Corps de l’article

1. Introduction

1.1 Justification et portée de l’étude

Les questions quant à la réussite, l’abandon ou la persévérance dans les études ont suscité un grand nombre de recherches au cours des cinquante dernières années (Aljohani, 2016 ; Bager-Elsborg, Herrmann, Troelsen et Ulriksen, 2019 ; Tinto, 2006). Les théories avancées pour expliquer ces phénomènes reposent sur des fondements aussi divers que la psychologie, la sociologie, les facteurs environnementaux et organisationnels, l’interaction entre les étudiant⋅e⋅s et le milieu universitaire, ou encore, les facteurs économiques et financiers (Aljohani, 2016 ; Bager-Elsborg et coll., 2019). Si les approches utilisées sont variées, les modèles de types éducationnel et motivationnel prédominent (Schmitz, Frenay, Neuville, Boudrenghien, Wertz, Noël et Eccles, 2010). Les modèles éducationnels, tels que le modèle d’intégration des étudiant⋅e⋅s (Tinto, 1975, 1987 ; voir également Tinto, 2012, 2017 ; Tinto et Pusser, 2006) ou le modèle de la diminution des effectifs étudiants (Bean, 1980 ; Bean et Metzner, 1985), mettent l’accent sur l’adéquation des caractéristiques individuelles des étudiant⋅e⋅s avec le milieu institutionnel et soulignent l’importance de l’intégration sociale et académique des étudiant⋅e⋅s. Ces modèles ont été testés dans plusieurs études (Cabrera, Castañeda, Nora et Hengstler, 1992 ; Cabrera, Nora et Castañeda, 1993 ; Chrysikos, Ahmed et Ward, 2017 ; Nicoletti, 2019), en particulier le modèle de Tinto (1975, 1987) qui jouit d’un statut « quasi-paradigmatique » dans le domaine de la recherche sur l’abandon des études (Braxton, 1999 ; Grayson et Grayson, 2003). Ces tests empiriques ont montré la pertinence et la robustesse de ces théories, même si la part de variance expliquée par les modèles est parfois jugée « modeste » (Chrysikos, Ahmed et Ward, 2017). Le deuxième type de modèles mentionné par Schmitz et coll. (2010), les modèles de type motivationnel, sont d’orientation psychologique. Les études de psychologie en éducation se sont, par exemple, beaucoup intéressées au phénomène de l’engagement. Ce phénomène apparaît en tant que processus multidimensionnel (Kahu, 2013) mobilisant émotions, stratégies cognitives, métacognitives et comportementales. Les recherches dans ce domaine ont montré que la réussite dans les études est particulièrement liée aux stratégies d’autorégulation et à l’engagement comportemental (Dupont, De Clercq et Galand, 2015). Les stratégies d’autorégulation couvrent les moyens mis en oeuvre par les étudiant⋅e⋅s pour gérer leur apprentissage et par lesquels elle⋅il⋅s contrôlent et régulent leurs comportements, leurs émotions et leur cognition. L’engagement comportemental, quant à lui, reflète l’investissement dans les études et l’effort des étudiant⋅e⋅s. Il peut, par exemple, se mesurer à l’aune de la présence en cours ou au nombre d’heures consacrées aux études. L’engagement comportemental est donc lié à la question de la gestion du temps des étudiant⋅e⋅s. Des études dans ce domaine ont montré l’existence d’un lien entre le temps consacré aux études et la performance académique (Brint et Cantwell, 2010 ; Brooker, Brooker et Lawrence, 2017 ; Plant, Ericsson, Hill et Asberg, 2005 ; Stinebrickner et Stinebrickner, 2004). En somme, l’abondance de recherches dédiées aux concepts de réussite et de persévérance dans les études mène à les considérer comme des phénomènes complexes aux multiples facettes (Bager-Elsborg et coll., 2019).

La présente étude, de nature empirique, analyse les relations entre les facteurs âge, sexe et multi-inscriptions et la réussite et la persévérance dans les études de français langue étrangère, c’est-à-dire appris dans un contexte où le français n’est pas pratiqué dans la société environnante (ou seulement de manière marginale) et dans lequel il fait essentiellement l’objet d’un apprentissage en milieu scolaire ou universitaire (Ellis, 2008). Les étudiant⋅e⋅s dont nous analysons le parcours dans la présente étude suivent un cours préparatoire de français. Elle⋅il⋅s ne sont pas tou⋅te⋅s primo-entrant⋅e⋅s : un grand nombre d’entre elles⋅eux ont étudié d’autres matières à l’université avant d’entreprendre leurs études de français. Néanmoins, les étudiant⋅e⋅s du cours préparatoire débutent une nouvelle formation : les études de français. Ainsi, elle⋅il⋅s présentent certaines caractéristiques d’étudiant⋅e⋅s primo-entrant⋅e⋅s soulignées dans des études antérieures, comme un risque d’abandon élevé (Willcoxson, Cotter et Joy, 2011 ; Zając et Komendant-Brodowska, 2018).

Les liens entre les facteurs âge et sexe et la réussite et la persévérance dans les études ont fait l’objet d’un nombre important de travaux antérieurs ayant surtout été menés dans le contexte étatsunien (Grayson et Grayson, 2003). Or, les différences entre les systèmes d’éducation postsecondaire de différents pays peuvent avoir une incidence sur le phénomène d’abandon des études (Bager-Elsborg et coll., 2019 ; Troelsen et Laursen, 2014). En outre, les caractéristiques sociodémographiques des populations étudiantes diffèrent selon les matières étudiées (comme les langues, le droit ou les matières techniques) et évoluent dans le temps (Ulriksen, Madsen et Holmegaard, 2015). Il est donc intéressant d’examiner la question des liens qu’entretiennent l’âge et le sexe avec la réussite et la persistance dans un autre contexte postsecondaire, comme celui de la Suède dans la présente étude, et pour le cas particulier des études de français.

