Corps de l’article

Introduction

Au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, le monde universitaire a été soumis à des changements majeurs et à des défis considérables qui ont entraîné des transformations dans la composition du corps professoral et dans les aspects tant qualitatifs que quantitatifs du travail des professeurs (De Boer, Huisman, Klemperer, Van der Meulen, Neave, Theisens et Van der Wende, 2002 ; Coaldrake et Stedman, 1999 ; Gibbons, 1998 ; Bertrand et Busugutsala, 1995 ; Kogan, Moses et El-Khawas, 1994). Amorcées il y a plusieurs années, ces transformations se poursuivent et elles sont appelées à continuer durant les prochaines années.

Cet article se base sur l’hypothèse que le travail professoral se transforme petit à petit au fil du temps. Dans ce contexte, nous considérons qu’il n’est pas facile de mesurer le travail des professeurs d’université et de saisir son évolution, passée, présente et future, notamment pour trois raisons :

  • Le monde universitaire est soumis à la fois à des forces de changement et de stabilité qui se coordonnent, de différentes manières, dans le temps et l’espace.

  • Le corps professoral est divers dans sa composition. D’un côté, les professeurs ont en commun d’être attachés à des valeurs de vérité, d’objectivité, de liberté, de service, et de développement et de diffusion de la connaissance. D’un autre côté, ils ne forment pas un groupe homogène. Ils sont rattachés à différents types d’institutions ayant atteint un degré variable de développement en enseignement supérieur et en recherche ; ils oeuvrent dans divers champs du savoir qui peuvent influencer la nature de leur travail ; ils se différencient les uns des autres sur le plan socioprofessionnel par leur titre académique, leur sexe, leur âge et les étapes de leur carrière ; enfin, ils ont, comme individus, des besoins et des intérêts particuliers qui les amènent à consacrer plus ou moins de temps à leur travail et à accorder plus ou moins d’importance à chacune de leurs tâches.

  • Le professeur d’université est à la fois un travailleur professionnel, un salarié et un entrepreneur, déterminant lui-même la durée de son travail et l’importance relative qu’il accorde à chacune de ses tâches.

D’aucune façon, nous ne voulons ici faire de la prospective. Nos objectifs sont plus modestes : à partir d’un rappel des tendances lourdes externes et internes à l’université et des données disponibles au début de 2003, nous viserons à identifier les transformations en cours dans le travail des professeurs des universités québécoises et à proposer une série d’actions permettant de concilier une plus grande satisfaction au travail et une meilleure productivité des professeurs. À cet égard, le titre de l’article est explicite : « Les transformations du travail des professeurs des universités québécoises : tendances fondamentales et développements souhaités ».

Quoique les principales données dont il s’inspire proviennent de travaux sur les professeurs des universités québécoises, cet article se révèle d’intérêt général, non seulement en raison des nombreuses références aux résultats d’autres recherches semblables menées sur d’autres systèmes universitaires et permettant d’établir des comparaisons, mais aussi pour la problématique soulevée et des conclusions principales qui sont susceptibles de s’appliquer ailleurs en Amérique, en Europe et dans le monde. Pour faire ressortir la pertinence des données rapportées et faciliter leur interprétation, nous rappelons des résultats semblables portant sur les mêmes sujets dans d’autres systèmes universitaires et nous dégageons les positions stratégiques prises sur ces phénomènes par des experts américains, anglais, australiens et français.

La principale source d’information de cet article est une enquête que nous avons menée en 1991 (Bertrand, Foucher, Jacob, Fabi et Beaulieu, 1994) et à laquelle a répondu un échantillon représentatif de quelque 2300 professeurs travaillant dans les universités francophones et anglophones du Québec [1]. Cette enquête a permis de mesurer la charge temporelle de travail des professeurs des universités québécoises, l’importance relative des différentes tâches et activités qui la constituent et le degré de cohésion et de coordination de ces différentes tâches.

Certes, ces données remontent à quelques années. La presque totalité de cet article a été rédigée au début de l’année 2003, alors qu’il n’existait pas de statistiques plus récentes. Depuis, le Conseil supérieur de l’éducation a réalisé une enquête similaire à celle que nous avons effectuée en 1991 ; celle-là permettra, une fois les données rendues publiques, d’analyser l’évolution du travail des professeurs d’université du Québec sur une période de douze ans [2]. Le rapport de ce sondage n’ayant pas encore été publié au moment où cet article doit être remis dans sa version finale, nous ne pourrons donc pas présenter de données comparatives. Nous devrons donc nous limiter à formuler des hypothèses sur les résultats d’une telle comparaison. Ces hypothèses sont les suivantes : la nature et l’organisation du travail n’évoluent que lentement ; les transformations du travail professoral sont plus qualitatives que quantitatives ; la charge temporelle de travail et l’importance relative des tâches des professeurs ne peuvent être totalement modifiées en quelques années, à moins d’une réorganisation complète du travail professoral. Les données du tableau 1 précisent ces forces d’ordre économique, politique, social et technologique qui, selon nous, agissent sur l’institution et le travail des professeurs.

Nous ne croyons pas que le travail des professeurs des universités soit historiquement déterminé. Il résulte d’une série de décisions stratégiques prises tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du système universitaire : à l’extérieur, par les gouvernements, les organismes subventionnaires, les syndicats, etc. ; à l’intérieur, par les facultés, les départements, les centres de recherche, les programmes d’études, mais aussi et surtout par chaque professeur qui construit en grande partie son travail.

