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1. Problématique

Le Québec accueille chaque année de nombreux⋅ses immigrant⋅e⋅s : entre 2008 et 2017, la moyenne annuelle était de 51 000 (ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Inclusion, 2020). Depuis l’adoption de la Charte de la langue française (Loi 101) en 1977, les élèves immigrant⋅e⋅s sont accueilli⋅e⋅s, à quelques exceptions près, dans les centres de services scolaires francophones. Les services d’accueil et de soutien à l’apprentissage du français constituent des services intensifs de première ligne offerts aux élèves issu⋅e⋅s de l’immigration en apprentissage du français langue seconde, soit en classe d’accueil, soit en classe ordinaire avec, au moins, selon les textes officiels, l’équivalent d’une période par jour de soutien. Ces élèves peuvent bénéficier de ces services de soutien à l’apprentissage de la langue française tant et aussi longtemps elle⋅il⋅s en ont de besoin (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2014 ; ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020).

Parmi les élèves allophones immigrant⋅e⋅s nouvellement arrivé⋅es, un nombre non négligeable est en situation de grand retard scolaire. Selon la définition proposée en 1998 par le ministère de l’Éducation du Québec, ces élèves, peu ou non scolarisé⋅es dans leurs pays d’origine, sont celles⋅ceux qui accusent à leur arrivée trois ans de retard ou plus par rapport à la norme québécoise et qui doivent donc être considéré⋅e⋅s comme en difficulté d’intégration scolaire. En 2018-2019, selon les données de la Direction de l’intégration linguistique et de l’éducation interculturelle du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (Système Charlemagne), parmi les élèves recevant des services d’accueil et de soutien à l’apprentissage du français dans l’ensemble du Québec, on compte 14 % d’élèves en situation de grand retard scolaire au secondaire et 1 % au primaire. Les difficultés de ces élèves peuvent provenir d’une fréquentation limitée ou inexistante de l’école (par exemple, infrastructures inadéquates, écoles éloignées du lieu d’habitation ou accessibles à certain⋅e⋅s élèves seulement), d’attentes différentes en termes de compétences en lecture et en écriture ou de méthodes d’enseignement très éloignées de celles de l’école québécoise. Également, ces difficultés peuvent être d’origine psychoaffective, lorsqu’elles sont liées à des traumatismes causés par des situations de guerre ou de violence au pays d’origine (perte de proches, séparation familiale, séjour en camps de réfugié⋅es, etc.), à des parcours prémigratoires chaotiques et douloureux (Papazian-Zohrabian, 2015, 2016) ou encore à des conditions difficiles d’intégration dans le pays d’accueil (famille dispersée, précarité économique, choc d’acculturation, etc.).

Actuellement, les élèves en situation de grand retard scolaire sont intégré⋅e⋅s dans des classes d’accueil ou dans des classes ordinaires (notamment en région). Parfois, lorsque le nombre le permet, elle⋅il·s sont aussi regroupé⋅e⋅s dans des classes d’accueil spécifiques. La durée de leur séjour en classe d’accueil est en général de deux ans et plus, et elleil⋅s sont plusieurs à être ensuite dirigé⋅e⋅s vers des classes spéciales sans que cette orientation ne corresponde nécessairement à leur profil et à leurs besoins. Il arrive aussi qu’elle⋅il⋅s quittent sans diplôme le secteur des jeunes, sans poursuivre leur formation au secteur des adultes, peu adapté à leur réalité (De Koninck et Armand, 2012). Cette situation traduit le dénuement de plusieurs acteur⋅rice⋅s scolaires, qui demandent plus de soutien et de services (psychologue, orthopédagogue), de concertation, de formation et de matériel pour intervenir auprès de ces élèves (De Koninck et Armand, 2012 ; Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, 2015).

Dès 1998, la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle du ministère de l’Éducation du Québec indiquait également qu’un repérage rapide de ces élèves était nécessaire afin d’intervenir immédiatement et de manière appropriée auprès d’elles⋅eux. Ce document suggère entre autres de mettre à profit les ressources des programmes d’enseignement des langues d’origine et de recourir à ces langues pour favoriser le rattrapage des connaissances dans les diverses matières. Cette recommandation, qui s’inscrit dans la mouvance des approches dites plurilingues, met de l’avant la nécessité de s’appuyer sur le bagage linguistique de l’élève pour soutenir ses apprentissages en lecture et en écriture dans la langue seconde (transfert des habiletés et connaissances). Comme nous le verrons plus loin, ces approches ont aussi un impact positif sur la construction identitaire et l’engagement des élèves. Tenir compte de ces dimensions est particulièrement nécessaire, car on peut comprendre que, chez ces élèves marqué⋅e⋅s par des parcours de vie difficiles, être étiqueté⋅e⋅s comme analphabètes ou en difficulté, notamment au secondaire, est susceptible d’affecter leur sentiment de compétence (Pajares, 2003) et de diminuer leur engagement dans le domaine de la littératie (Harklau, 2007 ; Hull, 1999). On entend ici par littératie des attitudes et des comportements face à la culture de l’écrit d’une personne (ou d’une communauté) ainsi que des connaissances, des habiletés et des compétences en lecture et en écriture (sur différents supports) qui contribuent au développement du plein potentiel de chacun⋅e afin qu’elle⋅il puisse prendre sa place activement dans divers contextes (Hébert et Lépine, 2013 ; Lacelle, Lafontaine, Moreau et Laroui, 2016 ; Painchaud, d’Anglejan, Armand et Jezak, 1994). Également, dans une perspective de littératie multilingue, ainsi que nous le verrons plus loin, il s’agit de communiquer au moyen des différentes langues de son répertoire. Afin de soutenir les élèves dans ces apprentissages et, plus particulièrement, dans l’apprentissage de l’écriture, qui constitue un défi exigeant, les interventions mises en oeuvre doivent cibler tout autant le développement des compétences cognitivolangagières (lié aux pratiques efficaces de l’enseignement-apprentissage de l’écriture) que celui de leur engagement (lié aux approches plurilingues et aux dimensions identitaires).

Dans le cadre conceptuel qui suit, nous aborderons les principes sous-jacents à la conception de telles interventions à l’intention d’élèves allophones en situation de grand retard scolaire, scolarisé⋅e⋅s en classe d’accueil au secondaire, à la croisée de plusieurs champs d’études : l’écriture et les conditions de son enseignement efficace, les approches plurilingues et les dimensions identitaires. Nous explorerons plus précisément des recherches collaboratives, réalisées auprès d’élèves immigrant⋅e⋅s allophones, portant sur la production de textes identitaires plurilingues et sur la mise en oeuvre d’ateliers d’expression théâtrale plurilingues.

2. Cadre conceptuel et recherches empiriques

L’écriture est une activité mentale complexe, qui nécessite la mise en oeuvre de plusieurs processus aux différentes étapes de la production (planification, formulation et révision) et qui prend appui sur des connaissances diverses, tant référentielles et linguistiques que pragmatiques (Alamargot et Fayol, 2009). En langue première, les chercheur⋅se⋅s ont mis en particulier l’accent sur les aspects cognitifs et psycholinguistiques de l’écriture alors qu’en langue seconde, et notamment en contexte de migration, elle⋅il⋅s ont davantage tenu compte, depuis les années 1990, des dimensions sociologiques de la littératie et de l’engagement des élèves (Cumming, 2018 ; Grant, Wong et Osterling, 2007 ; Leki, Cumming et Silva, 2008). Ainsi, l’écriture n’est pas seulement liée à des habiletés cognitivolangagières dont il faut faire l’apprentissage. Elle est aussi considérée comme une pratique construite socialement, qui implique des relations de pouvoir et des négociations entre les acteur⋅rice⋅s en présence et qui est réalisée dans un contexte déterminé, défini par un réseau d’idéologies linguistiques et de représentations sociales.

