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1. Introduction et problématique

L’augmentation en fréquence et en intensité des problèmes comportementaux des élèves québécois suscite de vifs débats chez les intervenants scolaires, les parents et les dirigeants, débats vivement alimentés par les médias (Ambert, 2007 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2001). Dans l’opinion publique, comme dans le milieu scolaire, on rapporte fréquemment que les enfants d’aujourd’hui seraient plus nombreux à présenter des problèmes de comportement, ce qui rendrait difficile la gestion des activités pédagogiques en classe. Achenbach, Dumenci et Rescorla (2002) ont déjà attiré l’attention sur l’augmentation de consommation de médicaments psychotropes pour contrôler l’hyperactivité (Ritalin, Cylert) et d’antidépresseurs (Prozac) destinés aux enfants et aux adolescents en Amérique du Nord. En 2004, le Québec se classait au troisième rang des provinces canadiennes ayant le plus recours aux médicaments psychotropes, et ce, après avoir enregistré le taux le moins élevé de consommation de Ritalin à travers le pays quelques années auparavant. Certaines études rapportent que c’est d’ailleurs au Québec que serait survenue la plus forte hausse de cette consommation (+ 108 %) au cours des dernières années (IMS Health Canada, 2004). D’autre part, les fusillades, attentats et différents événements violents perpétrés en milieu scolaire et rapportés avec force détails par les médias ajoutent à l’impression que les actes violents en milieu scolaire sont en augmentation. Bien qu’aucune recherche ne permette de conclure à une augmentation des comportements violents dans les écoles québécoises, des chercheurs ont cependant constaté la présence de cette violence, observée principalement sous une forme de gravité mineure, comme l’intimidation, la violence verbale ou l’agression indirecte (Bélanger, Gosselin, Bowen, Desbiens et Janosz, 2006).

Par ailleurs, les statistiques largement médiatisées, selon lesquelles 20 % des enseignants québécois quittent la profession au cours de leurs cinq premières années, contribuent à laisser croire que les comportements des élèves d’aujourd’hui seraient devenus plus difficiles à gérer qu’autrefois. À ce chapitre, la question de l’intégration en classe régulière des élèves qui manifestent des problèmes de comportement ne viendrait-elle pas ajouter à la complexité de la compréhension du phénomène ? Sur le plan familial, certaines caractéristiques parentales (manque de supervision, de suivi scolaire, horaires chargés) seraient aussi considérées comme des facteurs additionnels susceptibles d’expliquer l’accroissement des comportements problématiques chez les enfants (Ambert, 2007). Ce sombre bilan semble rejoindre l’opinion publique à l’effet que les enfants et les adolescents d’aujourd’hui s’adapteraient plus difficilement à l’école que ceux d’autrefois.

Pourtant, cette décennie a vu la mise en oeuvre de nombreuses stratégies d’intervention pour aider les jeunes qui présentent des problèmes de comportement à l’école. L’État a soutenu plusieurs mesures pour permettre aux intervenants scolaires d’offrir un encadrement de qualité et de favoriser la réussite scolaire du plus grand nombre d’élèves (Ministère de l’Éducation du Québec, 1999). Les universités québécoises ont aussi revu la formation initiale des maîtres, notamment en la prolongeant d’une année, afin de mieux préparer les futurs enseignants à répondre aux besoins des élèves d’aujourd’hui. Les chercheurs et les milieux scolaires ont fait également de nombreux efforts pour favoriser l’adaptation sociale et scolaire des élèves québécois. Par ailleurs, le taux de criminalité juvénile au Canada affiche un important recul depuis les 25 dernières années (Statistique Canada, 2007). De l’avis de certains chercheurs, la victimisation en milieu scolaire n’aurait guère évolué pendant les deux dernières décennies (Debarbieux, 2006 ; Gottfredson, 2001). La violence en éducation aurait même diminué aux États-Unis au cours des 10 dernières années et les écoles seraient considérées parmi les endroits les plus sécuritaires, à la fois pour les enfants et pour les adultes (Verdugo et Vere, 2003). En nous appuyant sur ces dernières données scientifiques, pourrions-nous croire que les efforts collectifs déployés en éducation depuis les dernières années pour favoriser l’adaptation sociale et scolaire des élèves aient plutôt entraîné une amélioration globale de leur comportement à l’école ?

À notre connaissance, aucune étude rigoureuse, basée sur des données comparatives fiables, n’a réussi à mesurer la variation réelle de la fréquence et de la gravité des problèmes de comportement chez les élèves québécois. Les élèves d’aujourd’hui manifestent-ils davantage de problèmes de comportement, sont-ils plus agressifs ou présentent-ils davantage de symptômes dépressifs ? Qu’en est-il de la qualité de la collaboration de leurs parents avec l’école ? Comment perçoivent-ils le climat de leur classe et leur engagement dans les tâches scolaires ?

Toutes ces questions ont orienté la présente recherche. Après un bref survol des écrits scientifiques sur le développement des problèmes de comportement à l’école, à travers les ans, ce texte présente les résultats d’une étude visant à comparer la qualité de l’adaptation sociale et scolaire d’élèves de première secondaire entre 1996 et 2005. La présentation des résultats sera suivie par une discussion qui mettra en perspective les découvertes les plus probantes de cette recherche.