L’effet des multi-inscriptions, c’est-à-dire les inscriptions simultanées, lors d’un même semestre, à plusieurs cours parallèles, a, à notre connaissance, fait l’objet de peu d’études. Il s’agit pourtant d’un phénomène répandu : par exemple, dans le corpus de cette étude, plus d’un quart des sujets sont « multi-inscrits » (voir section 3.4). Ces inscriptions parallèles concernent différentes combinaisons de matières (par exemple, français et italien, ou français et droit). Elles peuvent représenter un défi pour les étudiant⋅e⋅s quand la somme des crédits des cours auxquels elle⋅il⋅s sont inscrit⋅e⋅s dépasse 30 crédits par semestre, ce qui correspond à des études à plein temps dans le système suédois décrit dans ce texte. Les multi-inscriptions sont donc étroitement liées à la question de la gestion du temps des étudiant⋅e⋅s. Elles portent un risque de partage des efforts des étudiant⋅e⋅s entre diverses demandes, avec les conséquences que cela peut avoir sur leur performance académique (Brint et Cantwell, 2010 ; Plant, Ericsson, Hill et Asberg, 2005 ; Stinebrickner et Stinebrickner, 2004) et leur persistance dans les études (Tinto, 1987).

Les personnels des départements universitaires peuvent aisément accéder aux informations concernant l’âge, le sexe et les multi-inscriptions des étudiant⋅e⋅s, et cela dès la période des inscriptions. Il est, par conséquent, intéressant d’examiner dans quelle mesure ces variables permettent de prédire la réussite et la persistance dans les études. L’identification de facteurs de risque réduisant la probabilité de complétion d’un cours ou de poursuite des études permettrait aux départements qui accueillent les étudiant⋅e⋅s de mettre en place des mesures de soutien ciblées (visant, par exemple, les hommes multi-inscrits de moins de 30 ans) pour favoriser leur réussite et leur persévérance dans les études.

1.2 Questions de recherche

Nous cherchons à répondre aux questions de recherche suivantes : 1) L’âge et le sexe sont-ils liés à la persévérance dans les études de français langue étrangère ? Si oui, dans quelle mesure ? ; 2) La réussite d’étudiant⋅e⋅s de français langue étrangère est-elle liée aux facteurs âge, sexe et multi-inscriptions ? Si c’est le cas, dans quelle mesure ?

2. Contexte théorique

2.1 Notions de réussite et de persévérance dans les études

Les recherches sur la réussite et la persévérance dans les études se caractérisent par un foisonnement terminologique. Voici quelques exemples de notions utilisées dans le domaine : attrition et rétention, abandon et persévérance, persistance, poursuite des études, maintien des effectifs, décrochage, taux de réussite et taux d’échec, performance académique. Ces notions ne sont cependant pas toujours clairement définies et leur opérationnalisation ne fait souvent pas consensus (Roland, De Clercq, Dupont, Parmentier et Frenay, 2015 ; Sauvé, Debeurme, Fournier, Fontaine et Wright, 2006). Ces phénomènes dépendent, en outre, de la perspective adoptée. Tinto (1987) estime que l’on ne peut pas ranger tous les cas d’abandon des études dans une seule et même catégorie. Il faut, par exemple, distinguer les départs volontaires des départs subis pour cause d’échec (Sundberg et Agnidakis, 2018). Certains départs, se traduisant par la sortie du système universitaire, peuvent être considérés comme de véritables abandons. D’autres sont simplement des cas de transfert entre départements ou établissements universitaires. C’est par exemple le cas quand les étudiant⋅e⋅s changent d’orientation. Ces mouvements intrasystémiques peuvent être classés comme des cas d’abandon des études, si l’on prend le point de vue des départements que les étudiant⋅e⋅s quittent, ou comme un type particulier de persistance dans les études, à l’échelle du système universitaire. Ce type de transferts intrasystémiques est plus fréquent que les abandons forcés et les sorties du système (Sundberg et Agnidakis, 2018 ; Tinto, 1987). Ils sont en outre souvent vécus comme non problématiques par les étudiant⋅e⋅s concerné⋅e⋅s et semblent être le résultat de « choix stratégiques » de ces dernier⋅ère⋅s, contrairement aux abandons forcés qui sont, dans bien des cas, liés à un sentiment d’échec (Sundberg et Agnidakis, 2018).

Cunninghame et Pitman (2020) soulignent que le point de vue institutionnel, qui met souvent sur le même plan réussite et diplomation, ne concorde pas toujours avec celui des étudiant⋅e⋅s. Pour ces dernier⋅ère⋅s, la complétion, même seulement partielle, d’un programme universitaire n’est pas nécessairement synonyme d’échec. La participation à la vie universitaire fournit des expériences utiles, même aux étudiant⋅e⋅s qui n’achèvent pas leurs études : elle leur permet, par exemple, de se constituer un carnet d’adresses, de se faire de nouvelles⋅eaux ami⋅e⋅s et d’établir des contacts avec le monde professionnel.

Sauvé et coll. (2006) proposent de définir la persévérance comme « la poursuite continuelle d’un étudiant dans un programme, l’amenant à sa complétude et à l’obtention d’un diplôme » (p. 787). Les auteur⋅e⋅s soulignent le caractère processuel de la persévérance et l’importance de la continuité de l’effort consenti par les étudiant⋅e⋅s. De même, Roland et coll. (2015) proposent de définir la persévérance comme « le processus d’adoption et de maintien d’engagement d’un étudiant dans ses études tout au long de son cursus universitaire indépendamment des obstacles rencontrés, même si ceux-ci rendent son parcours plus difficile » (p. 5). Ainsi, la persévérance se caractérise par un engagement (considéré ici surtout dans sa dimension comportementale) plus ou moins continu tout au long du parcours universitaire de l’étudiant⋅e. Pour refléter la continuité de l’effort que requiert la persévérance dans les études, Roland et coll. (2015) ont recours à des indicateurs variés : la réinscription à l’année suivante et l’obtention du diplôme, mais également la présence en cours et le nombre d’heures d’études.

