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Introduction

Depuis quelques années, les gouvernements portent une attention particulière aux services à la petite enfance, que ce soit par l’entremise de services de garde étendus ou de programmes scolaires visant des populations de plus en plus jeunes. En 2000, le Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre-Est (CECLFCE), qui dessert le quart des enfants francophones de l’Ontario, a décidé d’offrir à temps plein son programme éducatif à mi-temps, destiné à tous les enfants de quatre ans de son territoire. Nous avons alors élaboré un projet de recherche longitudinal visant à évaluer les effets d’un programme de maternelle à temps plein sur le développement des enfants de quatre ans. Le projet prévoit trois phases d’évaluation.

Pendant la première phase, l’évaluation a permis de comparer le développement d’enfants qui fréquentaient la maternelle à mi-temps en 1999-2000 à celui d’enfants qui ont fréquenté la maternelle à temps plein en 2000-2001. Les résultats de cette phase ont révélé un effet positif d’un programme à temps plein sur le langage et les apprentissages scolaires, mais peu d’effet sur les comportements prosociaux et les problèmes de comportement (Maltais et Herry, 2004). Le présent article présente les résultats de la deuxième phase du projet, qui a consisté à réévaluer le développement des deux groupes d’élèves alors qu’ils étaient en 2e année. La troisième phase du programme d’évaluation aura lieu à la fin de leur 5e année.

Contexte

Les programmes d’éducation préscolaire publics se sont répandus en Europe au début du xxe siècle, pendant l’ère de l’industrialisation, afin de fournir un lieu de garde aux enfants des mères qui travaillaient dans les usines. Graduellement, ces programmes ont inclus des services de soins de santé et d’hygiène, puis des services à caractère éducatif. Aux États-Unis, les programmes d’éducation préscolaire sont apparus plus tard, vers les années 1960, en réponse au contexte social marqué par l’industrialisation, l’urbanisation et la sécularisation (Royer, 1995). Ces programmes, comme le Head Start, s’inscrivaient dans un plan global de lutte contre la pauvreté, misant sur la prévention et l’intervention précoce. Ce courant a influencé les politiques des provinces canadiennes en matière de service à la petite enfance. Les ministères de l’Éducation du Canada considèrent que ces programmes facilitent l’adaptation scolaire et sociale des enfants, tout en favorisant la réussite scolaire (Capuano, Bigras, Gauthier, Normandeau, Letarte et Parent, 2001 ; Maltais, Herry et Charrette, 2004).

Contrairement à la plupart des pays européens qui offrent des programmes scolaires aux enfants dès l’âge de trois ans (Florin, 2000), les programmes nord-américains destinés aux enfants de quatre ans à temps plein et intégrés au système scolaire sont peu nombreux. Ce sont surtout les services de garde qui accueillent les enfants de cet âge. Aux États-Unis, quelques états offrent, aux jeunes enfants de communautés défavorisées, des services scolaires à mi-temps ou à temps plein, souvent jumelés au programme Head Start. Au Canada, seules certaines écoles du Québec et de l’Ontario accueillent les enfants de quatre ans, soit dans le cadre de programmes universels ou de programmes visant des clientèles particulières. Ainsi, au Québec, les enfants de milieux défavorisés ou à besoins spéciaux peuvent avoir accès à un programme de maternelle dès l’âge de quatre ans ou au programme Passe-Partout. En Ontario, compte tenu du caractère minoritaire du français, les conseils scolaires de langue française misent sur la fréquentation précoce des enfants pour retenir leur clientèle francophone et pour encourager l’utilisation du français (Masny, 2001). C’est dans ce contexte que la majorité des conseils scolaires francophones de l’Ontario offrent, depuis plusieurs années, un programme de maternelle à mi-temps aux enfants de quatre ans, et un programme à temps plein de jardin d’enfants aux enfants de cinq ans. Depuis septembre 2000, le CECLFCE, qui dessert le quart des enfants francophones de l’Ontario, a mis sur pied un programme éducatif à temps plein, destiné à tous les enfants de quatre ans de son territoire. La présente étude s’inscrit dans un programme de recherche qui vise à évaluer les effets à court, moyen et long terme de ce programme sur le développement des enfants.