2. Contexte théorique

2.1 Évolution des troubles de comportement à l’école

En 2001, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) rapportait que la proportion d’élèves en difficulté de comportement avait triplé au primaire au cours des 16 années précédentes (Conseil supérieur de l’éducation, 2001). Ces chiffres, disponibles pour la seule clientèle du primaire, semblent décrire une détérioration constante du comportement des élèves.

Cependant, cette hausse ne pourrait-elle pas s’expliquer par des méthodes de dépistage plus précises des élèves en difficulté ou encore par des changements sur le plan des services professionnels qui leur sont offerts ? À ce propos, le Conseil supérieur de l’éducation (1998) commente la hausse du personnel dans les écoles québécoises depuis les dernières années : cette hausse s’observerait davantage chez le personnel de soutien (préposés au service de garde, surveillants d’élèves, etc.), alors que le nombre des professionnels qui viennent en aide aux élèves en difficulté (psychologues, orthopédagogues, conseillers en orientation, etc.) serait plutôt en baisse.

Difficile de conclure à une réelle détérioration du comportement de l’ensemble des élèves si aucun échantillon représentatif de la population scolaire n’a été utilisé pour procéder à une évaluation sérieuse de la situation ! Comme aucune étude ne s’est intéressée à cette question auprès des élèves fréquentant les écoles secondaires au Québec, il apparaît important de retracer, dans les écrits scientifiques, les études qui utilisent des mesures d’évaluation standardisées, menées auprès d’échantillons représentatifs et couvrant un intervalle de temps significatif.

La recension des écrits révèle que peu de travaux scientifiques rencontrent ces critères. Une première étude, celle d’Achenbach et Howell (1993), a recueilli en deux temps (1981 et 1989) des données normalisées qui reflètent le comportement global des enfants de 7 à 16 ans (évalué par les parents) et leur niveau d’adaptation à l’école (évalué par les enseignants). Le Teacher report form (Achenbach, 1991a) a été rempli par 665 enseignants, alors que les parents d’élèves de 48 États américains ont répondu au Child behavior checklist (Achenbach, 1991b). Les résultats de cette étude indiquent une détérioration significative du fonctionnement adaptatif global des élèves et une aggravation des problèmes de comportement entre 1981 et 1989. Ces évaluations ont porté sur plusieurs variables : anxiété/dépression, rejet/dépression, problèmes sociaux, problèmes d’attention, comportements déviants et comportements agressifs. D’autres variables liées aux problèmes de type internalisé (repli sur soi, somatisation), aux problèmes de type externalisé (impulsivité, délinquance, conduite dangereuse) et à la sociabilité (activités sociales et scolaires) ont aussi été évaluées. Une seconde cueillette de données a été effectuée en 1999, soit 18 ans plus tard, en utilisant le même devis de recherche (Achenbach, Dumenci et Rescoria, 2002). Les analyses de covariance effectuées auprès des échantillons de 1989 et de 1999 ont démontré une amélioration significative sur le plan du fonctionnement adaptatif global chez les élèves en 1999, de même qu’une diminution significative des problèmes de comportement entre les deux temps de cueillettes de données. Ces chercheurs concluent à une détérioration du fonctionnement adaptatif global des élèves entre 1981 et 1989, alors qu’une amélioration significative était enregistrée sur ce plan entre 1989 et 1999.

Finalement, en 1999, les élèves américains de 7 à 16 ans ont enregistré des scores très comparables à ceux de 1981 au niveau du fonctionnement adaptatif et des problèmes de comportement. Dix-huit ans plus tard, les auteurs concluent qu’il n’y a pas eu d’aggravation des problèmes de comportement chez les élèves américains, la proportion d’élèves qui ont obtenu des scores significatifs sur le plan clinique (Child Behavior Checklist) n’ayant pas plus augmenté que les variances des scores à l’échelle globale du problème d’adaptation (Teacher Report Form, Total problem score).

En utilisant les mêmes instruments de mesure, Verhulst, Van der Ende et Riethbergen (1997) ont procédé à une étude semblable auprès d’enseignants et de parents d’écoliers néerlandais. L’expérimentation, qui s’est déroulée en deux temps (T1 = 1983 et T2 = 1993), n’a pas montré de différence significative entre les échantillons de 1983 et de 1993, sur les échelles globales des aspects comportementaux et adaptatifs.

Il ne semble donc pas possible de conclure à une réelle détérioration du comportement des élèves américains et néerlandais au cours des périodes évaluées. Les chercheurs sont plutôt d’avis que les actes de violence extrême perpétrés dans les écoles semblent le fait d’une minorité d’élèves dont la proportion demeurerait plutôt stable.

2.2 Facteurs associés à l’adaptation sociale et scolaire des élèves

Certains facteurs, liés à l’élève lui-même, à sa famille et à l’école, peuvent expliquer pourquoi certains jeunes développent des problèmes de comportement, alors que d’autres parviennent à bien s’adapter à leur milieu scolaire et social (Farrington, 1996 ; Vitaro et Gagnon, 2003).

Facteurs personnels. Les élèves qui s’adaptent difficilement à leur environnement scolaire peuvent présenter des problèmes de comportement de type internalisé ou externalisé, accompagnés assez souvent de troubles anxieux (Frick, 1998 ; Walker, Colvin et Ramsey, 1995). Selon Marcotte (2006), c’est à l’adolescence qu’apparaîtrait le plus souvent le premier épisode de dépression dans la vie d’un individu. Elle rapporte qu’environ 16 % des élèves québécois de niveau secondaire présentent des symptômes de dépression assez importants pour être référés en traitement. La dépression à l’adolescence a aussi été associée à des difficultés d’apprentissage, à un faible rendement scolaire et à un haut risque de décrochage scolaire (Lewinsohn, Gotlib et Seeley, 1995 ; Marcotte, 2006).