Ce texte compte trois parties. Dans la première, nous rappelons quelques caractéristiques fondamentales et permanentes du travail professoral. Dans la deuxième, nous décrirons quelques mouvements de transformation du travail professoral enclenchés depuis plusieurs années et qui continueront de se manifester dans un avenir prévisible. Enfin, la troisième permettra de proposer une série d’actions correctives pour ajuster le travail des professeurs et son organisation aux besoins de la société et de l’université, d’aujourd’hui et de demain.

Caractéristiques fondamentales et permanentes du travail professoral

En raison d’un certain équilibre des forces de changement et de stabilité du monde universitaire, le travail des professeurs des universités du Québec a été, est et devrait continuer, au cours des prochaines années, à être marqué par quatre caractéristiques fondamentales qui se sont développées durant les dernières décennies : une charge de travail plutôt lourde ; des tâches et des activités riches et complexes qui ne peuvent être réduites aux fonctions d’enseignement et de recherche de l’université; une charge globale et des tâches et activités fortement modulées, sources de différences majeures entre les professeurs; la difficulté des professeurs à intégrer et à articuler les différentes tâches constitutives de leur travail.

Charge de travail plutôt lourde

Dans l’étude du travail professoral que nous avons menée au début des années 1990, nous avons montré la lourdeur de la charge temporelle de travail des professeurs des universités québécoises. Ceux-ci estimaient alors consacrer, en moyenne, 46,5 heures par semaine à leur travail sur une base annuelle, soit 50 heures durant les deux sessions régulières d’automne et d’hiver, et 40 heures pendant la session d’été.

Tableau 1

Identification de forces de changement et de stabilité au sein du système universitaire susceptibles d’influencer le travail professoral et son organisation

Identification de forces de changement et de stabilité au sein du système universitaire susceptibles d’influencer le travail professoral et son organisation

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Ces données rejoignent celles qui ont été colligées par d’autres chercheurs, tant au Québec qu’ailleurs. Par exemple, une enquête effectuée aux États-Unis en 1981 par la National Science Fondation évaluait à 48,2 heures, durant une session où il se fait de l’enseignement, la charge temporelle de travail des professeurs oeuvrant dans des établissements universitaires offrant le doctorat (Clark, 1987). Plus tard, se référant aussi à une session régulière durant laquelle les professeurs enseignent, McInnis (1996) a établi à 45,4 heures, en 1977, et à 47,7 heures, en 1993, la charge temporelle des professeurs des universités australiennes offrant le doctorat.

Les ressemblances entre les données révélées dans le tableau 2 nous amènent à conclure que les professeurs des universités québécoises, comme leurs collègues d’autres systèmes universitaires, consacrent en moyenne beaucoup de temps à leur travail. D’ailleurs, rien ne laisse penser que leur charge temporelle de travail ait pu diminuer au cours des dernières années.

Tableau 2

Analyse comparative de la charge temporelle de travail des professeurs d’université

Analyse comparative de la charge temporelle de travail des professeurs d’université

* Bertrand et al. (1994) ; ** Clark (1987) ; *** McInnis (1996).

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Existence de tâches et d’activités riches et complexes qui ne peuvent être réduites aux fonctions d’enseignement et de recherche de l’université

Lors de l’étude de 1991, nous avions insisté sur la diversification et la complexité des tâches et des activités qui constituent le travail professoral. Le tableau 3 présente le nombre d’heures et la proportion de leur travail que les professeurs des universités du Québec nous ont dit avoir consacrés, en moyenne, à leurs différentes tâches durant l’année académique 1990-1991.

D’une part, les professeurs des universités du Québec accordaient en moyenne, sur une base annuelle, près de 33 heures par semaine, ou 71 % de leur temps de travail, à leurs tâches principales d’enseignement (27 %), de recherche (31 %) et de direction de recherche des étudiants (12,5 %). D’autre part, ils allouaient près de 13 heures, soit 29 % de leur temps de travail, à leurs autres tâches : 15 % aux services internes à l’université et quelque 7 % à chacune des deux autres tâches de services externes à l’université et de perfectionnement professionnel.

Tableau 3

Importance relative des différentes tâches des professeurs des universités québécoises durant l’année universitaire 1990-1991

Importance relative des différentes tâches des professeurs des universités québécoises durant l’année universitaire 1990-1991

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Charge de travail modulée et proportion différente de ce travail consacrée par les professeurs à chacune des tâches qui le composent

Les professeurs des universités du Québec ne sont pas soumis à des critères précis définissant la durée normale de leur semaine de travail et ils ne sont pas non plus payés directement pour les heures supplémentaires qu’ils font. Ils ont aussi l’important privilège et la lourde responsabilité de fixer eux-mêmes la proportion du travail qu’ils consacrent à chacune de leurs tâches.

Ces caractéristiques de l’organisation du travail des professeurs ont d’importantes répercussions sur la charge temporelle de travail des professeurs d’université. Au Québec, près de 13 % d’entre eux estimaient en 1990-1991 avoir consacré moins de 35 heures par semaine à leur travail, alors que 46 % disaient travailler de 35 à 49,9 heures par semaine et que les autres, soit 41 %, affirmaient consacrer à leur travail 50 heures ou plus par semaine, dont 14 % de l’ensemble des répondants, 60 heures et plus. Ainsi, la charge temporelle moyenne de travail des professeurs, contrairement à celle qu’on retrouve chez la plupart des travailleurs, diffère de façon importante d’un individu à l’autre.

