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1. Introduction et problématique

L’impact des habiletés en lecture sur la réussite scolaire est généralement reconnu en éducation (Programme international pour le suivi des acquis des élèves – PISA, 2000) ; plusieurs publications portent toutefois sur les solutions à apporter aux problèmes touchant la lecture chez les élèves du primaire ou du début du secondaire, comme ceux de Morin, Parent et Montésinos-Gelet (2006) ou du Programme incitatif de recherche en éducation et formation – PIREF (2003). Or, les élèves québécois de 14, 15 ou 16 ans peuvent aussi rencontrer des difficultés en lecture, particulièrement parce que les textes proposés se complexifient vers la quatrième année du secondaire (10e année de formation obligatoire) (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006a).

La présente recherche – effectuée dans le cadre d’une maîtrise en sciences de l’éducation (Babin, 2008) – s’est intéressée à ces adolescents qui arrivent en général à se débrouiller lorsqu’il s’agit de la compréhension de base d’un texte (Dewitz et Dewitz, 2003), mais pour qui le traitement en profondeur de l’information (Tardif, 1992) et l’interprétation des textes (Salinger et Fleischman, 2005 ; Tauveron, 1999) constituent des défis plus importants.

En contexte scolaire québécois, les compétences relatives à la compréhension en lecture constituent une part importante de l’évaluation du cours de français (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006a). Cette évaluation s’effectue, le plus souvent, au moyen de questionnaires de compréhension (Dezutter, Larivière, Bergeron et Morissette, 2007), une forme de contrôle connue, car diffusée à travers 1) les manuels  scolaires (Léger, Morin et Ostiguy, 2000 ; Rousselle, 2000) ; ou 2) les épreuves d’appoint conçues par le ministère québécois de l’Éducation, du Loisir et du Sport (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006b). De façon usuelle, ces questionnaires sont associés à des textes narratifs courts (récits, contes, nouvelles ou extraits de roman), mais d’une ampleur suffisante (5 à 20 pages) pour permettre d’établir des liens plus complexes entre les composantes du récit. Il peut également s’agir d’un florilège de textes narratifs sur un même thème (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006b).

Peut-être inspirés par diverses publications sur le sujet (Cartier, 2006 ; Giasson, 2003 ; Irvin, Buehl et Klemp, 2007 ; Larwa, 2007 ; Lebrun, 2003) ou par leur propre façon de lire, certains enseignants proposent aux élèves diverses stratégies pour améliorer leur rendement en lecture : identifier des stéréotypes ou des composantes de la structure narrative, ou encore interagir avec le texte en indiquant des questions / des commentaires en cours de lecture. Pour faciliter ces activités cognitives, différentes démarches sont encouragées, dont le surlignement, l’insertion de mots-clés, de questions personnelles ou de symboles dans la marge, diverses traces regroupées ici sous le vocable annotations. Les pratiques enseignantes autour de l’évaluation de la lecture au secondaire semblent ainsi s’être peu à peu uniformisées, tant en ce qui a trait au format des textes choisis qu’au travail autour de ces textes. Cela s’explique peut-être par la propension de certains enseignants à développer une expertise routinière (Chessex, Clerc et Martin, 2010, p. 16), caractérisée par une grande efficience dans des tâches connues (Bransford, Derry, Berliner et Hammerness, 2005) et une réticence à adopter de nouvelles pratiques.

Diverses publications portant sur les stratégies de lecture soulignent l’importance des annotations (Cartier et Théorêt, 2004 ; Salinger et Fleischman, 2005 ; Tovani, 2000) ; peu d’études scientifiques en font pourtant leur objet d’étude central, ou alors, celles-ci ne portent pas sur des adolescents ou sur des textes narratifs. Parmi les travaux traitant des annotations, ceux de Schraeder (1997) montrent l’impact positif du surlignement d’éléments implicites et explicites dans des textes narratifs ou courants chez des élèves du primaire (n = 78). En contexte universitaire, Lamberski et Roberts (1979) ont observé chez des étudiants du premier cycle universitaire ou undergraduates (n = 176) les effets concluants du recours à des codes de couleur sur la rétention de textes courants. Des résultats sur un plus large échantillon (n = 446) montrent aussi l’importance de la façon d’annoter des textes courants à l’université : pour des étudiants malhabiles ou faibles lecteurs, l’annotation mal gérée pourrait nuire à la performance scolaire (Bell et Limber, 2010).