Outre ce tournant sociologique, Cenoz et Gorter (2015) et May (2014) soulignent l’existence, en langue seconde, d’un tournant multilingue. De nos jours, de nombreux⋅ses chercheur⋅se⋅s rejettent une vision soustractive et déficitaire de la bilittératie, qui se traduit par l’imposition d’une norme monolingue dans les milieux scolaires menant à l’exclusion des langues maternelles et autres langues connues des élèves immigrant⋅e⋅s, et mettent de l’avant le développement de compétences en écriture dans plusieurs langues (Ortega, 2009 ; Ortega et Carson, 2010). Par le fait même, ces chercheur⋅se⋅s s’inscrivent dans une vision multilingue de l’éducation (Cenoz et Gorter, 2014, 2015 ; Garcia, Skutnabb-Kangas et Torres-Guzmán, 2006 ; Krüger, Thamin et Cambrone-Lasnes, 2016 ; Moore, 2006 ; Schecter et Cummins, 2003 ; Troncy, de Pietro, Goletto et Kervran, 2013). Cette dernière cible le développement d’une multicompétence langagière qui met l’accent sur l’intégration et sur l’utilisation fluide et dynamique des différentes langues du répertoire d’une personne selon ses besoins de communication (Cook, 1992 ; Cook et Wei, 2016). Ortega et Carson (2010) soulignent la nécessité de s’inspirer de cette perspective de multicompétence, qui prend en compte les contextes sociaux particuliers et reconnait « l’importance du sentiment de capacité d’agir, du pouvoir et de l’identité du scripteur » (traduction libre, p. 50). Dans la même veine, les travaux d’Ivanic (1998), de Norton (2014) et de Tardy (2018) insistent sur l’importance de considérer les dimensions identitaires de l’apprenant⋅e de langue seconde afin qu’elle⋅il trouve sa voix dans le processus d’écriture. La prise en compte de ces dimensions liées aux rapports de pouvoir susceptibles de se manifester lors de l’apprentissage d’une langue seconde est particulièrement pertinente en contexte de migration (Zeiter et Bemporad, 2016).

Ainsi, en didactique de l’écriture, un nouveau champ de recherche s’est constitué à partir de ces fondements, notamment pour « dépasser un biais monolingue qui avait jusque-là dominé le regard des chercheur⋅se⋅s » (Rinnert et Kobayashi, 2018, traduction libre, p. 367). Il s’agit, au contraire, de mettre l’accent sur les approches plurilingues de la littératie, aussi nommées littératies multilingues (Hornberger, 2000), plurilittératies ou littératies multiples (Haneda, 2006), qui impliquent la légitimation du bagage culturel et linguistique des scripteur⋅rice⋅s en apprentissage de la langue seconde. Il s’agit également de valoriser, dans une perspective de négociation identitaire qui constitue le terreau d’un véritable engagement, la parole, la collaboration et les interactions sociales entre les pair⋅e⋅s et entre les apprenant⋅e⋅s et l’enseignant⋅e lors de la production des textes (Cummins, 2009).

2.1 L’enseignement de l’écriture en langue première et en langue seconde

Du côté de l’enseignement de l’écriture en langue première, Graham, Harris et Chambers (2016), à la suite de leur synthèse des pratiques efficaces de l’enseignement de l’écriture, ont formulé six recommandations : 1) écrire souvent pour des buts variés ; 2) créer un environnement offrant un soutien adéquat (notamment enseigner l’écriture comme un processus durant lequel les élèves planifient, produisent des brouillons, révisent, éditent et partagent leur production ; offrir du modelage ; maintenir des attentes élevées, etc.) ; 3) enseigner les habiletés, les stratégies et les connaissances et mettre l’accent sur l’engagement ; 4) fournir des rétroactions ; 5) utiliser les outils technologiques ; 6) utiliser l’écriture pour soutenir les apprentissages dans les matières. De leur côté, Cumming (2016) et Haneda et Wells (2012) ont repris plusieurs de ces principes tout en insistant sur les pratiques à privilégier en contexte de langue seconde : 1) offrir du modelage et de l’étayage ; 2) mettre en place des approches collaboratives qui favorisent les échanges oraux ; 3) soutenir le développement de la langue scolaire, des capacités métalinguistiques et du vocabulaire ; 4) viser un résultat tangible et, tel que mentionné précédemment, pour susciter l’engagement des élèves, 5) valoriser leurs compétences en écriture dans plusieurs langues, créer des liens entre les tâches, leur vécu et leurs connaissances et privilégier des thématiques signifiantes. En ce sens, les pratiques pédagogiques mises en oeuvre auprès de certain⋅e⋅s élèves considéré⋅e⋅s à risque et issu⋅e⋅s de communautés immigrantes défavorisées sur le plan socioéconomique gagnent tout particulièrement à valoriser leurs statuts et leurs identités culturelles (Cummins, 2014) au moyen d’approches culturellement sensibles (Kinloch et Burkhard, 2016 ; Klingner et Edwards, 2006).

Du côté des recherches empiriques, Lo et Hyland (2007) ont réalisé une étude auprès 40 locuteur⋅rice⋅s du cantonais apprenant l’anglais langue seconde, âgé⋅e⋅s de 10-11 ans. Elles ont montré que la mise en place de contextes signifiants et motivants d’écriture en langue seconde, notamment lorsque des thèmes et des activités d’écriture visent l’élargissement de l’expression personnelle des scripteur⋅rices et favorisent la production de textes pour des destinataires réel⋅le⋅s, a un impact positif sur la qualité des compositions des élèves et sur le nombre de mots produits, pour les élèves classé⋅e⋅s parmi les plus faibles en vocabulaire. Ces dernier⋅ère⋅s augmentent aussi leur confiance en elles·eux, stimulée par cette approche de l’enseignement de l’écriture. De leur côté, Souryasack et Lee (2007) ont évalué les effets d’une approche qui s’appuie sur les expériences personnelles (en tant qu’êtres pluriculturel⋅le⋅s) et les intérêts de trois élèves lao-américaines de 12 ou 13 ans sur leur motivation à écrire en anglais langue seconde. Elles ont montré que cette intervention leur a permis d’augmenter leur estime de soi et de trouver du plaisir à écrire sur leur enfance ou sur leur isolement (thèmes qu’elles ont toutes choisis spontanément), voire, pour l’une d’entre elles, de trouver un moyen de lutter pour l’amélioration des conditions de vie de leur communauté (au moyen d’une lettre adressée au gouverneur de leur État). Ces adolescentes, à qui l’on a proposé des pratiques régulières d’écriture signifiante, ont pu donner du sens à leurs textes et s’investir pleinement dans l’exercice, alors qu’au départ, ce travail représentait un défi pour elles.

