement scolaire d’élèves de 3e, 4e et 5e secondaire au Québec. Les résultats, appréhendés selon différentes matières et le pays de naissance, se présentent ainsi pour le français : le rendement fort domine chez ceux qui sont nés au Québec et en Europe, le rendement moyen est plus concentré chez ceux nés au Québec et en Amérique latine et, enfin, le rendement faible est en plus grande importance chez ceux nés en Amérique latine et aux Antilles.

À partir de la banque de données du MÉLS, qui collige différentes données étalées sur plusieurs années, McAndrew et Ledent (2005) se sont penchés sur la réussite scolaire de cohortes de jeunes Noirs ayant intégré le secondaire 1 en 1994, 1995 et 1996, dans les régions de Montréal, Laval et la Montérégie. Les jeunes sont ventilés en cinq sous-groupes et dans les secteurs scolaires francophone et anglophone : Antilles (langue maternelle anglaise, française et créole) et Afrique (langue maternelle anglaise et française). Selon les auteurs, [l’]élève à risque typique au sein des communautés noires est, en effet, un garçon créolophone ou anglophone d’origine antillaise, né hors du Québec, arrivé en cours de scolarité secondaire et fréquentant un établissement de la région de Montréal (McAndrew et Ledent, 2005, p. 60-61). Cet élève à risque a des chances de se retrouver en classe d’accueil. Tout en trouvant préoccupante la situation scolaire de ces jeunes (par rapport aux EII et à l’ensemble des élèves), les auteurs invitent à faire attention à toute explication essentialiste, c’est-à-dire qui attribue par essence les difficultés scolaires à l’origine ethnique. Une auteure comme Lorcerie (2003) souligne que l’analyse de la situation d’une minorité ne peut faire fi de la position de cette minorité dans le jeu des rapports interethniques ; par exemple, deux recherches récentes sur les élèves haïtiens de première et de deuxième génération, en réussite ou difficulté scolaire, qui trouvent très difficiles l’image stigmatisée de leur communauté, une expérience sociale racisée, et un potentiel de subir du racisme plus élevé (Lafortune, 2006 ; Robergeau, 2007).

Classes d’accueil au Québec

Les classes d’accueil sont plus présentes en milieu urbain à cause de la concentration de l’immigration sur ces territoires. Les élèves doivent satisfaire à certaines conditions afin d’en bénéficier : 1) être non francophones et inscrits pour la première fois à l’enseignement en français ; 2) détenir une connaissance de la langue française qui ne leur permet pas de suivre, sans soutien, les cours dans une classe régulière ; 3) être inscrits dans une école où toutes les activités, tant pédagogiques qu’administratives, se déroulent en français ; 4) ne pas participer à un programme d’échange d’élèves (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006, p. 2). Sauf exception, la durée du séjour y est de dix mois. Les enfants peuvent intégrer la classe d’accueil et la quitter à tout moment de l’année. S’y amorcent une intégration à la réalité de la société d’accueil, l’acquisition d’une maîtrise de base du français parlé et écrit, ainsi que la révision de notions scolaires susceptibles de leur faciliter l’intégration au régulier.

Les données du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport portent sur le préscolaire, le primaire et le secondaire. En 2003-2004, 18,3 % des élèves de première génération ont bénéficié du programme d’accueil. Ceux qui sont proportionnellement plus nombreux à en bénéficier sont ceux dont la langue maternelle appartient à l’un ou à l’autre des groupes suivants : langues indo-européennes de l’Inde, dravidiennes, africaines noires, indo-européennes slaves, indo-européennes iraniennes et agglutinantes (par exemple, algonquin, basque, hongrois, turc). Parmi les élèves de l’accueil, pour tous les ordres d’enseignement, 37,3 % accusent un retard scolaire contre 21 % pour ceux qui ne le fréquentent pas (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006). De manière détaillée pour l’accueil, ce retard est détaillé comme suit par ordre d’enseignement : 0,7 % pour le préscolaire ; 41,1 % pour le primaire ; 58 % pour le secondaire.

Les questionnements relatifs à l’accueil sont toujours d’actualité. En 1997, Messier fait le point sur les modèles de service réservés aux élèves nouveaux arrivants à Montréal et Toronto, notamment sur les défis de l’accueil. Selon cette auteure, certains enseignants trouvent problématiques l’hétérogénéité des groupes d’élèves (antécédents scolaires et degrés de maîtrise du français divers), le risque de ghettoïsation lorsque plusieurs locuteurs de la même langue sont dans un même groupe, le manque de matériel didactique adéquat, l’isolement physique et symbolique de l’accueil à l’intérieur des écoles. Quant aux parents, ils pensent que la méconnaissance de la culture et de l’histoire migratoire des élèves, par les enseignants, limite l’efficacité de l’intervention à l’accueil. La transition entre l’accueil et le régulier est également mise en cause : si elle n’est pas bien planifiée, elle occasionne une double déstabilisation pour l’élève dans un court laps de temps. Enfin, les professeurs du régulier déplorent le ralentissement du rythme général de leur groupe à l’arrivée d’un élève de l’accueil.

En général, les élèves les plus vulnérables sont ceux qui sont récemment arrivés dans le système scolaire québécois, cette vulnérabilité étant plus grande pour certaines catégories d’allophones et de communautés ethnoculturelles.

Stress d’acculturation et stress scolaire

L’élève immigrant conjugue stress d’acculturation et stress scolaire (Bouteyre, 2004). L’acculturation est un processus global d’adaptation psychologique et socioculturelle d’un individu, au contact d’une ou de cultures autres que sa culture de première socialisation. Des chercheurs (notamment au Canada, en France, en Belgique, en Grande-Bretagne) ont tenté de caractériser les issues ou saillances possibles de ce processus : modes ou stratégies d’acculturation (Berry et collab., 2006 ; Bourhis, Moïse, Perreault et Sénécal, 1997 ; Kanouté, 2002) ; stratégies identitaires (Camilleri, 1995 ; Verhoeven, 2006). Le stress d’acculturation survient au cours de ce processus lorsque l’individu, cherchant à imprimer une cohérence à son cadre de référence identitaire au moindre coût psychologique, transige avec l’injonction de codes culturels plus ou moins différents et parfois conflictuels. Les effets de ce stress se situent à divers niveaux d’un continuum allant de la déstabilisation bénigne à la dépression majeure. Il semble que ce moindre coût se situe dans un processus marqué par l’intégration des codes culturels (contrairement au repli identitaire ou à l’assimilation) (Berry et collab., 2006), par des stratégies identitaires complexes (à l’opposé de stratégies simples d’adoption d’un code et d’évitement des autres) (Camilleri, 1995) ou de flexibilité identitaire (à l’opposé d’un rapport univoque à l’identité) (Verhoeven, 2006). Bouteyre (2004) identifie des facteurs de stress : perte de repères, difficultés relatives à l’acquisition et à la maîtrise d’une nouvelle langue, perte de statut social et du soutien de la famille élargie, modifications des rôles dans la famille. Il faut également noter que la difficulté de la situation pré-migratoire fait anticiper un stress d’acculturation plus élevé ; c’est le cas de personnes dont les motifs d’immigration sont reliés à la persécution ou à la guerre.