Dans notre enseignement à des élèves du deuxième cycle du secondaire, nous avons constaté que plusieurs n’annotent pas (ou très peu) lorsque la lecture ne fait pas l’objet d’une évaluation, ou qu’ils arrivent mal préparés lorsque la lecture est évaluée : le texte est marqué avec minutie au début, barbouillé dans les pages suivantes et très souvent laissé vierge vers la fin. Ce traitement du travail d’annotation s’explique : d’abord, Guthrie, Wigfield et Perencevich (2004) ont montré que, même s’ils ont les habiletés pour réaliser une tâche, des élèves manquant de confiance en leur capacité à comprendre n’auront pas recours à ces habiletés. Ensuite, ces derniers pourraient avoir des problèmes à recourir à des stratégies s’ils ne les connaissent pas, s’ils ne savent pas quand utiliser quelle stratégie ou s’ils utilisent mal celles qu’ils connaissent (Cartier, 2006). Enfin, les élèves pourraient manquer de motivation pour la lecture littéraire et pour le travail cognitivement exigeant qui en découle.

Pour comprendre les raisons qui les poussent à s’investir ou non dans une démarche d’annotation soutenant la compréhension de textes narratifs brefs, nous avons étudié la situation au regard de leurs pensées, croyances et sentiments, autrement dit de leurs perceptions, considérées comme déterminantes dans différents travaux sur la motivation (Garcia et Pintrich, 1996 ; Guthrie et al., 2004 ; Vallerand et Thill, 1993 ; Vianin, 2006 ; Viau, 1994). Cela permet de documenter scientifiquement des éléments entourant la pratique d’annotation pour l’instant absents des recherches anglo-saxonnes consultées : des sujets adolescents, un contexte précis d’évaluation et un type de texte spécifique, le texte narratif bref. Ainsi, la présente publication vise à répondre à la question suivante : Quelles perceptions les élèves de quatrième secondaire ont-ils des pratiques d’annotation dans les situations d’évaluation en lecture de textes narratifs brefs ?

2. Contexte théorique

2.1 Le texte narratif

Se distinguant par tradition des genres poétiques, dramatiques et de l’essai, le texte narratif, étymologiquement, est celui qui présente (au moins) un événement raconté par un narrateur (Bal, 1988 ; Van Dijk, 1976). Structurellement, c’est un discours présentant un événement raconté, formé d’au moins deux propositions ordonnées dans le temps (Eco, 1985 ; Propp, 1970) et liées par un rapport de causalité (Bremond, 1973 ; Eco, 1985 ; Van Dijk, 1976). Pour être qualifié de narratif, un texte doit inclure un acteur-personnage récurrent (Eco, 1985 ; Van Dijk, 1976) : le héros est à la fois fin et moyen du récit (Bremond, 1973, p. 25).

Compte tenu de ces caractéristiques, les textes narratifs exigent nombre de mises en relation et d’inférences causales (Graesser, Singer et Trabasso, 1994), des liens qui posent justement des difficultés aux élèves lecteurs (Dewitz et Dewitz, 2003) et qui déterminent largement la compréhension en lecture (Cain et Oakhill, 1996 ; Coutant et Perchemlides, 2005 ; Fayol, Gombert, Lecocq, Sprenger-Charolles et Zagar, 1992 ; O’Brien et Albrecht, 1992). Pour répondre à ces difficultés, le programme d’études encourage le recours aux stratégies (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2004, 2006a), un mot souvent jumelé au terme processus et appuyé de plusieurs exemples (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2004, 2006a).

2.2 Les stratégies de lecture et les annotations

Le ministère ne donne pas de définition explicite d’une stratégie de lecture, à l’instar d’autres auteurs d’ailleurs (Coutant et Perchemlides, 2005 ; Irvin et al., 2007). Même si Tovani (2000) propose de la décrire comme un plan intentionnel que les lecteurs utilisent pour les aider à construire le sens de leur lecture (traduction libre, p. 5), la définition donnée par Cartier (1999) d’une stratégie d’apprentissage, au sens large, nous apparaît exhaustive et adaptable à la lecture : une stratégie inclurait les gestes posés, mais aussi les raisonnements agencés de façon pleinement consciente par l’individu et modifiés en cours de route en fonction du contexte (de lecture, en l’occurrence) auquel il est confronté.

Comme la variété des genres et la multiplicité des textes influencent les stratégies mises en oeuvre (Dabène et Quet, 1999), plusieurs auteurs (Dewitz et Dewitz, 2003 ; Guthrie, 2004 ; Mullis, Martin et Gonzalez, 2004) ont dressé des listes de stratégies pertinentes pour la lecture du texte narratif : dégager la structure narrative du texte, faire des inférences, résumer, se poser des questions sur le texte... Il faut toutefois considérer que le recours aux stratégies n’est pas systématique : il dépendrait de certaines conditions comme l’engagement cognitif des élèves, leur besoin d’utiliser les stratégies et l’accompagnement offert par la personne enseignante dans leur mise en oeuvre même si, en ce qui concerne la lecture, des lecteurs engagés y auraient recours, peu importe le type de texte (Cartier, 2006 ; Guthrie et al., 2004).

