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1. Introduction et problématique

À Genève, la votation du 26 septembre 2006 quant au retour des notes chiffrées à l’école primaire a entraîné la reprise du débat sur la pertinence du redoublement (Crahay et Marcoux, 2010). Cette pratique donne lieu à de nombreuses controverses, tant parmi les enseignants que parmi les parents d’élèves, puisque lorsqu’un élève n’a pas atteint le niveau attendu en français et mathématiques, la direction décide, après consultation des enseignants et des parents, du passage par dérogation avec mesures d’accompagnement ou du redoublement. Pourtant, la recherche en éducation conclut de façon claire à l’inefficacité du redoublement (Crahay, 2005, 2006) ; malgré cela, la pratique perdure. À côté de certains pays comme le Danemark, la Finlande, la Norvège, qui ne pratiquent pas le redoublement, il subsiste nombre de pays où il persiste. C’est notamment le cas en Belgique, en France et en Suisse, où on observe un hiatus entre ce que disent les chercheurs à propos du redoublement et ce que pensent et pratiquent les enseignants. On peut voir dans ces fluctuations et controverses relatives au redoublement l’effet de certaines politiques éducatives auxquelles se soumettraient bon gré mal gré les enseignants ou l’effet de l’évolution des croyances des enseignants. Cette interprétation repose sur une double hypothèse : celle d’un lien de causalité entre pratiques et croyances et celle d’une possible évolution des croyances. Dans le cas du redoublement, le lien entre pratiques et croyances paraît établi, même s’il n’est pas automatique (Crahay, 2007). En revanche, en ce qui concerne l’évolution des croyances, que ce soit sous l’effet de la formation ou de la connaissance des recherches sur les effets du redoublement, les écrits scientifiques fournissent des résultats disparates (Crahay, Wanlin, Issaieva et Laduron, 2010).

L’étude présentée dans cet article a pour objectif principal d’explorer les croyances d’étudiants en formation d’enseignants à Genève à propos de la pratique du redoublement. À l’Université de Genève, la formation des enseignants au primaire comporte au total quatre années d’études : la première année rassemble tous les étudiants inscrits dans la formation en sciences de l’éducation ; au terme de cette année de cours théoriques portant tant sur des concepts psychologiques et pédagogiques, certains se dirigent alors pour trois autres années dans ce qu’on appelle la formation des enseignants primaires (FEP), qui regroupe uniquement les étudiants qui se destinent au métier d’enseignant primaire. En début de formation des enseignants primaires, les cours théoriques ciblent davantage les différentes facettes du métier d’enseignant, et c’est en milieu de formation des enseignants primaires que la formation pratique démarre vraiment avec la réalisation des stages et la confrontation avec le terrain.

Afin de mieux comprendre comment se construit la croyance relative au redoublement, Smith (1990) ainsi que Marcoux et Crahay (2008) suggèrent de combiner l’investigation de cette croyance avec celles concernant différentes thématiques de l’enseignement telles que l’apprentissage, l’intelligence, l’évaluation et la justice scolaire. Dans la présente étude, nous examinerons dans quelle mesure les conceptions d’étudiants en formation d’enseignant primaire sur ces différentes thématiques se structurent et s’organisent avec leurs croyances à propos du redoublement. Nous explorerons également s’il y a un lien avec leur connaissance des recherches concernant la pratique du redoublement.

Cette étude a donc pour but d’expliquer (au sens statistique du terme) les croyances de futurs enseignants sur le redoublement au regard des connaissances qu’ils ont des recherches menées sur la pratique et de leurs autres conceptions psychopédagogiques. Nous avons analysé nos données de façon transversale, à défaut d’avoir pu réaliser un plan longitudinal. Elles offrent ainsi un portrait ponctuel des croyances et des conceptions des étudiants à différents niveaux de leur formation. De plus, ces analyses éclairent sur les liens entre les croyances et les conceptions investiguées. Nous répondrons aux questions suivantes : 1) Comment s’organisent les croyances des étudiants futurs enseignants sur le redoublement avec les conceptions qu’ils ont de l’apprentissage, l’intelligence, l’évaluation et la justice scolaire ? 2) Ont-ils connaissance des résultats des recherches menées sur les effets négatifs du redoublement, et cette connaissance est-elle liée à leurs croyances relatives à la pratique ?

2. Contexte théorique

Dès 1990, Smith montre un lien entre les croyances sur le redoublement et celles portant sur le développement et l’apprentissage. Selon lui, l’étude des croyances sur le redoublement doit se faire en relation avec d’autres catégories de croyances, car il les conçoit comme un tout faisant système. Les théories d’Abric (1989), Rokeach (1976) et Green (1971) soutiennent également cette idée : les croyances s’organiseraient selon une structure centre-périphérie. Dans le cas du redoublement, la croyance en ses bienfaits constituerait le noyau central autour duquel d’autres conceptions psychopédagogiques graviteraient et l’influenceraient. Byrnes (1990) confirme cet intérêt d’étudier les croyances relatives au redoublement au regard d’autres conceptions psychopédagogiques. Dans son étude menée auprès d’enseignants et de directeurs, il met en évidence que les difficultés d’apprentissage ne sont qu’un élément parmi d’autres dans la décision de redoublement. Les éléments décisionnels les plus importants sont la faible estime de soi, la motivation basse et le manque de maturité ; constat retrouvé par Bonvin (2003) et Marcoux et Crahay (2008). Ces derniers montrent d’ailleurs que la croyance en faveur du redoublement repose sur des conceptions psychopédagogiques de l’apprentissage par répétitions et de l’apprentissage séquentiel ainsi que sur une conception maturationniste du développement. Il ressort des recherches précédentes, principalement basées sur des entretiens, que les croyances sur le redoublement ont des liens, dont la nature reste à clarifier, avec les conceptions de l’apprentissage, de l’intelligence, de l’évaluation et de la gestion de l’hétérogénéité des élèves. Du côté de la connaissance des recherches sur le redoublement, plusieurs chercheurs (Cantillo Estepa, 2009 ; Crahay, Marbaise et Issaieva, 2013 ; Pouliot et Potvin, 2000) ont montré que plus les enseignants ont connaissance des recherches et plus ils ont tendance à être défavorables au redoublement. De ces différentes études, nous avons, d’une part, retenu les conceptions psychopédagogiques les plus pertinentes à explorer au regard des croyances sur le redoublement et d’autre part, dégagé une série d’hypothèses. D’abord, en nous basant sur les recherches de Byrnes (1990), Bonvin (2003), Marcoux et Crahay (2008) et Crahay et al. (2013), les conceptions psychologiques de l’apprentissage et de l’intelligence ainsi que les conceptions pédagogiques de l’évaluation et de la justice scolaire ont été retenues. À côté de ces conceptions, à la suite des études de Pouliot et Potvin (2000), Cantillo Estepa (2009) ainsi que Crahay et al. (2013), la connaissance des recherches a également été explorée. Les hypothèses mises à l’épreuve dans la présente étude ont alors été formulées ainsi : Les étudiants futurs enseignants qui :