Chez les jeunes qui manifestent des difficultés de comportement, certains déficits observés sur le plan des habiletés sociales (empathie, stratégies de résolution de problèmes, affirmation de soi, coopération) constituent des obstacles majeurs à la réussite de leur intégration scolaire et sociale (Hubbard et Coie, 1994 ; Vitaro, Dobkins, Gagnon et LeBlanc, 1994). Des conduites sociales maladroites nuisent non seulement à la qualité de l’adaptation scolaire, mais augmentent aussi les risques ultérieurs d’inadaptation sociale (Fortin, Royer, Marcotte, Potvin et Yergeau, 2004).

Facteurs familiaux. Plusieurs écrits scientifiques ont traité de l’influence des attitudes parentales sur l’adaptation socioscolaire des enfants (Christenson et Sheridan, 2001 ; Henderson et Mapp, 2002). Certaines variables ont ainsi été associées aux difficultés d’adaptation scolaire des enfants et des adolescents : le manque d’encadrement familial, l’absence de soins, les pratiques éducatives inadéquates et le faible degré d’engagement des parents dans le suivi scolaire (Jimerson, Egeland, Sroufe et Carlson, 2000 ; Marcotte, Fortin, Cloutier, Royer et Marcotte, 2005). En général, lorsque les parents expriment leur affection, encouragent à l’autonomie, supervisent les sorties et manifestent du soutien affectif, les aspirations scolaires des adolescents sont meilleures.

Au Québec, Deslandes et Cloutier (2000) ont montré que des relations positives entre l’école et la famille favorisent un meilleur ajustement de l’enfant à l’école et une plus grande participation parentale. L’autonomie de l’adolescent, son orientation vers le travail, son indépendance et le développement de son identité sont des facteurs qui influenceraient sa réussite scolaire. D’autre part, le peu d’attentes des parents envers la réussite à l’école peut aussi influencer négativement l’adaptation scolaire du jeune et son désir de réussir (Battin-Pearson, Newcomb, Abbott, Hill, Catalano et Hawkins, 2000). D’après Deslandes (2005), 80 % des adolescents seraient intéressés à ce que leurs parents assument un certain suivi scolaire et accepteraient volontiers que ces derniers participent aux activités initiées par l’école.

Facteurs scolaires. Parmi les principaux milieux de vie des enfants et des adolescents, l’école contribue particulièrement à influencer la qualité de l’adaptation sociale et scolaire. Au Québec, 28 % des jeunes de 20 ans et moins n’avaient pas obtenu leur diplôme d’études secondaire en 2003-2004 (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006). Le décrochage scolaire étant considéré comme un problème important au Québec, il convient d’identifier les facteurs scolaires qui peuvent expliquer cet abandon. Ainsi, le climat de classe, la qualité de la relation enseignant-élève et les attitudes des enseignants envers leurs élèves peuvent avoir un effet sur l’engagement du jeune dans ses activités scolaires et sociales (Kedar-Voivodas, 1983 ; Potvin, 2006 ;). L’étude longitudinale de Kasen, Johnson et Cohen (1990) a montré que le climat de l’école peut augmenter les difficultés d’attention, les troubles oppositionnels et les troubles de comportement des élèves. À l’inverse, un mode adéquat de gestion de classe, basé sur des règles claires et un système disciplinaire non abusif, contribuerait plutôt à diminuer les comportements inadaptés de certains élèves tout en stimulant leur motivation scolaire (Turcotte, 1995). Par ailleurs, Fortin et ses collaborateurs (2004) ont rapporté que les élèves à risque de décrochage perçoivent le climat de classe comme problématique sur plusieurs aspects : peu d’engagement des élèves dans les activités scolaires, peu de soutien entre élèves, peu d’engagement de l’enseignant envers les élèves, peu de respect des règles, faible innovation pédagogique et problèmes perçus dans l’organisation de la classe.

Dans la présente étude, nous avons voulu vérifier si les élèves de 2005 s’adaptaient plus difficilement à leur environnement scolaire que ceux de 1996. Pour ce faire, des mesures d’adaptation sociale et scolaire ont été effectuées en 2005 auprès d’un échantillon d’élèves et d’enseignants de première secondaire d’une école de la région de l’Estrie. Neuf ans plus tôt (1996), cette école secondaire avait participé à une étude longitudinale visant l’identification des caractéristiques liées à l’adaptation scolaire des élèves (Fortin, Marcotte, Royer et Potvin, 2000). Les dimensions alors étudiées ont ciblé des facteurs personnels (troubles externalisés et internalisés, habiletés sociales, délinquance, etc.), scolaires (climat de classe, attitudes de l’enseignant, rendement scolaire, etc.) et familiaux (pratiques éducatives) liés à la réussite scolaire. En comparant nos données à celles initialement recueillies en 1996 par la première équipe de chercheurs, nous avons pu dresser le portrait de la situation dans cette école secondaire de milieu socioéconomique défavorisé, à deux moments séparés par neuf ans d’intervalle.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Deux cohortes de première secondaire d’une même école de la région de l’Estrie (Québec) ont participé à un protocole de recherche identique en 1996 et en 2005. Dans les deux cas, tous les groupes de première secondaire de l’école ont été sollicités pour participer à l’étude. L’échantillon de 1996 provient de l’étude longitudinale (1996-2007) de Fortin et ses collaborateurs, intitulée Validation d’un modèle multidimensionnel et explicatif de l’adaptation sociale et de la réussite scolaire de jeunes à risque (Fortin, Marcotte, Potvin et Royer [CQRS, CRSH et FQRSC, 1996-2007]). Cette étude portait sur les difficultés d’adaptation scolaire, alors que les participants du second groupe ont été sollicités aux seules fins de la présente étude. L’échantillon de 1996 était composé de 237 sujets (105 filles et 132 garçons ; âge moyen = 13,0 ans ; écart type = 0,5) et celui de 2005 comptait 249 participants (92 filles et 157 garçons ; âge moyen = 13,3 ans ; écart type = 0,7). L’école expérimentale de 2005 a été choisie parmi celles qui avaient participé à la recherche de 1996 en raison du fait qu’aucun changement de territoire n’avait affecté cet établissement depuis l’étude de 1996 (situation socioéconomique comparable, validée par les dirigeants de la commission scolaire concernée). À partir des indicateurs socioéconomiques du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, l’école présente un niveau de défavorisation de 8/10.