Pour des élèves immigrants, le stress d’acculturation se conjugue avec le stress scolaire. L’école est un microcosme, et l’élève peut y expérimenter un stress dû à l’appréhension de l’apprentissage, des interactions entre pairs, des relations avec les adultes (Bouteyre, 2004). Pour certains jeunes immigrants, la modification du réseau des pairs est très éprouvante (Duong, 2006). Le rejet, l’exclusion et l’indifférence vécus, ou perçus, par l’immigrant influencent les stratégies d’acculturation ou identitaires. La recherche de Kanouté (2002), menée dans des écoles primaires à Montréal, montre que les élèves immigrants vivant du rejet en milieu scolaire sont plus susceptibles de se replier sur leur groupe ethnique. Pour Berry et ses collaborateurs (2006), dans une recherche récente portant sur des jeunes immigrants (13-18 ans) de 13 pays dont le Canada, ceux qui ont vécu de la discrimination sont moins enclins à se rapprocher de la culture du pays d’accueil.

Quel est le lien entre la performance scolaire et le processus d’acculturation ? Il n’est pas aisé de donner une réponse simple à cette question, car tout dépend de ce qui entre en jeu dans ce processus : parle-t-on des stratégies de l’individu, de sa situation socioéconomique, ou des deux ? Selon Verhoeven (2006), les élèves immigrants en position scolaire autant favorable que défavorable, en Belgique et en Grande-Bretagne, utilisent à la fois des registres de flexibilité identitaire et d’autres, de rapport univoque à l’identité. Lafortune (2006), à propos d’adolescents immigrants haïtiens à Montréal, note que les répondants dont le vécu scolaire est plus positif se montrent plus portés vers l’intégration que les autres, tandis que la plupart de ceux qui optent pour l’assimilation ou la séparation présentent un vécu scolaire moins favorable. Il est pertinent de penser que le fait de voir sa communauté d’appartenance, ou d’assignation, vivre de la discrimination et de l’exclusion constitue en soi un facteur de risque pour la réussite scolaire (Kanouté, 2004). Le rôle de soutien positif que peut jouer l’enseignant, auprès de l’élève immigrant en négociation de ses diverses appartenances, a été documenté. Pour rendre ce soutien effectif, la première étape consiste, pour l’enseignant, en tant que porteur de culture, à se décentrer de ses propres références et à travailler sur la menace identitaire (Abdallah-Pretceille, 2003 ; Cohen-Emerique et Hohl, 2004).

Chez les élèves immigrants, la construction de sens à l’école pour appréhender le monde s’inspire en partie d’une histoire migratoire, d’une trajectoire scolaire et d’une culture familiale, qui sont parfois différentes des points de repères saillants de la culture scolaire de la société d’accueil.

Familles et scolarisation en contexte migratoire

Nous cernons d’abord les éléments structurants des profils immigrants avant de faire une analyse de la relation entre le capital social familial et la scolarisation de l’enfant.

Profils de familles immigrantes

Les profils des familles immigrantes sont divers et complexes, selon différentes conjonctures liées à trois contextes : la pré-migration, la migration et l’établissement dans le pays d’accueil. Dans le profil d’une famille qui a récemment immigré, l’impact du changement de contexte est déterminant sur certaines caractéristiques du profil : être locuteur d’une langue qui passe de majoritaire à minoritaire, voir son statut social connaître un dénivellement d’un contexte à l’autre, changer d’environnement socioculturel et de système scolaire. Positive ou négative, la valeur de cet impact dépend de plusieurs facteurs : les raisons de la migration, la mobilisation pour la réalisation d’un projet migratoire, les conditions socio-économiques générales dans le pays d’accueil, la situation socio-économique particulière de la communauté à laquelle s’identifie ou est identifiée la famille.

Partir dans l’urgence (guerre, tensions et persécution) et vivre des conditions migratoires éprouvantes (camps de réfugiés, clandestinité, tracas administratifs divers) ont des conséquences très lourdes sur la nouvelle vie projetée dans le pays d’accueil, surtout pour les enfants. À l’inverse, avoir eu le temps et les moyens (intellectuels, psychologiques, financiers) de mûrir un projet migratoire facilite la mise en place de différentes stratégies pour le rendre effectif. Arriver dans le pays d’accueil dans une conjoncture économique favorable, jumelée à l’existence de politiques affirmées d’ouverture à l’immigration, constitue une condition plus que favorable pour une famille immigrante. Par contre, vivre dans un pays d’accueil où sa communauté d’appartenance, ou d’assignation, est en butte à de la discrimination représente une force d’inertie évidente à l’épanouissement d’une famille.

Capital social familial et scolarisation en contexte migratoire

Comment le capital social familial joue-t-il sur la réussite scolaire de l’élève immigrant ? Nous avons trouvé intéressante la réflexion de trois chercheurs américains (Bankston, III, 2004 ; Kao, 2004 ; Noguera, 2004) invités à discuter du lien entre capital social et éducation des élèves immigrants. Les trois soutiennent que l’explication de la réussite scolaire ne doit pas se limiter à l’effet-école (curriculum, structure, culture, pratiques et acteurs), mais doit inclure l’effet du capital social. Le capital social familial est un ensemble de ressources : niveau d’instruction des parents, structure familiale, ressources autour des parents, projets concernant les enfants (les leurs et ceux que la famille a pour eux), la relation des parents avec l’école. Ainsi, ce qui serait déterminant, ce n’est pas tant l’existence du capital social comme avantage potentiel, que sa mobilisation, son actualisation et sa transmission à l’enfant.