  • attestent de connaissances relatives aux recherches menées sur les effets de la pratique du redoublement ont davantage tendance à être contre le redoublement, contrairement à ceux qui n’en ont pas connaissance ;

  • adhèrent à l’évaluation formative ont plutôt des croyances en défaveur du redoublement, alors que ceux adhérant à l’évaluation normative sont plutôt favorables à sa pratique ;

  • soutiennent l’égalité des acquis sous-tendue par un principe de justice corrective ont tendance à avoir des croyances défavorables au redoublement, alors que ceux adhérant à l’égalité des chances ou à l’égalité de traitement ont plutôt des croyances favorables ;

  • conçoivent l’intelligence comme innée sont plutôt pour le redoublement, alors que ceux qui la considèrent comme acquise sont plutôt contre ;

  • considèrent que l’apprentissage se réalise par résolution de problèmes ont tendance à être défavorables au redoublement, alors que ceux qui considèrent que l’apprentissage se réalise à force de répétitions ont plutôt tendance à être en faveur de la pratique.

Notons également que d’après Crahay et al. (2010), il reste un problème terminologique non résolu concernant notre objet d’étude. Pour notre part, nous utilisons le terme croyance lorsqu’il s’agit d’idées adoptées par les étudiants à l’opposé manifeste des connaissances scientifiques, il s’agit des croyances sur le redoublement. Quant au terme conception, nous l’utilisons lorsque le débat scientifique à propos de l’objet concerné n’est pas clos, et qu’il s’agit des conceptions psychopédagogiques de l’intelligence, de l’apprentissage, de la justice et de l’évaluation.

3. Méthodologie

D’abord, nous présentons les participants à la recherche ainsi que les instruments qui ont été utilisés. Ensuite, le déroulement de la recherche et son aspect éthique sont expliqués. Enfin, nous détaillons les analyses effectuées.

3.1 Sujets

Les étudiants inscrits dans les quatre années de la formation enseignante à l’Université de Genève ont été sollicités pour participer à la recherche. Parmi eux, 592 étudiants, dont 501 femmes et 91 hommes dont la moyenne d’âge est de 25,22 ans (σ = 6,13), ont répondu favorablement. Tous ont été interrogés par questionnaire en fin d’année universitaire. Le tableau 1 détaille l’échantillon selon l’année de formation dans laquelle sont inscrits les étudiants.

Tableau 1

Description et répartition des étudiants participants selon l’année universitaire qu’ils sont sur le point de terminer

Description et répartition des étudiants participants selon l’année universitaire qu’ils sont sur le point de terminer

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3.2 Instrumentation

Pour explorer les croyances des étudiants futurs enseignants de façon quantitative, nous avons repris plusieurs outils utilisés ou validés à l’occasion de recherches antérieures (Boraita, 2014 ; Boraita et Issaieva, 2013 ; Boraita et Marcoux, 2013 ; Laduron, 2008 ; Quoilin, 2006). Nous avons soumis à nos participants un questionnaire composé de six échelles permettant de mesurer les croyances et les conceptions sur le redoublement, sur l’évaluation, sur la justice scolaire, sur l’apprentissage, sur l’intelligence et sur leur connaissance des recherches à propos du redoublement. Chaque échelle a, préalablement, été validée sur le plan psychométrique. Les tableaux 2 à 8 présentent les indices statistiques obtenus aux analyses psychométriques.

Nous avons utilisé l’échelle des futurs enseignants sur le redoublement concernant leurs croyances et l’échelle des futurs enseignants sur le redoublement concernant leurs connaissances des recherches de Boraita et Marcoux (2013). Si l’échelle des connaissances est unidimensionnelle et composée de 10 items, celles des croyances à propos du redoublement est multidimensionnelle et comprend 18 items répartis dans cinq facteurs se rapportant à des facettes du redoublement : (1) le redoublement est un moyen de régulation cognitive, (2) il a des effets sur le plan socioaffectif, (3) il est la conséquence des résultats scolaires, (4) il est un moyen de régulation de l’ordre scolaire, c’est-à-dire un moyen de pression qui motive les élèves et (5) il se justifie par des causes maturationnistes à savoir le manque de maturité de l’élève.

Pour cerner les conceptions sur l’évaluation, nous avons utilisé l’échelle de Boraita et Issaieva (2013). Elle se compose de 10 items organisés sur trois facteurs correspondant à différentes fonctions de l’évaluation : (1) l’évaluation formative, qui permet de repérer les élèves qui ont besoin d’une explication supplémentaire et d’ajuster l’enseignement en fonction de leurs faiblesses, (2) l’évaluation normative, qui permet de repérer les bons et les mauvais élèves et (3) l’évaluation sommative de type critérié, qui permet de voir si les objectifs du programme sont atteints et si les élèves maîtrisent le contenu de l’enseignement.