Dans le même ordre d’idées, dans une perspective de continuité identitaire, l’écriture de l’histoire familiale de migration constitue un soutien précieux tant pour l’intégration des adultes que pour celle des jeunes. Si le partage en milieu familial représente une première dimension favorable à la transmission de cette histoire, le fait de la raconter dans le milieu scolaire rend explicite l’établissement des liens signifiants entre ces deux mondes et soutient la construction identitaire des jeunes (Rachédi et Pierre, 2007 ; Rachédi, 2010 ; Vatz-Laaroussi, Bolzman et Lahlou, 2008). Une recherche réalisée dans des classes d’accueil à Montréal et dans d’autres régions (Vatz-Laaroussi, Armand, Kanouté, Rachédi, Steinbach, Stoïca et Rousseau, 2010-2013) et portant sur la production de l’histoire familiale (à partir de photos, de vidéos et de discussions comme éléments déclencheurs) a permis d’observer que le fait d’écrire sur des thèmes qui leur tiennent à coeur a stimulé une importante production de textes chez les élèves (Armand, Thamin et Vatz-Laaroussi, 2015 ; Vatz-Laaroussi, Armand, Rachédi, Stoïca, Combes et Magnignin, 2013). Enfin, l’écriture collaborative, qui implique des échanges en grand groupe ou en sous-groupe, permet de réfléchir à plusieurs sur les différents aspects de l’écriture, tels que le contenu du texte à produire, et de mettre en commun les connaissances linguistiques des apprenant⋅e⋅s, ce qui est en particulier pertinent dans un contexte d’apprentissage d’une langue seconde (Wigglesworth et Storch, 2012).

Ces recherches ont ainsi mis de l’avant le fait que ces pratiques (contexte signifiant, prise en compte des expériences et du vécu personnel des jeunes, écriture collaborative) ont un impact sur l’engagement et l’estime de soi des élèves. Toutefois, sur le plan formel, elles se sont peu intéressées aux impacts sur l’amélioration de la qualité même de l’écriture.

2.2 Les approches plurilingues en écriture et l’engagement

Les approches plurilingues en écriture consistent à aborder son apprentissage et son enseignement dans un contexte éducatif où différentes langues sont utilisées (langues maternelles et autres langues connues, langue de l’école, autres langues). Elles mettent l’accent sur l’identité comme composante centrale de l’apprentissage et sur la négociation des identités comme l’un des déterminants de l’engagement affectif et cognitif des apprenant⋅e⋅s dans le processus d’apprentissage (Cummins, 2009). Dans cet esprit, Pilote, Magnan et Groff (2011) ont démontré que l’identité linguistique des jeunes évolue et se transforme considérablement au fil des expériences scolaires formelles et informelles. L’école, par les rapports d’altérité et les rapports intergroupes qui y prennent place, joue un rôle majeur dans la socialisation linguistique et la construction identitaire des jeunes. En ce qui concerne l’engagement, s’inspirant des travaux de Guthrie (2004), Cummins (2009) énonce l’hypothèse d’une interdépendance forte entre cet engagement et le développement de la littératie. Selon Guthrie (2004), l’engagement des élèves se manifesterait par leur concentration, les efforts fournis et les stratégies employées lors des tâches de lecture ou d’écriture. Sur le plan affectif, il serait associé à l’enthousiasme et au plaisir éprouvés devant ces tâches. Afin d’assurer la pleine participation des élèves en classe, il apparait nécessaire, dans une perspective d’empowerment, de soutenir leur affirmation et leur négociation identitaires. Tel qu’énoncé plus haut, pour les élèves bi/plurilingues, cet empowerment est tributaire de la reconnaissance de leurs savoirs et de leurs savoir-faire dans l’ensemble de leurs langues (Cummins, 2009).

Par ailleurs, d’un point de vue psycholinguistique, divers⋅es chercheur⋅se⋅s ont conclu que des apprenant⋅es qui perçoivent qu’elle⋅il⋅s sont autorisé⋅e⋅s à faire des allers-retours entre les différentes langues de leur répertoire durant le processus d’écriture ont une possibilité accrue de raffiner et de développer leurs ressources linguistiques et leurs connaissances (Cumming, 2016). Qui plus est, la langue maternelle peut être utilisée, de façon stratégique, pour planifier, formuler leurs idées et réviser leur texte (Manchón, Roca de Larios et Murphy, 2007 ; Roca de Larios, Nicolas-Conesá et Coyle, 2018), et ce, de manière tout particulièrement bénéfique dans le cadre de tâches complexes (Cummins, 2007). L’ensemble des ressources des apprenant⋅e⋅s peut ainsi être mis à profit de façon créative alors qu’à l’inverse, comme le souligne Hélot (2014), « l’approche monolingue ne permet pas de créer des espaces interactionnels qui soutiennent les transferts interlinguistiques et le développement des capacités métalinguistiques » (traduction libre, p. 222).

Comme nous l’indiquions, ces approches plurilingues de la littératie, inspirées de Cummins, s’inscrivent dans les tournants sociolinguistique et multilingue des dernières années. Elles sont liées aux travaux du Centre européen pour les langues vivantes du Conseil de l’Europe (Candelier, Camilleri-Grima, Castellotti, de Pietro, Lőrincz, Meißner, et Molinié, 2012) portant notamment sur l’Éveil aux langues et les approches plurielles (Candelier, 2003 ; Perregaux, De Goumoëns, Jeannot et Di Pietro, 2003) ainsi que sur les pédagogies de translanguaging, proposées par Garcia et Kleyn (2016). Ces travaux ont en commun le fait de mener les apprenant⋅e⋅s à prendre en compte l’ensemble de leurs pratiques langagières dans les différentes langues de leur répertoire afin d’en développer de nouvelles, de soutenir celles qui existent déjà, de communiquer et de s’approprier des connaissances. Plusieurs études empiriques se sont penchées sur des interventions impliquant ces pratiques, et ce, dans différentes matières scolaires, afin de favoriser un étayage linguistique et cognitif. Il est constaté qu’elles permettent le développement d’une conscience métalinguistique chez les élèves, en plus de les amener à s’engager dans leurs apprentissages (Cenoz et Gorter, 2015).

De leur côté, les approches d’Éveil aux langues sont apparues en Europe francophone et, au Québec, avec le projet ÉLODiL (Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique, disponible sur le site www.elodil.umontreal.ca). Né du courant de Language Awareness (Hawkins, 1984), l’Éveil aux langues, grâce à « la manipulation et [au] contact avec des corpus écrits et oraux de différentes langues » (Armand, Dagenais et Nicollin, 2008, p. 49), vise le développement de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être associés à la compétence plurilingue des élèves (Candelier et coll., 2012). Ses objectifs consistent à préparer les élèves à vivre dans des sociétés linguistiquement et culturellement diverses et, en contexte de migration, à légitimer les langues maternelles et, plus largement, l’ensemble des langues du répertoire des élèves. Également, il s’agit de permettre aux apprenant⋅e⋅s de développer leurs capacités d’observation et de manipulation des langues (capacités métalinguistiques). L’évaluation de ces programmes en Europe comme au Canada permet de souligner leur potentiel pour développer ces capacités métalinguistiques chez les élèves, faire émerger des représentations positives de la diversité des langues, à la fois chez les enseignant⋅e⋅s et chez les élèves, et favoriser une construction identitaire harmonieuse, en particulier chez les élèves les plus faibles scolairement, faisant ainsi obstacle aux attitudes et aux pratiques discriminatoires en milieu scolaire. Durant ces activités, les élèves allophones sont considéré⋅e⋅s comme des interlocuteur⋅rice⋅s riches en connaissances diverses sur les langues plutôt que seulement comme des apprenante⋅s novices ayant peu de connaissances dans la langue scolaire (Candelier, 2003 ; Dagenais, Walsch, Armand et Maraillet (2018) ; Lory et Armand, 2016 ; Maynard, 2019). Plus précisément, dans le domaine de l’écriture, ces approches plurilingues ont été exploitées avec la production d’identity texts (Cummins et Early, 2011).