Les ressources qui constituent le capital social familial sont mobilisées à travers un réseau relationnel et bonifiées par une accessibilité à l’information (Kao, 2004). La recherche de Duvers (2005) sur les besoins d’information et de formation de parents d’élèves haïtiens à Montréal montre que, quel que soit le niveau de scolarité du parent, le besoin le plus exprimé concerne la connaissance de la vie scolaire en général : structure, programme, services spéciaux, méthodes pédagogiques. Pour certaines familles immigrantes, les organismes communautaires jouent un rôle essentiel dans la (re)construction d’un réseau relationnel. Une analyse de contenu des formulations d’objectifs dans les programmes d’organismes communautaires, qui offrent des services aux familles immigrantes à Montréal et Sherbrooke (Kanouté, Lafortune et Saint-Fleur, 2006), révèle des mots clés en convergence avec certains enjeux de la diversité ethnoculturelle : entraide, communication, médiation, réseau, représentation, reconnaissance, mobilisation, partenariat, multilinguisme, pouvoir, justice sociale, démocratie. Leur positionnement par rapport à l’école est également diversifié : complémentarité, relais, suppléance, distanciation ou opposition. Pour ce qui est de l’importance du réseau relationnel chez les immigrants ou minorités ethnoculturelles, Frideres (2005) s’inquiète que le désir de certaines familles de pouvoir fréquenter, selon leurs besoins, des organismes ethniques ne soit pas encouragé : cette fréquentation leur permettrait de conforter leur capital social.

Vis-à-vis de la scolarisation de leurs enfants, les familles à capital social élevé, notamment instruites et connaissant le jeu scolaire, adoptent des stratégies de conservation-amélioration du capital social, ou de conversion des ambitions en valeur scolairement certifiée comme les filières de formation prestigieuses. (Bergonnier-Dupuy, 2005 ; De Queiroz, 2005). Chez des familles démunies existent des stratégies d’acquisition et d’ascension, car l’école est la seule chose qu’on ait quand on est pauvre (De Queiroz, 2005, p. 3). Ces familles exploitent toutes les possibilités de soutien ou de compensation en recourant aux ressources scolaires et locales gratuites, au choix de l’école privée (pour réparer un redoublement ou l’éviter).

Chez les familles immigrantes, le rapport à la scolarisation peut-être décodé en partie par les grilles d’analyse appliquées aux familles de même profil socioéconomique. Cependant, nous présumons que le contexte migratoire en général, et le projet migratoire en particulier, impriment une couleur spécifique aux stratégies développées par les familles immigrantes à l’égard de la scolarisation. Zeroulou (1988) a très bien documenté la mobilisation structurée par ces stratégies. En général, il y a prédiction d’une corrélation positive entre le faible niveau de scolarité des parents et l’échec scolaire des enfants. Dans le cas des familles immigrantes, un projet migratoire structuré autour du rêve d’une mobilité sociale significative peut déjouer cette prédiction. En effet, le nous familial est tricoté très serré chez certains immigrants et investi de rêves et de projets collectifs (Bergeron et Potter, 2006 ; Vatz Laaroussi, 2006). Ce projet est nécessaire à l’investissement scolaire de l’enfant et reçoit souvent un appui de la famille élargie et des pairs étudiants (Bouteyre, 2004). Peu importe leur degré de réalisme, les rêves peuvent être des tuteurs de résilience face à des défis divers (Cyrulnik, 2003). Pour conclure cette partie, nous pouvons dire qu’une compréhension systémique de la réussite scolaire chez les élèves immigrants demande, plus qu’ailleurs, d’examiner des facteurs autres que ceux liés au milieu social.

Malgré certaines difficultés systémiques, des élèves issus de l’immigration arrivent à transiger avec le stress d’acculturation et à persévérer dans leur projet scolaire. La recension des écrits nous autorise à considérer un ensemble de facteurs de réussite qui relèvent à la fois de la mobilisation de l’élève, de celle de la famille et de ses réseaux, ainsi que de celle des intervenants scolaires. Voici les questions auxquelles nous cherchons à répondre dans cet article : 1) Quelles sont les ressources personnelles et familiales qui permettent cette réussite ? 2) Quelles sont les difficultés neutralisées dans cette démarche ? et 3) Quelles leçons peut-on tirer de ces cas de réussite ?

Méthodologie

Recueillies en 2003-2004 à Montréal et à Sherbrooke, les données analysées dans le présent texte constituent une partie de celles d’un projet plus large. La méthodologie qualitative et descriptive a permis la construction de 24 cas de réussite scolaire (15 à Sherbrooke et 9 à Montréal), chacun à partir de trois entrevues individuelles, respectivement avec l’élève, un parent et un de ses enseignants. L’analyse s’inspire également des autres données de la recherche : entrevues exploratoires de groupe (parents, intervenants scolaires et communautaires, élèves) ; entrevues avec des membres de direction d’école pour saisir les aspects plus organisationnels de la problématique de la recherche ; échanges réguliers avec les partenaires de la recherche sur l’analyse ; organisation de forums de discussion des résultats à Montréal et à Sherbrooke. De l’information aux participants jusqu’à l’analyse des données, les chercheurs se sont conformés aux exigences de l’éthique en recherche (consentement éclairé, possibilité de retrait, confidentialité, anonymat).

Les stratégies de recrutement pour les études de cas étaient multiples, grâce au milieu scolaire (enseignant, agent de milieu, directeur) qui nous indiquait des élèves immigrants en situation de réussite scolaire, à partir de réseaux communautaires où des intervenants nous ont donné des références et où des jeunes et des parents ont été directement contactés. Pour chaque cas, l’enseignant était choisi selon une liste suggérée par l’élève lors de son entrevue. Nous avons utilisé les critères de réussite du milieu scolaire. Ainsi, au moment de l’entrevue, l’élève devait avoir réussi dans toutes les matières de l’année précédente et être en train de réussir son année en cours. Mentionnons que la note de réussite pour une matière scolaire est de 60 %.

Tout en gardant des éléments communs, les grilles des trois catégories de répondants (élèves, parents, enseignants) s’adaptent aux spécificités des catégories (voir le tableau 1). Les trois catégories de répondants ont été invitées à réagir à des historiettes stylisées autour de malentendus souvent exprimés par les enseignants ou les parents immigrants (par exemple, sur la socialisation des enfants ou la compréhension du rôle de l’école au Québec). Les répondants ont également eu l’occasion de formuler des recommandations pour mieux accompagner les élèves immigrants.

Tableau 1

Grilles d’entrevue

Grilles d’entrevue

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Parmi les neuf garçons et 15 filles retenus, deux sont en dernière année du primaire et 22 au secondaire (trois en première année, cinq en deuxième, trois en troisième, sept en quatrième, quatre en cinquième année). Deux élèves sont plus âgés que l’âge moyen normal de leur groupe. En ce qui concerne les parents, huit ont un niveau universitaire, huit un niveau collégial et huit un niveau inférieur à la cinquième secondaire. La durée de résidence des familles varie de 3 à 10 ans. Les origines ethnoculturelles des élèves sont diversifiées : cinq d’Afrique subsaharienne (Guinée, Rwanda, etc.), sept de pays arabo-musulmans (Afghanistan, Algérie, etc.), sept d’Amérique latine (Colombie, Pérou, etc.), quatre d’Europe de l’Est (Russie, Ex-Yougoslavie, etc.), un d’Haïti. La majorité des élèves sont passés par les classes d’accueil pour une mise à niveau de leur français. L’entrevue avec certains parents a nécessité la présence d’un interprète, membre de la famille. En général, les grilles d’entrevue ont ciblé les facteurs de la réussite scolaire de l’élève : le sens accordé à la réussite ; ce qui l’a permise, influencée ; les obstacles rencontrés et les manières de les surmonter ; les moments et les personnes clés de cette réussite ; l’utilisation des réseaux et diverses ressources ; la projection dans l’avenir.