Les recherches portant sur les effets des programmes préscolaires sur le développement des enfants

Les recherches qui portent sur les effets des programmes préscolaires sur le développement des enfants peuvent se répartir en deux groupes. Le premier inclut les recherches sur des programmes offerts à des clientèles ciblées, provenant principalement de milieux défavorisés, et le second inclut les recherches visant des programmes universels. La recherche portant sur des programmes préscolaires offerts à des clientèles ciblées, surtout issues de milieux défavorisés, provient principalement des États-Unis (Royer, 1995). Dans une recension des écrits, Mrazek et Brown (2002) ont retenu 32 études en fonction de leurs qualités méthodologiques. Parmi celles-ci, on note Head Start (Hodges et Cooper, 1981), le High Scope Perry Preschool Program (Schweinhart, Barnes, Weikart, Barnett et Epstein, 1993) et le Carolina Abecedarian Project (Campbell et Ramey, 1994). Seules deux des études recensées étaient canadiennes, et une seule avait un caractère longitudinal (Le programme de développement des habiletés sociales et de la résolution de problème : Tremblay, Masse, Pagani et Vitaro, 1996). De plus, au cours des dernières années, on a vu émerger des projets à caractère écologique, proposant des programmes qui visaient des communautés défavorisées, centrées sur le développement de l’enfant et le développement communautaire, comme le projet 1, 2, 3, Go ! (Bouchard, 2000) et Partir d’un bon pas pour un avenir meilleur (Peters, Petrunka, Angus, Arnold, Bélanger, Boyce, Brophy, Burke, Craig, Currie, Evers, Herry, Khan, Kocher, Mamatis, Nelson, Pancer, Russell et Towson, 2004).

De façon générale, ces programmes produisent peu d’effets à court terme. Le principal effet réside en une amélioration du quotient intellectuel des enfants, mais celui-ci ne se maintient pas au-delà de la fréquentation du programme (Head Start, HighScope). Les effets à moyen et long terme de ces programmes sont plus prometteurs. En effet, ils ont produit une amélioration de la performance scolaire (le CarolinaAbecedarianProject, le HighScope et le programme de développement des habiletés sociales) et ont contribué à une diminution des comportements liés à la délinquance juvénile (le CarolinaAbecedarianProject, le HighScope, Partir d’un bon pas pour un avenir meilleur). Les enfants seraient aussi moins nombreux à fréquenter des classes spéciales et à doubler une année scolaire (Partir d’un bon pas pour un avenir meilleur). Les enfants ayant participé à ces projets avaient également de meilleurs emplois et salaires que les enfants du groupe témoin (HighScope).

Le second groupe de recherches, qui portaient sur les effets des programmes préscolaires sur le développement des enfants, visait des programmes universels. Puisque les programmes de maternelle dès l’âge de quatre ans à temps plein intégrés au système scolaire sont peu répandus au Canada et aux États-Unis, les recherches proviennent d’Amérique du Nord, mais aussi d’Europe, et certaines visent des programmes préscolaires dispensés par des services de garde. La plupart des études recensées n’évaluaient qu’un seul domaine de développement et peu comportaient une visée longitudinale. Celles qui avaient une telle visée ne dépassaient que rarement l’âge de huit ans.