2.3 Les textes identitaires plurilingues

Le terme identity texts a été employé pour décrire une variété de travaux créatifs d’élèves – récits de vie oraux et écrits, explorations théâtrales et multimodales – dans lesquels les élèves utilisent les différentes langues de leur répertoire (Cummins et Early, 2011). Elleil⋅s sont ainsi amené⋅e⋅s à produire des textes qui reflètent leurs identités complexes sous un jour positif. En plus de s’appuyer sur le répertoire linguistique plurilingue des élèves, ces productions impliquent le partage et la coconstruction des histoires, la conception de livres et leur présentation à des destinataires réel⋅le⋅s dans plusieurs langues, et, par le fait même, l’affirmation d’une posture d’auteur⋅e et de son identité. Les principaux fondements de ce champ d’études s’appuient sur la notion de fonds de connaissance des apprenant⋅e⋅s et de leur famille (Gonzalez, Moll et Amanti, 2005 ; Moll, Amanti, Neff et Gonzalez, 1992), soit leurs connaissances linguistiques et/ou culturelles (Mary et Young, 2018), ainsi que sur les liens entre négociation identitaire et engagement (Cummins, 2000, 2009 ; Guthrie, 2004 ; Harklau, 2000). Deux recherches (Bernhard, Cummins, Campoy, Ada, Winsler et Bleiker, 2006 ; Taylor, Bernhard, Garg et Cummins, 2008), réalisées auprès de jeunes enfants scolarisé⋅e⋅s en anglais langue seconde et dont la langue parlée à la maison est presque exclusivement l’espagnol ou le créole haïtien, ont montré que leur expérience en tant qu’auteur⋅e⋅s de livres qui parlent de leur propre vie et de leurs intérêts et dans lesquels elle⋅il⋅s apparaissaient comme des protagonistes, développe chez ces jeunes enfants l’estime de soi et un lien affectif avec la littératie. Dans le même ordre d’idées, Cummins, Hu, Markus et Montero (2015) et Krulatz, Steen-Olsen et Torgensen (2017) ont montré les effets positifs de ces pratiques sur le sentiment de fierté et de compétence que développent les élèves de niveaux différents en tant que communicateur⋅rice⋅s. Par ailleurs, sur un plan plus formel, Bernhard et coll. (2006) ont aussi montré que la production de ces textes identitaires a des effets positifs sur le développement des compétences langagières et en littératie de jeunes enfants. Une telle démonstration reste à faire auprès d’adolescent⋅e⋅s apprenant⋅e⋅s du français langue seconde qui sont en situation de grand retard scolaire.

Ces textes identitaires et leurs modalités de production impliquent la mise en place d’approches collaboratives et la valorisation des interactions orales au sein de la classe, pratiques considérées efficaces en contexte de langue seconde. En lien avec l’ensemble des principes mis de l’avant pour favoriser l’apprentissage de l’écriture, nous avons également exploré un autre type d’intervention ciblant, entre autres, le développement de ces interactions orales : les ateliers d’expression théâtrale plurilingues.

2.4 Les ateliers d’expression théâtrale plurilingues

L’expression artistique et théâtrale est un levier important au moment de l’adolescence, car elle peut servir à exprimer et à endiguer la souffrance associée aux transformations de cette période de la vie, tout en canalisant les forces de l’adolescence et son idéalisme (Emunah, 1990). Comme l’indique Clerc (2008) :

[les pratiques artistiques] permettent aux élèves, aux parcours scolaires variés (certains ayant été peu scolarisés dans leur pays d’origine), aux niveaux de langue hétérogènes et en difficulté sociale et psychologique, de se confronter à une démarche de création, leur apportent des ressources diversifiées, une palette de langages, un accroissement de leur désir d’expression dans la langue de scolarisation et les aident à s’inscrire dans un nouvel environnement éducatif.

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Dans un contexte scolaire, l’expression théâtrale favorise une croissance sociale au travers d’activités non compétitives qui mettent de l’avant la responsabilité partagée et la constitution d’une équipe.

Au Québec, des ateliers d’expression théâtrale ont été mis en place par l’Équipe de recherche et d’intervention transculturelles, formée de chercheur⋅se⋅s en psychiatrie transculturelle de l’Institut universitaire SHERPA (Rousseau, Lacroix, Singh, Gauthier et Benoit, 2005). Ces ateliers visent à créer un lieu à part, libre d’expression, où la performance artistique n’est pas le but visé et au sein duquel est établi un climat de sécurité et de confiance. Le déroulement des ateliers est le suivant : un rituel d’ouverture, des jeux et des réchauffements, des exercices théâtraux, la narration d’histoires en sous-groupe sur le thème spécifique à l’atelier (par exemple, les voyages, les cérémonies, les langues, les aurevoirs), le choix d’une histoire par sous-groupe, qui sera l’objet d’une représentation devant le groupe et, enfin, le rituel de fermeture. Tout au long des ateliers, les informations révélées sur des aspects personnels sont traitées de façon confidentielle et respectueuse. En raison des thèmes abordés, les histoires partagées par les élèves font directement appel à leur vécu. Pour faciliter leur expression, les élèves sont encouragé⋅e⋅s à recourir à divers médiums artistiques (par exemple, des tissus et des instruments de musique).

Des résultats quantitatifs, tirés des premières mises à l’essai de ces ateliers en classe d’accueil auprès de jeunes réfugié⋅e⋅s, dans une version qui ne mettait pas nécessairement l’accent sur le plurilinguisme, suggèrent que ces ateliers facilitent la socialisation des jeunes et qu’ils diminuent les problèmes associés à leurs difficultés émotionnelles, et ce, dans différentes sphères (familiale, sociale et scolaire). Sur le plan scolaire, une amélioration en mathématiques est également observée. Enfin, une évaluation qualitative indique que ces ateliers constituent un espace sécuritaire d’expression où les adolescent⋅e⋅s sont soutenu⋅e⋅s par leurs pair⋅e⋅s, par l’équipe et par la nature rituelle de l’activité. Ainsi, les ateliers favorisent l’élaboration et l’intégration des différentes transitions associées à l’adolescence, à la migration et à une identité hybride. Ils permettent aussi aux jeunes de transformer partiellement les expériences d’adversité en apprentissage (Rousseau, Benoit, Gauthier, Lacroix, Alain, Viger Rojas, Moran et Bourassa, 2007).

Plus récemment, une collaboration entre l’Équipe de recherche et d’intervention transculturelles de Rousseau et l’Équipe Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique de Armand (Rousseau et Armand, contrat du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009-2012 ; Équipe de recherche et d’intervention transculturelles et Équipe Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique, 2013) a permis d’ajouter aux ateliers un volet plurilingue. Cet apport a fait en sorte que les élèves se sentent légitimé⋅e⋅s à utiliser leurs langues maternelles et d’autres langues connues tout au long des activités et qu’elle⋅il⋅s soient sensibilisé⋅es à la diversité linguistique. La mise à l’essai des ateliers d’expression théâtrale plurilingues dans des classes d’élèves en situation de grand retard scolaire a montré que, de façon significative, en comparaison avec un groupe contrôle, les élèves qui ont bénéficié des ateliers d’expression théâtrale plurilingue ont développé un plus grand sentiment d’empowerment que leurs pair⋅e⋅s du groupe contrôle (Rousseau, Armand, Laurin-Lamothe, Gauthier et Saboundjian, 2011). Également, elleil⋅s ont déclaré se sentir moins stressé⋅e⋅s de parler en français et plus capables d’en réaliser l’apprentissage. Par ailleurs, des progrès sont observés à l’oral en ce qui concerne la capacité à prendre la parole en sous-groupe ou en grand groupe et la prise de risque dans la production langagière (compétence stratégique) (Armand, Rousseau, Lory et Machouf, 2011). Sur un plan formel (compétence linguistique), on observe aussi un effet sur l’ajustement du volume de la voix chez plusieurs des élèves ainsi que sur la qualité des structures de phrase. De plus, l’implantation de ces ateliers a permis d’instaurer un climat de classe propice à l’expression des émotions et aux apprentissages ainsi qu’à l’émergence d’une nouvelle dynamique de relations entre les jeunes (Armand, Lory et Rousseau, 2013). Afin de favoriser les interactions sociales et la communication, il est nécessaire que les apprenant⋅e⋅s se sentent impliqué⋅e⋅s dans une activité porteuse de sens et développent entre elles⋅eux une relation significative. La qualité de cette collaboration constitue un atout dans l’apprentissage des langues (Donato, 2004). L’ensemble de ces résultats permet de penser que ces ateliers apporteraient une dynamique positive lors d’activités d’écriture, en favorisant les interactions et la capacité d’exprimer sa voix avec confiance. Dans le cadre de la présente étude, afin de compléter les études réalisées sur les textes identitaires plurilingues et sur les ateliers d’expression théâtrale plurilingues, qui mettaient essentiellement l’accent sur l’engagement et sur les compétences à l’oral, nous porterons notre attention sur leurs effets sur la compétence à écrire d’élèves allophones en situation de grand retard scolaire.