Pour mesurer les conceptions portant sur la justice scolaire, nous avons repris l’échelle mise au point par Quoilin (2006). Elle est composée de 13 items répartis sur trois facteurs qui appréhendent les différents types de justice comme les a conceptualisés Crahay (2012) : (1) la justice méritocratique, qui passe par l’égalité des chances, selon laquelle il est juste que chacun reçoive un enseignement à sa mesure, c’est-à-dire proportionnel à ses capacités ; (2) la justice corrective, qui passe par l’égalité des acquis, d’après laquelle l’école doit être compensatoire, c’est-à-dire donner plus à ceux qui en ont moins et (3) la justice égalitaire, c’est-à-dire l’égalité de traitement qui envisage le fait que c’est en donnant à tous les mêmes opportunités d’apprentissage que l’on réalise une école juste.

Enfin, pour explorer les conceptions de l’apprentissage et de l’intelligence, les échelles de Laduron (2008) récemment mises à jour par Boraita (2014) ont été utilisées. L’échelle des conceptions sur l’apprentissage comprend 21 items répartis en cinq facteurs envisageant différents processus d’apprentissage : (1) l’apprentissage implicite, (2) la répétition, (3) la résolution de problèmes, (4) la substitution de connaissances antérieures par des nouvelles et (5) l’apprentissage à la suite d’un déclic ou d’une sorte d’insight. Quant à l’échelle des conceptions sur l’intelligence, elle est composée de 17 items répartis sur quatre facteurs : (1) interactions sociales, selon lequel l’intelligence se développe en interagissant avec autrui ; (2) hérédité-milieu, qui envisage qu’à la naissance, tout le monde a les mêmes capacités intellectuelles, mais que le milieu fait la différence par la suite ; (3) temps-efforts, d’après lequel la quantité d’efforts à fournir et le temps à consacrer ne sont pas liés au fait d’être intelligent et (4) climat-confiance, qui envisage le développement de l’intelligence de l’enfant dans un climat de confiance auprès d’adultes qui croient en lui.

Ces questionnaires ont été regroupés en un seul. Pour chaque item proposé, les étudiants ont jugé leur degré d’adhésion sur une échelle de Likert en six points, allant de tout à fait d’accord à pas du tout d’accord.

3.3 Déroulement

Le questionnaire a été soumis en version papier-crayon aux participants lors d’une de leurs premières séances de cours. Ils ont été informés de l’objet de la recherche de façon générale – connaître les représentations des étudiants à différents niveaux de la formation – et disposaient d’une quarantaine de minutes pour y répondre.

3.4 Considérations éthiques

Les étudiants étaient libres de remplir ou non le questionnaire. L’anonymat de leurs réponses, tant dans le rendu que dans le traitement des données, était garanti et ils en ont été informés. Les résultats ont été communiqués aux formateurs afin qu’ils les relayent à ceux de leurs étudiants qui avaient participé à la recherche. De plus, la présente étude a été approuvée tant par le comité d’éthique du Fonds national suisse de la recherche scientifique-FNS que par celui de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève.

3.5 Méthode d’analyse des données

Afin de mettre en évidence la structuration des croyances, nous avons réalisé des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires. Pour mener les analyses factorielles exploratoires, la méthode d’extraction en facteurs communs a été retenue. Préconisée par Conway et Huffcutt (2003), cette méthode est préférable à la méthode en composantes principales lorsque l’objectif est d’identifier des facteurs latents ou de leur attribuer des items. Après avoir vérifié la normalité de la distribution des items (les valeurs d’asymétrie sont inférieures à 1 en valeur absolue et celles d’aplatissement sont inférieures à 1,5), nous avons opté pour la méthode du maximum de vraisemblance avec rotation oblique de type promax, cette rotation étant la plus adaptée aux données multidimensionnelles (Bourque, Poulin et Cleaver, 2006). C’est cette même méthode d’estimation par maximum de vraisemblance avec des coefficients standardisés qui a été choisie pour les analyses confirmatoires. Les indices d’ajustement χ², χ² /dl, RMSEA (root mean square error of approximation), IFI et CFI ont été retenus et nous nous sommes basée sur les interprétations suivantes : une valeur χ² /dl inférieure à 5 reflète un bon ajustement des données au modèle (Jöreskog et Sörbom, 1993), les modèles obtenant des indices IFI et CFI supérieurs à 0,90 (Bentler et Bonett, 1980, cités dans Marcoulides et Schumacker, 1996) et un indice RMSEA qui se situe entre 0,05 et 0,08 (Parry, 2002) sont jugés comme des modèles adéquats. Une analyse factorielle globale a ensuite été réalisée sur l’ensemble des items du questionnaire pour confirmer l’existence de six dimensions majeures (échelles) et de 20 sous-dimensions (facteurs). La suite des analyses a été entreprise tant sur les scores factoriels issus de ces analyses que sur les données brutes à l’échelle de Likert pour affiner l’interprétation du positionnement des étudiants. Les scores de 1 à 3,5 traduisent un rejet plus ou moins fort, tandis que les scores de 3,5 à 6 traduisent une adhésion plus ou moins forte à l’item. Des corrélations de Pearson ont été réalisées pour mettre en évidence les liens entre les croyances sur le redoublement, la connaissance des recherches et les conceptions psychopédagogiques. Une analyse typologique (agrégation numérique) nous a ensuite permis de dégager différents profils de croyances parmi les participants en recourant à l’analyse discriminante et à la classification en nuée dynamique. Enfin, des analyses de régressions ont été effectuées pour rendre compte des conceptions psychopédagogiques qui expliquent le plus la croyance sur le redoublement ainsi que le rôle de la connaissance des recherches. Les analyses statistiques ont été réalisées sur le logiciel SPSS, hormis les analyses factorielles confirmatoires, qui ont été soumises au logiciel AMOS ainsi que l’analyse factorielle globale et les analyses corrélationnelles, effectuées avec le logiciel Mplus.

