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L’originalité de cet essai réside dans sa notion centrale qui est le courage en contexte scolaire. L’introduction permet de comprendre la préoccupation de l’auteur, qui est l’éthique professionnelle, et son enracinement dans la pratique. En effet, Lorius évoque d’emblée le découragement qu’il a ressenti à certains moments de sa carrière face à l’imprévisibilité de la tâche d’éducateur. Il affirme que ce sentiment découlait de la conception qu’il avait de l’éthique professionnelle comme une mise en oeuvre d’obligations contradictoires. L’auteur affirme que les préceptes et valeurs scolaires, pris comme des obligations, peuvent devenir des obstacles plutôt que des moyens.
Dans le premier chapitre, il aborde le courage des renoncements, soit 1) renoncer à un système fixe de valeurs convenant à toutes les situations; par exemple, l’ambition, 2) renoncer à toujours croire en l’efficacité d’une norme définitive, 3) renoncer au postulat que le monde scolaire est juste et, 4) renoncer au modèle de l’expertise, qu’il associe à une démarche procédurale nécessitant des conditions fixes, privilégiant plutôt celle de casuiste. Ces quatre renoncements sont expliqués de manière éloquente et mettent bien la table pour poursuivre la réflexion.
Dans le deuxième chapitre, l’auteur traite du lien étroit et paradoxal entre le courage (qui est un acte évaluatif) et la prudence. Les renoncements du chapitre précédent nécessitent du courage, qui doit être entendu comme responsabilité professionnelle. En effet, les éducateurs ne peuvent s’affranchir du souci des conséquences, qui doivent être évaluées cas par cas.
Le troisième chapitre porte sur le courage des commencements. Il y présente les situations limites comme lieu du courage dans lesquelles l’imagination morale permet de juger plutôt que de se cantonner dans un dilemme, qu’il présente comme un choix à faire parmi des principes préexistants. Il soutient qu’il convient parfois de recourir à une morale minimaliste.
À la suite des entretiens réalisés lors d’une recherche doctorale, Lorius rapporte que les éducateurs utilisent le pluralisme moral pour faire un essai mental de différents repères avant de décider ce qui leur semble préférable. Cet usage de l’imagination morale lui semble plus adéquat qu’une refondation morale de l’école pour accompagner les élèves. Il s’agit d’une proposition pertinente qui mérite d’être approfondie; par exemple, sur la question des limites morales et légales à ce pluralisme.
L’écriture est limpide et l’argumentaire bien construit, avec un fil conducteur qui traverse efficacement le livre. L’auteur s’appuie sur différents concepts issus de la philosophie morale, principalement sur la notion de minimalisme moral. De plus, il exemplifie judicieusement son propos à l’aide de situations issues de la pratique. Les synthèses sont régulières et facilitent la lecture. Ajoutons que les tableaux constituent des repères visuels pertinents qui aident à la compréhension.
Petit bémol : nous aurions apprécié en apprendre un minimum sur la méthodologie de sa recherche. Au final, il s’agit d’un essai courageux, voire subversif dans cette époque frileuse. Fondé sur des assises théoriques solides tout en étant bien ancré dans la pratique, il saura intéresser les éducateurs autant que les philosophes de l’éducation.