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Ce livre est une étude de cas multidisciplinaire qui relate une innovation pédagogique exceptionnelle. Les Centres de ressources en langues, mis en place à l’Université Louis-Pasteur de Strasbourg, ont permis pendant quinze ans à des milliers d’étudiants d’apprendre une dizaine de langues grâce à une démarche individualisée d’autoformation. À travers cette personnalisation des parcours, comme l’écrit la créatrice de ces centres, Nicole Poteaux, « il s’agissait de déplacer le regard de l’objet d’apprentissage (l’anglais), pour le tourner vers les personnes qui apprennent » et leurs conditions d’apprentissage. Huit chercheurs analysent les différentes facettes de cette expérience avec des points de vue souvent novateurs sur les défis organisationnels, les profils d’usage, la dimension socio-affective chez les apprenants ou les difficultés d’une évaluation économique de l’expérience. Les chapitres oscillent entre comptes rendus de recherche, développements théoriques et récits d’expérience avec toujours la volonté d’expliciter ou de comprendre des savoirs d’expérience tacites. Les chercheurs dépassent la simple description pour analyser les enjeux d’une autonomisation face à des acteurs et des institutions parfois rétifs à de telles transformations.
La richesse de ce livre tient dans la présentation d’une étude de cas qui permet de « concilier l’impératif d’exigence scientifique pour les chercheurs avec celui de la communication de leur expérience pour les acteurs éducatifs » (p. 16). Sur ce point, le premier chapitre méthodologique de Brigitte Albero est une référence, d’autant plus qu’elle ne nie pas les obstacles engendrés par le caractère transdisciplinaire de cette approche et par l’écart des positions entre chercheurs et intervenants.
Les études des usages et pratiques constituent un autre point fort de cet ouvrage. Elles montrent clairement l’importance des états affectifs, des intérêts personnels et des besoins immédiats, plutôt que des démarches réfléchies et rigoureuses, comme guide de l’apprentissage. Ces études indiquent également que le dispositif mis en place tend à valoriser les étudiants déjà autonomes, au détriment de ceux qui le sont moins. Cela pose la question, laissée ouverte, d’une formation à l’autonomie.
La réflexion se termine par une critique de l’instrumentalisation de l’autonomie par la société de la performance.
Cet ouvrage riche et novateur a le défaut de sa qualité principale. L’étude de cas foisonnante est un peu disparate dans sa présentation avec des textes très différents dans leur structure et de nombreuses annexes plus ou moins pertinentes. En outre, sans nier l’importance du travail accompli, un réel travail de synthèse, comme il est esquissé dans le dernier chapitre, aurait permis de relier l’ensemble des matériaux fournis et d’écrire une véritable étude de cas. Enfin, si la question de l’autonomie est bien centrale, elle est disséminée à travers l’ouvrage sans faire l’objet d’une explicitation formelle.
La pertinence de la démarche, des analyses et des questions posées font, pourtant, de ce livre un modèle à suivre en éducation, au croisement de la recherche et de la pratique.