Sur les 72 entrevues, 30 ont été traitées à l’aide du logiciel NudistIn Vivo (cinq cas de Montréal, cinq cas de Sherbrooke). Les codes et méta-codes dérivent des dimensions des grilles d’entrevue, elles-mêmes inspirées de la recension des écrits. Le reste des entrevues a été traité selon une démarche classique menant à une analyse de contenu : procédure de repérage des unités de sens pertinentes dans chaque entrevue et attention aux dimensions émergentes non anticipées par la grille initiale (Blanchet et Gotman, 1992). Les axes d’analyse ont permis de modéliser, à travers une typologie en trois catégories, l’influence du profil familial, notamment le niveau de scolarité des parents, sur la représentation de la réussite scolaire et sur le soutien à l’élève et à l’enfant. Pour chaque catégorie, les composantes, les contextes et les dynamiques de la réussite ont été décrits et articulés. Pour user d’un concept plus large, nous avons préféré parler de profil familial, qui inclut le capital social familial, mais aussi des aspects relatifs au processus migratoire.

Pour ce qui est des modalités de soutien aux critères de scientificité (Mucchielli, 1991) dans cette recherche qualitative, en voici quelques-unes : croisement des regards de différents protagonistes sur le vécu socio-scolaire de l’élève (complétude) ; procédures de traitement des données supervisé par une partie de l’équipe et revérifié par l’autre partie (validation inter-juges) ; comité aviseur (consultatif) aux profils diversifiés accompagnant la recherche et forums de discussion des résultats, organisés avant la diffusion du rapport (acceptation interne).

Résultats : typologie des cas de réussite scolaire

L’analyse des cas de réussite scolaire présentée dans cet article porte sur les élèves du secondaire (22 sur un échantillon de 24). Comme le laisse paraître le titre du présent article, la famille a été ciblée pour appréhender la réussite scolaire de l’enfant. Cette analyse a fait émerger des lignes de différenciation dans les trajectoires, dont l’affinement nous a permis de dresser une typologie en trois catégories : 1) la réussite scolaire inscrite dans une continuité familiale, 2) la réussite scolaire comme promotion sociale et 3) la réussite scolaire pour la famille. Cette typologie donne, à la fois, un regard général, mais aussi un regard quelque peu différencié sur les profils d’élèves immigrants en situation de réussite scolaire. Nous allons illustrer la présentation de cette typologie par quelques cas. Les développements des trois catégories sont inégaux en longueur, car la catégorisation, qui part du niveau de scolarité des parents, ne rend pas les catégories étanches. Des aspects importants, et transversaux aux différentes catégories, sont présentés à la fin de l’article.

La réussite scolaire inscrite dans une continuité familiale

La présentation de cette catégorie de la typologie met l’accent sur deux aspects importants : d’une part, le capital scolaire des parents et, d’autre part, la manière dont se joue le métier d’élève. Pour illustrer cette catégorie, nous présentons des propos d’acteurs protagonistes de quatre cas : Iliana (Europe de l’Est), Nazir (Pays arabo-musulman), Vadim (Europe de l’Est) et Alexis (Afrique subsaharienne).

Capital scolaire élevé

Les élèves considérés dans cette partie de la typologie ont en commun un héritage familial structuré par un capital social élevé, synonyme soit de haute diplômation des parents (études universitaires de deuxième et troisième cycle), soit de statut professionnel valorisé sur le marché du travail dans les pays d’origine (par exemple, ingénieur, chimiste, enseignant). Leur milieu familial soutient leur projet scolaire, comme le font les parents non immigrants qui adoptent des stratégies de conservation-amélioration-conversion de leur capital à travers l’école (De Queiroz, 2005), et pour qui réussir à l’école est une norme (Bergonnier-Dupuy, 2005). Qu’y a-t-il de spécifique dans les stratégies des familles immigrantes qui détiennent un tel capital ? Aucune famille immigrante n’est d’emblée à l’abri des effets induits par différentes ruptures et difficultés auxquelles la migration expose. Ainsi, la conscience que la migration introduit un facteur de risque dans le processus de conservation-amélioration-conversion rend ces parents immigrants plus exigeants, plus vigilants, certains diront plus frileux, dans la mise en oeuvre de leurs stratégies. Ces parents trouvent nécessaire de rendre explicite et articulé le discours sur la réussite, pour que l’enfant n’oublie pas d’où il vient, malgré les différents bouleversements. Avec leurs enfants, ils formulent des revendications d’efficacité des apprentissages scolaires en questionnant les méthodes d’enseignement et la qualité de la formation des enseignants. En fait, ils interpellent tout potentiel de menace à la réussite scolaire de leurs enfants. Dans son étude, Verhoeven (2002) relève la même attitude chez les élèves immigrants en position scolaire favorable en Belgique et en Grande-Bretagne. Les propos du père d’Alexis, ainsi que ceux de la mère et de l’enseignante d’Iliana campent la préoccupation que la réussite scolaire reste une tradition dans leur famille.

  • Père d’Alexis : Chez nous, avoir un diplôme est une fin en soi, du prestige. On étudie longtemps. C’est très valorisé et valorisant

  • Mère d’Iliana : C’est sûr qu’elle va étudier au collège, puis à l’université. Il faut qu’elle soit très éduquée, très formée, qu’elle ait un très bon salaire, la meilleure maison, la meilleure voiture.

  • Enseignante d’Iliana : On dirait qu’elle est en compétition, non seulement avec les élèves mais aussi avec les professeurs, pas pour montrer qu’elle est la meilleure, mais pour montrer qu’elle peut être bonne. […] C’est une élève qui n’est pas intéressée à travailler avec un professeur médiocre. Plus un professeur est intellectuellement avancé, plus cela la stimule. On dirait qu’elle n’a pas de limites

Les parents sont des modèles et se posent comme tels. Ils se présentent comme des modèles de réussite scolaire, mais aussi comme des modèles de pratiques sociales qui bonifient le scolaire : lire, aller à la bibliothèque, parler des matières scolaires au-delà des contingences de l’école, c’est-à-dire discuter de l’utilité des mathématiques et de la biologie dans la vie. Les élèves questionnés sur les facteurs qui les motivent à réussir font référence au statut socioprofessionnel de leurs parents. On sent également que la transmission de l’ambition est revendiquée, la projection dans l’avenir est balisée. Cette volonté-obsession-urgence est ressentie par les enseignants.