Roland et coll. (2015) distinguent la notion de réussite et de celle de performance. Nombre d’études traitant de réussite académique utilisent des indicateurs, tels que les scores obtenus à des tests ou la moyenne des résultats en fin d’année, qui sont, selon les auteur⋅e⋅s, plutôt le reflet de la performance académique qu’un indice de réussite. Ces auteur⋅e⋅s, s’étant intéressé·e·s au système universitaire belge francophone, proposent de définir la réussite comme la satisfaction aux critères minimums pour passer au niveau suivant ou pour valider le cursus. Le critère proposé est donc de type administratif : il s’agit d’une décision prise par un jury de délibération ou une instance équivalente.

Dans la présente étude, la réussite des étudiant⋅e⋅s a été mesurée à l’aune du taux de validation des crédits à un cours préparatoire de français. Autrement dit, nous n’avons pas pris en compte les notes obtenues, d’une part, parce qu’elles sont plutôt un indice de la performance académique que de la réussite (Roland et coll., 2015), d’autre part, parce que notre analyse prend en considération des étudiant⋅e⋅s qui n’ont validé aucun crédit et qui, par conséquent, n’ont pas obtenu de notes au cours préparatoire. La persévérance dans les études est ici définie comme la propension des étudiant⋅e⋅s à poursuivre leurs études après complétion du cours préparatoire, c’est-à-dire à s’inscrire et à suivre un ou plusieurs cours de français aux niveaux plus élevés. La définition adoptée ici tient aux particularités des études de français, qui ne s’inscrivent pas dans un programme d’études préétabli : les étudiant⋅e⋅s choisissent leurs cours de français « à la carte » (voir section 3.2). Il en résulte que la plupart des étudiant⋅e⋅s de français qui poursuivent leurs études se contentent d’un semestre d’études supplémentaire après le cours préparatoire. Les expressions de persévérance dans les études, persistance dans les études et poursuite des études seront ici utilisées de manière synonyme.

2.2 Les facteurs âge, sexe et multi-inscriptions

Les données sociodémographiques de l’âge et du sexe font partie des caractéristiques d’entrée des étudiant⋅e⋅s. Les multi-inscriptions sont une réalité sur laquelle un département n’a pas, ou du moins très marginalement, la capacité d’influer. L’âge, le sexe et les multi-inscriptions sont donc des facteurs externes.

En ce qui concerne le facteur âge, les étudiant⋅e⋅s de plus 25 ans, que l’on a parfois appelé⋅e⋅s « étudiant⋅e⋅s adultes » (Grayon et Grayson, 2003 ; Kasworm, 2003), et dont beaucoup sont des « adultes en reprise d’études » (Dupeyrat et Mariné, 2004 ; Vertongen, Bourgeois, Nils, de Viron et Traversa, 2009), présentent des caractéristiques et des motivations spécifiques, distinctes de la population étudiante traditionnelle. Elle⋅il⋅s ont souvent des contraintes familiales et professionnelles qui ont une incidence sur leur réussite et leur persistance dans les études (Bean et Metzner, 1985). Les apprenant⋅e⋅s adultes semblent plus enclin⋅e⋅s à se sentir en marge de la vie universitaire et de la majorité, plus jeune, des étudiant⋅e⋅s (Tinto, 1987). Selon le modèle d’intégration des étudiant⋅e⋅s de Tinto (1975, 1987), l’intégration des étudiant⋅e⋅s dépend de deux éléments essentiels : l’intégration académique et l’intégration sociale. L’intégration académique est favorisée par l’adéquation des besoins et des objectifs des étudiant⋅e⋅s avec le milieu universitaire. L’intégration sociale s’opère par le biais des activités de la vie étudiante. Les intégrations académique et sociale des étudiant⋅e⋅s ont diverses incidences sur leurs objectifs et leur engagement tout au long de leur parcours universitaire et peuvent conduire, dans certains cas, à l’abandon des études. Les intégrations sociale et académique sont deux éléments sous-tendant les phénomènes d’attrition et de rétention des étudiant⋅e⋅s. Or, les contraintes externes auxquelles les étudiant⋅e⋅s adultes doivent faire face tendent à réduire les possibilités de contact avec leurs pair⋅e⋅s et avec le milieu académique. Elles peuvent donc contribuer à limiter leur possibilité de s’engager dans les activités sociales et académiques qui favorisent leur intégration et leur persistance dans les études (Tinto, 1987).

Il serait toutefois simplificateur de n’analyser l’influence de la famille et de l’éventuel⋅le employeur⋅e qu’en termes de contraintes. Les étudiant⋅e⋅s peuvent en effet recevoir le soutien de leur conjoint⋅e. L’employeur⋅e peut, dans certains cas, avoir un intérêt à ce qu’un⋅e étudiant⋅e poursuive ses études afin d’acquérir certaines compétences nécessaires. Ce type d’influences non institutionnelles peut donc avoir un effet bénéfique sur la réussite dans les études, même si cet effet reste généralement modéré (Zepke, Leach et Butler, 2011).

L’âge, au sens de vieillissement, a par ailleurs des effets connus sur les capacités cognitives et mémorielles (Desgranges, Eustache et Rioux, 1994). L’incidence de l’âge sur l’acquisition des langues secondes et étrangères est largement documentée et toujours amplement débattue (Singleton, 2003). Il a par exemple été montré qu’au début de l’acquisition, le développement syntaxique et morphologique est plus rapide chez les adultes que chez les enfants (Ellis, 2008 ; Krashen, Long et Scarcella, 1979). La recherche a également montré que les personnes qui acquièrent une langue seconde dans l’enfance atteignent des niveaux de compétence plus élevés que celles⋅ceux qui commencent l’acquisition à l’âge adulte. Les discussions concernant l’effet de l’âge sur l’acquisition des langues secondes se sont souvent attachées à la question de la « période critique » et de la capacité des personnes ayant commencé à apprendre une langue seconde à l’âge adulte à atteindre une compétence « quasi-native » (Abrahamsson et Hyltenstam, 2009). La période critique est située, selon les auteur⋅e⋅s, dans l’enfance ou à l’adolescence. Elle n’est donc pas pertinente pour distinguer les apprenant⋅e⋅s de langues étudié⋅e⋅s dans le présent article, qui ont entre 19 et 85 ans.