3.2 Instruments

Plusieurs types de mesure ont été utilisés afin d’évaluer les facteurs personnels, familiaux et scolaires qui constituent les principales variables à l’étude.

Questionnaire sur la dépression (Beck, 1978). Traduit par Bourque et Beaudette (1982), ce questionnaire comprend 21 items et évalue l’intensité des symptômes affectifs, comportementaux, cognitifs et somatiques de la dépression. Pour chaque énoncé, l’élève est invité à choisir, parmi quatre choix de réponses (graduées de 0 à 3), l’énoncé qui décrit le mieux la façon dont il s’est senti au cours des sept derniers jours. Les qualités psychométriques de ce questionnaire ont été vérifiées auprès d’une clientèle d’adolescents québécois, les coefficients de consistance interne variant entre 0,86 et 0,88. Un score de coupure de 16 est suggéré pour identifier les sujets qui présentent les caractéristiques de la dépression clinique (Strober, Green et Carlson, 1981).

Échelle de délinquance autorévélée (LeBlanc, 1994). Cette échelle de délinquance autorévélée est extraite de l’ouvrage intitulé Mesure de l’adaptation sociale et personnelle pour les adolescents québécois (LeBlanc, 1994), et comprend 21 items concernant des activités délinquantes telles que le vandalisme, les vols mineurs, les vols graves, les agressions, la consommation de drogue et d’alcool. Le questionnaire à compléter par l’élève est composé d’une échelle de type Likert en quatre points, lui permettant d’indiquer la fréquence de ses comportements délinquants s’il y a lieu. Les qualités psychométriques de cet instrument ont été documentées par LeBlanc (1994). L’alpha de Cronbach standardisé étant de 0,82, ce questionnaire a montré une bonne validité discriminante, puisque les adolescents délinquants se distinguent des autres adolescents sur la très grande majorité des échelles et sous-échelles.

Questionnaire sur les habiletés sociales (Gresham et Elliott, 1990). Ce questionnaire est une traduction du Social skills rating system (SSRS) et permet une évaluation multivariée des comportements sociaux des jeunes à l’école. La version utilisée est complétée par les enseignants et comprend 51 items regroupés en deux échelles : habiletés sociales et troubles du comportement. Les troubles du comportement sont répartis en deux types : 1) internalisés et 2) externalisés. Le SSRS a été expérimenté auprès de 4700 jeunes Américains âgés entre 3 et 18 ans et montre une fidélité test-retest satisfaisante (r = 0,90 ; α de Cronbach = 0,90). Des épreuves de validité de convergence avec des échelles des tests Social behavior assessment (Stephens, 1978, voir Gresham et Elliot, 1990) rapportent des corrélations de - 0,68 à l’échelle des habiletés sociales et de 0,55 à l’échelle des problèmes de comportement. Des analyses factorielles effectuées auprès de 810 élèves du secondaire révèlent que la version québécoise possède la même structure factorielle que la version américaine et les coefficients de consistance interne varient entre 0,79 et 0,92 (Fortin, Royer, Marcotte, Potvin et Joly, 2001).

Questionnaire sur le style parental (Steinberg, Lamborn, Dornbush et Darling, 1992). Ce questionnaire complété par l’élève est une traduction du Parental style. Il est composé des sous-échelles suivantes : engagement parental (neuf items), encadrement parental (huit items) et encouragement à l’autonomie (neuf items). Les indices de consistance interne de ces échelles de type Likert se sont avérés adéquats (α de Cronbach de 0,71 à 0,87) et la validité de construit et de contenu a été démontrée auprès d’adolescents par des chercheurs québécois (Deslandes, Bertrand, Royer et Turcotte, 1995).

Questionnaire de participation parentale au suivi scolaire (Epstein, Conners et Salinas, 1993). Ce questionnaire, traduit et validé par Deslandes et ses collaborateurs (1995), évalue la participation parentale au suivi scolaire à l’aide de 20 énoncés répartis en cinq sous-échelles : encouragement à l’autonomie, communication parent-école, communication parent-adolescent, soutien affectif et communication avec les enseignants. Les élèves doivent répondre selon une échelle de type Likert à quatre points. Deslandes et ses collaborateurs (1995) ont rapporté une consistance interne de la version québécoise comparable à celle de la version américaine (indices de 0,65 à 0,76).