Pour pallier la difficulté d’accéder au travail intellectuel du lecteur au moment de sa lecture, la personne enseignante peut demander à ses élèves de laisser des traces des stratégies mises en oeuvre lors de la lecture, communément appelées des annotations, mais que certains nomment aussi stratégies observables (Wade et Reynolds, 1989) ou stratégies d’encodage (Cartier, 2006) et qui peuvent être associées, dans certaines situations, à des stratégies métacognitives. Ehrlich, Remond et Tardieu (1999) mettent d’ailleurs en évidence les lacunes de cette métacognition chez le lecteur faible : le fait de laisser des traces sur le texte pendant la lecture pourrait donc constituer pour celui-ci – mais aussi pour les autres lecteurs encore en apprentissage – une aide considérable à sa compréhension du texte lors de situations d’évaluation. L’annotation pourrait aussi constituer une forme d’entraînement à la sélection d’informations, du reste nécessaire pour les lecteurs faibles (Cataldo et Oakhill, 2000).

Les annotations réfèrent à toutes les traces matérielles laissées sur le texte – soulignements, annotations en marge, pictogrammes, schémas, etc. – et qui aideraient le lecteur à se rappeler ce qu’il a lu (Lamberski et Roberts, 1979 ; Tovani, 2000) et à se concentrer (Schraeder, 1997), ce qui n’est pas négligeable en situation d’évaluation. L’annotation encouragerait aussi le recours à de multiples stratégies d’apprentissage et d’autorégulation pour favoriser la compréhension (Tardif, 1992) et stimulerait l’interprétation en permettant l’autoquestionnement (Dewitz et Dewitz, 2003 ; Knickerbocker et Rycik, 2002 ; Litwiller Loyld, 2004 ; Lusignan, 1995 ; Salinger et Fleischman, 2005). Annoter servirait ainsi le dialogue entre l’élève et le texte (Coutant et Perchemlides, 2005), mais aussi entre l’élève et l’enseignant.

Nonobstant cette pertinence de laisser des traces des stratégies utilisées et du fait que l’usage de l’annotation a été parfois même identifié comme une stratégie en soi, les élèves ne seront pas nécessairement enclins à annoter sur demande. Les contraintes des situations d’évaluation, par exemple, nuiraient au développement d’une représentation positive de la lecture interprétative – même chez des lecteurs adultes – puisqu’elle subordonne leur rôle de lecteur interprète à celui d’élève évalué et rigidifie les attitudes des lecteurs (Jorro, 2001, p. 5). Le concept de perception permettra de mieux comprendre l’engagement des élèves dans les activités de préparation à une évaluation de lecture.

2.3 La notion de perception

Plusieurs travaux sur la motivation mettent en évidence l’importance et la complexité des perceptions dans l’étude des comportements. Il est ainsi possible d’observer des élèves qui présentent des compétences similaires et qui présentent pourtant un niveau de motivation, d’engagement différent selon leurs perceptions (Bandura, 1986). Ces perceptions sont définies comme les pensées, les croyances et les sentiments que les élèves ont par rapport à eux-mêmes, aux autres et aux événements (traduction libre de Schunk, 1992, p. 3), qu’ils peuvent modifier au cours des événements et selon les personnes significatives rencontrées (Marsh et Shavelson, 1985 ; Viau, 1994). Les perceptions évoluent donc en fonction de l’âge et de la situation (Pintrich, 1990).

Ces perceptions – de soi, de la valeur de la tâche en fonction des buts visés, de la compétence et du contrôle (Viau, 1994) – ont un effet sur les accomplissements scolaires et, plus les élèves vieillissent, plus leur perception de la valeur de la tâche et de leur performance affecte leur niveau d’engagement (Pekrun, 1993 ; Viau, 1994). Ce sont précisément ces perceptions qui font l’objet de notre étude, particulièrement en raison du contexte d’évaluation qui pourrait amener les élèves à accorder une valeur plus importante à la tâche. Les perceptions sont d’ailleurs influencées par la réussite scolaire de l’élève et par ce qu’il vit en classe (Pintrich et Schrauben, 1992 ; Zimmerman et Martinez-Pons, 1990). Dans le contexte ciblé, les perceptions, par les élèves, de leur compétence en lecture, de la situation d’évaluation, du texte lu et de la pratique d’annotation suggérée sont autant d’informations importantes pour mieux comprendre leur investissement dans les façons de faire encouragées par plusieurs enseignants. La présente publication se centre donc sur l’objectif de décrire les perceptions qu’ont des élèves de quatrième secondaire des pratiques d’annotation lors de la préparation à une évaluation de lecture de texte narratif bref.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