Concernant le rôle du facteur sexe, il a été montré que les causes de l’abandon diffèrent pour les hommes et les femmes (Bean, 1980). Les abandons chez les femmes sont, selon certaines études, souvent légèrement plus précoces et, dans une plus large mesure, le fait d’une décision volontaire (Tinto, 1987). Les femmes tendent plus souvent que les hommes à finir leurs études dans le cadre temporel défini des programmes d’études. De manière générale, les études antérieures ont montré que les femmes tendent à persévérer davantage dans leurs études universitaires que les hommes (Roland, Frenay et Boudrenghien, 2017), cependant les différences entre les sexes sont le plus souvent modérées, sinon nulles (Mattern et Patterson, 2009 ; St John, Hu, Simmons et Musoba, 2001). Pour ce qui regarde la réussite dans les études, les femmes réussissent mieux que les hommes (Dupont et coll., 2015). En ce qui concerne le taux de validation des crédits auxquels les étudiant⋅e⋅s sont inscrit⋅e⋅s, il semble qu’il existe des différences entre les sexes. En Suède, le taux de validation des crédits totaux des femmes, au niveau national, et pour toutes orientations confondues, est systématiquement supérieur à celui des hommes : au terme de l’année universitaire 2016/2017, l’écart était de six pour cent, pour un taux global moyen de 83 % (Universitetskanslersämbetet, 2020).

Enfin, concernant l’effet du facteur multi-inscriptions, nous n’avons pas trouvé d’études s’étant intéressées aux études postsecondaires. Une étude récente sur le phénomène des multi-inscriptions à des formations en ligne ouvertes à tou⋅te⋅s (Massive Open Online Courses) établit l’existence d’une corrélation négative entre le nombre d’inscriptions parallèles et le taux de certification (Wintermute, Cisel et Lindner, 2021). Il convient toutefois de souligner que les formations en ligne ouvertes à tou⋅te⋅s et les cours universitaires traditionnels représentent deux contextes de formation difficilement comparables. Dans le premier cas, les multi-inscriptions peuvent être très nombreuses et les taux d’abandon particulièrement élevés. De plus, les formations en ligne ouvertes à tou⋅te⋅s requièrent en général un investissement en temps limité.

Les étudiant⋅e⋅s du corpus de la présente étude sont inscrit⋅e⋅s à un cours préparatoire de français de 30 crédits. Les cours de 30 crédits font partie des formes de cours les plus fréquentes en Suède, avec les cours de 15 crédits et de 7,5 crédits. Une somme totale de 30 crédits correspond à des études à plein temps (University admissions, 2021). Les étudiant⋅e⋅s qui se sont inscrit⋅e⋅s à un cours en plus du cours préparatoire de français s’exposent donc à une charge de travail dépassant la charge normale des études à temps complet. La question des multi-inscriptions est donc étroitement liée à celle de la gestion du temps. Brooker, Brooker et Lawrence (2017) ont montré que la gestion du temps fait partie des difficultés les plus importantes rencontrées par les étudiant⋅e⋅s lors de leur première année d’études. Cette situation a d’importantes implications. Selon Stinebrickner et Stinebrickner (2004), il existe une forte relation, et probablement même une relation de cause à effet, entre le temps consacré aux études et les résultats obtenus par les étudiant·e·s de première année, même si ce constat doit être nuancé. La mesure purement quantitative du nombre d’heures consacrées aux études ne suffit pas, à elle seule, à prédire la performance académique (Plant, Ericsson, Hill et Asberg, 2005). Des facteurs qualitatifs tels que l’environnement dans lequel les étudiant⋅e⋅s étudient et l’engagement des étudiant⋅e⋅s dans des activités de « pratique délibérée » (Ericsson, Krampe et Tesch-Römer, 1993) peuvent aussi expliquer la réussite dans les études.

2.3 Synthèse et hypothèses

En résumé, le sexe, l’âge et les multi-inscriptions sont des facteurs externes impliqués dans une plus ou moins large mesure dans la réussite étudiante et la persistance dans les études. Si le sexe a une relation faible, sinon nulle, avec la persistance dans les études, il semble constituer un prédicteur de la réussite des étudiant⋅e⋅s. L’âge est lié aux caractéristiques socioprofessionnelles des étudiant⋅e⋅s. Les contraintes externes, professionnelles et familiales, qui pèsent sur les étudiant⋅e⋅s adultes limitent leurs possibilités de participation aux activités sociales et académiques, activités qui, selon le modèle de Tinto, expliquent en grande partie la persistance dans les études. Enfin, les multi-inscriptions sont étroitement liées à la question de la gestion du temps, un déterminant important de la réussite dans les études.

Les multi-inscriptions portent le risque de réduire le temps que les étudiant⋅e⋅s du cours préparatoire investissent dans leurs études de français, en raison de la concurrence opérée par le ou les autres cours auxquels elle⋅il⋅s sont inscrit⋅e⋅s. Comme la réussite académique est liée au temps consacré à ses études (Stinebrickner et Stinebrickner, 2004), les multi-inscriptions devraient influencer négativement le taux de validation des crédits des étudiant⋅e⋅s ainsi que la réussite des étudiant⋅e⋅s du cours préparatoire de français (voir la question de recherche 2).

Ce raisonnement pourrait également s’appliquer aux contraintes externes que représentent une famille à charge ou un emploi, situations qui caractérisent les étudiant⋅e⋅s adultes. En ce sens, le facteur âge, en tant que reflet de la condition familiale et socioéconomique des étudiant⋅e⋅s, pourrait avoir une incidence négative sur la réussite, mais également sur la persévérance dans les études. D’un autre côté, les étudiant⋅e⋅s adultes font des choix d’études plus en rapport avec leurs « besoins de vie du moment » (« current life needs », Kasworm, 2003) et sont ainsi plus enclin⋅e⋅s à poursuivre les buts éducatifs qu’elle⋅il⋅s se sont fixé (Tinto, 1987) ; ce qui représente des éléments positifs au regard de la réussite des étudiant⋅e⋅s. Ces deux ensembles d’effets (contraintes externes d’un côté ; plus grande inclination à poursuivre ses buts éducatifs de l’autre) sont contradictoires et s’annulent, au moins en partie. De manière prévisible, cela devrait être le cas pour les étudiant⋅e⋅s adultes les plus jeunes, c’est-à-dire de moins de 60 ans, qui ont une plus forte probabilité d’être accaparé⋅e⋅s par des activités professionnelles et familiales, en plus de leurs études. Ainsi, nous émettons l’hypothèse que l’âge aura un lien d’une force modérée avec la réussite et la persistance dans les études chez les étudiant⋅e⋅s de moins de 60 ans. En revanche, pour les personnes de plus de 60 ans, l’influence des facteurs externes que sont la famille et le travail est probablement moins prégnante. Dans leur cas, l’âge pourrait donc être plus nettement lié à la réussite et à la persistance dans les études.

