Recensions

Fabre, M. et Gohier, C. (dir.). (2015). Les valeurs éducatives au risque du néo-libéralisme. Presses universitaires de Rouen et du Havre[Notice]

  • Charles-Antoine Bachand

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  • Charles-Antoine Bachand
    Université de Montréal

Tout au long de cet important ouvrage, les auteur⋅e⋅s brossent un portrait limpide et rigoureux des impacts et des effets que peut avoir le néolibéralisme sur les pratiques et les valeurs éducatives. Pour ces chercheur⋅se⋅s, en effet, le néolibéralisme n’est pas qu’un simple modèle économique ou même politique. Comme Dardot et Laval (2010), elles⋅ils estiment qu’il faut plutôt comprendre le néolibéralisme comme une « rationalité globale, comme une normativité générale » (p. 29), dont le dessein est de défendre une norme de vie où chaque individu doit entrer en lutte économique contre les autres et où les rapports sociaux doivent suivre les préceptes des marchés. Comme le rappelle Fabre (chapitre 6), Mme Margaret Thatcher était explicite sur les visées du néolibéralisme : si l’économie était la méthode, le but devait être de changer l’âme humaine. C’est justement parce que le néolibéralisme n’est pas uniquement une forme débridée du capitalisme qu’il a autant d’influence sur l’éducation, les pédagogies et les systèmes éducatifs. Pour Pachod (chapitre 2), c’est parce que l’école existe dans un univers néolibéral qu’il importe d’être tout particulièrement vigilant⋅e quant à ses effets sur les visées et les valeurs éducatives. Trouvé (chapitre 1) illustre cette idée en montrant que, sous un couvert rigoureux, plusieurs des instruments qui permettent d’apprécier l’éducation, comme c’est le cas de l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, portent en eux un discours néolibéral qui oriente les finalités éducatives. Martinez (chapitre 9) montre, quant à elle, à travers l’exemple d’une éducation au développement durable qui s’interdit de remettre en question l’ordre capitaliste dominant, la confusion que fait naitre le néolibéralisme dans ce qui est pensable en éducation et en pédagogie. Il en va de même pour les discours toujours plus présents portant sur l’efficacité, sur le capital humain ou sur la capacité à s’entreprendre soi-même. Ces discours éloignent les pédagogues de leur travail éducatif. Ce travail ne peut pas être réduit à un enjeu de communication ou de simples pratiques transmissives (Prairat, chapitre 3 ; Lamarre, chapitre 4). Pour Fabre (chapitre 6), ces discours mettent en fait de l’avant une éthique de la performance et cherchent à réduire le pouvoir émancipateur ou sécessionniste de l’éducation (Moreau, chapitre 8). Dans un univers néolibéral, les enseignant⋅e⋅s ou les chercheur⋅se⋅s qui n’y prennent garde risquent de valoriser une définition individualiste et tronquée de ce que signifie « réussir sa vie ». À ce sujet, Gohier (chapitre 7) défend avec intelligence l’idée que « l’éducation scolaire globale amalgame compétences, savoirs et culture et vise à former un être complet, qui se respecte dans sa singularité tout en étant engagé dans sa communauté, un citoyen qui a une emprise sur sa vie personnelle, sociale et citoyenne » (p. 122). Ce collectif offre des pistes de réflexion salutaires pour les chercheur⋅se⋅s et les praticien⋅ne⋅s en éducation. Chaque auteur⋅e offre une contribution riche qui pousse la⋅le lecteur⋅rice à se questionner et à se positionner en regard du système dans lequel elle⋅il est appelé⋅e à évoluer. Comme enseignant⋅e ou chercheur⋅se, dois-je servir le discours néolibéral ? Dans le cas contraire, comment puis-je résister à ses pressions alors qu’il est si ubiquitaire ?