Selon Palacio-Quintin et Coderre (1999), Tremblay (2003) et le National Institute of Child Health and Human Development / Early Child Care Children Network (2000), ces études confirment la relation entre les programmes préscolaires et le développement du langage chez les enfants (Dunn, Beach et Kontos, 1994 ; Goelman et Pence, 1987 ; McCartney, 1984 ; McCartney et Scarr, 1984 ; Peth-Pierce, 1998). Toutefois, certaines études n’ont pas permis d’observer d’effets à court terme sur le développement langagier, mais ceux-ci seraient apparus plus tard, souvent en 2e année (voir le projet suédois Göteberg : Wessels, Lamb et Hwang, 1996). Les résultats des études portant sur les apprentissages scolaires varient en fonction de variables comme le niveau socioéconomique et l’appartenance à une minorité raciale. Plusieurs études comptant sur des grands nombres de sujets (variant entre 500 et 10 000) révèlent que ce sont les enfants en provenance de milieux défavorisés et des minorités raciales qui bénéficiaient le plus de ces programmes (Caughy, DiPietro et Strobino, 1994 ; Jeantheau et Murat, 1998 ; Maltais et Herry, 2004 ; Peisner-Feinberg et Maris, 2006). De plus, les effets de ces programmes sur les apprentissages se feraient surtout sentir en 2e année (Broberg, Wessels, Lamb et Hwang, 1997 ; Jarousse, Mingat et Richard, 1992 ; Wessels et collab., 1996). Finalement, la fréquentation d’un programme préscolaire semble influencer positivement le développement socio-affectif, sous l’angle des compétences sociales, de l’indépendance, de la sociabilité, et du bas niveau d’agressivité (Balleyguier et Melhuish, 1996 ; Letarte, Normandeau, Parent, Bigras et Capuano, 1993 ; National Institute of Child Health and Human Development / Early Child Care Children Network, 2001 ; Schweinhart et Weikart, 1993 ; Vitaro, Dobkin, Gagnon et LeBlanc, 1994).

À la lumière de l’analyse des études sur les effets des programmes préscolaires sur le développement des enfants, on constate que les résultats varient selon les domaines de développement évalués et en fonction de certaines variables comme le niveau socioéconomique, l’appartenance à une minorité raciale et le nombre d’années écoulées entre la fréquentation du programme par les enfants et le moment de l’évaluation, à court, moyen ou long terme. Cependant, peu d’études ont un caractère longitudinal. Il est donc difficile de prédire les effets de programmes préscolaires universels sur le développement à plus long terme des enfants, tant au niveau du maintien des gains observés que de nouveaux effets qui pourraient apparaître à plus long terme.

Avec la présente étude, nous nous proposons donc de poursuivre la comparaison entamée en 2000 entre le développement d’un groupe d’enfants de quatre ans qui ont bénéficié d’un programme de maternelle à temps plein et celui d’enfants qui ont fréquenté un programme de maternelle à mi-temps. Les données recueillies dans ce programme de recherche enrichiront les informations déjà fournies par les recherches antérieures.

L’évaluation des effets d’un programme préscolaire universel à temps plein destiné aux enfants de quatre ans revêt une importance et une originalité sous plusieurs aspects. La majorité des recherches portant sur les programmes préscolaires proviennent des États-Unis ou d’Europe. Au Canada, il existe peu d’évaluations rigoureuses des programmes mis en place. C’est plutôt étonnant, compte tenu de l’importance accordée par certaines provinces, dont le Québec et l’Ontario, au développement des programmes préscolaires. De plus, le programme évalué est offert dans un contexte scolaire et non pas dans un contexte de service de garde. Cette étude porte également sur un programme régulier universel offert à tous les enfants, et non pas un programme spécifique, dont le financement est à durée limitée ou fait appel à des sommes importantes, comme le High Scope, qui a coûté annuellement 16 000 $ par enfant.

Ce programme touche donc un grand nombre d’enfants : tous ceux de quatre ans qui vivent sur le territoire du Conseil scolaire. Finalement, l’évaluation du programme est d’autant plus importante que ce programme est offert en milieu francophone minoritaire. En effet, la communauté francophone doit relever un double défi : d’une part, contrer l’assimilation et la perte de clientèle au profit des conseils scolaires anglophones, et d’autre part, favoriser l’acquisition du français (Masny, 2001). Il faut noter que plusieurs enfants entrent dans ce programme sans parler français. Finalement, cette étude propose une évaluation globale du développement de l’enfant, en incluant les domaines langagier, scolaire et socio-affectif.

Méthodologie

Nous avons eu recours à un modèle de recherche quasi-expérimental pour comparer le développement d’élèves de 2e année (2002-2003) qui fréquentaient à quatre ans le programme à mi-temps au cours de l’année 1999-2000 à celui d’élèves de 2e année (2003-2004) qui ont bénéficié du programme à temps plein au cours de l’année 2000-2001. Le choix de ce modèle repose sur le fait qu’il n’était pas possible de créer au hasard, au sein du Conseil scolaire, un groupe expérimental et un groupe témoin, puisqu’en 2000-2001 tous les élèves bénéficiaient du programme de maternelle à temps plein. De plus, il n’a pas été possible d’utiliser un groupe témoin provenant d’un autre conseil scolaire ontarien, soit parce que leur population n’était pas comparable à celle de notre groupe cible, soit parce que les conseils scolaires avaient, en 2000-2001, un programme de maternelle à temps plein. Dans cette section, nous présentons les enfants qui ont participé à l’évaluation de programme, ainsi que les instruments de mesure utilisés pour évaluer les divers domaines de leur développement.

