Recensions

Trudel, P. et Jean, M. S. (2010). La malréglementation. Une éthique de la recherche est-elle possible et à quelles conditions ? Montréal, Québec : Les Presses de l’Université de Montréal[Notice]

  • Yves Gingras

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  • Yves Gingras
    Université du Québec à Montréal

Voici enfin un ouvrage critique sur les effets pervers de l’application de la politique adoptée en 1998 par les trois conseils subventionnaires fédéraux au sujet des règles d’éthique de la recherche avec les sujets humains, règles à appliquer à tous les projets de recherche. Institués localement au sein de chacune des universités, les comités d’éthique de la recherche ont fait l’objet de nombreuses critiques, particulièrement en sciences humaines et sociales. Dans leur introduction, les directeurs de publication présentent clairement la question de la malréglementation qui survient lorsque […] s’appuyant sur des principes admis de tous, l’on multiplie les contraintes sans justifications sérieuses et ce, sans pour autant accroître les protections qui sont recherchées pour ceux que l’on veut protéger (p. 12). Les onze collaborateurs au volume abordent, souvent à partir de leur expérience personnelle, les différents problèmes soulevés par les décisions de ces comités. Guy Bourgeault insiste pour que les chercheurs se réapproprient les questions éthiques, car […] l’éthique n’appartient pas aux « éthiciens » (p. 23). Michel Bergeron rappelle brièvement l’histoire des comités d’éthique de la recherche en remontant au milieu des années 1950. Jack Siemiatycki nous montre, exemples à l’appui, que de tels comités sont en fait en train […] d’étrangler la recherche en épidémiologie (p. 155). Sylvie Normandeau raconte comment les multiples comités d’éthique de la recherche, qui devraient statuer dans les différentes provinces sur un même projet de recherche pancanadien, ont pris des décisions contradictoires, si bien que la recherche proposée n’a pu se réaliser que dans certaines provinces, ce qui diminue la valeur des résultats. Yann Joly éclaire le rôle des juristes dans ces comités et la valeur juridique à accorder à leurs décisions en regard, par exemple, du Code civil. Bartha Maria Knoppers nous rappelle que la recherche étant de plus en plus internationale, et l’échange de données de plus en plus fréquent, cela pose des défis nouveaux aux comités d’éthique de la recherche. Claude Laberge présente le projet CARTaGENE comme exemple de la complexité du processus de décision menant à la réalisation d’un tel projet génétique à l’échelle de la province. Certains textes ne dépassent pas vraiment les banalités en prônant le dialogue ou en appelant simplement les comités d’éthique de la recherche […] à faire preuve de plus de souplesse lors de l’évaluation des projets de recherche (p. 40). Guy Rocher est le seul à faire observer très judicieusement que […] cette bureaucratisation n’est pas le fait de bureaucrates : elle est le fait de collègues scientifiques et chercheurs (p. 110). Bref, ce qui manque dans cet excellent ouvrage est une réflexion sur le type de personnes qui se retrouvent généralement membres de tels comités. Il y a souvent un côté moralisateur, contrôlant et suspicieux chez ceux et celles qui, souvent sans rien y connaître, commentent les protocoles de recherche eux-mêmes, au lieu de s’en tenir strictement à la question des risques. Aussi, il est frappant que certains auteurs, en parlant toujours de risque minimal pour les sujets adoptent sans vraiment y penser le langage imposé par les comités d’éthique de la recherche. Il aurait été plus juste, il me semble, de dire que le risque était nul. Or, utiliser le langage de l’autre, c’est déjà s’y identifier.