  • Nazir (à propos de la réaction de ses parents face à une situation hypothétique de décrochage scolaire) : Ils me donneraient leur exemple. Eux, ils ont réussi dans leur vie. Par exemple, ma mère, c’était une enseignante en Algérie et mon père, un technicien en chimie de peinture.

  • Enseignant de Nazir (à propos de parents immigrants) : Des gens […] qui font face à une opportunité pour eux, surtout pour leurs enfants, et qui espèrent beaucoup. Je vois plus de parents démissionnaires chez les gens qui sont ici depuis très longtemps. Eux, ils veulent un avenir pour leurs enfants

Souvent par manque de connaissance du système scolaire du pays d’accueil, certaines familles immigrantes ne réagissent pas assez vite à des anomalies dans l’orientation scolaire de leur enfant. Ces familles ignorent que certaines filières, à l’enseignement collégial, et donc à l’Université aussi, sont déterminées par la fréquentation de certains cours dès le secondaire. Les parents de la catégorie réussite-continuité tirent mieux leur épingle du jeu, en termes de vigilance et de capacité de négociation avec l’école. Les extraits de verbatim qui suivent illustrent la mobilisation d’un père, mais également l’attitude d’un enseignant qui a accepté de considérer son point de vue.

  • Père de Vadim : Nous étions déçus quand […] j’ai vu qu’il était classé dans un groupe de bas niveau en maths et en physique, alors qu’il avait des moyennes de 90 %. J’ai téléphoné plusieurs fois sans réponses. Vadim a perdu environ trois semaines au début de l’année avant d’être placé au bon niveau. 

  • Enseignant de Vadim : Le père est venu me rencontrer parce qu’il était en désaccord avec mon classement. Sur son insistance, j’ai fait passer un test de deuxième secondaire de mathématiques à Vadim. Il l’a réussi et a pu commencer son secondaire 3 l’année suivante, comme tous les autres élèves. À la fin de cette année, il était parmi les étudiants qui performaient le mieux

Métier d’élève maîtrisé

Quel est le premier indicateur de la réussite scolaire pour les élèves de la catégorie réussite-continuité ? Avoir des notes qui frisent la perfection. Ces élèves usent de toutes les ressources pour décoder le système scolaire d’ici, pour expliciter l’envers du décor (Meirieu, 1993), afin de visualiser les différentes stations du curriculum et de faire des liens avec les occasions de qualification et de promotion sociale qu’elles offrent. Cette mobilisation est d’une grande intensité, car le décodage du système scolaire par les non-immigrants se construit souvent dans la durée et est alimenté par une socialisation diffuse qui s’exerce sur l’enfant depuis son jeune âge.

  • Nazir : Réussir avec 60 %, la note de passage, ce n’est pas vraiment réussir ; réussir avec des 80 % ou 90 %, ça, c’est réussir. […] Plus tard, j’irai plus dans les sciences pures ou je ferai architecture, génie civil.

  • Iliana : Mon but, c’est toujours d’avoir 100 %, mais c’est presque impossible ; 90 % et plus, c’est ça, la réussite, mais aussi, c’est comprendre, comprendre la matière. […] Je veux faire la médecine.

Un élément saillant dans le profil des élèves de la catégorie réussite-continuité est la maîtrise remarquable des invariants du métier d’élève (Perrenoud, 1996), invariants généralement indexés par la recherche comme soutiens à la réussite : assiduité, écoute active, appropriation des savoirs scolaires, rapport positif à l’espace scolaire, etc. De manière discrète parfois, ces élèves mobilisent également des stratégies d’apprentissage et d’organisation du travail scolaire qu’ils ont trouvées opérationnelles dans leur pays d’origine et qu’ils perçoivent comme décriées dans le milieu scolaire ; par exemple, la mémorisation, les dictées, un grand nombre d’exercices pour un meilleur ancrage des connaissances.

  • Nazir : Moi, je réussis, premièrement, parce que tout ce que j’ai vu en classe, je le revois après l’école […]. Et je fais mes devoirs, j’essaye de comprendre à ma façon, j’essaye de refaire l’exercice avec ma façon à moi. 

  • Iliana : J’aime étudier, j’aime travailler, j’aime faire mes devoirs. Je me sens bien quand je vais à l’école. Je vais à la bibliothèque. J’écoute dans la classe. 

Ces jeunes viennent de pays où l’école mise davantage sur la transmission des connaissances. Ainsi, dans le milieu scolaire d’ici, on entend certains enseignants dire que ces jeunes connaissent beaucoup de choses sans savoir quoi en faire, et les jeunes et leurs familles déplorer ce qu’ils perçoivent comme une dévalorisation des connaissances et un manque de culture générale entretenu chez les élèves. Par contre, d’autres enseignants trouvent positive cette acquisition de connaissances sur laquelle ils peuvent capitaliser pour faire développer d’autres habiletés à l’élève.

  • Enseignante d’Iliana : Elle faisait ce que je lui disais. Elle m’a suivie et j’ai beaucoup apprécié. Elle était tellement rapide […]. Je lui faisais faire des choses à côté

  • Enseignant de Vadim : Tout de suite, j’ai su […] qu’il était de niveau très avancé, qu’il avait des structures, de la grammaire, un bon bagage de connaissances […] beaucoup d’habiletés en dehors du milieu scolaire, beaucoup d’horizons, une culture générale extraordinaire

Dans l’orchestration du métier d’élève, les Nazir, Illiana, Alexis et Vadim sont très proactifs et utilisent des stratégies qui tirent profit de tous les facteurs facilitants : par exemple, le soutien familial, les pairs, les ressources de l’école, Internet. Comparés aux autres élèves immigrants qui réussissent, ces élèves, chez qui se dégage une volonté extraordinaire de ne pas briser la tradition familiale de réussite scolaire, utilisent au maximum l’environnement scolaire. Ils sont d’ailleurs seuls à citer des pairs comme modèle de réussite.

  • Iliana (citant une autre élève comme modèle de réussite scolaire) : La fille, elle connaît vraiment beaucoup de choses, elle participe à la classe, elle lève la main pour dire son opinion. Moi, je suis plutôt calme, et c’est rare que je dise mon opinion. J’aimerais lui ressembler peut-être un peu, me sentir libre. 

  • Nazir (citant les acteurs de sa réussite scolaire) : C’est surtout entre la famille et les amis, parce que ma famille m’aide et avec les amis, on s’échange des idées.