L’étude à visée descriptive portait sur une population accessible de 159 élèves en classe ordinaire de quatrième secondaire, dans une école de région, semi-urbaine, classée au 4e rang décile en ce qui a trait au milieu socio-économique, et dont les familles sont en moyenne au 6e rang décile pour le seuil de revenu (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). Parmi les quatre groupes placés sous la responsabilité d’une seule enseignante de français (n = 127), 42 élèves ont accepté de répondre à trois questionnaires. Nonobstant cette sélection non aléatoire, ils étaient représentatifs de leurs pairs de la même école, tant par leur âge (forme: 1891267n.jpg = 15,5 ans au 1er décembre 2007) que par leurs résultats antérieurs en français (forme: 1891268n.jpg = 69,0 %) : – le résultat d’un test t de Student montre, avec un intervalle de confiance de 95 %, que l’échantillon sélectionné provient probablement de la population ciblée (t(41) = 0,73 ; p = 0,47).

3.2 Instrumentation

Les trois questionnaires de type autodéclaré (Cartier, 2006 ; Samuelstuen et Bråten, 2007) – identifiés ici comme Q1, Q2 et Q3 – présentaient deux items requérant des associations libres (Rouquette et Rateau, 1998) pour recueillir les idées spontanément exprimées par les élèves, items pour lesquels ils devaient : Donne[r] le plus rapidement possible les trois mots (ou expressions) qui [leur] viennent en tête lorsqu’[ils] lise[nt] l’expression « examen de lecture » (Q1-1). Le deuxième item (Q1-2), fonctionnant sur le même modèle, portait sur l’expression annoter un texte. Des items déjà utilisés par Viau (1994) pour connaître d’autres perceptions ont inspiré la formulation des 18 items suivants, à coter sur une échelle de type Likert à quatre choix et portant sur la fréquence (jamais – parfois – assez souvent – toujours), la difficulté (très ou plutôt difficilement – plutôt ou très facilement) et l’utilité du recours aux annotations (très ou plutôt inutile – plutôt ou très utile). La clarté de ces items a été validée auprès de dix jeunes volontaires d’une autre école secondaire, dont l’âge moyen, la proportion garçons/filles et le profil scolaire étaient similaires à ceux de notre échantillon. Cette étape a entraîné la modification du nombre de graduations de l’échelle de type Likert de cinq à quatre pour éviter les réponses au centre de l’échelle. Deux énoncés ont aussi été reformulés pour en faciliter la compréhension. Le tableau 1 en annexe donne une vue d’ensemble des items finaux.

Le guide d’entrevue semi-dirigée utilisé visait à préciser les données recueillies avec les questionnaires et à faire émerger les perceptions, par les élèves, du recours à l’annotation dans la situation d’évaluation de lecture ciblée. Les questions portaient sur leurs connaissances de la situation (trois questions), de même que sur leurs perceptions de leur compétence à s’y préparer (cinq questions), de la valeur qu’ils accordaient aux annotations et à la lecture en général (cinq questions), du contrôle ressenti dans la situation (trois questions), et des moyens auxquels ils recouraient pour résoudre les problèmes rencontrés lors de leur préparation (trois questions).

3.3 Déroulement

En janvier 2008, une évaluation de lecture était prévue en classe sur un chapitre abrégé, De la truite dans l’eau glacée, du roman Ces enfants de ma vie (Roy, 1993). L’évaluation avait la forme évoquée précédemment, à savoir celle d’un questionnaire (neuf items) portant surtout sur l’établissement de liens de causalité entre les éléments du texte. À trois moments différents autour de cette évaluation, chacun des questionnaires sur les perceptions a été distribué aux 42 élèves retenus : 1) avant que ces derniers ne reçoivent le texte à lire pour l’évaluation, pour vérifier leurs perceptions initiales ; 2) après avoir assisté à une leçon animée par l’enseignante (une lecture à voix haute du début du texte et quelques pistes de lecture), qui pourraient affecter les perceptions des élèves à l’égard de l’annotation et 3) à la fin de la période de quelques jours servant à la préparation individuelle de l’évaluation, pour juger de l’évolution des perceptions à la suite de cette préparation. Les questionnaires ont été administrés en classe par la chercheure principale et remplis en une dizaine de minutes.

3.4 Considérations éthiques

La recherche s’est effectuée selon le protocole éthique de l’Université de Sherbrooke, auprès d’élèves volontaires non rémunérés ayant rapporté un formulaire de consentement écrit signé par un parent. Toutes les étapes se sont déroulées en l’absence de l’enseignante, qui n’a pas eu accès aux réponses spécifiques des élèves ; ceux-ci ont été clairement informés de cette mesure. Les résultats globaux de la recherche n’ont été communiqués à l’enseignante qu’à la toute fin de la recherche, en respectant l’anonymat des sujets. Un soin particulier a été apporté au fait que la collecte de données était parallèle à une évaluation scolaire et ne devait pas affecter leur résultat à cette évaluation. Les données brutes ont été détruites une fois le projet de recherche terminé.

