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Le titre de ce livre interpelle ! De quoi s’agit-il au juste ? L’auteur préconise-t-il une nouvelle réforme de l’éducation ou suppose-t-il tout simplement que l’on n’éduque plus en tenant compte de l’intériorité, du coeur, comme disaient les Anciens ? Voyons ce qu’il en est. Un tel sujet détonne quelque peu dans le cadre d’une revue scientifique en sciences de l’éducation dans laquelle on se méfie des sentiments, science oblige ! Mais enfin, le jeu en vaut la chandelle. Rappelons d’abord, s’il en est besoin, qu’un retour au sens humain de l’éducation se fait jour depuis bon nombre d’années dans le monde de l’éducation. Même s’il ne se manifeste que rarement à la lumière vive, il est là, tenace, incontournable. L’ouvrage de Pierre Demers se situe manifestement dans cette mouvance. Sa pensée reprend à sa façon l’aphorisme de Pestalozzi, ce prince des pédagogues du XVIIIe siècle, qui soutenait qu’il fallait éduquer le coeur en bandoulière !

Composé de sept chapitres très denses, émaillés de multiples citations, ce livre se déploie autour d’une idée maîtresse que Demers énonce de façon lapidaire : Le défi humain consiste à s’élever au delà de la conscience (p. 20). Il prend le pari audacieux de montrer que le Monde ne se sauvera pas sans une prise en considération étayée de cette posture. Cela dit, l’auteur consacre la première partie de son livre à décrire ce qu’il appelle l’essentiel de la vie. Il nous fait part de sa philosophie que nous pourrions qualifier d’humaniste-existentielle, surtout si l’on tient compte des auteurs qu’il convie pour appuyer son discours. En un mot, l’homme doit tout faire en son pouvoir pour être pleinement. Demers défend l’idée qu’une nouvelle énergie enveloppe la terre, dans la foulée des travaux controversés de Eastcott. Pour lui, l’être humain est partagé entre deux sentiments qui s’affrontent : l’inquiétude et la confiance en la vie. Ce qui n’est pas sans rappeler l’âme inquiète dont parlait saint Augustin dans ses Confessions.

La deuxième partie est consacrée au dilemme : s’adapter ou dominer. L’auteur insiste sur le fait que l’homme doit choisir entre autres de freiner la domination humaine, s’il veut survivre. Après avoir avoué sa honte d’être humain, Demers en arrive à souligner la nécessité de quatre principes salvateurs : justice, paix, liberté et unité.

La troisième partie est tout entière consacrée à l’éducation : voie de sortie par excellence pour contrer le marasme dans lequel nous sommes aujourd’hui empêtrés. Elle comporte un ensemble de prescriptions que l’auteur propose à ses lecteurs. Le tout s’articule autour de six grands principes fondamentaux : la quête infinie, l’apprentissage de et par la vie, le branchement de notre cerveau sur notre coeur, la renaissance spirituelle par l’élévation de la conscience, la réintroduction du sacré dans nos vies et, enfin, le rétablissement du contact avec le divin. En conclusion de cette partie, Demers revient sur son idée centrale : la nécessité de vivre à partir du coeur. Vaste programme qui contraste singulièrement avec l’ère de compétitivité et de déni que nous vivons ! Malgré tout son intérêt, ce livre peut nous laisser un peu sur notre faim : l’auteur a trop tendance à opposer coeur et esprit, notamment quand il écrit : « Nous devons tous apprendre à vivre à partir de notre coeur plutôt qu’à travers la superficialité de notre esprit (p. 263). » Cette opposition nuit malheureusement à l’accréditation de sa thèse qui n’en demeure pas moins une tentative essentielle de relancer le débat sur un sujet malheureusement trop souvent oublié : le lien entre la vie, sous ses aspects philosophiques, et l’éducation.