4. Résultats

Les résultats obtenus ont permis d’apporter différents éléments de réponses à nos interrogations. D’abord, la structuration des conceptions psychopédagogiques autour de croyances sur le redoublement a été examinée. Ensuite, les croyances relatives au redoublement et les connaissances des recherches détenues par les étudiants interrogés ainsi que leurs conceptions psychopédagogiques ont été pointées. Parmi ces étudiants, différents profils de croyances et de conceptions ont alors été mis en évidence. Enfin, nous avons exploré le poids de la connaissance des recherches au regard des croyances sur le redoublement.

4.1 La structuration et l’organisation des conceptions psychopédagogiques autour des croyances sur le redoublement

L’analyse factorielle réalisée sur les cinq échelles de croyances et conceptions confirme les structurations a priori issues des recherches citées ci-dessus. Le tableau 2 présente les différentes échelles de croyances avec les indices statistiques obtenus. Quant aux tableaux 3 à 7, ils détaillent les différents facteurs obtenus pour chacune des échelles, leurs items respectifs, les moyennes des scores factoriels et les écart-types. Les 10 items de l’échelle unidimensionnelle portant sur les connaissances sont présentés dans le tableau 8. Au total, 89 items sont répartis sur 20 facteurs de croyances et conceptions et un facteur de connaissance.

Tableau 2

Indices statistiques du modèle de structuration des croyances et conceptions psychopédagogiques (modèle de structuration des croyances des étudiants futurs enseignants : RMSEA 0,067 - CFI 0,912 – TLI 0,965)

Indices statistiques du modèle de structuration des croyances et conceptions psychopédagogiques (modèle de structuration des croyances des étudiants futurs enseignants : RMSEA 0,067 - CFI 0,912 – TLI 0,965)

Légende : α alpha de Cronbach / RMSEA : indice absolu (qui évalue dans quelle mesure le modèle théorique reproduit les données observées) dit de non-centralité, qui teste le mauvais ajustement, il doit donc être le plus petit possible / TLI et CFI : indices incrémentaux (qui évaluent ce qu’apporte le modèle), ils doivent être plus grands que 0,90.

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Tableau 3

Structuration des items de l’échelle des croyances sur le redoublement et indices statistiques

Structuration des items de l’échelle des croyances sur le redoublement et indices statistiques

Légende : (I) item inversé. Lire ainsi : Les 18 items de l’échelle de croyances sur le redoublement se structurent en cinq facteurs. Le premier est le facteur de régulation cognitive qui a un alpha de Cronbach de 0,8 et se compose de 7 items. La moyenne des scores factoriels des FE sur ce facteur est de -0,01 et l’écart-type de 0,96.

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Tableau 4

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur l’évaluation et indices statistiques

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur l’évaluation et indices statistiques

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Tableau 5

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur la justice scolaire et indices statistiques

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur la justice scolaire et indices statistiques

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Tableau 6

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur l’apprentissage et indices statistiques

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur l’apprentissage et indices statistiques

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Tableau 7

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur l’intelligence et indices statistiques

Structuration des items de l’échelle des conceptions sur l’intelligence et indices statistiques

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Tableau 8

Structuration des items sur les connaissances des recherches et indices statistiques

Structuration des items sur les connaissances des recherches et indices statistiques

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4.2 Les croyances sur le redoublement et les connaissances des recherches

Les croyances des étudiants sur le redoublement se structurent donc autour de cinq facteurs – régulation cognitive, socioaffectif, résultats scolaires, régulation de l’ordre scolaire et maturation – permettant d’appréhender plus finement la croyance envers le redoublement. L’exploration des données brutes aux échelles de Likert permet de constater que les étudiants sont plutôt défavorables au redoublement. Ils ne croient pas vraiment dans les fonctions de régulation cognitive (score brut à l’échelle de Likert : 2,93) et de l’ordre scolaire du redoublement (2,63). D’abord, selon eux, le redoublement ne permet pas vraiment de replacer les élèves en difficulté dans un groupe adapté à leur niveau, ni de prévenir les échecs à un niveau plus élevé. Ensuite, ils croient que le fait de savoir qu’il peut redoubler ne motive pas l’élève à travailler plus fort, et que la menace du redoublement ne l’incite pas vraiment à bien se comporter. Quant à la décision de redoublement, ils ne sont pas d’accord avec le fait que l’enseignant se doit de faire redoubler un élève lorsque ses résultats l’exigent en faisant abstraction de toute autre considération (1,84). Pour eux, la prise de décision de redoublement ou de promotion d’un élève en difficulté nécessite d’établir un profil global où les notes scolaires ne sont qu’un élément parmi d’autres. Par ailleurs, ils considèrent que le redoublement n’est pas vraiment un moyen efficace d’aider l’élève immature à rattraper les autres en lui accordant un supplément de temps (2,74). Enfin, ils ne sont pas d’accord avec le fait que le redoublement n’engendre pas de conséquences socioaffectives négatives (2,50). Selon eux, faire redoubler influe négativement sur la confiance que l’élève devrait avoir dans ses capacités et nuit à son estime de soi.

En ce qui concerne la connaissance des recherches sur les effets du redoublement, il ressort que les étudiants en ont quelques connaissances (4,15). Ils savent que les redoublants ne gagnent pas plus sur le plan de leurs résultats scolaires que ceux qui sont promus, que le redoublement n’augmente pas significativement les résultats scolaires des élèves en difficulté sur le long terme et qu’il produit plus d’effets négatifs que positifs sur l’estime de soi de l’élève redoublant.

En considérant chacune des facettes des croyances relatives au redoublement, on observe des corrélations significatives négatives (< 0,01) avec la connaissance des recherches. Plus les étudiants ont connaissance des recherches, moins ils ont tendance à croire que le redoublement est un moyen de régulation cognitive (= -0,73) et d’ordre scolaire efficace (= -0,37), que sa décision doit être basée uniquement sur les résultats scolaires (= -0,33) et qu’il est un bon moyen d’aider les élèves immatures en leur accordant plus de temps (= -0,51). En sus, plus ils ont connaissance des recherches menées sur le redoublement et moins ils ont tendance à croire que celui-ci n’engendre pas d’effets néfastes sur le plan socioaffectif (= -0,72).