3. Objectif de recherche

L’ensemble des cadres conceptuels et des recherches évoqués nous a menées à formuler l’objectif de recherche suivant : observer les effets de la production de textes identitaires plurilingues (avec ou sans ateliers d’expression théâtrale plurilingues) sur la compétence à écrire (idées, cohérence, lexique, connaissances de la phrase, conventions de l’écrit) d’élèves immigrant⋅es allophones en situation de grand retard scolaire en classe d’accueil au secondaire (Armand, Magnan, Papazian, Rachédi, Rousseau, Vatz-Laaroussi et Maynard, 2015).

4. Méthodologie

4.1 Les participants

Cette recherche collaborative, complétée par une démarche évaluative, s’est déroulée dans 12 classes d’accueil au secondaire, au sein de six écoles défavorisées de trois centres de services scolaires du Grand Montréal. Ces classes accueillaient un total de 170 élèves immigrant⋅e⋅s allophones nouvellement arrivé⋅e⋅s, dont la majorité était en situation de grand retard scolaire, selon les données des centres de services scolaires et les observations des enseignant⋅e⋅s. Les participant⋅e⋅s ont été divisé⋅e⋅s en trois groupes (G1, G2 et G3), selon la disponibilité des enseignant⋅e⋅s et leur intérêt à mettre en oeuvre les pratiques d’enseignement-apprentissage de l’écriture telles que proposées dans la recherche. Tou⋅te⋅s ont participé aux activités pédagogiques dans le cadre des pratiques habituelles de leur enseignant⋅e. En ce qui concerne la cueillette de données, parmi l’ensemble des élèves, 143 ont accepté de participer à la recherche et 27 ont refusé ou n’ont jamais remis leur formulaire de consentement signé. En cours de recherche, principalement en raison de changements de classe ou d’école, 10 élèves ont dû être retiré⋅e⋅s de l’échantillon, ce qui a porté le nombre de participant⋅e⋅s à 133. Par ailleurs, pour les analyses statistiques des épreuves, en raison de données manquantes, le nombre total a été réduit à 117 élèves qui se répartissent selon les trois groupes suivants.

Dans le groupe G1 (quatre classes), 39 élèves ont produit des textes identitaires plurilingues et ont participé à des ateliers d’expression théâtrale plurilingues. Dans le groupe G2 (quatre classes), 45 élèves ont produit des textes identitaires plurilingues (sans ateliers d’expression théâtrale plurilingues). Enfin, dans le groupe G3, soit le groupe contrôle (quatre classes), 33 élèves ont reçu un enseignement de l’écriture selon les pratiques habituelles de leur enseignant⋅e (tableau 1). Les élèves des trois groupes ont en moyenne 15 ans, avec une grande variabilité (entre 12 ans et 18 ans). La moyenne du temps passé au Québec depuis leur arrivée est, pour les trois groupes, de 14 mois, avec également des variantes selon les groupes. Au moment de l’intervention, la majorité des élèves des trois groupes en étaient à leur deuxième année en classe d’accueil. Au sein de l’échantillon, on compte 37 pays d’origine et 27 langues maternelles déclarées. Les trois groupes sont sensiblement équivalents en termes de répartition de cette diversité.

Tableau 1

Répartition des élèves dans les trois groupes

Répartition des élèves dans les trois groupes

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4.2 L’intervention

Lors de l’intervention mise à l’essai dans ce projet (de janvier à mai 2014), les élèves des groupes G1 et G2 ont produit, avec le soutien de leur enseignant⋅e et des interactions avec leurs pair⋅e⋅s, des textes identitaires plurilingues portant sur six thèmes liés à leur histoire familiale, soit, dans cet ordre : mes voyages ; une personne adulte significative ; mes amis ; mes langues ; les fêtes et les cérémonies ; mes rêves. Au total, l’équipe de recherche et les enseignant⋅e⋅s se sont rencontré⋅es neuf journées pour concevoir chacune des interventions (choix du thème et des déclencheurs, formulation des consignes d’écriture, élaboration des canevas de planification avec modalités de différenciation, etc.) et pour recueillir des rétroactions sur les activités à mesure qu’elles étaient mises à l’essai en classe.

Par ailleurs, lors de l’intervention, suivant les principes de l’enseignement efficace de l’écriture, un accent a été mis sur le développement du vocabulaire au moyen de la conception et de l’exploitation de murs de mots (Malette et Vinet, 2009), ainsi que sur l’apprentissage des différentes étapes du processus d’écriture au moyen d’un modelage et d’un enseignement explicite. Les élèves ont aussi développé des habiletés dans l’utilisation de différents outils de référence (dictionnaires, outils de traduction en ligne, aide-mémoire sur les stratégies d’écriture, etc.). Également, les enseignant⋅e⋅s ont favorisé la collaboration entre les pair⋅e⋅s avant et pendant l’écriture (entraide dans différentes langues, lecture des versions de travail pour recevoir des rétroactions) pour que les élèves s’apportent du soutien sur le plan tant du contenu que de la forme.

Ces élèves allophones en cours d’apprentissage du français langue seconde ont aussi eu la possibilité, à l’oral ou à l’écrit, d’utiliser les différentes langues de leur répertoire linguistique et de produire, si elle⋅il⋅s le souhaitaient, des textes bi/plurilingues. La consigne suivante leur a été donnée : « Si tu as besoin, pour dire certaines choses, tu peux utiliser la langue de ton choix pour certains mots, certaines parties de ton texte ou même tout ton texte ; si tu veux partager ce texte et que tout le monde le comprenne, c’est important que tu en donnes une version en français, à l’oral ou à l’écrit ». Par ailleurs, dans le groupe G1, les élèves ont bénéficié d’ateliers d’expression théâtrale plurilingues qui ont agi, entre autres, à titre de facilitateurs pour la génération des idées, avant l’écriture. Ces ateliers ont été animés par les enseignant⋅e⋅s, parfois avec l’accompagnement d’un⋅e intervenant⋅e de l’Équipe de recherche et d’intervention transculturelles, selon le déroulement décrit plus haut dans le cadre conceptuel. Enfin, afin de valoriser l’aspect authentique de l’écriture, les textes produits par les élèves ont été regroupés, pour chaque classe participante des groupes G1 et G2, dans un livre collectif qui a fait l’objet d’un lancement public (les huit classes réunies) en présence d’une écrivaine québécoise reconnue, Kim Thuy, elle-même issue de l’immigration.