3.5 Méthode d’analyse des données

Les réponses aux items des questionnaires ont été colligées dans un tableur SPSS©. Dans le cadre d’une telle recherche descriptive et exploratoire, aucune hypothèse préalable n’était nécessaire (Fortin, 2006). Afin de répondre à cette finalité descriptive et en raison de l’absence de données numériques préalables sur l’annotation permettant de déterminer la taille de l’échantillon pour établir des relations statistiquement valables (Laurencelle, 2007), nous avons exclu les statistiques inférentielles et procédé à la description de la structure des réponses aux variables catégorielles qualifiant notre échantillon (fréquences des variables ordinales disponibles). Les items d’association libre ont été classés selon la connotation émotive qu’ils évoquaient (positive, négative ou neutre) afin d’établir un portrait général des perceptions que les élèves ont des annotations. Ce classement a ensuite été traité en fonction de la fréquence et du rang d’apparition des concepts, comme le suggèrent Rouquette et Rateau (1998) pour une telle technique d’association libre.

Dans l’étude des perceptions, il est souhaitable de ne pas se limiter à une échelle de mesure quantitative (Schunk, 1992) et de privilégier un croisement avec des entrevues ou des observations commentées par les sujets : nous avons ainsi sélectionné quatre élèves pour un entretien parmi les 42 participants de la première étape de la recherche. Ce choix s’est fait en fonction, d’une part, de leurs perceptions (positives ou négatives) du recours à l’annotation en situation de préparation à une évaluation de lecture exprimées dans les questionnaires et, d’autre part, de la proportion d’annotations exprimant des liens de causalité sur un texte narratif fourni dans un autre volet de la recherche. Il pouvait s’agir, par exemple, de flèches reliant deux phrases du texte, de questions ou de commentaires écrits en marge, etc. La simple observation de la distribution de chacun des critères nous a permis – sans test statistique – de cibler pour une rencontre deux garçons et deux filles (prénoms fictifs) présentant une combinaison très différente de perceptions et de pratiques d’annotation : 1) Béatrice, qui avait des perceptions positives du recours à l’annotation et l’utilisait pour marquer plusieurs inférences ; 2) Paule, qui avait des perceptions positives du recours à l’annotation et l’utilisait peu pour marquer ces liens ; 3) Sébastien, qui avait des perceptions négatives du recours à l’annotation, mais l’utilisait malgré tout pour marquer plusieurs inférences ; et 4) Andrew, dont les perceptions du recours à l’annotation étaient négatives et ne l’utilisait que peu pour marquer les inférences. Chaque entrevue, réalisée sur l’heure du midi, a duré entre 25 et 32 minutes.

Une analyse thématique à l’aide du logiciel Nvivo© a été effectuée sur les verbatims des entrevues en fonction du cadre conceptuel et des réponses obtenues aux trois questionnaires. Le plan de codage présentait d’une part le thème des perceptions (sous-thèmes : de la valeur, de la compétence et du contrôle) et, d’autre part, le thème de la connaissance de la situation (sous-thèmes : des examens de lecture et de la préparation à ces examens). Ce plan a fait l’objet d’une double validation : un codage a été effectué en collaboration par les chercheurs, et une validation intra-juge a été effectuée sur l’une des entrevues, codée deux fois, à deux moments différents, par la chercheure principale.

4. Résultats

4.1 Questionnaires

Les deux premiers items demandaient d’associer librement trois mots aux expressions examen de lecture (Q1-1) et annoter un texte (Q1-2). Dans leurs réponses (n = 126 pour chacun), les élèves ont surtout évoqué des éléments non connotés comme le travail, la compréhension ou l’annotation. Les termes à connotation positive étaient peu présents (3,2 % au premier item et 1,6 % au deuxième), mais une proportion importante de termes à connotation négative a été remarquée : aux deux items, plus du quart des termes (26,2 % pour l’examen de lecture et 31,7 % pour l’annotation de texte) portent une charge négative comme plate ou difficile. Quant aux thématiques évoquées, des vocables renvoyant plutôt à des actions sont ressortis : lorsqu’il s’agit d’un examen de lecture, les élèves ont indiqué le fait d’annoter (47,6 % des termes) ; lorsqu’il s’agit de la question d’annoter un texte, ils ont plutôt inscrit qu’il fallait surligner (26,2 %), mais cette action est suivie par un terme à connotation négative : annoter un texte, c’est long (23,8 %).