4.3 Les conceptions psychopédagogiques

Différentes conceptions psychopédagogiques ont été explorées : celles concernant l’évaluation, celles relatives à la justice scolaire, celles à propos du processus d’apprentissage et celles se rapportant à l’intelligence.

4.3.1 Les conceptions de l’évaluation

Les conceptions des étudiants sur l’évaluation se structurent autour des fonctions formative, normative et sommative-critériée. Les résultats montrent qu’ils sont favorables à l’évaluation formative (5,00) et sommative-critériée (5,00) et plutôt défavorables à l’évaluation normative (2,62). Ils considèrent que l’évaluation permet d’une part, de repérer ce qu’il faut retravailler avec les élèves et de savoir si l’enseignant peut avancer dans la matière et d’autre part, de voir si les objectifs du programme sont atteints et si les élèves maîtrisent le contenu de l’enseignement. À l’opposé, selon eux, l’évaluation ne doit pas permettre de repérer les bons ou les mauvais élèves, ni leur donner l’occasion de montrer ce qu’ils valent.

Les corrélations significatives (tous les < 0,01) obtenues entre les conceptions à propos de l’évaluation et celles qui portent sur le redoublement indiquent que plus les étudiants croient en l’évaluation formative, moins ils croient dans les bienfaits du redoublement (r = -0,10). Au contraire, plus ils croient dans l’évaluation normative, plus ils croient dans les effets positifs et la légitimité du redoublement (= 0,28).

4.3.2 Les conceptions de la justice scolaire

Les conceptions des étudiants quant à la justice scolaire s’organisent autour de l’égalité de traitement, des acquis et des chances. Les résultats montrent qu’ils sont légèrement défavorables à l’égalité des chances (3,29) et plutôt favorables à l’égalité de traitement (4,26) et à l’égalité des acquis (4,14). Ils ne trouvent pas vraiment normal que l’école pousse au maximum les élèves qui ont le potentiel d’apprentissage le plus élevé, et pensent qu’il est plus légitime que les enseignants accordent davantage d’attention aux élèves en difficulté. Il semble que, selon eux, l’enseignement doit compenser les inégalités de départ et faire en sorte que les élèves terminent l’école avec des acquis égaux, mais il s’agit aussi d’éviter ce que certains appellent un effet Robin-des-Bois qui consisterait à pénaliser les meilleurs pour donner davantage aux plus faibles (Crahay, 2012). Parallèlement, ils pensent que l’école doit offrir les mêmes opportunités d’apprentissage à tous les élèves et que l’enseignant doit accorder à chacun la même attention.

Les corrélations significatives obtenues montrent que les croyances sur le redoublement sont reliées aux conceptions de la justice scolaire. Plus les étudiants croient en l’égalité des acquis, moins ils croient que le redoublement est un moyen de régulation cognitive efficace (= -0,11 ; p < 0,05), que sa décision doit être exclusivement basée sur les notes scolaires (= -0,12 ; < 0,05) et qu’il n’a pas d’effet néfaste sur le plan socioaffectif (= -0,18 ; p < 0,01). À l’inverse, plus ils croient en l’égalité des chances, plus ils sont convaincus de l’efficacité du redoublement sur le plan scolaire (= 0,21 ; p < 0,01), motivationnel (= 0,17 ; p < 0,01) et maturationniste (= 0,18 ; p < 0,01), ainsi que de sa décision uniquement établie à partir des résultats scolaires (= 0,33 ; p < 0,01). Quant à l’égalité de traitement, elle est corrélée positivement avec les conceptions des fonctions de régulation du redoublement.

4.3.3 Les conceptions de l’apprentissage

Les conceptions des étudiants sur l’apprentissage se structurent en cinq facteurs renvoyant à différents processus d’apprentissage. Ils n’adhèrent pas à l’apprentissage par la substitution de nouvelles connaissances aux connaissances antérieures (2,50) ni à l’apprentissage implicite (2,63). Ils ont plutôt la conception que l’on apprend en mettant en pratique de façon répétitive et en réalisant un certain nombre de fois le même type d’exercices (4,03). Ils pensent également que les apprentissages passent par une phase de perturbation où l’élève, face à une situation problème, ne sait pas d’emblée comment il va s’y prendre pour la résoudre (4,34) et que lorsque les élèves ne comprennent pas une notion au moment voulu, il faut parfois attendre que le déclic se fasse par la suite (4,12).

Si les conceptions de l’apprentissage par la résolution de problèmes sont corrélées négativement aux croyances relatives au redoublement (= -0,06 ; < 0,05), celles misant sur la répétition (= 0,25 ; < 0,05), le déclic (= 0,10 ; < 0,05) et l’apprentissage implicite (= 0,10 ; < 0,05) sont corrélées positivement avec celles-ci. Ainsi, plus les étudiants croient dans les bienfaits du redoublement, plus ils adhèrent à la répétition, au déclic et à l’apprentissage implicite et moins ils croient que l’apprentissage se réalise par des résolutions de problèmes et vice-versa.

4.3.4 Les conceptions de l’intelligence

Les conceptions des participants sur l’intelligence s’organisent autour de quatre facteurs selon lesquels l’intelligence est acquise et se développe de diverses façons : les interactions sociales, l’hérédité et le milieu, le temps et les efforts fournis, le climat et la confiance. Les étudiants pensent que nous naissons tous approximativement avec les mêmes capacités intellectuelles et que l’intelligence se développe principalement grâce aux stimulations du milieu (4,68) et aux interactions sociales (4,72). Selon eux, l’intelligence nécessite un climat affectif favorable pour se développer et l’enseignant doit montrer à l’élève qu’il a confiance en ses capacités (4,49). Enfin, ils pensent que la quantité d’efforts à fournir et le temps pour comprendre ne sont pas vraiment liés à l’intelligence (3,94).

Les corrélations significatives entre les croyances sur l’intelligence et le redoublement montrent, de manière générale, que plus les étudiants conçoivent l’intelligence comme acquise, moins ils croient en l’efficacité du redoublement et inversement (r entre -0,01 et -0,26 ; tous les p < 0,01).

