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Après des livres de synthèse comme Relier les connaissances (1999) et Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (2000), Edgar Morin poursuit sa réflexion sur les grands enjeux de ce monde, qu’il définit en tant que questions complexes, c’est-à-dire comme des systèmes d’interrelations multiples et à plusieurs dimensions, qu’on ne peut appréhender totalement sans le recours à plusieurs approches disciplinaires combinées. Les coauteurs de ce collectif sont, en plus du sociologue Edgar Morin, le professeur argentin Raúl Domingo Motta, qui dirige à la fois l’Institut international pour la pensée complexe à Buenos Aires, ainsi que l’épistémologue espagnol Émilio-Roger Ciurana, titulaire d’une chaire en transdisciplinarité à l’Université de Valladolid.

Les trois chapitres (soit la méthode, la complexité, les défis) élaborent une critique de nos manières d’appréhender les problèmes complexes (inégalités, conflits politiques, dégradation de l’environnement), nécessitant de plus en plus une approche transdisciplinaire, c’est-à-dire en marge des cadres disciplinaires. On rappelle que « les idées ne sont pas des reflets du réel, mais des traductions/constructions qui ont pris la forme de mythologie, de religions, d’idéologies et de théories » (p. 30).

Pour Edgar Morin, la complexité n’est pas un problème à éviter ni un sujet qu’il faudrait épargner aux élèves trop jeunes mais, au contraire, un défi fondamental qu’on doit constamment relever (p. 12). Pour définir autrement la pensée complexe, les auteurs paraphrasent la définition que Jean Piaget donnait de la philosophie (dans son livre Sagesse et illusions de la philosophie) : « une prise de position raisonnée par rapport au réel » (p. 50).

L’objectif de cette entreprise est l’avènement d’une Terre-Patrie, qui soit juste, humaine, généreuse. Tout en évitant de formuler des voeux pieux, les auteurs affirment leur confiance en « une éthique du développement » (p. 143), et en appellent à un nouveau projet de société, pour des « citoyens protagonistes, engagés de façon consciente et critique dans la construction d’une civilisation planétaire » (p. 132). Plus loin, les auteurs nuancent – non sans audace – une tendance fréquente à vouloir trouver une forme de vérité chez l’autre, vestige de l’esprit du « bon sauvage », porteur d’une autre culture, trop souvent dénigrée ou au contraire idéalisée et stigmatisée : « l’éducation doit renforcer le respect des cultures, et comprendre qu’elles sont imparfaites en elles-mêmes, à l’image de l’être humain » (p. 142).

On sort de la lecture d’Éduquer pour l’ère planétaire à la fois nourri, enthousiasmé, quelquefois songeur, mais aussi inspiré. Véritable pédagogue du savoir, Edgar Morin expose ici des réflexions essentielles, avec l’aide des professeurs Raúl Motta et Émilio-Roger Ciurana. Ce 47e ouvrage confirme que ce philosophe fait partie des quelques rares auteurs à fréquenter. Ouvrage de vulgarisation, et c’est sa principale force, Éduquer pour l’ère planétaire pourrait parfaitement servir d’initiation à l’oeuvre d’Edgar Morin, mais conviendra tout autant aux lecteurs familiers de ses travaux précédents.