Dossier

Les manuels scolaires : réformes curriculaires, développement professionnel et apprentissages des élèvesTextbooks: curriculum reforms, professional development and student learningLos libros de texto: reformas curriculares, desarrollo profesional y aprendizaje de los alumnos[Notice]

  • Johanne Lebrun et
  • Daniel Niclot

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Quel que soit le niveau de classe ou la discipline concernée, les manuels scolaires ne sont pas uniquement destinés à un public d’enfants ou d’adolescents, comme leur dénomination de manuels d’élèves semblerait l’indiquer. Leur fonction est beaucoup plus globale. Ils occupent une position d’interface au sein du système éducatif, notion qui implique à la fois un contact et des échanges croisés avec leur environnement. Les travaux menés ces dernières années permettent d’identifier quatre points principaux de jonction entre les manuels scolaires et différents éléments du système éducatif et, plus largement, la société dans ses rapports avec l’École. En premier lieu, les manuels scolaires se situent au carrefour de la demande sociale, de l’éducation et de l’édition. Les contenus pédagogiques et didactiques des manuels sont élaborés dans un contexte idéologique, politique, culturel et économique, dont l’influence ne doit pas être négligée (Niclot, 2003b ; Niclot et Aroq, 2006). Produit socio-culturel, le manuel est également un produit commercial dans un certain nombre de pays (Choppin, 1992 ; Gérard et Roegiers, 1993 ; Stray, 1993). Plus précisément, les logiques économiques des maisons d’édition jouent un rôle important dans le choix des contenus, de la forme et de la présentation des manuels. Les stratégies économiques des entreprises d’édition scolaire peuvent également conditionner les innovations ; par exemple, à l’heure actuelle en France par rapport aux médias éducatifs (Bahuaud, 2006). Comme outil d’actualisation des prescriptions officielles, le manuel est, en second lieu, à la jonction du curriculum formel et du curriculum réel, c’est-à-dire entre les contenus prescrits et ceux qui sont réellement enseignés dans la classe. Souvent, les manuels se substituent aux programmes d’études (Julkunen, Selanders et Alhberg, 1991 ; Spallanzani, Biron, Larose, Lebrun, Lenoir, Masselter et Roy, 2001 ; Venezky, 1992 ; Woodward, Elliot et Nagel, 1988). En France plus particulièrement, l’accès aisé des enseignants aux manuels scolaires, grâce aux spécimens qui leur sont distribués gratuitement par les éditeurs, renforce encore cette tendance (Le Roux, 1997). Le manuel assure, en troisième lieu, une position centrale entre l’enseignement et l’apprentissage. La recension de la documentation scientifique (Lebrun, Lenoir, Laforest, Larose, Roy, Spallanzani et Pearson, 2002) et les résultats de recherches récentes menées au Québec (Lebrun, 2001 ; Lenoir, 2002 ; Spallanzani et collab., 2001) témoignent de l’emprise des manuels scolaires sur les pratiques enseignantes et, par le fait même, sur les apprentissages des élèves. En France, les enquêtes menées depuis plus de 30 ans, dans l’enseignement secondaire notamment, vont dans le même sens (Citron et Marbeau 1972 ; Douzant-Rosenfeld, 1991 ; Tournier et Navarro, 1985). Ces études et ces enquêtes montrent que les dimensions curriculaire, pédagogique, didactique et évaluative des manuels contribuent en grande partie à définir les savoirs à enseigner, les stratégies pédagogiques et didactiques employées, la progression attendue des élèves, le cheminement qu’ils doivent parcourir pour acquérir les savoirs, leur degré de participation dans les activités et le mode de reconnaissance de leurs acquis. Les données des recherches québécoises rejoignent celles des quelques recherches en provenance de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale. Selon des travaux américains et européens (Alverman, 1989 ; Armento, 1986 ; Gentil et Verdon, 1995 ; Hummel, 1988, Zahorik, 1991), le manuel scolaire détermine, pour une large part, les activités réalisées en classe. Il peut même apparaître, en France notamment, comme un medium participant aux évolutions de la professionnalité enseignante, en raison notamment des insuffisances de la formation continue (Niclot, 2003a). Les savoirs, les méthodes et les activités développés par les auteurs dans les manuels ont une action le plus souvent directe sur les pratiques enseignantes, qui va bien au-delà d’une simple influence selon un terme couramment employé …

Parties annexes