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Créé en 1997 par Le Monde de l’Éducation pour promouvoir les travaux de jeunes docteurs, le Prix de la recherche universitaire permet annuellement l’édition de cinq thèses en sciences humaines. C’est ce concours qui nous vaut la publication de la thèse de Benjamin Moignard, soutenue en 2007 à Bordeaux, sous la direction d’Éric Debarbieux.
Avec des auteurs de référence comme Charlot (qui signe d’ailleurs la postface), Van Zanten ou Bautier, la recherche s’inscrit nettement dans le développement d’une sociologie de l’école dont les travaux des dernières années ont dépoussiéré, consolidé et élargi les thèses sur la reproduction de Bourdieu. L’école et la rue : fabriques de délinquance vient enrichir ce corpus par l’étude critique de l’influence mutuelle des phénomènes de marginalisation et d’exclusion sociales ou scolaires sur la manifestation de violences adolescentes à l’école et dans l’espace public. En utilisant une méthode ethnographique, Moignard observe les conduites déviantes ou proprement délinquantes de jeunes des quartiers populaires d’une banlieue française et d’une favela brésilienne, afin d’identifier les modalités de construction de ces pratiques dans et autour de l’école (p. 135). Le choix d’envisager la construction d’une comparaison internationale France-Brésil, que l’auteur, d’entrée de jeu, reconnaît comme improbable à cause de toutes les différences entre les deux univers au plan économique, politique, social et culturel, relève de circonstances fortuites ayant favorisé la conduite d’un terrain à Rio et s’appuie sur une argumentation selon laquelle la confrontation de deux univers diamétralement opposés sur un même objet permettrait de déceler des modes de compréhension originaux des situations sociales (p. 6). Cette justification apparaît bien fragile puisqu’il semble tout à fait prévisible que des réalités sociales s’offrant comme différentes témoignent également de stratégies, comportements et actions spécifiques quant à la sociabilité et à la scolarisation des populations de jeunes marginalisés. Le lecteur ne trouvera donc pas, dans cet ouvrage, une comparaison de l’incomparable, annoncée en page 6, mais plutôt, pour le prix d’une seule, deux enquêtes sur une même problématique, au Brésil et en France. C’est tout bénéfice, puisque le tout est bien structuré et décrit avec un souci de rendre non seulement les observations de terrain mais aussi de respecter les témoignages des adolescents. Ces monographies permettent de dégager deux visions, ni divergentes, ni convergentes, mais plutôt parallèles, des interrelations mutuelles entre les pratiques scolaires et les réalités sociales dans la construction de la violence adolescente. Au Brésil, celle d’une école communautaire perçue comme non violente, un havre de paix indispensable pour compenser l’exposition quotidienne des jeunes de la favela à l’exclusion et aux gangs de narcotrafic. En France, des établissements qui, tout en se posant comme victimes d’une influence à sens unique de leur environnement, contribuent à la reproduction, quand ce n’est pas à la création même, de la violence adolescente en recourant à des pratiques de gestion distinctives, sinon discriminatoires, tel le regroupement dans des classes de niveaux de tous les élèves présentant des problèmes de comportement. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, il s’agit d’une démonstration convaincante de la dynamique des interactions école-société dans la construction, la reproduction et l’explication du phénomène.