De ces premiers résultats, on constate que les corrélations vont dans le sens des cinq hypothèses de départ. Elles montrent que la croyance dans les bienfaits du redoublement est reliée d’une part, aux conceptions de l’évaluation normative, d’une justice scolaire basée sur l’égalité des chances, de l’apprentissage soulignant l’importance de la répétition et du déclic, de l’intelligence innée et d’autre part, à la non-connaissance des recherches sur le redoublement. À l’inverse, dès lors qu’ils ont quelques connaissances des recherches sur le redoublement, les étudiants ont tendance à être défavorables à sa pratique. On constate, dans la foulée, des corrélations négatives entre la croyance dans les bienfaits du redoublement et le fait de se prononcer en faveur des fonctions formative et sommative-critériée de l’évaluation ainsi que de l’égalité des acquis. Apparemment, les étudiants défavorables au redoublement conçoivent plutôt l’apprentissage comme résultant des processus de compréhension et de résolution de problèmes. Ils conçoivent le développement de l’intelligence en interaction avec autrui et grâce aux stimulations du milieu. Ce qui suggère, au moins, deux profils de croyances opposés.

4.4 Différents profils de croyances psychopédagogiques

L’agrégation numérique fait apparaître cinq profils de croyances parmi les participants. Un profil s’articule autour d’une croyance défavorable au redoublement (groupement 1), alors que deux autres s’articulent autour d’une croyance favorable à sa pratique (groupements 2 et 5).Quant aux groupements 3 et 4, ils rassemblent des étudiants aux avis plus mitigés : plutôt défavorables pour le 4, et plutôt favorables pour le 3. Le tableau 9 synthétise les différents profils de croyances esquissés.

Tableau 9

Synthèse des différents profils de croyances de l’agrégation numérique

Synthèse des différents profils de croyances de l’agrégation numérique

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Parmi les cinq groupements, hormis les étudiants composant le groupement 4, qui se disent en désaccord avec toutes les facettes explorées, les autres groupements manifestent des profils de croyances cohérents mais contrastés. Aux extrêmes, on trouve le groupement 1, d’un côté, et les groupements 2 et 5, de l’autre.

Le groupement 1 fait apparaître un profil de croyances en défaveur du redoublement avec des étudiants qui ont connaissance des recherches, reconnaissent ses effets préjudiciables sur le plan socioaffectif et détiennent des conceptions sur l’apprentissage, l’intelligence, l’évaluation et la justice opposées à celles des étudiants favorables au redoublement qui composent les groupements 2 et 5. Ces derniers sont en faveur du redoublement, mais n’ont pas connaissance des recherches menées sur ses effets, ne reconnaissent pas ses effets néfastes sur le plan socioaffectif, adhèrent à l’évaluation normative et à l’égalité des chances et croient en une intelligence innée et en un apprentissage implicite, qui se réalisent par répétitions ou par déclic. De façon générale, les étudiants du groupement 5 expriment des conceptions plus affirmées que celles des étudiants du groupement 2, et leur profil parait plus cohérent. Par exemple, ils ne croient qu’en l’égalité des chances, alors que ceux du groupement 2 adhèrent également à l’égalité de traitement. Cela vaut aussi pour leurs conceptions sur l’évaluation, l’intelligence et l’apprentissage.

Si on analyse la composition de chaque groupement selon l’année de formation dans laquelle sont inscrits les étudiants, on remarque que c’est en fin de 2e et de 4e année qu’on trouve le plus d’étudiants qui font état d’une bonne connaissance des recherches sur les effets du redoublement et qui, dans la foulée, doutent de ses bienfaits, redoutent ses préjudices socioaffectifs et font état de conceptions psychopédagogiques clairement orientées vers le pari d’éducabilité pour tous (groupement 1). La plus grande proportion de participants terminant leur 1re année de formation (30 %) se trouve dans le groupement 3, avec un profil plutôt favorable au redoublement. Par ailleurs, en cumulant les pourcentages des groupements 2 et 5, la proportion d’étudiants favorables au redoublement reste assez constante au fil de la formation (entre 24,5 % en 3e et 37,8 % en 1re). De plus, si ceux du groupement 1 ont connaissance des recherches, ceux des quatre autres groupements, beaucoup plus nombreux quelle que soit l’année de formation, n’attestent pas de ces connaissances.

Ces résultats montrent, par ailleurs, des profils de croyances psychopédagogiques relativement cohérents. Les hypothèses sur l’existence de liens entre les croyances sur le redoublement et les connaissances des recherches, les conceptions sur l’évaluation, la justice scolaire, l’intelligence et l’apprentissage se confirment : les étudiants défavorables à la pratique du redoublement ont connaissance des recherches sur ses effets, rejettent l’évaluation normative et l’égalité des chances, conçoivent l’intelligence comme acquise et l’apprentissage comme résultant du processus de résolution de problèmes. C’est un profil de croyances psychopédagogiques opposé qui s’esquisse chez les étudiants ayant une croyance favorable au redoublement, en particulier chez ceux des groupements 2 et 5.

4.5 Le poids des connaissances des recherches

La croyance relative au redoublement étant considérée comme la variable à expliquer, les analyses ont porté sur les scores factoriels du facteur redoublement (c’est-à-dire l’échelle Redoublement qui regroupe les cinq facteurs de l’échelle).