Les participants

En 2002-2003, l’évaluation de programme a porté sur 273 élèves de 2e année qui ont fréquenté à quatre ans le programme à mi-temps. Ils provenaient de 13 des 39 écoles du Conseil scolaire. Le choix des écoles reposait sur une représentation proportionnelle des écoles du centre-ville, des banlieues et des extrémités du conseil scolaire. Cette répartition géographique permettait de tenir compte de la proportion de francophones habitant chaque région gérée par le Conseil. En plus des évaluations directes menées auprès des enfants, 22 enseignantes et 245 parents (90 % des parents) ont répondu aux questionnaires qui leur étaient destinés. En 2003-2004, 315 élèves de 2e année qui ont fréquenté à quatre ans le programme à temps plein ont participé à l’évaluation de programme. Les écoles étaient les mêmes que celles visées en 1999-2000, afin de rendre possible une comparaison avec les élèves de 2e année qui fréquentaient le programme à mi-temps en 1999-2000. Vingt-cinq enseignantes, dont 21 étaient les mêmes qu’en 2002-2003, ainsi que 256 parents (82 % des parents) ont répondu aux questionnaires qui leur étaient destinés. Le tableau 1 permet une comparaison entre les deux groupes en présentant des données sur certaines de leurs caractéristiques démographiques. Les analyses de variance n’ont pas permis d’identifier de différences significatives entre les deux populations.

Tableau 1

Caractéristiques et informations sur les participants à l’étude

Caractéristiques et informations sur les participants à l’étude

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Les domaines évalués et les instruments utilisés

Cette section présente les domaines évalués et les instruments de mesure utilisés avec les deux groupes (mi-temps et temps plein). Les domaines visent le développement langagier, scolaire et socio-affectif des enfants. Les instruments de mesure incluent un questionnaire destiné aux parents, un questionnaire destiné aux enseignants et des activités d’évaluation réalisées par les élèves. Le tableau 2 présente les modes d’évaluation retenus en fonction des domaines de développement et des répondants.

Tableau 2

Les modes d’évaluation retenus pour les deux groupes (mi-temps et temps plein) en fonction des domaines de développement et des répondants

Les modes d’évaluation retenus pour les deux groupes (mi-temps et temps plein) en fonction des domaines de développement et des répondants

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Le questionnaire aux parents inclut une échelle de sept énoncés sur la langue parlée à la maison, des questions sur la période de leçons et de devoirs et une évaluation du comportement de l’enfant faite à l’aide de l’échelle de comportement utilisée par Statistique Canada (1997) dans le cadre de l’étude National Longitudinal Survey of Children and Youth. La section retenue comprend 32 énoncés et permet d’évaluer, chez les élèves âgés de 4 à 11 ans, les comportements prosociaux, l’hyperactivité et l’inattention, l’anxiété et les problèmes de conduite. Le résultat maximum à chacune de ces échelles est de 20.

Le questionnaire aux enseignants inclut sept sections. La première inclut les attitudes face à la lecture. Elle utilise L’échelle d’attitude de Rowell (1972) vis-à-vis de la lecture et inclut 13 énoncés (ex. : Manifeste de l’intérêt et de l’enthousiasme à l’égard des activités et des leçons de lecture, Aime se faire lire des textes et les écoute attentivement). Elle a été utilisée dans le cadre du projet Partir d’un bon pas pour un avenir meilleur (Peters et collab., 2004). Dans les quatre sections suivantes du questionnaire, l’enseignante a à se prononcer sur la performance de l’élève en lecture, en écriture, en communication orale et en mathématiques. Chaque section inclut quatre énoncés. Ces énoncés sont inspirés des grilles d’évaluation utilisées par l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation de l’Ontario. La sixième section permet d’évaluer le comportement de l’élève et utilise la même échelle de comportement de 32 énoncés (Statistique Canada, 1997) que celle complétée par les parents. Finalement, la dernière section vise à évaluer les comportements scolaires et fait appel aux 13 énoncés de l’Instrument de mesure du développement de la petite enfance (Centre canadien d’études sur les enfants à risque, 1999). Des exemples d’énoncés sont : Suit des directives, Travaille proprement et soigneusement, etc.