Enfin, nous pensons, conformément aux résultats des études antérieures, que le sexe ne présentera pas de relation, sinon une relation faible, avec la persistance dans les études (question de recherche 1), mais que les étudiantes de français langue étrangère de cette étude réussiront mieux dans leurs études que leurs homologues masculins (question de recherche 2).

3. Méthodologie

3.1 Instrumentation

Les données de l’étude sont extraites d’un système de gestion des inscriptions et des résultats universitaires : Ladok (Ladok, 2020). Ladok réunit des informations telles que : le nom des cours et programmes auxquels les étudiant⋅e⋅s ont été admis⋅e⋅s et auxquels elle⋅il⋅s sont inscrit⋅e⋅s ; les éventuelles réinscriptions et décisions d’abandonner leurs formations ; les notes obtenues aux cours et modules auxquels elle⋅il⋅s étaient inscrit⋅e⋅s.

3.2 Sujets : étudiant⋅e⋅s de français inscrit⋅e⋅s à un cours préparatoire de français

Les sujets de l’étude sont les 454 étudiant⋅e⋅s inscrit⋅e⋅s (dont 63 % sont des femmes) à un cours préparatoire de français d’un département de langues, d’une université suédoise, pendant la période allant du semestre de printemps 2016 au semestre d’automne 2019, soit sur huit semestres (56,75 étudiant⋅e⋅s, en moyenne, par semestre). Les étudiant⋅e⋅s ont entre 19 et 85 ans (M = 30,02 ; ET = 11,48). La répartition par âge est présentée dans le diagramme à points de la figure 1. L’âge modal des sujets de l’étude est 24 ans.

Figure 1

Fréquence des âges des sujets de l’étude (unité : années)

Fréquence des âges des sujets de l’étude (unité : années)

-> Voir la liste des figures

Les sujets de l’étude se répartissent en trois groupes. Le premier groupe (n = 96 ; dont 69 % sont des femmes) comprend celles⋅ceux qui se sont inscrit⋅e⋅s au cours, pour ensuite se désinscrire formellement en indiquant leur souhait d’interrompre leur participation au cours à l’administration des études. Aucun⋅e d’entre elles⋅eux n’a validé de crédit du cours préparatoire. Le deuxième groupe (n = 208 ; 61 % sont des femmes) rassemble celles⋅ceux qui se sont inscrit⋅e⋅s et le sont resté⋅e⋅s jusqu’au terme du semestre, mais n’ont pas fini le cours. Le nombre de crédits validés dans ce groupe varie entre 0 et 26,5 crédits (M = 8,77 ; ET = 10,65). Dans ce groupe, la moyenne des crédits validés par les femmes (M = 9,57 ; ET = 10,93) est plus élevée que celle des hommes (M = 7,55 ; ET = 10,14). Le troisième et dernier groupe (n = 150 ; 63 % sont des femmes) est constitué de celles⋅ceux qui ont validé la totalité des 30 crédits du cours préparatoire.

Le cours préparatoire se compose d’un ensemble fixe de modules de grammaire et vocabulaire, de compréhension orale et de production orale et écrite. Comme le cours ne requiert pas de connaissances préalables de français, il intéresse essentiellement des débutant⋅e⋅s, même si un certain nombre de faux⋅sses débutant⋅e⋅s le suivent pour rafraichir leurs connaissances. Le cours préparatoire a pour raison d’être d’offrir aux étudiant⋅e⋅s n’ayant pas étudié le français au collège et au lycée (ou pas étudié suffisamment longtemps pour satisfaire aux prérequis des études de français à l’université) d’accéder aux cours du cursus de français du département. Le cursus des études de français se compose de l’ensemble des cours de différents niveaux (tous de 30 crédits) : Français I, Français II, Français III, licence (en suédois, kandidatkurs). Les cours de français ne s’inscrivent pas dans un programme d’études préétabli. Pour obtenir une licence de français, les étudiant⋅e⋅s doivent faire une demande d’admission pour chaque cours du cursus. Autrement dit, elle⋅il⋅s choisissent les cours de français « à la carte ». Il leur est par conséquent loisible de suivre seulement un cours puis, après un semestre, d’interrompre leurs études de français. Sur les 454 étudiant⋅e⋅s du corpus de l’étude, seul⋅e⋅s 68 (soit 15 % du total) ont poursuivi leurs études après complétion du cours préparatoire, dont 54 jusqu’au niveau Français I, 10 jusqu’au niveau Français II, 2 jusqu’au niveau Français III et 2 jusqu’en licence. Aucun⋅e n’a poursuivi ses études de français au-delà de la licence.

Précisons que le cours préparatoire est dispensé à temps plein, pendant la journée. Il est également offert en deux parties, à mi-temps, en enseignement du soir. Dans cette étude, nous nous sommes concentré sur le cours proposé le jour, à temps plein, puisque nous nous intéressons à la question des multi-inscriptions : tout cours supplémentaire aura pour effet le dépassement de la charge de travail « normale » des études à temps complet. L’inscription à un cours, en plus du cours préparatoire de français à plein temps, accentue donc l’acuité du problème de la gestion du temps (voir section 2.3).