Le tableau 1 présente de façon synthétisée les fréquences obtenues aux items à coter sur une échelle de type Likert. Si l’investissement général dans la tâche (Q1-3) semble faire consensus (32 répondent assez souvent ou toujours), les réponses aux items généraux sur la facilité (Q1-5, 6 et 7) montrent que les élèves ont une perception partagée de leur compétence à réussir les examens, à comprendre les textes ou à les annoter : à ces trois items, près de la moitié des élèves répondent très difficile ou plutôt difficile, et l’autre moitié, facile ou très facile. De plus, même si les élèves ont une perception mitigée de l’utilité de l’annotation au sens large (Q1-9), 34 à 38 élèves sur 41 la déclarent utile ou très utile pour se préparer à un examen de lecture (Q1-10) et pour réussir un examen sur un texte narratif (Q1-13), particulièrement pour des élèves qui vivent des difficultés en lecture (Q1-12). Il y a moins d’unanimité sur l’utilité de l’annotation pour les bons lecteurs (Q1-11) : 17 élèves sur 41 la perçoivent même comme inutile ou très inutile.

En ce qui a trait aux questionnaires 2 et 3, distribués après le temps de préparation individuelle accordé aux élèves, plusieurs items montrent un consensus relatif à propos de la difficulté perçue à réussir l’examen (Q2-1 et Q31) ainsi que de la difficulté à anticiper des éléments à annoter (Q2-2) ou à annoter par eux-mêmes (Q2-3) : respectivement, 25 ou 26 élèves sur 40 ont répondu que ce serait plutôt difficile ou très difficile. Le fait de laisser un temps de préparation et d’annotation ne semble rien modifier à cette perception, puisque les élèves sont convaincus, de façon stable entre les items Q2-1 et Q31, qu’ils vont réussir l’examen difficilement ou plutôt difficilement. À preuve, un test t pour échantillons dépendants indique que la mesure prise avant la période de préparation (forme: 1891269n.jpg = 2,2 ; S = 0,6) et celle prise après (forme: 1891270n.jpg = 2,3 ; S = 0,6) n’ont pas changé de manière significative (t(37) = -1,07 ; p = 0,291).

Pour les pratiques spécifiques d’annotation, si le repérage (Q3-2) et l’ajout d’éléments dans les marges (Q3-3) sont perçus comme faciles ou très faciles pour près des deux tiers des répondants (respectivement 26 ou 27 élèves), peu d’élèves déclarent avoir recours aux schémas (n = 14 à Q34). Ceux qui le font trouvent surtout cette forme d’annotation très difficile ou difficile (10 sur 14). Ces derniers items font ainsi émerger des données sur la difficulté ressentie par les élèves face aux différents types d’annotations. L’analyse des entrevues nous a permis d’expliquer en partie ces difficultés, entre autres par les connaissances et les expériences antérieures des élèves.

4.2 Résultats des entrevues

L’analyse thématique des entrevues nous autorise à formuler deux constats généraux. D’abord, les élèves ont des connaissances limitées du type de texte lu et de ses caractéristiques. Ils utilisent un vocabulaire souvent inexact, voire inapproprié pour en parler, et répondent aux questions sur le sujet en formulant plusieurs hésitations. Par ailleurs, leur connaissance de la préparation nécessaire à l’évaluation est beaucoup plus précise, reflétant les consignes souvent répétées par l’enseignante : une première lecture axée sur la compréhension du lexique, suivie d’une deuxième visant à poursuivre le travail d’annotation modélisé par l’enseignante sur le début du texte. Béatrice décrit cette deuxième lecture :

[L’enseignante] nous donne des indices pis on détaille plus les paragraphes […] Mettons qu’il y a des choses plus importantes, elle va nous les dire. Elle va nous donner des indices sur l’examen pis on va prendre des notes. […] Faut qu’on détaille les actions, les caractéristiques psychologiques pis toute ca pis elle va nous le dire : « Ça, c’est une caractéristique psychologique ; ça, c’est une action. » […] Mettons, je pourrais pas lui demander de finir de lire le texte avec moi.

Dans les heures précédant le moment de répondre au questionnaire, une troisième lecture visant à se remettre le texte en mémoire au dernier moment est encouragée par l’enseignante et évoquée par les élèves.