Le premier modèle de régression linéaire, qui a été calculé sur l’ensemble des variables de conceptions, explique 25,8 % de la variance de la croyance relative au redoublement. Seulement cinq variables sont significatives : les fonctions normatives et formatives de l’évaluation, l’égalité des acquis, l’apprentissage par répétition et le développement de l’intelligence dans un climat affectif favorable. Une régression linéaire a ensuite été réalisée uniquement entre la variable de la connaissance des recherches et la variable de la croyance sur le redoublement. Les résultats montrent que les connaissances expliquent 55,9 % de la variance. Un troisième modèle de régression linéaire a alors été calculé en combinant les cinq variables de conceptions significatives dans le premier modèle avec la variable de la connaissance des recherches. Il ressort un modèle qui explique 60,4 % de variance, mais dont seules deux variables de conceptions sont significatives : l’évaluation normative et l’apprentissage par répétition. Afin de confirmer ce troisième modèle, nous en avons calculé un quatrième combinant ces deux conceptions à la variable de la connaissance des recherches. Il ressort alors un modèle expliquant 59,8 % de la variance de la croyance eu égard au redoublement dont les trois variables introduites sont significatives. Enfin, afin de mettre en évidence le poids explicatif respectif de chacune d’elles, une analyse de régression linéaire pas à pas a été entreprise. Le modèle final présenté dans le tableau 10 confirme que la connaissance de recherches et les conceptions relatives à la fonction normative de l’évaluation ainsi que le processus d’apprentissage par répétition expliquent au total 59,8 % de la variance de la croyance sur le redoublement.

Plus précisément, ne pas avoir connaissance des recherches explique 55,9 % de la croyance en faveur du redoublement, alors que concevoir l’évaluation comme normative et l’apprentissage comme se réalisant à force de répétitions n’expliquent que moins de 3 % de cette croyance favorable à la pratique.

Tableau 10

Modèle de régression pas à pas entre la croyance sur le redoublement et la connaissance des recherches combinées aux conceptions de l’évaluation normative et l’apprentissage par répétition

Modèle de régression pas à pas entre la croyance sur le redoublement et la connaissance des recherches combinées aux conceptions de l’évaluation normative et l’apprentissage par répétition

Lire ainsi : La connaissance des recherches explique 55,9 % (R-deux) de la variance de la croyance sur le redoublement. La connaissance des recherches combinée à la conception sur l’évaluation normative expliquent 58,8 % (R-deux), la conception sur l’évaluation normative expliquant à elle seule 2,9 % (variation de R-deux) de cette variance.

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5. Discussion

La présente étude a permis d’explorer les liens entre la croyance sur le redoublement et d’autres conceptions psychopédagogiques. Il ressort que la croyance dans les bienfaits du redoublement est liée aux conceptions de l’évaluation normative, de la justice méritocratique, de l’intelligence innée et de l’apprentissage par répétition et par déclic. À l’inverse, la croyance dans les méfaits du redoublement est liée aux conceptions de l’évaluation formative, à la justice corrective, à l’intelligence évolutive et à l’apprentissage par résolution de problèmes. Par ailleurs, malgré l’apparition de ces liens entre la croyance sur le redoublement et les autres conceptions psychopédagogiques, certains des résultats ne nous permettent pas de conclure à une réelle dépendance entre elles. Premièrement, il existe une certaine indépendance entre les croyances concernant l’efficacité du redoublement sur le plan scolaire et celles qui reconnaissent ses effets socioaffectifs négatifs. Il semble donc que la croyance dans les méfaits socioaffectifs du redoublement peut évoluer indépendamment des autres croyances concernant le redoublement. Ensuite, les étudiants du groupement 4 laissent penser qu’il est possible de rejeter le redoublement sans développer un ensemble de conceptions sur l’évaluation, sur la justice, sur l’apprentissage et sur l’intelligence analogues à celles exprimées par ceux du groupement 1. Enfin, et c’est l’élément le plus puissant de réfutation, dès lors que l’on introduit le poids de la connaissance des recherches dans les analyses de régression, l’effet des conceptions psychopédagogiques se diluent de façon radicale. Seules les conceptions en faveur de l’évaluation normative et de l’apprentissage par répétition continuent à peser, et ce, très minimalement (moins de 3 %), alors que la variable de connaissance intervient pour 55 %. Or, la connaissance des recherches ne peut pas être considérée comme un élément du système centre-périphérie de la croyance relative au redoublement. D’une part, la connaissance est un élément d’une autre nature que les croyances. D’autre part, cet élément est exogène au système de croyances des étudiants puisque, s’il prend place dans leurs pensées, c’est par un effet de formation. Les connaissances des recherches jouent donc un rôle déterminant sur les croyances relatives au redoublement et c’est une donnée essentielle pour la formation initiale ou continue, étant donné qu’elle témoigne de la nécessité et de l’importance des savoirs théoriques. Que ce soit chez les enseignants en formation ou chez ceux qui sont en fonction (Crahay, Marbaise et Issaieva, 2013 ; Pouliot et Potvin, 2000), les résultats des recherches investiguant ce lien entre connaissances et croyances relatives au redoublement concluent tous à une influence positive. Ce constat s’inscrit dans la foulée de celui de Goffin, Monseur et Fagnant (2013) qui montrent que les étudiants pointent clairement les apports théoriques de leur cours sur les effets du redoublement et son caractère inéquitable pour justifier leur évolution et leurs changements de croyances. On retrouve le même résultat dans l’étude qualitative de Boraita (2013) auprès d’enseignants en formation qui justifient leur position défavorable à la pratique avec les apports de cours théoriques portant sur le redoublement. À la suite de Gitlin, Barlow, Burbank, Kauchak et Stevens (1999), qui montrent que les étudiants s’intéressent peu aux recherches, il semble nécessaire que ces savoirs soient transmis pendant des cours obligatoires de la formation initiale. Par ailleurs, vu la présence d’étudiants issus des quatre niveaux du cursus dans le groupement 1, on peut déduire qu’à l’Université de Genève, il est possible d’acquérir la connaissance de ces recherches à n’importe quelle étape de la formation. Cela résulte de la liberté de choix laissée aux étudiants pour composer leur curriculum de formation ; cette liberté ayant pour conséquence que certains peuvent sortir de ce cursus sans avoir été mis au courant de l’existence de ces recherches. En effet, on en retrouve entre 24,5 % (en 3e) et 37,8 % (en 1re) qui continuent de croire dans les bienfaits du redoublement. Bien plus, si on comptabilise le pourcentage d’étudiants qui, en fin de formation, ne connaissent pas les recherches sur le redoublement, on obtient un total de 76 % (tous sauf ceux du groupement 1). Ce dernier constat paraît regrettable, vu l’effet puissant de la prise de connaissance de ces recherches sur les croyances des étudiants futurs enseignants qui, de ce fait, apparaissent comme changeables (Crahay, 2007).

