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Introduction

Depuis le début des années 2000, la recherche en didactique des sciences humaines et sociales au primaire – discipline aussi appelée « univers social » dans le Programme de formation de l’école québécoise (Québec, 2006) – a mobilisé l’attention d’une petite, mais dynamique, communauté de chercheurse⋅s. Malgré le fait qu’on trouve des écrits québécois qui s’intéressent à l’enseignement et à l’apprentissage de l’histoire et de la géographie au primaire depuis les années 1960 (Lefebvre, 1969 ; Lefebvre et Allard, 1976 ; Lenoir et Laforest, 1991 ; Racette, Ansart et Allard, 1982), l’implantation du Renouveau pédagogique, une réforme en profondeur de tous les programmes d'études au primaire et au secondaire, semble avoir insufflé un nouvel élan à la recherche dans ce domaine depuis les vingt dernières années. Avant d’entrer dans le propos de ce numéro thématique, nous suggérons un survol diachronique des travaux conduits dans le champ de l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire, afin de présenter la nature et les objets privilégiés par les différentes contributions écrites dans le but de circonscrire le domaine.

Les tendances de la recherche en didactique des sciences humaines au primaire au Québec

On constate d’abord qu’une part significative des travaux réalisés vise à documenter des récits de pratiques et à analyser les visées des programmes, en particulier depuis l’implantation du Renouveau pédagogique. Ces travaux sont souvent diffusés dans les revues professionnelles, des monographies ou des ouvrages collectifs. Parmi les ouvrages importants des dernières années, notons L’intervention éducative en sciences humaines au primaire. Des fondements aux pratiques (Lebrun et Araújo-Oliveira, 2009), Faire aimer et apprendre l’histoire et la géographie au primaire et au secondaire (Éthier, Lefrançois et Demers, 2014) et Les sciences humaines à l’école primaire québécoise. Regards croisés sur un domaine de recherche et d’intervention (Larouche et Araújo-Oliveira, 2014). Les auteur⋅e⋅s impliqué⋅e⋅s dans ces projets collectifs tiennent des propos d’une grande qualité et certaines contributions peuvent être considérées comme des écrits scientifiques, au sens où elles présentent des données de recherche.

Un tour d’horizon des écrits qui composent ces ouvrages collectifs et d’autres qui ont été publiés dans des revues professionnelles révèle que la⋅le lecteur⋅rice y trouvera une variété de présentations de récits de pratique qui visent à montrer l’intérêt et l’efficacité de certaines démarches et activités, sans pour autant en analyser les résultats par une démarche systématique de recherche. Pensons à des stratégies de construction de concepts (Demers, Lefrançois et Éthier, 2012), d’exploitation de la bande dessinée (Martel et Boutin, 2008), de planification dans une classe multiâge (Déry et Ferragne-Ducasse, 2014), d’utilisation du débat en classe (Lebrun et Moisan, 2018) ou d’exploitation du jeu vidéo (Lanoix, Émond et Trempe, 2021). D’autres textes proposent une analyse des visées du programme au premier cycle du primaire (Poyet, 2014), des compétences et concepts à développer aux deuxième et troisième cycles (Lebrun, 2009) ou du cadre d’évaluation des apprentissages (Bouhon, 2014 ; Cardin, 2014).

Ce tour d’horizon, qui n’a pas la prétention d’être exhaustif, montre que la recherche et la réflexion à propos de l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire sont riches et variées. Les enseignant⋅e⋅s du primaire peuvent puiser dans un vaste corpus pour alimenter leurs réflexions et leurs pratiques. Cependant, tout un pan de la réflexion sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences humaines et sociales au primaire prend plutôt la forme de recherches scientifiques qui sont complémentaires — et souvent à la source des écrits — comme ceux que nous venons de citer.

Comme le souligne Araújo-Oliveira dans l’article publié dans ce numéro, la réflexion en ce qui concerne l’enseignement des disciplines des sciences humaines et sociales au primaire a été de nature théorique et spéculative au moins jusqu’aux années 1990. Ce n’est que dans les dernières années que des recherches ont exploité des données empiriques prélevées sur le terrain auprès des enseignant⋅e⋅s et des élèves. Dans la foulée de la sortie, en 2014, de l’ouvrage Les sciences humaines à l’école primaire. Regards croisés sur un domaine de recherche et d’intervention dirigé par Larouche et Araújo-Oliveira, ce numéro thématique de la Revue des sciences de l’éducation vise à participer au développement d’une communauté de recherche en didactique des sciences humaines et sociales au primaire en rassemblant et en mettant au jour dans une même publication des recherches illustrant la richesse et la variété des objets à l’étude de ce champ de connaissance.