En ce qui a trait à la perception de la valeur de l’annotation, même s’il s’agissait d’un critère de sélection des sujets à rencontrer en entrevue et que les élèves avaient été choisis, entre autres, pour leurs différences de perceptions, des similitudes dans la perception positive de la valeur de l’annotation sont observées : cette pratique, selon Andrew, aide, oui, c’est sûr. Paule trouve que l’annotation ne permet pas nécessairement d’obtenir un meilleur résultat, mais l’examen va mieux. Pour Béatrice, ce lien entre annotation et résultat à l’examen est plus clair : Je sais qu’il y en a beaucoup qui ont échoué l’examen justement parce qu’ils [n’]avaient pas bien annoté leur texte. Ils établissent tous une relation entre l’annotation et la compréhension du texte. Sans être capables de nommer facilement des éléments à annoter, ils sont tout de même conscients de l’importance de certains éléments par rapport à d’autres : les bonnes choses, que seule Béatrice finit par identifier comme étant les actions et les réactions des personnages. Enfin, certaines pratiques seraient selon eux plus efficaces, auraient donc une plus grande valeur, comme varier les couleurs de surligneurs et accorder la priorité aux ajouts dans la marge plutôt qu’au surlignement.

La perception de la compétence qu’ont les quatre élèves d’eux-mêmes se présente sur un large spectre, allant d’une perception plus négative (Andrew) à une perception plus positive (Béatrice) en passant par une perception mitigée (Paule et Sébastien) ; il est toutefois possible de mettre en évidence deux aspects consensuels : tous considèrent difficile de se préparer à une évaluation de lecture et d’annoter le texte, et les trois lecteurs moins habiles parlent de leur misère à trouver les plus gros morceaux (Andrew), de leur difficulté à identifier les bonnes choses (Sébastien), de leurs hésitations face à des éléments du texte à cibler : J’me dis : ça serait-tu bon, ça ? (Paule).

En matière de perception du contrôle sur la tâche, bien que l’enseignante n’exige pas l’annotation (mais le suggère fortement), Béatrice et Andrew – les élèves présentant respectivement le plus et le moins d’habiletés en lecture – perçoivent qu’ils ont le choix de le faire ou non. Pour Paule, c’est davantage un passage obligé et, pour Sébastien, l’annotation est implicitement reliée au niveau de compétence lecturale : certains n’ont pas besoin d’annoter. Le sentiment de contrôle semble passer par l’organisation du travail pour Paule et Sébastien (nombre de surligneurs, cohérence dans les couleurs), et par le choix d’un environnement de travail adéquat (Andrew et Sébastien). Quant à la façon d’annoter, les répondants s’entendent sur le fait que l’enseignante leur laisse toute liberté. Cela s’avère insécurisant pour Andrew : elle aide juste pour – mettons – la première page, pis [pour] le reste, on s’arrange. Le contrôle perçu sur l’aide possible fait aussi consensus : ils ressentent une certaine liberté quant au moment de solliciter l’enseignante, d’une part, et quant aux explications à demander sur la façon de lire (pour Andrew) ou sur la façon d’annoter (pour les autres), d’autre part.

Finalement, les entrevues mettent en lumière l’importance du milieu familial, social et scolaire dans les perceptions. Andrew a un passé scolaire parsemé d’échecs liés à la lecture ; ses perceptions sont généralement plus négatives que celles de ses pairs. À l’opposé, Béatrice vient d’un milieu familial où la lecture est valorisée : ses résultats scolaires sont plutôt au-dessus de la moyenne, et les perceptions qu’elle exprime face à l’annotation sont plus positives.

5. Discussion des résultats

Des recherches montrent l’influence du contexte sur ce que pensent les élèves (Plessis-Bélair, Sorin et Pelletier, 2006 ; Viau, 1994 ; Zimmerman et Martinez-Pons, 1990), et les résultats dégagés de la collecte de données permettent de mieux comprendre l’influence particulière du contexte d’évaluation sur la perception de l’annotation. Cette pratique est perçue par les élèves – tant dans les items à associations libres des questionnaires que dans les entrevues – comme un passage obligé vers l’évaluation. Il semble que les perceptions individuelles de la valeur de l’annotation, de leur compétence à y recourir et du contrôle sur cette pratique soient notamment influencées par les cours suivis et par les connaissances retenues par les élèves, autant que par leur maîtrise des notions liées à la situation d’évaluation de lecture.