Il en est de même quant à l’importance que les professeurs des universités québécoises estiment avoir accordée à leurs différentes tâches. Par exemple, 32 % d’entre eux affirment avoir investi moins de 20 % de leur travail à l’enseignement, alors que 18 % estiment avoir consacré à cette tâche au moins 40 % de l’ensemble de leur temps de travail. Ce sont 23,5 % des professeurs des universités québécoises qui affirment avoir attribué moins de 20 % de leur travail à la recherche, alors que 28 % disent avoir investi au moins 40 % de leur temps de travail à cette tâche. Enfin, phénomènes surprenants, les professeurs sont nombreux à dire qu’ils ne consacrent aucune partie de leur travail à la direction de recherche (23 %), aux services externes à l’université (26 %) et au perfectionnement professionnel (22 %). En contrepartie, ils sont nombreux à affirmer qu’ils investissent plus de 25 % de l’ensemble de leur travail dans les deux tâches suivantes : la direction de recherche des étudiants (14 %) et les services internes à l’université (18 %).

Maintien de la difficulté des professeurs à intégrer et à articuler leurs différentes tâches de travail

Une partie importante de l’enquête de 1991 a porté sur l’intégration et sur l’articulation des tâches professorales. On y apprend que seulement 23 % des professeurs des universités québécoises estimaient que leurs différentes tâches étaient très intégrées ou articulées; à l’opposé, 27 % des professeurs pensaient que leurs tâches étaient réalisées de façon indépendante les unes des autres. Enfin, 50 % des professeurs consultés nous ont dit qu’elles étaient assez articulées et intégrées.

En outre, 43,1 % des professeurs des universités du Québec ont alors affirmé que leur enseignement et leur recherche s’étaient développés selon leur dynamisme propre, peu conditionnés l’un par l’autre. De plus, c’est quasi la même proportion, soit 43,6 % des professeurs des universités québécoises, qui estime mener les directions de recherche des étudiants de façon périphérique (29,9 %) ou en dehors de leurs propres projets de recherche (13,7 %).

La difficulté d’intégrer les tâches des professeurs des universités a aussi été identifiée par d’autres chercheurs dans d’autres systèmes universitaires. Aux États-Unis, Bess (1982) a défendu la thèse que les tâches professorales étaient trop nombreuses, trop complexes, trop disparates et pas assez intégrées et articulées, condamnant les professeurs à vivre un stress considérable et à être, malgré leurs efforts, peu productifs. Dans la même lignée, Barnett (1992) a montré comment l’enseignement et la recherche sont des tâches de nature différente exigeant des compétences spécifiques. Il explique son propos par une analogie empruntée au monde de la musique : selon lui, un compositeur n’est pas nécessairement un bon interprète et un musicien peut être un excellent interprète sans être un compositeur. Il en est de même, dit-il, des professeurs d’université. Enfin, quatre ans plus tard, Hattie et Marsh (1996) ont étudié divers modèles explicatifs des relations entre l’enseignement et la recherche et ont analysé 58 études empiriques. Ils en ont conclu qu’il n’existe pas de corrélation statistiquement établie entre les qualités d’un enseignant et celle d’un chercheur : « Nous devons conclure que la croyance commune selon laquelle recherche et enseignement sont liés de façon inextricable constitue un mythe persistant. Au mieux, recherche et enseignement ne sont que faiblement reliés  » (p. 529).

En France, les travaux de Fave-Bonnet (1992) ont fait ressortir deux phénomènes : 93 % des professeurs de son échantillon ont affirmé qu’il leur fallait être à la fois des enseignants et des chercheurs, mais 69 % se sont aussi dit tiraillés entre ces deux tâches; 64 % des professeurs consultés ont affirmé que les tâches administratives font partie du métier d’enseignant-chercheur, mais 68 % pensent que celles-ci freinent leur carrière.

Au Québec, la forte présence des chargés de cours, l’attachement au modèle idéal du professeur-chercheur et les politiques de dégrèvement de l’enseignement mises de l’avant par les instances subventionnaires, tant fédérales que provinciales, exercent des pressions pour qu’une proportion des professeurs se spécialisent. Les autres professeurs sont ainsi appelés à assumer les responsabilités reliées aux autres tâches, ce qui crée sur eux des pressions à la diversification, voire à la dispersion. En conséquence, nous pensons que les problèmes d’intégration rapportés en 1991 existent toujours et qu’ils sont appelés à se maintenir, à court et à moyen termes.

Lente évolution des tâches et des activités constitutives du travail professoral

Au-delà des caractéristiques permanentes que nous avons décrites, certaines transformations des tâches professorales pourraient être en train de se faire, sans toutefois influencer l’importance relative que les professeurs des universités du Québec leur accordent. À ce propos, quatre phénomènes ont été retenus : la transformation de la fonction enseignement; la nouvelle dynamique de la recherche ; l’accroissement de la tâche de direction de recherche des étudiants ; l’adaptation inévitable des quatrième, cinquième et sixième tâches.

Transformation de la fonction enseignement

Au cours des trente dernières années du XXe siècle, la massification de l’enseignement universitaire de premier cycle et la diversification des populations étudiantes ont été, presque partout à travers le monde, deux phénomènes de première importance. Selon nous, le premier est là pour durer et le second, la diversification des populations étudiantes, est appelé à connaître encore un certain développement au cours des premières décennies du XXIe siècle.