Échelle de l’environnement de la classe (Moos et Trickett, 1987). Ce questionnaire est une traduction du Classroom environment scale (CES) et évalue le climat social de la classe. La version abrégée utilisée pour cette étude comprend 45 items distribués en neuf échelles : engagement, affiliation, support de l’enseignant, orientation du travail, compétition, ordre et organisation, clarté des règlements, contrôle de l’enseignant et innovation. L’élève qui complète le questionnaire a le choix de répondre vrai ou faux. Le CES a démontré une fidélité adéquate (α de Cronbach de 0,52 à 0,75) et une validité de convergence avec d’autres instruments (r = 0,16 à 0,40) (Moos et Trickett, 1987).

Échelle d’attitudes de l’enseignant envers le jeune (Potvin et Rousseau, 1991). Cet instrument vérifie le type d’émotion ressentie par l’enseignant à l’égard de chacun de ses élèves, évaluant ainsi les attitudes de l’enseignant envers le jeune. Le questionnaire est rempli par l’enseignant et comporte 18 adjectifs bipolaires, dont chaque paire peut prendre une valeur de - 3 à + 3, avec un score minimum total de ‑ 54 et un score maximum total de + 54. Plus le score est élevé, plus l’attitude de l’enseignant est considérée comme bonne. Potvin et Rousseau (1993) ont démontré une fidélité adéquate de l’instrument (α de Cronbach de 0,50 à 0,86) et une validité satisfaisante, avec un degré de corrélation des items allant de 0,51 à 0,94.

Questionnaire sur les décisions (Quirouette, 1988). Ce questionnaire, rempli par l’élève, identifie le risque de décrochage scolaire. Il est composé de 39 questions présentées selon une échelle de type Likert. Six dimensions sont étudiées : l’environnement familial, les traits personnels, le plan de carrière, les habiletés scolaires, la relation enseignant-élève et la motivation scolaire. Sur le plan de la fidélité, une procédure test-retest a rapporté une corrélation de 0,90 au temps 1, de 0,92 au temps 2 et de 0,93 au temps 3 (Quirouette, 1988). L’analyse de la cohérence interne établit des coefficients α de Cronbach variant de 0,85 à 0,90 pour l’ensemble des six échelles.

Consultation et analyse des dossiers scolaires. Des données ont été répertoriées en fin d’année scolaire en procédant à la consultation des dossiers scolaires des élèves. Les données recueillies concernent les aspects tels que l’absentéisme, les résultats scolaires, les mesures disciplinaires, etc.

3.3 Procédure

La même procédure a été respectée pour les deux cueillettes de données. La direction de l’école a informé les enseignants de première secondaire des objectifs poursuivis par l’étude et de la démarche d’évaluation à suivre. Par la suite, les élèves ont été avisés par les enseignants qui leur ont remis un formulaire d’autorisation à faire signer par leurs parents et à rapporter à l’école. Tous les jeunes ont, par la suite, rempli les questionnaires en groupe-classe, sous la supervision d’un assistant de recherche qui avait reçu une formation au préalable. De leur côté, les enseignants de première secondaire complétaient par la suite les questionnaires pour chacun des élèves de leur groupe.

3.4 Méthode d’analyse des données

Pour examiner les différences entre les deux cohortes, nous avons procédé à deux niveaux d’analyse. Une première série d’analyses univariées (tests t de Student avec correction de Bonferroni) pour tenir compte du grand nombre de mesures auprès des mêmes sujets) a été effectuée, afin d’identifier les variables pour lesquelles une différence significative entre les deux cohortes est observable. Le tableau 1 présente ces dix-huit variables et les différences observées entre les cohortes.

Tableau 1

Analyses comparatives univariées entre les cohortes de 1996 et 2005 (différences significatives seulement)

Analyses comparatives univariées entre les cohortes de 1996 et 2005 (différences significatives seulement)

*p<0.05* *p<0.01 * * *p<0.001 selon la correction Bonferonni

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Pour tenir compte du fait que la cohorte de 1996 comprenait 132 garçons et 105 filles (56 % de garçons) alors que celle de 2005 compte 157 garçons et 92 filles (63 % de garçons), ce qui pourrait expliquer certains résultats observés, il importe de vérifier si les différences observées sont attribuables à cette caractéristique de l’échantillonnage. Pour ce faire, et pour tenir compte des interactions possibles entre ces variables, nous avons produit un modèle de régression logistique pour tenter de prédire l’appartenance des élèves à l’une ou l’autre des cohortes. Les trois échelles de communication et le score d’agressions physiques à vie ont été écartés de l’analyse pour éviter d’invalider le modèle de régression. Mentionnons que ces variables ont été écartées pour éviter la multicolinéarité des variables indépendantes, une exigence de la régression logistique (Hair, Anderson, Tatham et Black, 1998), car on a observé des corrélations élevées entre deux échelles du test de délinquance autorévélée (p = 0,81) (LeBlanc, 1994), les scores d’agressions physiques actuelles et d’agressions physiques à vie, ainsi qu’entre trois échelles reliées à la communication (parent/école, parent/adolescent, avec prof) et celle de participation parentale (échelle globale) du test de participation parentale au suivi scolaire (p = 0,72 à 0,78) (Deslandes et collab., 1995).

Le fait de ne retenir que quatorze variables originales permet aussi d’éviter les problèmes de surajustement (overfitting) du modèle, compte tenu du nombre limité d’élèves.