Chez les élèves de notre échantillon, la valeur accordée à l’annotation est essentiellement liée à la situation d’évaluation, à la réussite plus qu’à la compréhension du texte ; il s’agit là, selon nous, d’une manifestation concrète du propos de Jorro (2001) autour de l’évaluation comme contrainte au développement d’une représentation positive de la lecture interprétative et de la rigidification de l’attitude des lecteurs. Par ailleurs, même si Béatrice, lectrice habile, est plus explicite quant au lien à établir entre les processus mentaux mis en oeuvre et le résultat obtenu, les autres élèves interrogés par questionnaire ou en entrevue perçoivent une relation entre les capacités en lecture et l’utilité de recourir à l’annotation. Il paraît ainsi que, de leur point de vue, les moins doués d’entre eux auraient plus besoin de recourir aux annotations (parce que cela les aiderait à mieux comprendre et à mieux interpréter le texte) pour mieux réussir, ce qui va pourtant à l’encontre des conclusions de Bell et Limber (2010). Cette perception peut avoir été construite avec le temps, en fonction d’expériences antérieures ou de discours d’enseignants – comme l’ont observé Marsh et Shavelson (1985) à l’endroit d’autres perceptions – mais il est difficile de déterminer le facteur qui a la plus grande influence pour chaque élève. Les entrevues mettent enfin en évidence des éléments déjà recensés sur le plan théorique en matière d’utilité de l’annotation : celle-ci aide à se rappeler ce qui a été lu (Lamberski et Roberts, 1979 ; Tovani, 2000) et à se concentrer (Schraeder, 1997).

Les élèves rencontrés sont unanimes quant à la perception de contrôle exprimée : comme ils se sentent libres d’annoter de la manière qui leur convient et qu’ils ne se sentent pas contraints de demander l’appui de l’enseignante, ils semblent avoir la perception d’un relatif contrôle sur la pratique. Dans les questionnaires (Q3-2 et Q3-3), la façon de faire, en théorie, semble relativement claire pour plusieurs jeunes interrogés, mais ceux interrogés en entrevues éprouvent plus d’hésitations face aux traces à laisser sur le texte, ce qui pourrait affecter leur perception de contrôle au moment d’annoter. Comme le recours à une stratégie serait influencé par le fait que les élèves sachent quand et comment l’utiliser (Cartier, 2006), cette situation pourrait affecter l’efficacité de l’annotation, voire la performance en lecture (Bell et Limber, 2010).

En ce qui concerne la perception de la compétence, les travaux de Guthrie et al. (2004) mettent en évidence l’importance, pour réaliser une tâche, de la confiance des élèves en leurs capacités. Dans le cas présent, les élèves semblent avoir une perception mitigée de la facilité à annoter un texte narratif, allant du plutôt difficilement au plutôt facilement à l’item Q1-8, une variabilité que les entrevues ont permis d’expliquer par de nombreux facteurs personnels, familiaux et scolaires. Cette variabilité dans la perception de la compétence en fonction desdits facteurs a d’ailleurs été démontrée par Pintrich et Schrauben (1992), Viau (1994) et Zimmerman et Martinez-Pons (1990). Nos résultats à l’item Q2-3 montraient également que près des deux tiers des élèves anticipaient une annotation plutôt ou trèsdifficile du texte lors de la deuxième lecture en autonomie complète (seuls et à l’extérieur de la classe). Cette perception de la facilité à annoter n’est pas corollaire de la qualité réelle de la compréhension du texte, mais nous permet au moins de poser l’hypothèse que la facilité à annoter en serait un indice, particulièrement pour les textes brefs concernés, exigeant plusieurs liens de causalité susceptibles d’être exprimés par écrit. La difficulté à annoter révélée par les élèves nous incite, à l’instar de Giasson (2003), à attribuer aux éléments contextuels (lieu de lecture, accompagnement ou non, etc.) un impact sur la préparation à l’évaluation et sur l’opération de lecture elle-même.

6. Conclusion

Les besoins relatifs à la lecture d’élèves en fin de parcours secondaire nous ont incités à vouloir mieux décrire leurs perceptions entourant la préparation aux évaluations de compréhension de lecture de textes narratifs brefs, particulièrement en ce qui a trait à la pratique d’annotation. Les données issues de questionnaires et d’entrevues semi-dirigées ont permis de constater que les élèves perçoivent généralement l’annotation comme utile. De plus, malgré un sentiment partagé de contrôle sur la tâche, de grandes hésitations sont évoquées ; la perception de compétence varierait beaucoup d’un élève à l’autre, en raison de facteurs individuels, scolaires et sociaux.

L’échantillon retenu étant restreint et limité à une seule école, nos résultats ne peuvent être généralisés que dans une certaine mesure. Ils permettent néanmoins de dégager un aperçu des perceptions d’adolescents. La situation étudiée est aussi circonscrite : des résultats différents émergeraient peut-être d’une étude des annotations sur une oeuvre complète (comme un roman) ou de celles sur un texte non littéraire. Le contexte d’évaluation est un autre élément important de l’analyse : les élèves ont souvent évoqué l’utilité de l’annotation pour bien réussir l’examen. Il serait donc précaire d’étendre nos conclusions à des situations de lecture formatives ou ludiques. Finalement, cette recherche ouvre sur une réflexion sur les pratiques plutôt traditionnelles d’évaluation de la lecture et sur l’encadrement offert aux élèves en préparation à ces évaluations.