En définissant de façon restrictive l’enseignement et en n’y incluant pas la direction de recherche des étudiants des cycles supérieurs, l’enquête de 1991 a révélé que les professeurs des universités québécoises consacraient en moyenne 12,2 heures par semaine à l’enseignement, sur une base annuelle, soit une proportion de 27 % de l’ensemble de leur temps de travail. Cette recherche a aussi montré que 41 % des professeurs des universités québécoises étaient libérés d’au moins un cours par année pour se consacrer à d’autres tâches; en conséquence, l’ensemble du corps professoral assurait en moyenne 3,25 cours par année et non 4, comme le veut la norme théorique de référence. Dix ans plus tard, rien ne laisse croire que cette situation a été fondamentalement modifiée.

Défendant l’existence d’une différence majeure entre l’enseignement de premier cycle et celui du deuxième et du troisième cycles, nous avons aussi signalé qu’environ le tiers des cours donnés par les professeurs des universités du Québec, durant les années universitaires 1989-1990 et 1990-1991, l’étaient aux deuxième et troisième cycles. Attendu que de 1990 à 2000, le nombre des étudiants de 2e et 3e cycles a augmenté de 25 % et de 21 % respectivement et que le nombre de professeurs a été réduit de 4 %, il est probable que la proportion des cours donnés par les professeurs dans les programmes de 2e et de 3e cycles ait augmenté et qu’elle soit aussi susceptible de croître au cours des prochaines années [3].

Enfin, nous avons aussi établi que la tâche d’enseignement des professeurs était complexe et qu’elle se divisait en de multiples activités : la prestation directe d’enseignement représentait 34 % de cette tâche ; la préparation, 29 % ; l’encadrement et le soutien aux étudiants, 14 % ; l’évaluation des compétences acquises par les étudiants, 14 % ; la gestion courante des autres activités d’enseignement, 9 %.

En nous basant sur les tendances passées et sur les forces en présence, tant externes qu’internes, nous percevons, pour notre part, trois changements fondamentaux à la tâche d’enseignement des professeurs des universités québécoises : l’importance accrue des enseignements de deuxième et de troisième cycles ; le changement de paradigme auquel est exposée la tâche d’enseignement ; une meilleure coordination verticale des cours de base de chaque programme.

Importance accrue des enseignements de deuxième et de troisième cycles

L’augmentation du nombre d’étudiants inscrits au deuxième et au troisième cycles, les prévisions des démographes et les programmes mis en place par les gouvernements et par les organismes subventionnaires, tant canadiens que québécois, exigent que plus de ressources professorales soient consacrées à l’enseignement au deuxième et au troisième cycles. Si le nombre de professeurs n’est pas accru, la proportion de cours donnés par les professeurs des universités du Québec à ces cycles pourrait atteindre plus de 40 ou 45 % des cours qu’ils diffusent, l’enseignement au premier cycle étant, en conséquence, encore davantage confié aux chargés de cours.

Changement de paradigme de la tâche d’enseignement

Plusieurs experts ont annoncé que les professeurs d’université sont appelés à modifier leurs rôles en tant qu’enseignants : d’une part, en se départissant partiellement de celui de « transmetteur de connaissances » ; d’autre part, en accroissant celui de « développeur » des compétences des étudiants, de producteur de contenus de formation et de guide des apprentissages des étudiants à tous les cycles. Cette transformation radicale serait appelée par des forces profondes : l’utilisation de plus en plus généralisée des techniques nouvelles d’information et de communication ; les pressions des étudiants ; les mouvements de renouveau de la pédagogie universitaire.

Dans un important article paru dans Change, Guskin (1994) résume cette importante modification :

Certains gains de productivité peuvent être obtenus en demandant aux professeurs d’enseigner davantage. Mais je ne crois pas qu’accroître le volume d’activité est ce qui convient : il ne s’agit pas de savoir le nombre de cours que donnent les professeurs, mais d’établir combien d’étudiants apprennent davantage.

p. 18

Paru peu après dans la même revue, le titre d’un autre article, « From teaching to learning – A new paradigm for undergraduate education » (Barr et Tagg, 1995), énonce bien la problématique. Enfin, en 2001, toujours dans la même revue, Spence (2001), directeur et fondateur de l’Institut Schreyer pour l’innovation dans l’apprentissage, écrit : « Nous ne pourrons pas répondre aux besoins d’amélioration de l’éducation supérieure à moins que les professeurs deviennent des architectes d’expériences d’apprentissage, et non seulement des enseignants » (p. 13). Le volume de Foucher et Hrimech (2000) sur l’autoformation dans l’enseignement supérieur fournit une vue d’ensemble et des exemples de cette nouvelle orientation.

S’ils se confirment, ces changements signifieraient sans doute une diminution de la proportion du temps de l’enseignement que les professeurs consacreraient à la prestation directe de cours et une augmentation de celle qu’ils investiraient dans la préparation des cours et dans l’encadrement des étudiants.

Meilleure coordination verticale des cours de base de chaque programme

Au Québec, en 1996, 1997 et 1998, l’Équipe de recherche sur l’organisation de la fonction enseignement à l’université (EROFEU) a proposé, dans plusieurs rapports (Bertrand, Busugutsala et Rhéaume, 1997 ; Rhéaume et Bertrand, 1998), une réorganisation des programmes de premier cycle basée, notamment, sur la mise en place, dans chacun des programmes, d’un corps central d’activités bien structurées et hiérarchisées, et d’une équipe pédagogique chargée d’accroître la coordination verticale de cette partie du programme et d’assurer ainsi la cohésion de la formation offerte. Des expériences dans ce domaine nous font croire que des réformes de ce type pourraient modifier substantiellement la tâche d’enseignement des professeurs.