À la suite des résultats obtenus lors de cette étude, nous concevons davantage la croyance à propos du redoublement comme reliée à la connaissance des recherches et à d’autres catégories de conceptions psychopédagogiques dessinant ainsi un profil de croyances relativement cohérent. Ce qui rejoint les travaux sur l’épistémologie personnelle de Crahay et Fagnant (2007), selon lesquels les modèles développementaux sans aucun lien sont rares et difficilement argumentés ; la plupart sont, au contraire, organisés de façon cohérente. Néanmoins, nous n’excluons pas que certaines conceptions puissent être disparates. Les analyses typologiques font d’ailleurs apparaître différents profils de croyances parmi les participants, certains plus cohérents que d’autres. Cela rejoint d’ailleurs le point de vue de Hofer (2004) selon lequel les étudiants peuvent détenir un ensemble de croyances à travers lesquelles se créent des ponts, sans pour autant posséder une théorie globale totalement intégrée et cohérente. L’idée de Hofer (2004) est qu’à travers la réflexion et la connaissance, ils ne peuvent que coordonner davantage leurs croyances et les faire interagir entre elles.

6. Conclusion

Le but de cette étude était d’explorer les croyances d’étudiants futurs enseignants au sujet du redoublement au regard de leurs autres conceptions psychopédagogiques et des connaissances qu’ils ont des recherches menées sur la pratique du redoublement. Pour ce faire, un questionnaire composé de plusieurs échelles – dont les qualités psychométriques ont été confirmées par des analyses factorielles et des analyses de consistance interne au moyen du calcul de l’alpha de Cronbach – portant sur le redoublement, la connaissance des recherches sur ses effets, l’évaluation, la justice scolaire, l’apprentissage et l’intelligence, a été soumis à 592 étudiants des quatre années de la formation d’enseignant primaire à l’Université de Genève.

Dans un premier temps, cette étude a permis d’affiner l’exploration de la structuration des croyances sur le redoublement en les mettant en relation avec les conceptions psychopédagogiques et les connaissances des recherches. Les résultats font apparaître une structure globale de croyances, de connaissance des recherches et de conceptions psychopédagogiques, qui présente des indices satisfaisants. Des corrélations significatives apparaissent entre la croyance sur le redoublement et la connaissance des recherches sur le redoublement d’une part, et les conceptions sur l’évaluation, la justice, l’apprentissage et l’intelligence, d’autre part. Cela confirme les cinq hypothèses de départ : la croyance dans les bienfaits du redoublement est reliée à la non-connaissance des recherches sur le redoublement et aux conceptions de l’évaluation normative, de la justice scolaire basée sur l’égalité des chances, de l’intelligence innée et des processus d’apprentissage par répétition et par déclic. À l’inverse, la croyance en défaveur du redoublement est reliée à la connaissance des recherches sur ses effets et aux conceptions de l’évaluation formative et sommative-critériée, de la justice scolaire basée sur l’égalité des acquis, de l’intelligence évoluant sous l’effet du milieu et de l’apprentissage par résolution de problèmes.

Ensuite, cette étude a fourni des éléments de réponse à l’identification des croyances des étudiants futurs enseignants. S’il n’y a pas de tendance nette en faveur ou défaveur du redoublement, on constate que le plus grand nombre de participants n’a pas vraiment connaissance des recherches sur le redoublement et est plutôt favorable à sa pratique, tout en reconnaissant néanmoins ses effets néfastes sur le plan socioaffectif. Ils sont également favorables à l’évaluation formative et sommative-critériée et à la justice égalitaire. Ils ont des conceptions de l’intelligence évolutive et de l’apprentissage par résolution de problèmes.

Un autre résultat important de cette recherche est la mise en évidence du rôle joué par la connaissance des recherches sur les croyances relatives au redoublement. C’est à partir du moment où les étudiants ont connaissance de ces recherches que leurs croyances se modifient ou, du moins, sont remises en question. Cela montre l’importance des savoirs théoriques, en cours de formation, mais aussi en formation continue et dans l’exercice du métier. Si la connaissance semble être le facteur de changement, il nous paraît important de l’étudier également auprès d’enseignants en fonction, et de voir si leurs croyances relatives au redoublement mais aussi leur décision de recourir à la pratique auprès de leurs élèves en difficulté varient selon leur degré de connaissance. Cette importance de la connaissance sur les croyances envers le redoublement ne nous permet pas de conclure à leur organisation selon la structure centre-périphérie. De plus, même si des liens apparaissent de façon cohérente entre les croyances sur le redoublement et les conceptions psychopédagogiques explorées, certaines indépendances et incohérences sont présentes dans certains profils de croyances mis en évidence. Selon nous, il s’avère essentiel d’explorer à nouveau ces liens dans d’autres recherches afin d’avoir davantage d’éléments de réponse. On retiendra, malgré tout, que dans la majorité des profils de croyances qui apparaissent parmi les enseignants en formation de cette étude, les croyances en défaveur du redoublement sont liées à des conceptions de l’apprentissage, de l’intelligence, de la justice scolaire et de l’évaluation qui vont dans le sens du pari d’éducabilité. Il paraît donc utile de poursuivre les investigations sur l’évolution des croyances relatives au redoublement en cours de formation et sur les liens qu’elles entretiennent avec leurs autres thématiques de l’enseignement. Il nous semble aussi important d’explorer cette problématique avec un plan de recherche longitudinale afin de mieux comprendre l’évolution des croyances au fil de la formation enseignante. Il s’agirait alors de mettre en évidence d’éventuels moments clés de la formation – nous pensons plus particulièrement à l’entrée en formation et aux moments de confrontation avec le terrain – afin d’identifier ceux qui ont le plus d’effets sur les croyances, les conceptions et les connaissances.