4. Résultats

4.1 Résultats de la régression logistique

Le tableau 2 expose les résultats de la régression logistique pour les prédicteurs retenus dans le modèle et leurs principaux indices. Pour mieux rendre compte de la structure des variables, celles-ci ont été regroupées en quatre blocs. Le premier n’inclut que le sexe, comme variable contrôle, et les suivants sont ordonnés par ordre décroissant de proximité avec l’élève : les facteurs personnels, familiaux et scolaires. Le modèle global obtenu est significatif (χ= 144,26 ; dl = 15 ; < 0,00). Le résultat du test d’Hosmer et Lesmeshow (1989) (χ= 8,55 ; dl = 8 ; = 0,38) indique un bon ajustement (goodness of fit) du modèle.

Dans un modèle de régression logistique, l’exponentiel des coefficients de régression (Exp(B) ou odds ratio) s’apparente, sans s’y conformer exactement, au risque relatif d’appartenir à l’un ou l’autre groupe. À ce sujet, pour une discussion détaillée sur l’interprétation du odds ratio et sa distinction du risque relatif, particulièrement pour les événements non rares (le fait d’appartenir à la cohorte de 2005 rejoint près de la moitié de l’échantillon), voir Davies, Crombie et Tavakoli (1998).

Dans le cas présenté, lorsque la variable est significative (uniquement), une valeur Exp(B) supérieure à 1,0 peut être interprétée comme un accroissement du risque relatif d’obtenir une valeur élevée entre 1996 et 2005 et une valeur inférieure à 1,0 comme une diminution du risque relatif entre les deux cohortes.

Tableau 2

Modèle de régression hiérarchique des variables prédictives de la cohorte (N = 487)

Modèle de régression hiérarchique des variables prédictives de la cohorte (N = 487)

Groupe de référence : Cohorte 1996 = 0 ; Cohorte 2005 = 1

Modèle final : 79.1 % de classification correcte ; Test de Hosmer et Lesmeshow χ2 = 8.553; dl = 8 ; p = 0.381

* p <0.05. **p<0.01. * * * p<0.001

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4.2 Comparaison entre les cohortes sur les différents facteurs

L’examen du tableau permet de constater que le sexe, inclus comme variable de contrôle dans le premier bloc du modèle, n’est pas significativement prédicteur de la cohorte. Des quatre mesures de facteurs personnels incluses dans l’analyse, trois sont significativement liées à la cohorte. Les élèves de 2005 sont légèrement moins susceptibles d’obtenir un score élevé sur l’échelle de dépression, et beaucoup moins susceptibles de rapporter des agressions physiques que ceux de 1996. Toujours selon les facteurs personnels, les élèves de 2005 sont susceptibles de faire preuve d’un meilleur autocontrôle comportemental que ceux de 1996.

Pour ce qui est des facteurs familiaux, on constate que l’encouragement à l’autonomie ne prédit pas significativement l’appartenance à l’une des cohortes, alors que le risque relatif d’obtenir un indice de participation parentale élevé est légèrement plus grand en 2005. Rappelons que les trois échelles de communication (parent/école, parent/adolescent, avec prof) avaient été éliminées de l’analyse de régression, même si les analyses univariées avaient fait état de différences significatives entre les cohortes, fortement corrélées avec l’indice de participation parentale. On peut estimer que celles-ci tendraient à se comporter de manière similaire à cet indice si elles avaient été retenues dans le modèle.

Une fois le sexe, les facteurs personnels et familiaux pris en considération, cinq des huit mesures de facteurs scolaires demeurent prédictives de l’appartenance à la cohorte dans le modèle. Les élèves de 2005 sont passablement plus susceptibles d’obtenir des scores élevés en ce qui a trait à l’importance accordée au travail scolaire (orientation au travail) et d’avoir fait l’objet de suspensions externes. Toujours sur le plan scolaire, les élèves de 2005 obtiennent des scores beaucoup plus élevés sur la variable retenues que ceux de 1996. Les élèves de 2005 sont aussi plus susceptibles d’être identifiés par le personnel scolaire comme plus coopératifs sur l’échelle coopératif/non coopératif, et comme moins batailleurs sur l’échelle sociable/batailleur.

5. Discussion

Dans la section ci-dessous, nous examinerons la détérioration éventuelle de l’adaptation sociale et scolaire des élèves, sur le plan de l’adaptation sociale et scolaire, sur le plan des variables familiales et sur le plan des facteurs liés à l’école.

5.1 Sur le plan de l’adaptation sociale et scolaire

À l’instar des résultats rapportés par Achenbach et ses collaborateurs (2002) ainsi que Verhulst, Van der Ende et Rietbergen (1997), la présente étude ne permet pas de conclure à une détérioration sur le plan de l’adaptation sociale et scolaire des élèves de cette école depuis les neuf dernières années. De fait, les résultats ne révèlent aucune détérioration sur les nombreuses variables étudiées, mais dressent plutôt un bilan plus positif sur certains aspects scolaires, personnels et familiaux chez les élèves de la cohorte de 2005.

D’abord évalués sur des variables personnelles et comportementales par leurs enseignants, les élèves de 2005 présentent un profil général assez stable en ce qui concerne les problèmes liés aux troubles de comportement. Il est intéressant de constater que les évaluations menées auprès des élèves révèlent des indices de dépression moins élevés en 2005 alors que, bien que non significatifs, les résultats obtenus par les mesures effectuées par leurs enseignants montrent aussi une tendance à la baisse sur l’échelle de problèmes de comportement de type internalisé. De plus, les élèves de 2005 font preuve d’une meilleure capacité d’autocontrôle comportemental et rapportent moins d’agressions physiques que ceux de la cohorte de 1996.