Dynamique nouvelle de la recherche

L’étude de 1991 montrait que la recherche s’avère la tâche requérant le plus de temps, les professeurs des universités québécoises y attribuant, en moyenne, sur une base annuelle, 14,7 heures par semaine, soit 31 % de leur temps de travail. Bien qu’il faille traiter avec une certaine circonspection des données colligées à partir de questionnaires différents, l’importance que les professeurs des universités québécoises accordent à cette tâche se compare globalement à ce que font les professeurs des universités offrant le doctorat, tant aux États-Unis (15,6 heures en 1981, selon l’étude de la National Science Fondation, citée par Clark, 1987) qu’en Australie (10,1 heures en 1993, selon l’étude de McInnis, 1996).

Une autre contribution de notre étude a été de répartir la tâche de recherche entre différentes activités. En 1991, les professeurs des universités québécoises estimaient consacrer 25 % de leur temps de recherche à la conception de projets, 23 % à la collecte et au traitement des données, 27 % à la rédaction et à la diffusion des résultats de leurs recherches, 11 % à l’élaboration technique de demandes de subventions, et moins de 15 % à la gestion courante d’activités de recherche.

Depuis quelques années, les organismes subventionnaires fédéraux et provinciaux, et les directions des établissements universitaires ont exercé d’énormes pressions sur les professeurs et particulièrement sur ceux en début de carrière, pour les inciter à s’adonner davantage à la recherche. Il est donc possible que l’importance relative de la tâche de recherche se soit accrue au cours des douze dernières années ou qu’elle soit appelée à croître au cours des prochaines. Nous identifions, pour notre part, trois transformations majeures au sein de la tâche de recherche : l’importance accrue de la recherche orientée ; les pressions en faveur de la publication dans des revues internationales de prestige ; la modification de l’importance relative des différentes activités constitutives de la tâche de recherche.

Importance de la recherche orientée

Bien que certaines études montrent que la majorité des subventions de recherche universitaire va toujours à la recherche libre (Godin et Gingras, 1999), il reste que l’importance actuellement accordée à la recherche orientée, par les gouvernements et les organismes subventionnaires aux niveaux fédéral et provincial, devrait avoir comme conséquence, à moyen terme, une modification de la tâche de recherche des professeurs et de l’organisation de leur travail.

Pour ne citer qu’un exemple, la nouvelle politique québécoise de la science et de l’innovation, intitulée Savoir changer le monde (Gouvernement du Québec, 2001), reconnaît au départ le bien fondé de la recherche libre, mais présente un vigoureux plaidoyer en faveur d’un changement de paradigme de la recherche universitaire : le passage de la recherche libre, disciplinaire et menée de façon individuelle ou dans de petites équipes de recherche, à la recherche thématique, multidisciplinaire et multi-institutionnelle, mettant à contribution d’importantes équipes de chercheurs, menée grâce à une infrastructure élaborée, en partenariat avec des organisations externes à l’université et visant directement le développement socioéconomique. En somme, l’évolution actuelle de la recherche universitaire favorise les regroupements de chercheurs, les pôles d’excellence, les recherches commercialisables et menées avec des partenaires externes à l’université. Ce phénomène reflète une double réalité fondamentale : l’université n’a pas le monopole de la production de connaissances nouvelles ; elle est appelée à travailler en collaboration avec divers partenaires tant sur le plan local que national et international.

Dans un avis au ministère de l’Éducation, le Conseil supérieur de l’éducation du Québec (2002) a décrit les conséquences des nouveaux partenariats de recherche à la fois sur la lourdeur de la charge temporelle de travail de certains professeurs et sur la transformation de la nature même de leur travail. Pour sa part, la Fédération québécoise des professeurs et des professeures des universités québécoises (2000) identifie « un clivage notable entre les professeurs impliqués et les professeurs non impliqués dans la commercialisation » ; « ce clivage, ajoute-t-elle, pourrait annoncer une scission – ou des tensions durables –, dans le corps professoral » (p. 11).

Pressions pour des publications dans des revues internationales de prestige

Provenant à la fois des organismes subventionnaires et des institutions universitaires, les pressions en faveur de publications dans des revues internationales de prestige se font de plus en plus fortes. Sans ce type de publication, les subventions de recherche et les promotions sont de plus en plus difficiles à obtenir.

Modifications de l’importance relative des activités au sein de la tâche de recherche

Enfin, le mouvement vers la recherche orientée et menée en équipe en collaboration avec des partenaires externes pourrait signifier une importance accrue de deux types d’activités au sein de la tâche de recherche : l’élaboration technique de demandes de subvention et la gestion courante de la recherche. Il est difficile cependant de prévoir l’importance de ces activités au cours des prochaines années.

Accroissement général de la tâche de direction de recherche des étudiants

S’il est une tâche des professeurs des universités du Québec qui s’est développée et qui est vraisemblablement appelée à continuer à croître durant les prochaines années, c’est celle de la direction de recherche des étudiants. Lors de l’enquête de 1991, les professeurs des universités québécoises nous ont dit avoir en moyenne consacré six heures par semaine à cette tâche, sur une base annuelle, soit 12,5 % de leur temps de travail. Compte tenu de la diminution du nombre de professeurs et de l’augmentation du nombre d’étudiants de deuxième et de troisième cycles, il est probable que cette tâche exige une plus grande partie encore du travail professoral (voir note 2). En conséquence, il ne serait aucunement surprenant que les professeurs des universités du Québec en viennent, au cours des prochaines années, à consacrer de 15 % à 18 % de leur temps de travail à cette tâche.