  • Parent de Nazir : Avec ses amis, ils s’entraident au téléphone ou ils se déplacent pour faire des mathématiques

Même si la famille pousse à la réussite pour que la tradition familiale dans ce sens se maintienne, on sent une volonté d’émancipation affichée aussi bien par les jeunes que leurs parents. Le capital social dicte que l’on réussisse, mais on réussit d’abord pour soi. Ces élèves immigrants veulent réussir pour une participation citoyenne. Chez eux, le dilemme de l’ancrage ici ou là-bas semble secondaire. Soulignons que nos données ne nous permettent pas de retracer chez ces familles une mise à distance délibérée des attaches communautaires pour éviter que l’enfant n’ait à supporter une situation d’échec internalisée par la communauté d’identification (Bouteyre, 2004). Cependant, force est de constater que la référence à la communauté est quasi absente.

La réussite scolaire comme promotion sociale

Le point commun aux élèves immigrants qui ont retenu notre attention dans cette catégorie, c’est la représentation forte qu’ils ont de l’immigration comme l’occasion d’un nouveau départ, d’une discontinuité salvatrice, pour imprimer une pente ascendante à la trajectoire sociale familiale qui semblait vouée à la stagnation ou à la descente dans le pays d’origine. La réussite est vue comme ce qui conduit à l’intégration à la société d’accueil. Pour illustrer nos propos dans le développement de cette deuxième catégorie de la typologie, nous évoquons les données relatives à trois cas : Juana (Amérique latine), Samba (Afrique subsaharienne) et Nadine (Caraïbes).

Contrairement au discours explicite de projection dans l’avenir des parents de la typologie réussite-continuité, ceux de la typologie réussite-promotion, à capital scolaire moins élevé, formulent leur discours sur la réussite scolaire de manière moins précise, moins léchée. Cependant, ce discours, de formulation vague, est intense et récurrent, et il est très bien entendu par les jeunes. Même s’ils ne perçoivent pas clairement toutes les opportunités dans l’horizon du curriculum, ces derniers sentent qu’il faut s’accrocher pour avoir accès à un avenir meilleur.

  • Juana : Mon papa, il est ouvrier. Il ne parle que des études

  • Mère de Juana : Nous voulons qu’elle fasse quelque chose à son goût, mais qu’elle étudie. On va faire le maximum, moi en tout cas, pour que Juana réussisse ses études, ait un bon travail, puis fasse beaucoup de choses.

  • Nadine (au sujet du sens de la réussite scolaire) : Finir et puis avoir une belle vie, avoir un travail que j’aime et qui arrive à me donner ce que je veux. Jusqu’à maintenant, je ne sais pas ce que je veux

  • Mère de Nadine : Le fait de ne pas avoir un haut niveau de scolarité fait que j’ai toujours encouragé mes enfants à aller loin dans leurs études

  • Mère de Samba (expliquant sa réaction devant un scénario hypothétique de décrochage scolaire) : Je lui dirais si tu ne continues pas tes études, on va rentrer au pays et puis il sait pourquoi on est là. […] Lui veut être pilote. Je veux qu’il fasse quelque chose qu’il aime. J’aimerais qu’il réussisse

Nous avons vu que chez les élèves de la typologie réussite-continuité, la maîtrise du métier d’élève et le capital social familial font que leur mobilisation est maximale dans la famille nucléaire et à l’école, même s’ils mentionnent des modèles de réussite scolaire dans la famille élargie. Par contre, les élèves de la typologie réussite-promotion ratissent plus large en termes de modèles de réussite scolaire et de soutien. Des colocataires et voisins sont mentionnés comme personnes-ressources pour le suivi scolaire. Ces élèves mettent également davantage l’accent sur l’apport affectif du réseau des pairs à l’école.

  • Samba : Mes modèles, ce sont mon grand-père et mon demi-frère qui a toujours été premier de sa classe en Afrique et qui est toujours le plus fort de sa classe ici. […] J’avais vu un film de guerre américain, il y avait un pilote d’avion là-dedans ; lui, je pourrais dire que c’est mon modèle. […] Dans ma famille, je mettrai d’abord ma mère et mon petit frère. Après, je mettrai mon équipe de basket-ball là-dedans. Je suis tout le temps avec eux.

  • Mère de Nadine : C’est Natacha qui est le modèle de la famille. Elle est la cousine de Nadine et elle est à la faculté de médecine

Comme les autres élèves en situation de réussite, ceux de la catégorie réussite-promotion se mobilisent personnellement dans leurs apprentissages, mais sollicitent plus souvent les enseignants en termes de rétroaction sur les apprentissages. On dirait que leur appréciation positive des opportunités d’éducation que l’école du pays d’accueil leur offre se traduit concrètement par le témoignage d’une grande reconnaissance vis-à-vis de leurs enseignants. Ces derniers sont d’ailleurs souvent cités en priorité comme acteurs de la réussite scolaire par les familles. De plus, les parents sont souvent très actifs dans le recours aux organismes communautaires en général, pour obtenir de la médiation avec la culture scolaire ou du soutien pour répondre à différents besoins d’intégration sociale et économique.

Les familles de la catégorie réussite-promotion, qui viennent de pays en proie aux difficultés économiques et avec un système scolaire moins structuré, sont résolument dans un ancrage au pays d’accueil. Dans certaines familles, ce choix va durer jusqu’à ce que l’on sente que la pente ascendante de la trajectoire sociale est plus stable dans le pays d’accueil, avant de remettre, de manière symbolique ou effective, le pays d’origine au centre des préoccupations familiales.

La réussite scolaire pour la famille

Par rapport aux élèves de la catégorie réussite-continuité, qui réussissent grâce à la famille, ceux de la réussite familiale réussissent pour la famille. Par rapport aux élèves de la catégorie réussite-promotion, dont les familles favorisent un ancrage résolu dans le pays d’accueil, ceux des élèves de la catégorie réussite familiale manifestent un lien très fort au pays d’origine, lien symbolique ou effectif, autant que faire se peut. Ces élèves sont explicitement porteurs du projet familial de réussite et de reconnaissance : il faut réussir pour se distinguer socialement (Bouteyre, 2004). Nous utilisons deux cas qui illustrent cette troisième partie de la typologie : Asma (Pays arabo-musulman) et Abou (Afrique subsaharienne).

Le cordon ombilical avec la famille est manifeste dans cette catégorie, et on sent qu’il y a prolongement de ce cordon vers le pays d’origine. La réussite scolaire revêt des enjeux familiaux, mais aussi collectifs et nationaux.

  • Parents d’Abou : Si mon fils réussit, c’est toute la famille qui réussit[…]. Ilfera ce qu’il veut, l’essentiel est qu’il aide les autres, ceux de chez nous aussi […]. Et ce sera utile et important pour l’Afrique […].