5.2 Sur le plan des variables familiales

Sur le plan des variables familiales, les élèves montrent une perception assez stable à travers le temps lorsqu’ils sont interrogés sur les styles parentaux (engagement parental, encadrement parental et encouragement à l’autonomie). La cohorte de 2005 perçoit cependant plus positivement la participation des parents à la vie scolaire. Décrite par Deslandes et Cloutier (2000), cette participation parentale (encouragement à l’autonomie, communication parent-école, communication parent-adolescent, soutien affectif et communication avec les enseignants) contribuerait à susciter la motivation et la réussite scolaire des jeunes. Cette perception plus positive de la participation parentale pourrait apporter une première explication au fait que les élèves de la cohorte de 2005 semblent mieux s’adapter à leur milieu scolaire. Comme l’ont montré Deslandes et Cloutier (2000), les relations positives entre l’école et la famille favorisent un meilleur ajustement de l’enfant sur le plan de son vécu scolaire. Les parents qui participent au suivi scolaire de leur adolescent sont aussi plus susceptibles de collaborer avec l’école et d’intervenir plus rapidement lorsque surgissent des difficultés d’ordre scolaire ou social. Interrogée sur la question du partenariat école-famille, la direction de l’école expérimentale de 2005 affirmait que depuis quelques années, des efforts particuliers avaient été faits pour favoriser la participation des parents à la vie scolaire des élèves. Ces efforts semblent avoir porté fruit puisque, comme le rapporte Deslandes (2005), plus le parent perçoit positivement les invitations de la part de l’école, plus il voit sa participation comme une responsabilité parentale et plus il a envie de s’impliquer et ce, quels que soient sa scolarité, son milieu socioéconomique ou la structure de sa famille. Le développement des liens de confiance parent/enseignant contribue ainsi à motiver les parents à participer aux activités scolaires de l’élève à la maison ou à l’école.

5.3 Sur le plan des facteurs liés à l’école

Dans la présente étude, une fois le sexe, les facteurs personnels et familiaux pris en considération, cinq des huit mesures de facteurs scolaires sont restées prédictives de l’appartenance à la cohorte dans le modèle. En premier lieu, les élèves de la cohorte de 2005 ont obtenu des scores plus élevés en ce qui a trait à l’importance accordée au travail scolaire (orientation au travail). À la lumière de ce qui a déjà été mentionné plus haut, nous pouvons établir des liens entre la perception plus positive de la participation parentale et le fait que les élèves soient davantage intéressés par la tâche scolaire (orientation au travail). Toujours selon Deslandes (2005), les parents qui participent au suivi scolaire de leur adolescent favorisent le développement de son autonomie et plus particulièrement son intérêt pour le travail scolaire. Plus autonome (indépendance) et plus persévérant (orientation vers le travail), le jeune acquiert une meilleure confiance en soi (identité), ce qui lui permet de mieux performer à l’école. Par ailleurs, plus l’adolescent persévère dans les tâches scolaires, plus il a confiance en lui-même et plus il est réceptif au fait que ses parents participent à sa vie scolaire.

Nos résultats ont aussi mis en lumière des attitudes plus positives des enseignants de 2005, puisque ces derniers perçoivent leurs élèves comme plus coopératifs (échelle coopératif/non-coopératif) et moins batailleurs (échelle social/batailleur) que ne le faisaient leurs collègues de 1996. Les résultats précédemment cités à propos des aspects comportementaux viennent appuyer nos résultats puisque les enseignants de 2005 ont aussi rapporté, à l’aide d’un autre instrument de mesure, le fait que les élèves présentaient de meilleures capacités d’autocontrôle comportemental.

Toujours sur le plan des facteurs liés à l’école, l’étude des dossiers scolaires a révélé que les élèves de 2005 s’étaient vus décerner près du double du nombre de suspensions scolaires (à l’externe) et trois fois plus de retenues. Selon la direction de l’établissement scolaire où s’est déroulée cette étude, à qui nous avons exposé nos résultats, un accent particulier avait aussi été mis sur le resserrement de l’encadrement concernant les écarts de conduite, et ce, quelques années avant la collecte de données de 2005. L’équipe-école s’étant concertée sur la question disciplinaire, une application plus rigoureuse des interventions qui visaient l’amélioration du climat de l’école et la diminution des comportements perturbateurs avait alors été encouragée par la direction de l’école. Le fait que la consigne disciplinaire adressée au personnel scolaire ait été rigoureusement appliquée peut expliquer la croissance observée dans l’attribution de sanctions de types suspensions ou retenues scolaires. Néanmoins, il serait imprudent de conclure que seule l’application de ce type d’intervention pourrait aider les élèves à mieux s’adapter à leur milieu scolaire. La prudence est de rigueur dans l’interprétation de ces données, compte tenu du fait que la suspension scolaire demeure une pratique d’exclusion qui tend à disparaître au profit d’autres types d’intervention dites plus éducatives et moins contraignantes pour les parents qui doivent rester à la maison avec l’élève exclu de l’école.