Enfin, notre recherche a aussi permis d’établir que le travail de direction de recherche était très inégalement réparti entre les professeurs : 35 % des professeurs n’étaient impliqués dans aucune direction de thèse et 21,5 %, dans aucune direction de mémoire de maîtrise. Il nous apparaît donc important que les institutions et les unités de base s’assurent que les nouveaux professeurs aient les compétences requises et la volonté nécessaire pour assurer, le plus vite possible après leur engagement, leur part de responsabilité relative à la direction de recherche des étudiants.

Adaptation inévitable des autres tâches

Tel que le montre aussi le tableau 3, les professeurs des universités du Québec consacraient en moyenne, en 1991, 15 % de leur temps hebdomadaire de travail à la tâche de services internes (soit 6,9 heures), 6,9 % aux services externes à l’université (soit 3,2 heures par semaine) et 7,3 % à leur perfectionnement professionnel (soit 3,3 heures par semaine).

La tâche de services internes se répartit entre diverses activités. L’une d’elles est la gestion d’une unité administrative : en 1991, 40 % des professeurs des universités québécoises occupaient des postes de direction d’unité de rattachement des professeurs, de programme de formation ou de regroupement de chercheurs. Toutefois, l’activité la plus importante de cette tâche est la participation à des comités de travail de diverses natures, tant sur le plan institutionnel que facultaire et départemental. Même s’il est sans doute possible de réduire la part du travail consacrée à cette tâche, nous estimons que de nouveaux investissements devront être faits, durant les prochaines années, pour assurer une meilleure articulation des interventions des professeurs et des chargés de cours au sein des programmes de formation de premier cycle.

L’enquête de 1991 a également montré que la tâche de services externes à l’université est fort diversifiée. Il y a dix ans, une partie importante des professeurs intervenaient auprès des associations scientifiques et professionnelles (48 % des répondants), des revues scientifiques et professionnelles (42 % des répondants) et des organismes subventionnaires (35 % des répondants). À cette époque, 27 % des activités de cette tâche étaient consacrés à la diffusion, 26 % à l’évaluation de projets, 23 % à l’expertise et 20 % à la gestion courante. Aujourd’hui, une partie de cette tâche pourrait être orientée vers la communauté internationale et l’aide aux pays en développement.

Enfin, pour demeurer à la fine pointe de ses champs spécialisés de recherche et intervenir dans la sphère plus large de son enseignement, le professeur d’université doit consacrer du temps à son perfectionnement professionnel. En 1991, les professeurs nous ont dit avoir consacré une trentaine d’heures à se perfectionner aux fins suivantes : près de la moitié (49 %) pour l’amélioration de leur enseignement, 58 % pour le perfectionnement de leurs méthodes de recherche et 72,5 % pour l’amélioration de leurs connaissances et de leur culture en dehors de leur champ spécialisé d’enseignement et de recherche. Avec le développement sans précédent de la connaissance, le véritable défi pour un professeur d’université est de suivre, sur la scène internationale, l’évolution rapide des connaissances dans ses domaines de spécialisation. Pourtant, notre enquête révèle une relation négative entre le temps total de travail d’un professeur et la proportion de son temps de travail qu’il accorde à son perfectionnement. Autrement dit, plus les professeurs consacrent du temps à leur travail, moindre est la proportion de leur travail qu’ils investissent dans leur perfectionnement. Cette donnée suscite une interrogation : est-ce que les pressions accrues en faveur de la recherche et de l’encadrement des étudiants permettent aux professeurs d’accorder le temps requis à leur perfectionnement ?

En somme, dans la nouvelle université en gestation, condamnée à être à la fine pointe de la connaissance, sollicitée de toutes parts et soumise aux pressions de son environnement pour rendre des comptes, le temps est limité et les tâches de services internes, de services externes et de perfectionnement risquent d’être réduites si l’on demande aux professeurs de consacrer une plus grande proportion de leur travail à l’enseignement, à la recherche et à la direction de recherche des étudiants des cycles supérieurs.

Développements souhaités

Dans cette troisième partie, nous identifions une série de mesures générales qui pourraient être mises de l’avant afin de concilier le bien-être et la satisfaction au travail des professeurs, et la productivité du travail professoral :

  • le délestage par les professeurs de certaines activités de gestion courante jugées insatisfaisantes et peu productives ;

  • un parti pris pour une spécialisation encore plus grande en tant que chercheurs, et la capacité d’enseigner dans un champ plus large du savoir ;

  • une meilleure reconnaissance du caractère organisationnel et collectif du travail professoral ;

  • une certaine reconnaissance de l’existence de plusieurs types de professeurs ;

  • une mise à jour des compétences requises pour occuper un poste de professeur.

Délestage par les professeurs de certaines activités de gestion courante jugées insatisfaisantes et peu productives

Les données colligées en 1991 montrent que les professeurs des universités québécoises portent un jugement négatif sur le temps considérable qu’ils consacrent à leur tâche de services internes à l’université. En effet, 25 % des professeurs estiment que cette tâche a freiné le développement de leur enseignement et 44 %, le développement de leurs recherches.

Les professeurs des universités québécoises ont aussi affirmé avoir consacré 6,65 heures par semaine, en moyenne, soit plus qu’à leur prestation directe d’enseignement, à des activités techniques, administratives ou de secrétariat qu’ils n’ont pu faire accomplir par d’autres types de personnels. Rien ne permet de croire que cette situation se soit améliorée au cours des dernières années. Un exemple suffit à faire comprendre ce phénomène : le traitement de textes a permis aux professeurs d’accroître leur précieuse autonomie et de se suffire de plus en plus à eux-mêmes, mais il a aussi alourdi de façon considérable leur temps de travail. Selon les données rapportées par Durand et Bargiel (1999), 57 % des professeurs de l’Université de Montréal utilisaient l’ordinateur 20 heures par semaine ou plus, et près de 28 %, 30 heures et plus. Cette enquête ne permet cependant pas de distinguer le travail de ce type que les professeurs ont avantage à faire eux-mêmes et celui qui aurait dû être fait par du personnel de soutien.