Finalement, les activités d’évaluation réalisées par les élèves incluent des tests de langage, de lecture et de mathématiques. Les tests de langage utilisés auprès des enfants incluaient l’Échelle de vocabulaire en images Peabody (ÉVIP) (Dunn, Thériault-Whalen et Dunn, 1993), la version canadienne française du Test for Auditory Comprehension of Language (TACL) (Groupe coopératif en orthophonie, 1995) et le Test des jetons (Dudley-Delage, 1980).

L’ÉVIP évalue le langage réceptif des enfants. On leur demande de montrer du doigt l’image qui, parmi un choix de quatre, illustre un mot dit par l’examinateur. Ce test inclut des normes de performance francophones pancanadiennes. Le résultat brut de l’enfant est transformé en rang centile qui varie entre 1 et 99. L’ÉVIP est fréquemment utilisé dans les recherches et permet d’évaluer principalement la compréhension du vocabulaire.

La version française du Test for Auditory Comprehension of Language (TACL) évalue le langage réceptif des enfants. À cause de l’âge des élèves, nous avons conservé deux des trois échelles du test : morphèmes grammaticaux (ex. : Le garçon est à côté de l’auto) et phrases complexes (ex. : Les filles mangent et regardent la télévision). Lors de ce test, les enfants doivent montrer du doigt l’image qui, parmi un choix de trois, illustre un mot ou une phrase prononcés par l’examinateur. Le TACL fournit un résultat maximal de 40 pour chacune des trois composantes du test.

Le Test des jetons (Dudley-Delage, 1980) consiste à demander à l’élève de suivre des consignes orales qui lui permettront de placer des jetons selon une disposition et un ordre précis. À cause de l’âge des élèves, nous avons conservé le numéro 5 du test qui inclut 16 consignes pour un total de 96 points.

L’évaluation de la lecture fait appel à deux activités. La première est un test de compréhension de la lecture (Conseil des écoles catholiques du Centre-Est de l’Ontario, 2001), composé d’un texte de 400 mots accompagné de 10 questions de compréhension auxquelles l’élève répond par écrit. Le résultat maximum est de 50 points. La seconde activité est un test de fluidité de la lecture (Conseil des écoles catholiques de l’Est de l’Ontario, 2001) qui demande à l’élève de lire un texte à haute voix pendant une minute. L’analyse des résultats permet de tenir compte du nombre de mots lus par minute, de la qualité de la lecture orale et du pourcentage de méprises.

Pour l’évaluation des mathématiques, nous avons eu recours à cinq sous-échelles du KeyMath (Connolly, 1991) : Numération, Addition, Soustraction, Multiplication, Division et Calcul mental. Pour chacune de ces échelles, le score brut est transformé en rang centile.

Pour chaque échelle utilisée, les résultats des deux groupes et de l’ensemble des sujets ont été soumis à des analyses factorielles avec rotation orthogonale Varimax. Les coefficients de saturation de tous les énoncés étaient supérieurs à 0,30 et la structure factorielle était la même pour les trois groupes.

La collecte des données

La collecte de donnée a eu lieu pendant les deux dernières semaines de mai de chaque année, afin d’assurer un temps de développement identique aux deux populations évaluées. Quatre étudiantes inscrites à la maîtrise en orthophonie étaient responsables de l’évaluation du langage des enfants. Une consultante en orthophonie leur a offert une formation de deux jours et a supervisé l’administration des tests et l’interprétation des résultats. Les parents et les enseignantes ont rempli leurs questionnaires au cours de la même période.