L’intervention a mené, dans les groupes G1 et G2, à la production de six textes, dont trois ont fait l’objet d’une révision. Deux assistantes de recherche étaient présentes, dans chacune des classes des groupes G1 et G2, durant une ou deux périodes de travail autour de chacun des thèmes. En moyenne, chaque texte a été produit en deux à trois périodes d’écriture de 75 minutes.

Dans le groupe G3, les élèves ont produit des textes sur différents sujets proposés par l’enseignant⋅e et qui s’approchent parfois de ce qui est proposé dans les groupes G1 et G2 (faire le portrait d’un ami, comparer son école au pays d’origine et au Québec, écrire une lettre à un ami pour lui raconter son installation à Montréal). Puisque, dans le G3, les enseignant⋅e⋅s ont recouru à leurs pratiques habituelles d’enseignement de l’écriture, les conditions entourant ces pratiques n’ont pas été encadrées par la recherche. Par le fait même, ces pratiques différaient selon les enseignant⋅e⋅s. Cela dit, les observations participantes (de deux à sept selon la classe) ont permis de constater que, dans toutes les classes, les textes étaient produits uniquement de façon individuelle, sans incitation à la collaboration, puis remis à l’enseignant⋅e pour évaluation. Seul le français était utilisé en tout temps. Les étapes de l’écriture étaient rapidement présentées par l’enseignant⋅e, qui apportait peu de soutien aux élèves pendant l’écriture, certain⋅e⋅s se limitant, à titre illustratif, à répondre aux questions posées. Portant parfois sur des thématiques abordées en classe, comme les sports, les textes étaient souvent produits en une seule période de 75 minutes. Enfin, une autre constante observée dans le G3 est la moins grande fréquence des périodes d’écriture (par exemple, une seule période par cycle de neuf jours) et des activités entourant son enseignement (par exemple, interactions orales sur le thème abordé, modelage) que dans le G1 et le G2.

4.3 Les outils de cueillette des données

Afin de répondre à l’objectif de recherche, les élèves ont produit, lors d’une passation collective avant l’intervention (Temps 1 - décembre 2013) et après l’intervention (Temps 2 - mai 2014), un texte descriptif (Texte 1 - Présente-toi) et un texte narratif (Texte 2 - Raconte un bon moment). Ces deux textes ont été évalués, au moyen d’une grille, sur cinq dimensions : les idées (28 %), la cohérence (16 %), le lexique (24 %), les connaissances liées à la phrase (28 %) et le respect des conventions de l’écrit (4 %) (figure 1). Pour chacune de ces dimensions, des critères ont été déterminés afin d’attribuer des notes chiffrées. Par exemple, pour la section « connaissance du sens des mots » de la dimension « lexique », qui comptait pour 16 % de la note globale, la performance de l’élève était notée selon quatre échelons (rangs). Ainsi, l’élève obtenait 16 points si elle⋅il utilisait des mots variés et quelques expressions françaises courantes, 12 points si elle⋅il utilisait les mots appris en classe et des mots de vocabulaire courant, 8 points si elle⋅il utilisait les mots vus en classe et/ou affichés et 4 points si elle⋅il utilisait un vocabulaire limité, répétitif et imprécis. Également, des notes différentes (8, 6, 4 et 2) lui étaient attribuées selon sa maitrise de l’orthographe de ces mots, pour un maximum de 24 points pour la dimension « lexique ». Enfin, le nombre de mots contenus dans chacun des textes a aussi été considéré. L’ensemble des textes a été corrigé par deux assistantes de recherche, avec un accord interjuge élevé (90 %) calculé sur 35 % des textes.

Indiquons par ailleurs que des données qualitatives ont également été recueillies afin de documenter l’engagement des élèves, et ce, au moyen de l’observation en classe d’un nombre réduit d’élèves (de quatre à six élèves dans chacune des classes expérimentales et contrôles) et d’entrevues semi-dirigées effectuées auprès de ces dernier⋅ère⋅s. Lors des observations, étaient relevés, en ordre chronologique, les comportements d’engagement et de désengagement des élèves, les chercheures confirmant parfois leur interprétation de ces comportements auprès des élèves concerné⋅e⋅s. Les entrevues ont permis de compléter ce recueil de données en abordant certains thèmes, tels que les sentiments des élèves envers l’écriture, leur sentiment d’efficacité personnelle en écriture et les stratégies d’écriture dont elle⋅il⋅s disposent. Une partie seulement des résultats tirés de ces données sera exploitée dans la discussion du présent article (Armand, Magnan et coll., 2015 ; Maynard et Armand, 2016). Également, les enseignant⋅e⋅s ont rempli un questionnaire à la fin de l’intervention afin de partager leurs impressions sur l’intervention, notamment en ce qui a trait à son potentiel pour développer la compétence à écrire et l’engagement des élèves.

Figure 1

Grille de correction pour les Textes 1 et 2

Grille de correction pour les Textes 1 et 2

Figure 1 (suite)

Grille de correction pour les Textes 1 et 2

Figure 1 (suite)

Grille de correction pour les Textes 1 et 2

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5. Résultats

L’analyse statistique que nous avons conduite dans le cadre de cette étude doit sa validité à un ensemble de tests préalables. Ces tests portent, d’une part, sur la cohérence de chacun des sous-scores correspondant aux cinq dimensions évaluées et, d’autre part, sur la cohérence du score global, pour chacun des textes et aux deux temps. Nous nous sommes aussi intéressées aux équivalences entre les groupes, selon l’âge et le temps de présence au Québec au début de l’intervention.

5.1 Les analyses préalables

5.1.1 La cohérence de chacun des sous-scores

Dans la mesure où, pour chacune des dimensions, des notes qui ne correspondaient pas à des échelles de Lickert étaient attribuées, la cohérence a été étudiée au moyen du coefficient de corrélation de Pearson. Celui-ci a permis d’identifier les coefficients de corrélation entre les trois notes inférieures de chaque sous-score par rapport à la note globale supérieure. L’ensemble des épreuves présente une forte cohérence, chaque note étant significativement corrélée à la sous-section (p < 0,001), à l’exception de la dimension « conventions de l’écrit » (sur 4). On n’observe qu’une légère variance pour cette épreuve, pour laquelle les élèves obtiennent par ailleurs des moyennes élevées (effet plafond).

5.1.2 La cohérence pour le score global (100), constitué des cinq sous-scores, pour chacun des textes

Le score global sur 100 à chaque mesure (Texte 1 au Temps 1 et au Temps 2 ; Texte 2 au Temps 1 et au Temps 2) présente lui aussi des corrélations positives significatives pour les quatre premiers sous-scores. Le coefficient de corrélation se situe entre 0,65 et 0,82 avec p < 0,001 au Temps 1 et entre 0,75 et 0,83 avec p < 0,001 au Temps 2. De son côté, le sous-score « conventions de l’écrit » est corrélé significativement au score global pour trois des quatre mesures avec des corrélations allant de 0,257 (p = 0,003) à 0,485 (p < 0,001). La corrélation de 0,140 pour le Texte 1 au Temps 1 n’est pas significative (p = 0,113).

5.1.3 L’âge et le temps de présence au Québec (variables intergroupes)

Nous avons également réalisé des analyses sur les variables intergroupes, soit l’âge et le temps passé au Québec. Les élèves du groupe G2 ont une moyenne d’âge plus élevée (16 ans) que celles⋅ceux des groupes G1 (14 ans et 4 mois) et G3 (15 ans). La différence est significative entre les groupes (F (2,130) = 17,94 ; p < 0,001) et l’analyse post hoc permet de voir que la moyenne d’âge du groupe G2 est significativement plus élevée que celle des groupes G1 et G3 (p < 0,001 et p = 0,001 respectivement). En termes de temps passé au Québec, la moyenne du groupe G2 est plus basse (10 mois) que celle des groupes G1 (14 mois) et G3 (18 mois). La différence entre les groupes est significative (F (2,128) = 11,26 ; p < 0,001), le groupe G2 ayant une moyenne significativement moins élevée que les groupes G1 et G3 (p = 0,043 et p < 0,001 respectivement).