Au cours des prochaines années, il sera nécessaire et urgent que les professeurs puissent bénéficier d’un soutien leur permettant de se dégager de certaines activités techniques et répétitives pour mieux se concentrer sur des tâches plus importantes, plus intéressantes et plus productives. Le système actuel s’avère trop coûteux, et trop de professeurs aussi s’en plaignent ouvertement. Il devra donc être modifié, de façon substantielle.

Parti pris pour une spécialisation encore plus grande en tant que chercheurs, et la capacité d’enseigner dans un champ plus large du savoir

En 1991, 42 % des professeurs des universités québécoises se définissaient, sur le plan de l’enseignement, comme des spécialistes travaillant dans un domaine particulier du savoir, 13 % comme des généralistes oeuvrant dans plusieurs domaines et 45 % comme des généralistes et des spécialistes.

Invités aussi à se situer par rapport à leur tâche de recherche, 58 % des professeurs des universités québécoises se définissaient comme des spécialistes oeuvrant dans un domaine spécifique, 13 % comme des généralistes menant des travaux de recherche dans plusieurs domaines, et 29 % comme étant à la fois des généralistes et des spécialistes.

Nous pensons que la spécialisation en recherche est déjà et va être davantage une nécessité au cours des prochaines années. Toutefois, nous proposons que ce mouvement soit contre-balancé par une tâche d’enseignement portant sur un objet plus large, notamment pour éviter une surspécialisation de l’enseignement du premier cycle. Même si ces deux changements vont en sens opposé, ils ne sont pas pour autant contradictoires.

Meilleure reconnaissance du caractère organisationnel et collectif du travail professoral

De tous les types de professionnels à l’emploi d’organisations, le professeur d’université est probablement celui qui jouit de la plus grande liberté quant à la détermination de sa charge temporelle de travail et quant à l’importance relative qu’il accorde à ses différentes tâches et aux activités qui les composent. Sa seule obligation définie formellement est d’assurer une responsabilité d’enseignement, le nombre minimum de cours variant selon les institutions. Au Québec, les conventions collectives reconnaissent au professeur le droit de fixer lui-même l’importance relative qu’il accorde à ses différentes tâches ; les critères d’évaluation et les autres mécanismes d’incitation exercent toutefois des pressions conditionnant l’exercice de la liberté individuelle des professeurs à ce sujet. Un des défis les plus importants du monde universitaire québécois au cours des prochaines années sera de concilier la liberté académique et l’autonomie professionnelle des professeurs avec les exigences d’un travail complexe, devant être pris collectivement en charge par les institutions et leurs unités de base.

Ce défi existe dans d’autres pays. Du côté du monde anglophone, Kogan, Moses et El-Khawas (1994) ont soutenu qu’un mandat plus précis doit être donné aux professeurs pour permettre aux établissements universitaires et aux unités de base d’offrir leurs services de façon cohérente et efficiente. En France, un rapport récent, écrit par Esperet (2001), a fait état de la grande liberté accordée aux professeurs des universités et a recommandé, suscitant alors une vive inquiétude au sein du corps professoral, la signature d’un contrat individuel (pluriannuel) de performance entre le professeur et son établissement de rattachement.

Reconnaissance de l’existence de plusieurs types de professeurs

La recherche que nous avons effectuée en 1991 a aussi montré, grâce à deux méthodes différentes, qu’il n’existait pas, dans le système universitaire québécois, un seul type de professeur, le professeur-chercheur, mais plusieurs types. Répondant à une question placée au début du questionnaire, 48 % des professeurs des universités du Québec se sont définis spontanément comme enseignants et chercheurs, 28 % comme enseignants, chercheurs et gestionnaires académiques, 8 % comme chercheurs, 6 % comme enseignants, et 7 % comme enseignants et gestionnaires. Bâtie après coup, à partir d’un modèle complexe tenant compte de l’importance que les professeurs disent avoir accordée à chacune de leurs tâches, une deuxième typologie fait ressortir les phénomènes suivants :

  • 38 % des professeurs classés se définissent principalement en fonction d’une seule tâche : 13 % comme enseignants, 18 % comme chercheurs et 7 % comme fournisseurs de services internes à l’université ;

  • 37 % se centrent sur deux tâches : 18 % sur l’enseignement et la recherche ; 5 % sur l’enseignement et les services internes ; 10 % sur la recherche et la direction de recherche ; 4 % sur la recherche et les services internes à l’université ;

  • 25 % estiment avoir rempli de façon importante trois tâches : 16 %, l’enseignement, la recherche et la direction de recherche ; 9 %, l’enseignement, la recherche et le service interne à l’université.

À la suite d’une recherche effectuée dans le monde anglophone au début des années 1980, Bess (1982) a présenté le travail professoral comme un amalgame plus ou moins cohérent de tâches et d’activités diverses et a proposé une réorganisation complète du travail professoral pour permettre une utilisation optimale des compétences de chaque professeur. Ne se contentant pas de suggérer une simple modulation institutionnelle des tâches, il a proposé une nouvelle division du travail, une plus grande spécialisation et une reconnaissance institutionnalisée de l’existence de plusieurs types de professeurs. Plus tard, Kogan, Moses et El-Khawas (1994) ont aussi insisté sur l’existence de plusieurs types de professeurs d’université.