Avant de conclure que cette application massive d’interventions punitives en 2005 amène des effets bénéfiques, il convient de questionner davantage les données recueillies. Une concentration des sanctions sur un petit nombre d’élèves pourrait, par exemple, mener à conclure à l’inefficacité de ce type d’intervention, alors qu’une répartition sur un plus grand nombre d’élèves indiquerait plutôt la présence d’un effet dissuasif de cette intervention sur le comportement indésirable. Cette dernière explication pourrait alors être liée à un meilleur encadrement parental, limitant ainsi la récidive de la suspension à la maison. Une brève analyse des distributions de ces sanctions disciplinaires a en effet permis d’observer que l’accroissement du nombre de suspensions en 2005 s’accompagne d’un accroissement important du nombre d’élèves sanctionnés qui passe de 8/236 à 34/246. Il en va de même dans le cas des retenues qui ont touché 54 élèves en 1996 et 168 en 2005. Même si le caractère causal d’une telle association ne peut être affirmé, cet accroissement du nombre d’élèves sanctionnés tend tout de même à corroborer l’idée d’un effet dissuasif de ces mesures d’encadrement qu’il serait intéressant d’approfondir.

Ne conviendrait-il pas aussi de se questionner sur le fait que l’équipe-école se soit mobilisée autour d’un projet commun, celui de s’impliquer davantage dans l’encadrement des élèves en appliquant de façon plus rigoureuse les consignes disciplinaires préalablement établies par l’équipe ? La concertation et l’engagement des intervenants scolaires sont, en effet, très souvent cités parmi les facteurs de réussite qui favorisent l’implantation des programmes d’intervention.

Bien que cette recherche ait été menée en respectant des critères scientifiques rigoureux, certaines limites rendent difficile la généralisation des résultats à l’ensemble des élèves québécois. L’échantillon relevé dans une seule région du Québec et l’absence de mesures adressées directement aux parents constituent des limites à cette étude. Cependant, étant donné que les mesures autorévélées (par les élèves) des variables liées à la dépression, à la délinquance, au style et à l’encadrement parental et au risque de décrochage scolaire, étaient inexistantes dans les autres études répertoriées, le fait que nous les ayons ajoutées permet d’apporter un éclairage supplémentaire sur la question étudiée. Il n’en demeure pas moins que ces mesures autorévélées peuvent aussi être répertoriées au chapitre des limites de l’étude, dans la mesure où elles s’appuient généralement sur les informations données par les jeunes participants.

6. Conclusion

Cette étude a permis de constater que les élèves de 2005 de l’école expérimentale ciblée ne s’adaptaient pas plus difficilement à leur environnement scolaire que ceux de 1996. Ces conclusions ne peuvent cependant pas expliquer l’écart entre les données scientifiques et l’opinion publique au sujet de la détérioration du comportement des jeunes à travers les années. Peut-être faudrait-il relancer le débat sur les attentes d’une population vieillissante face aux comportements des jeunes, se demander si les politiques scolaires soutiennent suffisamment les éducateurs, expliquer la fatigue exprimée par les intervenants scolaires ou tout simplement se pencher sur les habituelles distorsions perceptuelles qui se perpétuent à travers les générations ? Du moins, il faudra mieux comprendre les statistiques rapportées par les médias qui relatent l’augmentation de prescriptions de médicaments destinés aux enfants, le fait que 20 % des jeunes enseignants québécois quittent la profession au cours des cinq premières années d’enseignement et les actes de violence extrême rapportés dans les écoles.

Contrairement aux croyances populaires, ou à celles véhiculées dans les milieux scolaires, et contrairement aux propos alarmistes diffusés par les médias au sujet de la détérioration du comportement des jeunes dans les écoles, cette étude a permis de montrer qu’il n’en était pas ainsi dans toutes les écoles. De fait, dans la présente recherche, qui s’est déroulée dans un milieu scolaire situé en zone socioéconomique défavorisée, nous avons montré que les efforts de mobilisation de l’équipe-école et de concertation avec les parents peuvent contribuer à améliorer le climat général de l’école et à favoriser une meilleure adaptation scolaire des élèves. Comparés à ceux de 1996, les élèves de la cohorte de 2005 se distinguent positivement sur plusieurs aspects liés aux facteurs personnels, familiaux et scolaires : moins d’agressions physiques autorévélées, un indice moins élevé de dépression, un meilleur autocontrôle comportemental, une perception plus positive quant à la participation parentale au suivi scolaire et une meilleure orientation vers le travail. Par ailleurs, les enseignants de 2005 perçoivent leurs élèves comme plus coopératifs et moins batailleurs que leurs collègues de 1996. L’augmentation importante du nombre de retenues et de suspensions scolaires décernées aux élèves en 2005 doit aussi être analysée, et ce, au-delà des apparents bienfaits rattachés à ces méthodes disciplinaires.

En somme, trois aspects ont été soulevés par cette étude pour expliquer pourquoi les élèves de première secondaire de 2005 de cette école s’adaptaient mieux à leur milieu scolaire que ceux de 1996 : le partenariat école-famille, les effets des méthodes disciplinaires de type punitif et la mobilisation des équipes-école autour de projets communs pour améliorer la qualité du climat scolaire. Enfin, des études menées à plus grande échelle permettraient de savoir si, réellement, les élèves des écoles québécoises s’adaptent plus difficilement à leur milieu scolaire qu’autrefois. La réflexion doit finalement être poursuivie, car elle permettra aux écoles de cibler les interventions les plus adaptées en tenant compte de données plus objectives sur la probable détérioration des comportements des élèves de nos écoles.