Résultats

L’évaluation de programme avait pour but d’identifier les effets du programme à temps plein sur le développement des enfants. Les moyennes obtenues par les répondants ont été soumises à des analyses de covariance univariées inter-sujets. Le seuil de confiance a été établi à p < 0,05. La variable indépendante était la nature du programme de maternelle (à mi-temps ou à temps plein) suivi par les élèves, et les variables dépendantes étaient les divers domaines de développement de l’enfant. Les analyses visaient 564 élèves et 479 parents. Les élèves se répartissaient en deux groupes : ceux de 2e année qui avaient fréquenté à quatre ans le programme à mi-temps en 1999-2000 (N = 273 ; parents : N = 245) et ceux qui l’avaient fréquenté à temps plein en 2000-2001 (N = 315 ; parents : N = 256). Les analyses statistiques ANCOVA ont pris en compte les covariables suivantes (voir tableau 3) : le nombre d’élèves par classe, le sexe des enfants, l’âge des enfants, l’appartenance à une minorité raciale, la langue parlée à la maison, la structure familiale (biparentale ou monoparentale), le niveau de scolarité des parents et le statut socio-économique de la famille basé sur le type d’emploi. L’inclusion de ces covariables permet de s’assurer que les effets observés sont bien dus au programme à temps plein plutôt qu’à une autre variable, comme le statut socio-économique. Pour ce faire, SPSS ajuste les moyennes des groupes en fonction de chaque covariable qui affectent significativement les variables dépendantes.

Tableau 3

Liste des covariables qui affectent significativement les domaines évalués et dont nous avons tenu compte lors de la comparaison des deux groupes (ANCOVA)

Liste des covariables qui affectent significativement les domaines évalués et dont nous avons tenu compte lors de la comparaison des deux groupes (ANCOVA)

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Le tableau 4 présente les moyennes obtenues par les deux groupes d’élèves pour chacun des domaines de développement évalués. Il inclut également les résultats des analyses statistiques en présentant les valeurs F et les degrés de signification.

Tableau 4

Les moyennes et écarts-types obtenus par les deux groupes d’élèves pour chacun des domaines de développement évalués

Les moyennes et écarts-types obtenus par les deux groupes d’élèves pour chacun des domaines de développement évalués

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Les résultats soulignent un effet positif du programme à temps plein sur le développement langagier des enfants. Les deux instruments de mesure du langage utilisés ont montré un niveau de vocabulaire supérieur chez les enfants ayant fréquenté le programme à temps plein (ÉVIP : F(1, 556) = 6,6, p < 0,05 ; TACL Morphèmes grammaticaux : F(1, 567) = 4,5, p < 0,05 ; TACL Phrases complexes : F(1, 567) = 39,1, p < 0,0001). Le rang centile moyen de l’ÉVIP est passé de 62 à 68, soit une amélioration de 6 %. Il n’y a pas de différence quant à l’utilisation du français à la maison.

Le programme à temps plein a eu des effets mixtes sur les apprentissages scolaires. Les élèves qui ont fréquenté le programme à temps plein ont une meilleure compréhension en lecture (F(1, 552) = 5,3, p < 0,05), une attitude plus positive vis-à-vis de celle-ci (F(1, 544) = 4,9, p < 0,05) et une meilleure performance globale dans ce domaine (F(1, 550) = 4,1, p < 0,05). Toujours en lecture, le test de fluidité indique que les élèves qui ont fréquenté le programme à temps plein lisent moins de mots à la minute (F(1, 566) = 9,2, p < 0,005), mais que la qualité de leur lecture orale est meilleure (F(1, 566) = 50,6, p < 0,0001). Au niveau de la performance en écriture, les enseignants n’ont noté aucune différence entre les élèves inscrits à mi-temps et ceux à temps plein (F(1, 549) = 0,9, ns). Toutefois, en mathématiques, les enseignants ont indiqué que les élèves qui avaient fréquenté le programme à temps plein performaient moins bien que ceux qui avaient fréquenté le programme à mi-temps (F(1, 546) = 5,4, p < 0,05). Cette perception des enseignants est confirmée par les résultats de plusieurs sous-tests du Key Math, dont la numération (F(1, 564) = 4,5, p < 0,05), la soustraction (F(1, 564) = 19,9, p < 0,0001), ainsi que par le résultat total obtenu pour les opérations mathématiques (F(1, 564) = 4,5, p < 0,05).