3.3 Déroulement

Les données ont été analysées en avril 2020, puis contrôlées en février 2021. Certain⋅e⋅s étudiant⋅e⋅s n’ayant pas terminé le cours préparatoire à la première tentative se sont réinscrit⋅e⋅s à une ou plusieurs reprises. Dans ce cas, pour éviter les doublons, nous avons seulement pris en compte le semestre pendant lequel l’étudiant⋅e était actif⋅ve et a validé les crédits du cours ou, sinon, la dernière réinscription effectuée (c’est-à-dire dans le cas où l’étudiant⋅e était actif⋅ve sur plusieurs semestres). En cas d’inscriptions multiples, c’est-à-dire en cas d’inscription à un cours préparatoire et à un cours de niveau Français I, qui requiert des connaissances préalables de français, nous n’avons pas pris en compte l’inscription au cours préparatoire, et cela même si l’inscription au cours de niveau I avait été effectuée plusieurs années auparavant. En effet, ces étudiant⋅e⋅s ont déjà un niveau relativement élevé de français. Leur réussite au cours préparatoire pourrait donc être plutôt le reflet de leur compétence initiale que de l’effort fourni pendant le semestre d’études. En cas d’inscriptions parallèles à un cours préparatoire de français du jour et du soir, nous avons seulement pris en compte l’inscription du cours dans lequel l’étudiant⋅e a été actif⋅ve.

Nous avons considéré que les étudiant⋅e⋅s persévéraient dans leurs études quand elle⋅il⋅s s’inscrivaient à un ou à plusieurs cours de français de niveau supérieur après avoir achevé le cours préparatoire. Quelques étudiant⋅e⋅s ayant achevé le cours préparatoire se sont inscrit⋅e⋅s par la suite à un cours supérieur pour, finalement, se désinscrire sans avoir validé de crédits. Ces cas n’ont pas été pris en compte dans les chiffres de poursuite des études.

Précisons que nous ne disposons de données que sur les inscriptions et les cours de l’université suédoise sur laquelle porte la présente étude, donc aucune information sur l’éventuelle poursuite des études de français dans d’autres établissements supérieurs.

3.4 Méthode d’analyse des données

Les facteurs expliquant les phénomènes de persévérance et de réussite dans les études ont été étudiés au moyen de régressions logistiques binaires. Les régressions ont été effectuées au moyen de la fonction glm (option family = "binomial(logit)") du programme de statistiques R (R project, 2020). Le choix de ce modèle statistique s’explique par le fait que les régressions logistiques permettent de prédire la probabilité d’un résultat (tel que la réussite ou la persistance dans les études) à partir d’un ensemble de facteurs, comme l’âge, le sexe et les multi-inscriptions dans la présente étude (Tabachnick et Fidell, 2013).

La variable persévérance dans les études a reçu la valeur 1 si les étudiant⋅e⋅s avaient poursuivi leurs études de français après le cours préparatoire, c’est-à-dire si elle⋅il⋅s se sont inscrit⋅e⋅s au cours de Français I après avoir achevé le cours préparatoire (n1 = 68) ; 0 dans les autres cas (n0 = 386). Nous n’avons donc pas opéré de distinctions entre les étudiant⋅e⋅s ayant poursuivi leurs études jusqu’au niveau I et celles⋅ceux ayant poursuivi leurs études jusqu’aux niveaux II, III et licence, car le taux d’occurrence des étudiant⋅e⋅s persistant dans leurs études au-delà du niveau I est faible (voir la section 3.2). La régression logistique prédisant la persévérance dans les études intègre deux variables explicatives : le sexe et l’âge. La variable sexe a été codée de la manière suivante : homme (1) et femme (2). L’âge est, dans nos données, une variable discrète prenant plusieurs dizaines de valeurs. Pour limiter le nombre de catégories, nous avons rangé la variable en trois classes différentes, codées de la manière suivante : 1 = 19-30 ans ; 2 = 31-60 ans ; 3 = 61-85 ans. La première tranche d’âge correspond à l’âge auquel la grande majorité des étudiant⋅e⋅s suivent le cours préparatoire (n1 = 321, soit 71 % du total des inscrit⋅e⋅s). Pour établir cette première classe d’âge (19-30 ans), nous avons ensuite pris en compte les cinq ou six années autour de l’âge modal (24 ans). La deuxième tranche d’âge (31-60 ans, n2 = 114, soit 25 % du total) correspond à la période pendant laquelle la majorité de la population est engagée dans la vie active, et la dernière (61-85 ans, n3 = 19, soit 4 % du total), approximativement, à l’âge de la retraite. En Suède, il est en effet possible de partir en retraite entre 61 et 68 ans (Pensionsmyndigheten, 2021).

La seconde variable à expliquer, la réussite dans les études, a également été traitée comme une variable binaire : elle a reçu la valeur 1 si les étudiant⋅e⋅s avaient validé la totalité des 30 crédits du cours préparatoire ; la valeur 0, dans le cas contraire. La régression logistique binaire prédisant la réussite dans les études intègre trois variables explicatives : l’âge, le sexe et les multi-inscriptions. Le sexe et l’âge ont été codés comme indiqué précédemment. La variable multi-inscriptions a reçu la valeur 1 ou 0, selon que l’étudiant⋅e s’était inscrit⋅e à un ou plusieurs autres cours en plus de son inscription au cours préparatoire de français (par exemple, en droit, en italien, en histoire, etc.) ou pas. Dans cette régression, nous avons supprimé le cas des étudiant⋅e⋅s réinscrit⋅e⋅s au cours préparatoire et passant les épreuves du cours sur plusieurs semestres (n = 27). En effet, la validation de 30 crédits sur deux ou plusieurs semestres induit une charge de travail semestriel moyenne bien moindre que la validation en un seul semestre. Nous avons estimé que les autres cours ne pouvaient véritablement entrer en concurrence avec le cours préparatoire que si les étudiant⋅e⋅s tentaient de valider ce dernier en un seul semestre. Autrement dit, l’analyse de la réussite dans les études porte, après suppression des cas de réinscriptions susmentionnés, sur 427 étudiant⋅e⋅s. Parmi ces 427 étudiant⋅e⋅s, 27 % (n = 117) étaient inscrit⋅e⋅s à un cours en plus du cours préparatoire.