  • Asma : Je veux réussir pour avoir une place dans la société et pour être reconnue. Je veux réussir pour moi et, en deuxième, pour mes parents

  • Père d’Asma : Elle aime étudier depuis son enfance, elle veut devenir quelqu’un. […] On n’est pas venu ici pour s’amuser ou pour travailler dans une manufacture. […] Il faut qu’elle aille à l’Université, de là, elle va choisir ce qu’elle doit faire. […] Un enfant qui réussit, c’est que toute la famille a réussi. L’arbre a donné des fruits, tout le monde en mange

On trouve un discours critique sur l’efficacité de certaines situations d’apprentissage (comme le font les élèves de la catégorie réussite-promotion), mais également une imputabilité clairement exprimée à l’endroit de la famille, à propos de l’échec et de la réussite scolaire. Contrairement aux élèves de la catégorie réussite-promotion qui investissent de façon générale les organismes communautaires à clientèle pluriethnique, les élèves de la catégorie réussite familiale et leurs parents utilisent plus assidûment les services et réseaux de leur communauté ethnique et religieuse. En fait, ces familles fonctionnent selon le principe d’un nous familial fort et structuré (Vatz Laaroussi, 2006) et collaborent avec l’école au travers de cette instance familiale unitaire.

Des aspects transversaux à la typologie

Le profil familial, rappelons-le, a été à la base de la catégorisation de la typologie. Ainsi, il nous a paru pertinent de revenir sur la famille, l’expérience à l’accueil, les questions de connaissance du système scolaire et d’évaluation des élèves à leur arrivée, autant d’éléments transversaux à la typologie.

Famille comme ressource

À l’intérieur de la famille immigrante, les parents ne sont pas les seuls à jouer un rôle dans les études de l’enfant ou dans la relation avec l’école. Cette famille est souvent comprise et vécue au sens élargi, avec des membres qui peuvent se trouver même dans des pays différents et intervenir dans la scolarité du jeune, donner des conseils ou représenter des modèles de réussite scolaire. Une mère a dit qu’elle consultait régulièrement des parents aux États-Unis et en Suède pour être éclairée sur des enjeux scolaires. La famille est une ressource, et les élèves nous ont semblé à l’aise avec le fait d’être investis d’une mission de réussir pour leurs parents.

  • Élève : Ma famille, ce sont mes parents et leurs cousins parce qu’on a des cousins ici. Après ça, il y a les amis de la famille. Dans mon pays d’origine, la famille est beaucoup plus large qu’ici, il y a les grands-parents, les tantes, les oncles, les cousins

  • Élève : Si je pense à l’école, c’est à ma mère que je pense en premier parce que […] elle n’a pas pu faire son Université. Et un jour, elle m’a dit qu’elle aimerait que moi, je fasse ce qu’elle n’a pas fait.

  • Élève : […] mes parents disent qu’ils veulent que je sois leur avenir, que je progresse dans la vie ; c’est pour ça qu’ils m’ont amené ici, et moi, je les remercie vraiment. 

Le témoignage de diverses formes de capital détenues par la famille, comme les diplômes, ainsi que celui de l’histoire et du vécu familial dans le pays d’origine, participe de la motivation scolaire des jeunes. Parfois pliés, mouillés, déchirés, les diplômes des parents sont des témoins du passé, des savoirs et de la reconnaissance. Les photographies de la maison du pays d’origine, de quelques grands-parents disparus, ou même d’un paysage, sont aussi des vecteurs de transmission identitaire et représentent en ce sens un bien précieux que les familles apportent dans leurs pérégrinations et que les professeurs auraient intérêt à découvrir. Au sein de la famille immigrante, il y a également une co-construction de rêves arrimés au projet scolaire de l’enfant. Cependant, ces rêves, souvent les enseignants en ont peur, craignant qu’ils ne cachent des ambitions parentales irréalistes pour leurs enfants.

  • Enseignant du secondaire : Ils veulent tous que leurs enfants soient médecins, avocats, ce n’est pas possible. On a aussi besoin de soudeurs, de cuisiniers, etc.

  • Enseignant de l’accueil : Ils veulent que leur enfant soit médecin et lui aussi il dit cela, mais il arrive d’un camp de réfugiés où il a passé cinq ans, il sait à peine lire et écrire. Ce n’est pas possible, je ne peux pas leur laisser croire que c’est possible, je dois être honnête et réaliste. 

Et pourtant, ce sont ces rêves qui soutiennent les parents et les jeunes dans les moments les plus difficiles, qui leur permettent de continuer, qui les motivent à se dépasser. Peut-être faut-il alors admettre, un temps, ces rêves comme moteurs de résilience (Cyrulnik, 2003) puis, peu à peu, laisser les rêves se confronter à la réalité et devenir projets. Le propre du rêve, c’est de porter un idéal, d’être en dehors de la réalité et parfois même de contourner, pour un temps, cette réalité. Le projet, lui, peut et doit être réaliste.

Expérience de l’accueil : à la fois appréciée et déstabilisante

Les professeurs de l’accueil sont appréciés, certains élèves reconnaissent l’utilité de leur passage en accueil. Des enseignants ont trouvé exigeant le travail à l’accueil mais d’une très grande richesse : on fait apprendre le français, on intègre à la société d’accueil et on est en première ligne pour lire la déstabilisation identitaire. Surtout, comme le dit si bien une enseignante, les élèves y ont besoin d’être poussés, d’être mis en confiance, de s’entendre dire qu’ils peuvent devenir quelqu’un s’ils le veulent.

L’accueil reste cependant une expérience dont on se souvient avec beaucoup d’émotion : une grande insécurité avec le maniement d’une nouvelle langue, la difficulté de se faire valoir comme personne et comme élève, la frustration de perdre les autres acquis scolaires. Les regards croisés d’Iliana, de sa mère et de son enseignante de l’accueil cernent bien cette expérience.

  • Iliana : Je n’aurais jamais pensé que je pourrais apprendre cette langue. J’étais triste. Oui, oui, j’étais déprimée. Après quelques mois, j’ai vu que je commençais à parler, que je comprenais des choses

  • Mère d’Iliana : L’année passée à l’accueil a été excellente pour elle […]. Ça a aidé dans son intégration. […] C’était une période très intense pour elle. Elle a eu la chance d’avoir d’excellents professeurs. Mais elle s’ennuyait à l’accueil. Elle avait l’impression qu’elle connaissait déjà la matière.