Dans le domaine du développement comportemental, les enseignants (F(1, 552) = 8,7, p < 0,01) et les parents (F(1, 469) = 4,7, p < 0,05) ont indiqué que les enfants qui avaient fréquenté le programme à temps plein présentaient moins de comportements prosociaux que les autres élèves. De plus, sur le plan scolaire, les enseignants ont noté que ces enfants étaient moins bien adaptés à la vie scolaire (F(1, 549) = 6,7, p < 0,01), qu’ils avaient tendance à être moins attentifs et moins centrés sur la tâche en classe (F(1, 551) = 11,9, p < 0,001) et qu’ils étaient plus fatigués (F(1, 552) = 29,4, p < 0,0001).

Discussion des résultats

Dans la présente section, nous résumons les résultats de cette étude, nous les comparons à ceux obtenus par les élèves à la fin de la maternelle et nous les commentons en fonction des études antérieures et des informations recueillies lors d’entrevues et d’échanges avec les enseignants et les parents.

L’amélioration du langage constitue une retombée importante du programme de maternelle à temps plein. Non seulement, celui-ci a-t-il contribué à une amélioration du langage des élèves à la fin de la maternelle (Maltais et Herry, 2004), mais cet avantage s’est maintenu en 2e année. Ce résultat est conforme à celui de plusieurs études qui ont confirmé la relation entre les programmes préscolaires et le développement du langage chez les enfants (Palacio-Quentin et Coderre, 1999). Toutefois, les études recensées visaient des milieux majoritaires, et non pas un milieu minoritaire comme la francophonie ontarienne. Aux yeux de cette communauté, ces résultats représentent un atout majeur pour la francisation de la population et le maintien de la vitalité linguistique du groupe minoritaire (Gauvin, 2003 ; Gérin-Lajoie, 2001), dont le niveau d’utilisation et de maîtrise du français est très variable. Près de 40 % des enfants ne parlent pas français lors de leur entrée en maternelle. Le programme universel de maternelle dès l’âge de quatre ans à temps plein permet donc à tous les élèves d’avoir accès à un service éducatif de langue française à temps plein. Il est vrai qu’une immersion complète en français favorise chez les jeunes enfants un développement rapide de l’apprentissage du français (Coghlan et Thériault, 2002 ; Heller et Roy, 2001), mais il est intéressant de noter que ces gains se maintiennent au moins jusqu’en 2e année.

Lors des entrevues, les enseignantes de maternelle ont indiqué que l’accroissement du temps d’enseignement offert par le programme à temps plein leur avait permis d’offrir plus d’activités systématiques visant le vocabulaire, la syntaxe, la sémantique et les structures de phrases à l’aide de thèmes, de jeux, de comptines et de chansons. Quant aux enseignantes de jardins d’enfants cinq ans, de 1re et de 2e année, elles ont trouvé qu’elles pouvaient faire davantage d’activités langagières enrichies qu’auparavant, à cause de la maîtrise plus élevée du français des élèves, et ce, même si elles ne disposaient pas de plus de temps d’enseignement.

L’amélioration de la performance en lecture constitue une autre grande retombée du programme à temps plein. Non seulement le programme à temps plein a-t-il produit une amélioration de la conscience de l’écrit des élèves à la fin du programme, mais cet avantage s’est maintenu en 2e année au niveau de la qualité de la lecture orale et de la compréhension de la lecture. Les études antérieures (Caughy, DiPietro et Strobino, 1994 ; Jeantheau et Murat, 1998 ; Jarousse, Mingat et Richard, 1992) avaient également permis d’observer un impact sur la lecture, mais contrairement aux résultats de la présente étude, les effets se limitaient principalement aux groupes appartenant à des milieux défavorisés et à des minorités raciales.