Afin de comparer l’évolution des différents groupes, les données (tableau 2) ont fait l’objet d’une analyse de variance à mesures répétées, avec deux facteurs intrasujets, soit le temps (Temps 1 et Temps 2) et le type d’épreuves d’écriture (Texte 1 - descriptif et Texte 2 - narratif), et deux facteurs intersujets, soit le sexe et le groupe d’intervention (Théâtre-écriture G1, Écriture G2 et Contrôle G3). Comme mentionné, les comparaisons entre les groupes au Temps 1 ont permis de relever des différences en ce qui concerne l’âge et le temps passé au Québec. Ces deux variables ont été traitées comme covariables dans la poursuite des analyses.

Nous avons en particulier porté notre regard sur les analyses qui révélaient une interaction significative entre le temps (Temps 1 et Temps 2) et le groupe d’intervention (G1, G2 ou G3). En cas d’interactions incorporant le sexe ou le type d’épreuves (Texte 1 - descriptif ou Texte 2 - narratif), les analyses ont été réalisées en fixant ces facteurs.

Tableau 2

Résultats par groupe par texte (Texte 1 et Texte 2), pour le Temps 1 (T1) et le Temps 2 (T2) : score global, sous-scores et nombre de mots

Résultats par groupe par texte (Texte 1 et Texte 2), pour le Temps 1 (T1) et le Temps 2 (T2) : score global, sous-scores et nombre de mots

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5.2 Les analyses statistiques sur le score global et les différents sous-scores

En ce qui concerne le score global, on n’observe aucune interaction triple ou quadruple significative. Également, l’interaction double Temps x Groupe d’intervention (F (2,109) = 2,358 ; p = 0,099 ; η2 = 0,041) n’est pas significative. L’évolution des trois groupes n’est donc pas différente. Seule l’interaction double Temps x Texte s’avère significative (F (1, 109) = 7,110 ; p = 0,009 ; η2 = 0,061). À cet égard, les analyses post hoc indiquent que tous les élèves tendent à progresser entre le Temps 1 et le Temps 2, et ce, pour chacun des deux textes (p < 0,001). La moyenne globale au Texte 1 est égale à 66,29 au Temps 1 et à 71,35 au Temps 2. Pour le Texte 2, la moyenne globale est de 62,83 au Temps 1 et de 69,54 au Temps 2.

Nous avons poursuivi l’examen de l’évolution des moyennes dans le temps pour chacun des trois groupes, et ce, pour chaque sous-score, afin de mieux pointer les éventuelles progressions entre le Temps 1 et le Temps 2. Dans la suite de la présentation des résultats, seules seront indiquées les interactions quadruples, triples ou doubles qui sont significatives.

En ce qui a trait aux idées, on note une triple interaction Temps x Sexe x Groupe d’intervention (F (4,109) = 2,874 ; p = 0,026 ; η2 = 0,095). Les analyses post hoc révèlent, dans le groupe G1, une évolution significative entre le Temps 1 et le Temps 2, à la fois chez les filles et chez les garçons (respectivement p = 0,028 et p < 0,001). C’est aussi le cas pour les filles du groupe G2 (p = 0,001). Aucune évolution sur cette dimension n’est observée pour les filles et les garçons du groupe G3.

Du côté de la cohérence, on ne note pas d’effet de l’intervention dans la mesure où les deux seules interactions doubles significatives observées sont les suivantes : Temps x Texte (F (1,109) = 4,404 ; p = 0,038 ; η2 = 0,039) et Texte x Sexe (F (1,109) = 8,92 ; p = 0,003 ; η2 = 0,076). Les moyennes des trois groupes augmentent de façon significative entre le Temps 1 et le Temps 2, et ce, pour les deux textes (pour le Texte 1 : p = 0,010 ; pour le Texte 2 : p < 0,001).

Dans le cas du lexique, on observe une interaction double significative Temps x Groupe d’intervention (F (2,109) = 3,441 ; p = 0,036 ; η2 = 0,059) et une interaction triple Temps x Texte x Sexe (F (1,109) = 7,268 ; p = 0,008 ; η2 = 0,063). Les analyses post hoc révèlent, dans le groupe G1, une évolution significative entre le Temps 1 et le Temps 2 pour les deux textes, à la fois chez les filles et chez les garçons (respectivement p = 0,018 et p < 0,001 pour le Texte 1 et p < 0,001 et p = 0,027 pour le Texte 2). Dans le groupe G2, c’est aussi le cas pour les deux textes, mais seulement chez les garçons (p < 0,001 pour le Texte 1 et p = 0,029 pour le Texte 2). Enfin, seules les filles du groupe G3, et ce, uniquement pour le Texte 2, obtiennent des moyennes significativement supérieures au Temps 2 (p = 0,013).

Concernant les connaissances liées à la phrase, on note une seule interaction double significative : Temps x Groupe d’intervention (F (2,109) = 3,531 ; p = 0,033 ; η2 = 0,061). Les analyses post hoc indiquent que les groupes G1 et G3 ont vu leurs moyennes progresser significativement entre le Temps 1 et le Temps 2 (p < 0,001), et ce, indépendamment du sexe et du texte. Le groupe G2 progresse, mais de façon non statistiquement significative (p = 0,242).

En ce qui concerne les conventions de l’écrit, on note une interaction quadruple significative Temps x Texte x Sexe x Groupe d’intervention (F (2,109) = 4,928 ; p = 0,009 ; η2 = 0,083). Les analyses post hoc indiquent que les groupes G1 et G2 ne progressent pas de façon significative. Par contre, la moyenne des filles du G3 a significativement progressé pour le Texte 1 entre les deux temps (p = 0,004). Dans ce même groupe, pour le Texte 2, ce sont plutôt les garçons qui se démarquent de façon significative (p = 0,001). L’absence d’évolution significative des moyennes des groupes G1 et G2 peut s’expliquer par leurs acquis de départ (effet plafond), en particulier dans le groupe G1.

Pour le nombre de mots, on observe une interaction triple significative Temps x Texte x Groupe d’intervention (F (2,109) = 5,617 ; p = 0,005 ; η2 = 0,093). Selon les analyses post hoc, le groupe G1 (pour les Textes 1 et 2) et le groupe G2 (pour le Texte 1 seulement) produisent des textes plus longs au Temps 2 (respectivement p = 0,001 ; p < 0,001 ; p = 0,028). Aucune évolution significative sur cette dimension n’est observée pour le groupe G3.

6. Discussion

Après plusieurs mois en classe d’accueil, dans les trois groupes, les élèves progressent en écriture, ainsi que le révèlent leurs scores globaux aux post-tests. Toutefois, des effets plus marqués de l’intervention sont observés dans le groupe G1 comparativement aux groupes G2 et G3. En effet, la production de textes identitaires plurilingues, jumelée à des ateliers d’expression théâtrale plurilingues, a engendré des effets positifs sur plusieurs dimensions de la compétence à écrire (idées, lexique, nombre de mots), tant chez les garçons que chez les filles, et ce, pour les deux types de texte produits (descriptif et narratif). Les élèves du groupe G1 produisent des textes plus longs et développent davantage leurs idées en intégrant plus de détails à leurs textes. Elle·il·s utilisent aussi une plus grande variété de mots et d’expressions françaises courantes qu’elle⋅il⋅s orthographient correctement.