3.5 Considérations éthiques

D’après la loi suédoise (2003:460) sur l’évaluation éthique de la recherche menée sur sujets humains, un contrôle éthique des activités de recherche visant des participant·e·s humain·e·s est obligatoire quand les informations traitées comprennent des données à caractère personnel visées par l’article 9.1 du Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne. Les informations visées par cet article concernent « l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d'une personne physique » (Parlement européen et Conseil européen, 2016). Les données utilisées dans la présente étude ne relèvent pas de cet article. Nous n’avons donc pas effectué d’évaluation éthique. Par ailleurs, le système de gestion des inscriptions et résultats universitaires dont ont été extraites les données de l’étude peut être utilisé à des fins de recherche. Nous n’avons donc pas eu besoin d’autorisation pour effectuer l’extraction des données. L’information réunie a été traitée avec toutes les précautions nécessaires pour assurer l’anonymat des sujets de l’étude.

4. Résultats

4.1 Relations potentielles entre la persévérance dans les études et les facteurs âge et sexe

La régression mesurant les relations entre la poursuite des études de français et les facteurs âge et sexe est présentée dans le tableau 1.

Tableau 1

Régression logistique prédisant la probabilité de la poursuite des études de français

Régression logistique prédisant la probabilité de la poursuite des études de français

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Des deux variables explicatives, seul l’âge est statistiquement lié à la poursuite des études. La régression compare les tranches d’âge 31-60 ans et 61-85 ans à la tranche d’âge 19-30 ans. L’odds-ratio de la relation entre la tranche d’âge 61-85 ans et la persévérance dans les études est égal à 8,48. Autrement dit, l’appartenance à cette tranche d’âge augmente plus de huit fois la probabilité de poursuite des études par comparaison avec la tranche d’âge 19-30 ans. En revanche, la tranche d’âge 31-60 ans ne se distingue pas de la tranche d’âge 19-30 ans. Le sexe n’est pas lié la persévérance dans les études.

4.2 Relations potentielles entre la réussite dans les études et les facteurs âge, sexe et multi-inscriptions

La régression logistique mesurant les relations entre la réussite dans les études et les facteurs âge, sexe et multi-inscriptions est présentée dans le tableau 2.

Tableau 2

Régression logistique prédisant la probabilité de la complétion du cours préparatoire

Régression logistique prédisant la probabilité de la complétion du cours préparatoire

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L’âge et les multi-inscriptions sont statistiquement liés à la réussite dans les études. La probabilité de complétion du cours préparatoire des personnes appartenant à la tranche d’âge 61-85 ans est 16,08 fois plus élevée que pour les étudiant⋅e⋅s de 19 à 30 ans. La tranche d’âge 31-60 ans ne se distingue pas de la première tranche d’âge. Le sexe n’a pas de lien avec la réussite dans les études de français. La régression montre en revanche l’existence d’une relation statistique négative entre les multi-inscriptions et la réussite. L’odds-ratio est égal à 0,43. Autrement dit, les multi-inscriptions réduisent d’environ 57 % la probabilité de complétion du cours.

5. Discussion des résultats

5.1 Retour sur les questions de recherche et les hypothèses de l’étude

Le sexe ne permet de prédire ni la propension des étudiant⋅e⋅s de français langue étrangère débutant⋅e⋅s ou quasi-débutant⋅e⋅s à poursuivre leurs études de français, ni leur propension à achever le cours préparatoire. En cela, les résultats de la présente étude vont dans le sens des travaux antérieurs sur la persistance dans les études (Mattern et Patterson, 2009 ; Roland, Frenay et Boudrenghien, 2017 ; St John, Hu, Simmons et Musoba, 2001). Cependant, nous nous attendions à trouver une différence entre la réussite des hommes et des femmes à l’avantage de ces dernières. Cela n’a pas été le cas. Une explication possible est que les étudiant⋅e⋅s de langues se distinguent des autres populations étudiantes examinées dans les autres études. Une seconde explication est que l’absence de relation entre sexe et complétion du cours préparatoire tient à la taille du corpus de l’étude. Un corpus plus large aurait pu faire apparaitre de légères différences.

L’âge, quant à lui, est lié aux deux phénomènes mis en lumière dans l’étude. La relation est cependant partielle et ne concerne que les sujets appartenant à la troisième tranche d’âge du corpus, c’est-à-dire les étudiant⋅e⋅s de 61 ans et plus, pour qui, la propension à poursuivre ses études est plus de huit fois plus élevée que celle des étudiant⋅e⋅s appartenant à la tranche d’âge traditionnelle des études universitaires (19-30 ans). On pourrait penser que les étudiant⋅e⋅s plus âgé⋅e⋅s ont, dans une plus large mesure que les étudiant⋅e⋅s jeunes, une expérience antérieure des études qui pourrait favoriser la complétion du cours préparatoire de français, dans la mesure où elle⋅il⋅s connaissent les « clefs du succès ». L’expérience antérieure ne semble cependant pas avoir d’effet positif particulier sur la probabilité de persévérer dans les études, ni sur la probabilité d’obtention d’un diplôme (Bonin, 2020 ; Pageau et Bujold, 2000), même si les résultats dans ce domaine sont inconsistants (Richard, 2018). Le lien entre l’appartenance à la classe d’âge 61-85 ans et la persistance et la réussite pourrait donc s’expliquer de deux manières. La première explication possible est que les étudiant⋅e⋅s entreprenant des études à 61 ans et plus font un choix mûri et sont plus engagé⋅e⋅s dans leurs études. Le niveau d’engagement sur la persistance et la réussite est un facteur déterminant dans les théories sur la persistance dans les études (Tinto 1987, 2012). Ses effets ont été démontrés dans de nombreuses études empiriques (Dupont et coll., 2015). Une deuxième explication est que les demandes externes pesant sur les étudiant⋅e⋅s de plus de 60 ans sont moins fortes que sur le groupe des étudiant⋅e⋅s adultes plus jeunes : une partie des sujets de 61 à 85 ans sont à la retraite, et s’ils ont des enfants, celles·ceux-ci sont en toute vraisemblance parvenu·e·s à l’âge adulte. La réduction des demandes externes pourrait simplifier les arbitrages que font ces étudiant⋅e⋅s entre leurs diverses activités et accroitre les ressources de temps disponibles pour les études.