Les entrevues avec les enseignantes de maternelle ont indiqué que, tout comme dans le cas du développement du langage, elles ont pu consacrer plus de temps à des activités qui, selon les chercheurs, favorisent l’apprentissage de la lecture. Parmi celles-ci, on note des activités liées à la conscience phonologique (Ecalle et Magnan, 2002 ; Giasson, 2003), à la reconnaissance de mots comme les mots-étiquettes (Nadon, 2002), à la lecture de textes par l’enseignante (Thériault, 1996), à la compréhension de ces lectures comme des questions de compréhension et l’illustration d’histoires (Giasson, 2003) et à la production écrite comme l’écriture de mots et les orthographes approchées (Charron, Montésinos-Gelet et Morin, 2004 ; Dumaine, 1993 ; Taberski, 2000). Les enseignantes des années subséquentes ont mentionné que, compte tenu des acquis réalisés par les élèves, l’arrivée de ce groupe les avait forcées à réajuster leurs objectifs et les activités qu’elles avaient l’habitude de faire, principalement en accroissant le nombre d’activités et le niveau de difficulté, et ce sans modifier la répartition du temps d’enseignement consacré à chaque matière. Les enseignantes de 1re année sont celles qui ont souligné le plus grand changement par rapport aux années antérieures, en notant une plus grande rapidité de l’apprentissage de la lecture.

Les gains observés en mathématiques à la fin du programme à temps plein ne se sont cependant pas maintenus en 2e année. L’absence de gains en mathématiques en 2e année est un résultat qui mérite une attention particulière. Toutefois, les entrevues avec les enseignantes n’ont pas fourni d’éléments susceptibles d’expliquer ce résultat. Il faudrait examiner les priorités de l’école et le type de stratégies utilisées pour l’enseignement des mathématiques.

Dans le domaine comportemental, le programme à temps plein a entraîné peu de changements, tant à la fin de la maternelle qu’en 2e année. Ce résultat contraste avec la plupart des études recensées, selon lesquelles la fréquentation d’un programme préscolaire influence positivement le développement socio-affectif des enfants. Cependant, l’analyse du contenu des programmes comme le Perry Preschool Project indique que ceux qui ont obtenu des résultats positifs incluaient une composante systématique visant l’apprentissage des habiletés sociales. Notre évaluation de programme ne permet pas de préciser l’ampleur de cet enseignement dans les écoles, mais il faudrait examiner la possibilité d’inclure des activités d’apprentissage visant spécifiquement le développement de compétences sociales.

Les données recueillies auprès des enseignantes indiquent aussi que les élèves ayant fréquenté le programme à temps plein seraient moins attentifs, plus anxieux et plus fatigués que les élèves du programme à mi-temps. Lors des entrevues, les enseignantes de 2e année se sont montrées très préoccupées par cette situation. L’hypothèse la plus souvent émise par les enseignantes est que les changements observés seraient liés à l’accent mis sur les apprentissages scolaires dès le préscolaire, par opposition à un programme axé sur le développement global de l’enfant, centré sur le jeu et la socialisation. Cette hypothèse et cette tendance font l’objet d’un débat dans le domaine de l’éducation préscolaire (Lalonde-Gratton, 2004).

Conclusion

Pour terminer, le programme à temps plein a eu un effet positif sur le langage et la lecture, qui sont des domaines importants pour le développement des enfants. Par contre, il est décevant de constater que le programme n’a pas eu d’effet sur les habiletés d’écriture des élèves et qu’il est associé à une performance plus faible en mathématiques, ainsi qu’à une diminution des comportements prosociaux. Toutefois, le programme a eu un effet inattendu : la comparaison entre le programme à mi-temps et le programme à temps plein a permis d’observer un accroissement du taux de rétention des élèves au sein du Conseil scolaire. En 2e année, 68 % des élèves, qui avaient fait leur maternelle à mi-temps au sein du Conseil scolaire, fréquentaient encore une école du Conseil. Ce pourcentage est passé à 76 % chez les élèves qui ont suivi le programme à temps plein. Comme nous n’avons pas recueilli de données visant spécifiquement cette information, par exemple sous forme d’enquêtes auprès des parents, nous ne pouvons donc attribuer avec certitude cette augmentation à la mise en place d’un programme à temps plein. Cependant, nous aimerions rappeler que les parents des élèves à temps plein se sont déclarés plus satisfaits de l’organisation du programme à temps plein que les parents des élèves du programme à mi-temps (Maltais et Herry, 2004). Les parents des élèves à temps plein ont également observé un progrès plus élevé chez leurs enfants. On peut se demander si l’augmentation du taux de satisfaction n’a pas incité des parents à choisir les écoles du Conseil pour la poursuite des études primaires de leur enfant.