Dans le cadre des entrevues réalisées pour documenter les effets de l’intervention sur un plan qualitatif, plusieurs élèves ont souligné spécifiquement l’apport des ateliers d’expression théâtrale au processus d’écriture (Armand, Magnan et coll., 2015). Par exemple, à la question « Est-ce que le théâtre t’a aidée à écrire ? », Ani (G1) a répondu : « Oui parce qu’on a beaucoup d’imagination quand on fait le théâtre » (entrevue après l’intervention, 7 mai 2014).

Dans le groupe G2, où les élèves ont produit des textes identitaires plurilingues sans bénéficier des ateliers d’expression théâtrale plurilingue, on constate aussi des progrès sur le plan des idées, du lexique et du nombre de mots, mais pas de façon aussi généralisée que dans le groupe G1. En effet, des variantes sont présentes selon le sexe et le texte. Par exemple, dans ce groupe, seules les filles produisent des textes aux idées plus développées. Également, seuls les garçons progressent dans le domaine du lexique.

Plus particulièrement, concernant les idées et le nombre de mots, on n’observe pas d’évolution significative pour l’ensemble du groupe G3 et une évolution limitée pour le Texte 2, uniquement chez les filles, en ce qui touche au lexique. Cela dit, l’ensemble des élèves de ce groupe progresse pour ce qui est de la dimension « Connaissances liées à la phrase », comme dans le groupe G1, et de la dimension « Cohérence », comme dans les deux autres groupes.

Ces résultats confirment la pertinence des fondements et des principes sous-jacents à la mise en oeuvre de pratiques efficaces dans l’enseignement de l’écriture, notamment en lien avec l’engagement et avec les dimensions identitaires. D’ailleurs, sur ces plans, des résultats qualitatifs tirés de notre étude confirment le potentiel de l’intervention menée (Armand, Magnan et coll., 2015 ; Maynard et Armand, 2016). En effet, la production de textes identitaires plurilingues, notamment lorsqu’on y intègre des ateliers d’expression théâtrale plurilingues, contribue à outiller les élèves afin qu’elle⋅il⋅s s’engagent dans la tâche, tant affectivement que cognitivement.

L’engagement des élèves est, entre autres, lié à la prise de conscience et à la mobilisation des ressources contenues dans leur bagage linguistique et culturel, et ce, au cours du processus d’écriture en général comme dans les textes en tant que tels. Par exemple, dans les groupes G1 et G2, des élèves disent se servir des langues de leur répertoire linguistique (langues maternelles et autres langues connues) pour trouver des idées et pour faire un plan avant d’écrire leur texte. Notamment, le fait de comparer sa langue maternelle avec le français est aussi vu par certain⋅e⋅s comme un moyen de surmonter des difficultés qui, autrement, auraient été porteuses de stress.

Un extrait d’entrevue réalisée avec Jean, un élève du groupe G2, permet d’appuyer ce constat : « […] j’ai trouvé un moyen de trouver les idées. Si je pense en kirundi, je peux transformer en français » (entretien après l’intervention, 2 juin 2014). Dans le même ordre d’idées, Valentina, une élève du groupe G1, dit comparer sa langue maternelle (l’espagnol) avec le français lorsqu’elle rencontre des difficultés en écriture, ce qui atténue son stress. De son côté, Sébastian, également du groupe G1, dit penser dans sa langue maternelle pour trouver des idées et faire un plan avant d’écrire (Maynard et Armand, 2016).

Il apparait assez clairement que les élèves des groupes G1 et G2 ont développé un plus grand engagement en écriture en français langue seconde que les élèves du groupe G3. Elleil⋅s ont aussi développé un sentiment de compétence à la fois plus affirmé et plus nuancé. Elle·il·s se sentent autorisé⋅e⋅s à écrire, à faire des erreurs, à réviser leurs textes, ce qui se traduit par une amélioration de la qualité formelle de ceux-ci.

Ainsi, la présente recherche démontre, dans la lignée des études précédentes (Armand, Thamin et Vatz-Laaroussi, 2015 ; Lo et Hyland, 2007 ; Rachédi, 2010 ; Rachédi et Pierre, 2007 ; Souryasack et Lee, 2007 ; Vatz-Laaroussi et coll., 2008 ; Vatz-Laaroussi et coll., 2013 ; Wigglesworth et Storch, 2012), qu’il est possible de soutenir les élèves allophones immigrant⋅e⋅s dans leur apprentissage de l’écriture en français en misant sur des pratiques efficaces et sur des approches plurilingues en écriture. Par ailleurs, l’apport des ateliers d’expression théâtrale plurilingues est également démontré. Ils ont en effet aidé tant les garçons que les filles à augmenter la longueur des textes produits, à approfondir la richesse de leurs idées et à améliorer la qualité de leur vocabulaire. Ces résultats complètent donc, en ce qui a trait à l’apprentissage de l’écriture, les résultats positifs obtenus en lien avec l’apprentissage de l’oral à la suite de l’implantation d’ateliers d’expression théâtrale plurilingues (Armand et coll., 2011). Ils montrent en outre que les effets obtenus dans d’autres recherches sur les textes identitaires quant à l’engagement de jeunes élèves (Bernhard et coll., 2006 ; Cummins et coll., 2015 ; Krulatz et coll., 2017) sont aussi présents chez ces adolescent⋅e⋅s en situation de grand retard scolaire et se répercutent sur certaines dimensions de la compétence à écrire (idées, lexique et nombre de mots).

7. Conclusion

Cette recherche a été réalisée dans 12 classes d’accueil au secondaire dans le Grand Montréal. Elle a permis de montrer qu’il est possible de soutenir des élèves en situation de grand retard scolaire dans leur apprentissage de l’écriture en utilisant des pratiques efficaces en écriture et en misant sur les fonds de connaissance linguistique et culturel des élèves.

Réalistement, il faut néanmoins reconnaitre que le retard à rattraper pour plusieurs élèves est tel que la marche reste très haute pour réussir la suite de leur scolarité, ce dont certain·e·s des élèves ont conscience. Il reste que ces élèves sont davantage en mesure de poursuivre leurs apprentissages. Lynne, une enseignante du groupe G1, témoigne en ce sens dans le questionnaire rempli après l’intervention :

Je n’avais jamais vu des élèves en grand retard scolaire (ma clientèle depuis 8 ans) qui écrivaient autant en termes de quantité, et en termes de choses intéressantes, personnelles et émouvantes rapportées. Les élèves ont aussi manifesté un réel plaisir (certains voulaient prolonger la période d’écriture, d’autres demandaient la permission d’en faire à la maison – même s’ils ne le faisaient pas nécessairement). Ils sont même tous parvenus à y mettre de l’émotion. Les progrès manifestés étaient bien réels.

Par ailleurs, étant donné l’importante hétérogénéité des participant⋅e⋅s, notamment en termes de scolarisation préalable, de niveau en français, de parcours migratoire, de langues maternelles, de situation socioéconomique et d’expériences antérieures, il serait nécessaire de questionner les adaptations de cette approche selon les caractéristiques des groupes-classes et de chaque élève. Également, la recherche ayant été réalisée sur une période de cinq mois seulement, il faudrait observer les effets différés de ce type d’intervention.

Enfin, l’implantation de l’intervention a pu être réalisée grâce à plusieurs rencontres d’échange et de formation avec une équipe d’enseignant⋅e⋅s expérimenté⋅e⋅s et motivé⋅e⋅s (c’était le choix de recrutement pour cette recherche collaborative) et grâce à un accompagnement en classe durant certaines périodes d’écriture. Il serait important de reproduire une telle intervention dans d’autres milieux scolaires, avec des enseignant·e·s dont la formation antérieure serait différente, par exemple.