  • Enseignante d’Iliana : J’ai vu arriver une petite fille en cours d’année, qui ne parlait pas un mot de français. Même quand je disais comment ça va, elle ne comprenait absolument rien. Elle était très triste. Elle pleurait beaucoup. J’ai fait venir un élève que j’avais avant et qui est de la même origine. Je lui ai demandé de dire à Iliana que j’allais prendre soin d’elle. J’ai su par la suite qu’elle s’ennuyait de sa grand-mère. Il faut dire qu’elle avait du potentiel. On a commencé par les syllabes, les consonnes, les sons, vraiment comme si elle rentrait à la maternelle

Le passage de l’accueil au régulier engendre une deuxième déstabilisation : intégrer un nouveau réseau relationnel et redevenir le nouveau ou la nouvelle, se joindre à un groupe d’élèves ayant une meilleure maîtrise de langue, suivre un enseignant au rythme plus rapide. Les propos d’une enseignante du régulier révèlent comment l’air perdu de l’élève qui arrive de l’accueil témoigne du fait que le curriculum est largement traversé de références socioculturelles de la société d’accueil. Pour un parent, heureusement que son enfant à l’accueil a pu observer les élèves du régulier et leur parler, ce qui a pu le préparer un peu.

Besoin d’informations, la question de l’orientation et de la reconnaissance des acquis

Même dans le cas des élèves immigrants qui réussissent à l’école, le besoin d’informations sur le système scolaire du pays d’accueil est exprimé autant par les jeunes que par leurs parents (évaluation, routine, cheminement scolaire et degrés de maîtrise attendus, approches pédagogique, ressources). Les parents ont souvent déploré que l’évaluation suive une logique d’âge plutôt qu’une logique de niveau scolaire. Cette question de l’âge revient souvent comme un irritant. Certains élèves sont orientés directement à l’éducation des adultes alors qu’ils ont interrompu, parfois durant de nombreuses années, leur scolarité et qu’ils souhaiteraient la reprendre dans un milieu scolaire régulier. C’est le cas, par exemple, de jeunes Africains qui ont vécu dans des camps de réfugiés dans la région des Grands-Lacs. D’autres n’ont pas compris ni vraiment accepté le passage en classe d’accueil, en particulier lorsqu’il s’agit de populations maghrébines dont les enfants parlent déjà le français comme langue seconde. Les intervenants qui s’occupent de l’orientation de ces jeunes vers la classe d’accueil puis vers le régulier déplorent leur manque d’outils et surtout leur difficulté à personnaliser l’évaluation.

Conclusion

En termes de recommandations, la nature même de cette recherche, descriptive et non évaluative, impose une certaine modestie. Cependant, nous possédons une longue expérience d’intervention en formation continue auprès du personnel scolaire, des autres intervenants en milieu scolaire et des parents. Et force est de constater que les besoins exprimés dans le cadre des formations font écho aux résultats de cette recherche. Que nous apprennent ces études de cas de réussite scolaire d’élèves immigrants ? Tout d’abord, que les voies de la réussite sont multiples. Il est donc important pour l’enseignant de cerner les enjeux de la dynamique migratoire, afin de comprendre certaines particularités dans le cheminement de l’élève immigrant vers la réussite scolaire. Ensuite, ces études de cas nous apprennent que la réussite est une affaire de mobilisation : de l’élève (projet et espérance de réussite ; élaboration de stratégies d’apprentissage ; travail de maîtrise de la langue d’enseignement), de la famille et aussi d’autres ressources (matérielles, humaines et symboliques). Pour juguler le plus possible la discontinuité potentielle induite par l’immigration, les familles immigrantes ont besoin d’un coup de pouce : des politiques réaffirmées de prise en compte de la diversité ethnoculturelle, un enseignement ouvert à la diversité et une pédagogie empreinte de créativité (compétence, proximité, autonomie) (Kanouté, 2002), un milieu de vie accueillant à l’école et dans la communauté. Influencée par le projet migratoire familial, mais également par le contexte des relations interethniques, cette mobilisation nécessite un accès à l’information et à un réseau relationnel, pour décoder intensivement la culture en général, et la culture scolaire en particulier.

Il nous semble important de revenir sur la classe d’accueil, notamment sur l’évaluation des élèves immigrants à leur arrivée. L’évaluation et l’orientation scolaires de l’élève gagnent à tenir compte de l’intrication des dimensions individuelles, scolaires, sociales, familiales, expérientielles et cognitives (Rachédi et Vatz Laaroussi, 2004), pour mieux identifier ses spécificités, ses besoins et son potentiel. Au vu de nos résultats, les suggestions de Messier (1997) restent d’actualité : rendre systématique une évaluation complète des acquis scolaires de l’élève pour vérifier sa maîtrise du français, mais également pour évaluer, dans la langue qu’il connaît le mieux, les concepts scolaires de base qu’il possède ; briser l’isolement de l’élève de l’accueil par des mesures telles que le jumelage avec un élève du régulier. Il faudrait également bonifier les ressources de l’accueil : réfléchir sur la trop grande hétérogénéité des groupes, actualiser les outils didactiques et psychopédagogiques, rendre plus facile le recours à d’autres intervenants comme les travailleurs sociaux, psychologues et agents de liaison ave les familles.

Les études de cas nous ont permis également de cerner toute la vulnérabilité identitaire des élèves immigrants de l’accueil, due à la fois à la non-maîtrise du français et à la dévalorisation de leur(s) langue(s) d’usage. Selon Armand et Dagenais (2005), les niveaux de maîtrise langagière peuvent susciter de la discrimination, à cause des représentations négatives véhiculées sur les langues et les locuteurs de ces langues. En effet, la compétence linguistique est un marqueur qui fait souvent l’objet d’une association avec le statut social (Zarate, 2003) : ne pas bien parler français renvoie à un statut d’élève moyen, voire médiocre. Ainsi, la nécessité d’apprendre le français à l’accueil ne doit pas avoir comme corollaire la dévalorisation des acquis linguistiques des élèves. Certains d’entre eux peuvent être référés à des ressources qui permettent d’évacuer le traumatisme de la classe d’accueil, comme les ateliers d’expression théâtrale (Rousseau, Gauthier, Lacroix, Alain, Benoit, Moran, Viger Rojas et Bourassa, 2005).

Enfin, nous revenons sur la légitimité du rêve. Le milieu scolaire, le milieu familial et le milieu communautaire doivent reconnaître l’importance du rêve et des ambitions comme moteurs de réussite. Reconnaître que le rêve d’un avenir meilleur et d’une réussite scolaire et sociale est légitime pour les jeunes et leurs parents, voilà la première étape vers l’émergence d’un projet réaliste et mobilisateur. Un travail de formation du personnel scolaire serait sans aucun doute à mettre en oeuvre pour aider les enseignants, les personnes relais, le personnel socio-éducatif ou social et les orienteurs à se situer comme des accompagnateurs de ce processus qui permet le passage du rêve au projet.