Un aperçu du numéro thématique

Les articles de ce numéro thématique témoignent du fait que les chercheur⋅se⋅s de ce domaine s’intéressent à une variété de sujets et emploient différentes méthodes pour générer des résultats, allant des observations en classe aux cercles de lecture, en passant par la recherche collaborative avec les enseignant⋅e⋅s. Deux articles posent les bases d’une réflexion rétrospective sur l’évolution du champ de la recherche en didactique des sciences humaines et sociales au primaire, ouvrant ainsi de nouvelles avenues qui permettent de mieux saisir l’ampleur du travail déjà réalisé et celle de la tâche qui reste à accomplir.

L’article de Duroisin, Monney et Duquette s’intéresse à la formation des futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s du primaire dans une perspective comparative entre la Belgique francophone et le Québec. Les résultats mettent en évidence une difficulté commune des futur⋅e⋅s enseignantes, autant québécois⋅es que belges, à planifier l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire. En abordant ces difficultés par des angles différents avec les deux groupes d’enseignant⋅e⋅s, les chercheuses en arrivent à la conclusion que le travail sur la planification, qui a impliqué l’évaluation des apprentissages dans les deux cas, a mené à une meilleure compréhension des finalités de l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire.

L’article de Stan, Arapi, Jadoulle, Paquet et Godin s'intéresse aux effets de l’implantation d’un projet fondé sur l’histoire orale auprès d’élèves de la quatrième à la sixième année du primaire. Non seulement les résultats révèlent que les élèves ont amorcé une appropriation des méthodes propres à l’histoire, notamment en recueillant et en traitant des témoignages oraux, mais ils mettent aussi de l’avant que le fait de mener des entretiens avec leurs grands-parents a été une puissante source de motivation.

La contribution de Martel et Boutin s’intéresse, elle aussi, à l’apprentissage des élèves, mais sous l’angle de l’exploitation d’oeuvres de fiction historique. Leurs résultats montrent que les élèves arrivent à s’engager dans une lecture critique des oeuvres, mais que c’est à travers le dialogue qui se déroule lors de cercles de lecture que les élèves développent peu à peu leur habileté à mener un tel exercice critique. Les outils didactiques rigides semblent, au contraire, éteindre leur intérêt pour la lecture d’oeuvres de fiction historique.

La contribution d’Araújo-Oliveira et celle de Meunier et Lanoix posent des regards rétrospectifs sur la recherche menée en didactique des sciences humaines et sociales au primaire au cours des dernières décennies. Araújo-Oliveira constate que les recherches s’inscrivent plus souvent dans une logique du système (les pratiques prescrites) et la logique de l’acteur⋅rice (les pratiques déclarées) que dans une logique de l’action (les activités réalisées par les élèves). Meunier et Lanoix, de leur côté, mettent en évidence des signes de maturation du champ de recherche en didactique des sciences humaines et sociales, comme l’augmentation du nombre de publications, les contributions de groupes de chercheurse⋅s affilié⋅e⋅s à des universités différentes et le développement d’intérêts de recherche spécifiques à certaines universités.

À l’instar des constats de Demers, Lefrançois et Éthier (2010) sur les recherches menées entre 1990 et 2010 sur l’apprentissage des sciences humaines et sociales au primaire, ceux qu’on peut tirer des recherches québécoises récentes en général et des articles formant ce numéro thématique en particulier montrent de façon convaincante l’importance et la pertinence de documenter les pratiques enseignantes et leurs effets sur l’apprentissage des élèves. Elles illustrent, en outre, le fait que certaines stratégies ont bel et bien un effet sur le développement des compétences en sciences humaines et sociales des élèves, qu’on les désigne comme la littératie, la pensée critique ou la pensée historienne. C’est avec grand enthousiasme que nous lançons ce numéro thématique, dans l’espoir qu’il encourage les chercheur⋅se⋅s établi⋅e⋅s comme les chercheur⋅se⋅s émergent⋅e⋅s à poursuivre leurs travaux et à partager leurs résultats sous toutes les formes susceptibles de contribuer au développement professionnel des enseignant⋅e⋅s de niveau primaire.