Enfin, les multi-inscriptions sont négativement liées à la réussite dans les études de français langue étrangère. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les étudiant⋅e⋅s multi-inscrit⋅e⋅s doivent partager le temps qu’elle⋅il⋅s consacrent à leurs études entre plusieurs matières. Le temps d’étude et l’effort investi dans les études sont fortement corrélés à la réussite étudiante (Stinebrickner et Stinebrickner, 2004). Le problème posé par les multi-inscriptions pourrait donc être lié à la problématique de la gestion des ressources temporelles limitées des étudiant⋅e⋅s : elles portent le risque de réduire le temps consacré aux études de français et de nuire à la qualité de leur travail pour cette matière (Plant et coll., 2005).

5.2 Implications pour la théorie

Les études antérieures sur l’usage et la gestion du temps montrent que les activités en dehors des études peuvent porter préjudice aux activités académiques des étudiant⋅e⋅s (Brint et Cantwell, 2010 ; Tinto, 1987). Cela dépend toutefois de la nature de ces activités. Certaines, comme la participation aux activités associatives, l’usage récréatif des ordinateurs, la télévision et les déplacements entre le foyer et l’université, semblent dommageables à la réussite étudiante, alors que d’autres la favorisent, comme l’exercice physique ou la fréquentation des ami⋅e⋅s (Brint et Cantwell, 2010). Le présent article montre la nécessité de prendre également en compte dans ce champ d’étude les multi-inscriptions parmi les prédicteurs négatifs de la réussite. Ceci est d’autant plus nécessaire que ce phénomène est répandu (voir section 3.4).

5.3 Implications pratiques

Si le département de langues qu’ont fréquenté les étudiant⋅e⋅s examiné⋅e⋅s dans le présent article envisageait de mettre en place des mesures afin de promouvoir la réussite des étudiant⋅e⋅s, il serait souhaitable de diriger ces mesures, en priorité, vers les étudiant⋅e⋅s multi-inscrit⋅e⋅s et vers les deux premières tranches d’âge mises en lumière dans l’étude (19-30 ans et 31-60 ans). Les mesures à l’attention des multi-inscrit⋅e⋅s devraient viser à aider les étudiant⋅e⋅s à gérer leur temps d’étude et à promouvoir leur capacité à étudier de manière efficace et concentrée. Des ateliers et séances de formation à la planification de son temps, à la prise de notes efficace ou à l’optimisation du temps d’étude sont des exemples de dispositifs qui pourraient aider les étudiant⋅e⋅s multi-inscrit⋅e⋅s à gérer les demandes académiques multiples auxquelles elle⋅il⋅s font face.

Les étudiant⋅e⋅s entre 19 et 30 ans et entre 31 et 60 ans représentent la grande majorité des inscrit⋅e⋅s au cours préparatoire (respectivement 71 % et 25 % du total des sujets de l’étude). Des mesures ciblées sur ces tranches d’âge auraient donc de bonnes chances d’obtenir un effet important. Il serait toutefois nécessaire de compléter la présente étude pour préciser les besoins de ces deux groupes d’étudiant⋅e⋅s, par exemple en les interviewant. En effet, les demandes qui pèsent sur l’une et l’autre de ces deux catégories d’étudiant⋅e⋅s diffèrent probablement, de même que les raisons qui expliquent leur décision d’abandonner ou de poursuivre des études de français.

5.4 Limites

Le type d’étude menée dans le présent article, réalisée à partir de données extraites d’un système de gestion des inscriptions et résultats universitaires, présente l’avantage de couvrir la totalité de la population examinée : tou⋅te⋅s les étudiant⋅e⋅s inscrit⋅e⋅s au cours préparatoire de français pendant une certaine période. Les phénomènes de réussite et de persévérance sont cependant analysés à partir d’un nombre restreint de facteurs explicatifs. L’inconvénient est que les conclusions tirées restent relativement générales. Si l’approche utilisée permet d’identifier des « groupes à risque », elle passe cependant sous silence d’autres facteurs importants, comme l’expérience que les étudiant⋅e⋅s ont de leurs études (Willcoxson, Cotter et Joy, 2011 ; Zając et Komendant-Brodowska, 2018).

6. Conclusion

L’article a permis d’identifier trois sous-groupes d’étudiant⋅e⋅s de français langue étrangère réussissant moins bien dans leurs études et manifestant une moindre propension à la poursuite de leurs études de français. La question est de savoir dans quelle mesure les résultats de cette étude sont généralisables et pourraient refléter, plus largement, les problématiques de la réussite des étudiant⋅e⋅s et de la persistance dans les études. Il n’est pas exclu que la relation négative entre multi-inscriptions et réussite, d’une part, et la forte relation entre l’appartenance à la classe d’âge 61-85 ans et la réussite et la propension à poursuivre des études, d’autre part, puissent concerner d’autres matières (droit, histoire, etc.) et d’autres établissements universitaires. Pour le vérifier, il faudrait mener des études comparables dans d’autres contextes universitaires.

Il serait également intéressant, dans une étude ultérieure, de se concentrer sur les trois sous-groupes identifiés dans le présent travail pour tenter de préciser leurs caractéristiques. À cet égard, l’étude de l’expérience qu’ont les étudiant⋅e⋅s de leurs études et des liens de cette expérience avec la réussite et la persévérance dans les études pourrait constituer une piste intéressante. Willcoxson et coll. (2011) ont, par exemple, étudié cet aspect sur des étudiant⋅e⋅s en administration des affaires australien⋅ne⋅s à partir d’un questionnaire visant à établir les liens entre leur intention d’abandon des études et des variables telles que l’engagement, les attentes, le soutien reçu, la rétroaction et le sentiment d’appartenance. Cette approche pourrait être utilisée pour mieux comprendre les besoins des étudiant⋅e⋅s multi-inscrit⋅e⋅s et/ou appartenant aux tranches d’âge 19-30 ans et 31-60 ans.