Du côté français, dans un ouvrage récent intitulé L’universitaire et ses métiers, Zetlaoui (1999) a différencié plusieurs types d’universitaires. À partir d’une enquête menée à l’Université Paris XII Val de Marne, il distingue cinq types de professeurs :

  • les enseignants (14 %), recherchant d’abord la reconnaissance de leurs étudiants ;

  • les enseignants et administrateurs (9,5 %), recherchant la reconnaissance des étudiants et de leur établissement d’appartenance ;

  • les enseignants et chercheurs (26,2 %), habituellement tiraillés entre ces deux tâches et les différentes clientèles qu’ils cherchent à desservir ;

  • les chercheurs et les directeurs de recherche (33,3 %), dont les activités sont d’abord centrées sur la publication, la participation à des colloques et l’encadrement des travaux de recherche des étudiants et qui visent d’abord la reconnaissance des étudiants des deuxième et troisième cycles ;

  • les enseignants, chercheurs et intellectuels (17 %), les homo academicus de Bourdieu (1984), recherchant leur reconnaissance professionnelle tant à l’interne qu’à l’externe de l’institution universitaire.

Sans recommander pour autant la mise en place d’un groupe de professeurs se consacrant essentiellement à l’enseignement, nous croyons que les gouvernements, les institutions universitaires, les syndicats et les unités de base responsables dans chaque établissement de la gestion des professeurs sont appelés, officiellement ou tacitement, à tenir de plus en plus compte de l’existence, au sein du système universitaire québécois, de différents types de professeurs. En raison des missions diverses de l’université, ils devront cependant éviter la création d’une hiérarchie entre ces types. Reconnaître la réalité, c’est-à-dire l’existence de plusieurs types de professeurs, est aujourd’hui un impératif incontournable au sein du monde universitaire pour procéder à de nouveaux engagements et pour évaluer correctement les performances au travail des professeurs en exercice.

Mise à jour des compétences requises pour occuper un poste de professeur

Si ce n’est une vague référence à l’obligation d’avoir obtenu un doctorat, nous avons une connaissance très limitée de l’ensemble des compétences requises pour occuper un poste de professeur d’université. Le doctorat témoigne sans doute d’une capacité à mener à bien une recherche, mais il ne prépare pas nécessairement les professeurs aux tâches d’enseignement et de services universitaires, internes et externes, qu’ils doivent aussi assurer, ni à certaines activités de première importance de la nouvelle recherche universitaire : trouver du financement, établir des partenariats, assurer la diffusion des résultats sous différentes formes, commercialiser les résultats de recherche, etc.

Il est impérieux que les institutions universitaires et les unités de base s’efforcent d’identifier et de mieux articuler l’ensemble des compétences requises pour assurer toutes les tâches et les activités des professeurs, dans une perspective de complémentarité des ressources en place dans chaque unité. Face aux exigences croissantes de la recherche, une démarche de ce type s’avère essentielle pour assurer un équilibre sain dans les unités de base, favoriser une évaluation équitable du rendement au travail des professeurs et assurer le maintien ou l’amélioration de l’enseignement et des services internes à l’université.

Conclusion

Même en identifiant correctement les forces de changement et de stabilité du monde universitaire, il reste difficile, à partir de données datant de 1990-1991, de décrire les transformations actuelles du travail professoral. Toutefois, nous sommes portés à penser que les changements seront moins importants que ce que prévoient certains experts. L’évolution se poursuivra, à moyen terme, sans rupture brusque, dans la lignée des mouvements enclenchés durant les décennies précédentes.

La charge de travail est et demeurera probablement lourde; les tâches et les activités qui la composent sont et demeureront multiples, complexes et probablement, comme celles d’aujourd’hui, plus ou moins bien intégrées et articulées. Nous estimons que la répartition globale de l’ensemble du travail entre les diverses tâches ne peut évoluer que lentement, malgré les changements de paradigme de la tâche d’enseignement, la nouvelle dynamique de la recherche (orientée, menée en partenariat avec des organismes hors université et visant le développement socioéconomique) et le développement de la tâche de direction de recherche des étudiants.

Dans ce contexte, nous avons proposé diverses mesures pour concilier le bien-être et la satisfaction au travail des professeurs et la productivité du travail professoral. Les professeurs des universités québécoises doivent être libérés de certaines activités peu motivantes de leurs tâches actuelles et, en recherche, se spécialiser, quitte à fournir de l’enseignement dans un champ plus large du savoir. Des mesures doivent aussi être prises pour accroître le caractère collectif du travail des professeurs, pour mieux tenir compte de l’existence de plusieurs types de professeurs et identifier, dans toute leur richesse, les compétences requises pour occuper un poste de professeur, en tenant compte des caractéristiques de chaque individu, mais aussi en se situant dans une visée de complémentarité des membres de chacune des unités de base.

Au-delà de ces recommandations, une chose nous apparaît certaine : malgré les importantes forces externes qui l’amènent à changer et les importantes forces internes de stabilité qui lui servent de contrepoids, le travail professoral n’est pas pour autant historiquement déterminé. Il a été et il sera ce que les gouvernements, les organismes subventionnaires, les établissements universitaires, les facultés, les départements, les syndicats, mais d’abord et surtout les professeurs eux-mêmes en feront. Ce sont ces différents acteurs de premier plan qui façonnent le travail professoral, chacun à sa mesure et dans sa propre sphère d’intervention.