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Jean-Pierre Le Glaunec enseigne l’histoire des Amériques noires et des États-Unis à l’Université de Sherbrooke. Cet ouvrage fut écrit en l’espace de quelques semaines, dans une volonté de répondre à six chroniques rédigées par Christian Rioux dans la foulée du meurtre de George Floyd le 25 mai 2020. L’historien reproche à Rioux d’avoir instrumentalisé la mort tragique de Floyd pour promouvoir ses convictions politiques et de recourir à une apparence de posture historienne pour tromper son lectorat. Rédigé sur un ton souvent marqué par la colère ou l’ironie, le texte se lit comme une leçon de morale et d’histoire adressée au chroniqueur du journal Le Devoir. L’auteur déplore le fait que Rioux « adopte semaine après semaine la posture de l’historien qui prétend à l’authenticité et au vrai » (p. 40), alors que ses analyses historiques sont mises au service d’une propagande néoconservatrice fallacieuse. Le Glaunec explique vouloir démonter les rouages de la rhétorique politique de Rioux afin « de débusquer les mensonges. De faire de l’histoire pour vrai » (p. 34). La question de la vérité ponctue le texte, mais ce, sans un positionnement épistémologique ou historiographique clairement défini. Le Glaunec y réfère comme une posture morale transhistorique et universelle.
Dans chacun des cinq chapitres de l’ouvrage, l’historien décortique le travail du chroniqueur en révisant tout ce qu’il rapporte au sujet de l’esclavage, des Amériques noires ou encore des banlieues françaises. Ce travail critique permet à Le Glaunec d’exposer, par la même occasion, certaines des modalités du travail d’investigation historique, en l’occurrence la question de la vérification, de la corroboration (ou du croisement) des sources. À titre d’exemple, Le Glaunec relève dans la chronique du 12 juin 2020, que le journaliste affirmait, en s’appuyant sur une étude de l’économiste Richard G. Fryer, que « la police américaine dans son ensemble ne serait pas coupable de racisme systémique » (p. 48). Or, cette affirmation du chroniqueur serait la preuve, souligne l’historien, que la source utilisée ne fut peut-être pas soumise à la critique, car d’autres travaux, comme ceux de Justin M. Feldman, l’auraient désavouée depuis l’analyse de Fryer. Rioux déformerait volontairement les faits, insiste Le Glaunec, et ce, afin de servir ses combats contre l’antiracisme, l’une des cibles préférées de la rhétorique néoconservatrice, affirme-t-il. L’auteur use également de son expertise au sujet de l’histoire de l’esclavage pour mettre en relief la posture critique de Rioux sur cette question. En soutenant que la « Révolution américaine se serait parfaitement accommodée de l’esclavage, contrairement à la Révolution française » (p. 56), le chroniqueur prend de nombreux raccourcis, affirme Le Glaunec. Le chapitre Le prétexte George Floyd, le plus engageant du parcours critique, est consacré à une analyse historique soutenue des liens étroits entre l’esclavage et l’émergence du capitalisme américain. Cette leçon d’histoire captivante, qui nous éloigne le temps de quelques pages de George Floyd et de Christian Rioux, nous permet d’entrevoir la complexité des enjeux politiques et économiques qui façonnent l’histoire de l’esclavage aux États-Unis.
Si ce livre s’avère pertinent pour se familiariser avec certains des rudiments de l’enquête historique ou encore avec l’expertise scientifique de l’auteur et son domaine de recherche, sa dimension moralisatrice peut agacer par moments. D’entrée de jeu, sous le ton de la confidence, Le Glaunec raconte que les analyses historiques de la guerre d’Algérie et les décolonisations ont eu raison, au début de l’âge adulte, de son « racisme ordinaire ». Dès lors, il prit conscience du fait que sa vision de l’immigration, en accord à cette époque avec celle du Front national de Jean-Marie Le Pen, reposait sur des faussetés et que la critique historienne lui permettait de mettre en lumière « les faits vrais et vérifiables » (p. 27). Or, dit-il, Rioux – qui cite et admire le grand historien Marc Bloch –, n’hésite pas, de son côté, à travestir le passé, dans « son analyse historique de la mort de George Floyd », pour « prétendre dire le vrai et mieux transmettre une idéologie délétère » (p. 29). Dans une structure en miroir, l’essai de Le Glaunec compare son virage idéologique et celui de Rioux : au cours des vingt dernières années, le journaliste aurait parcouru en sens inverse le chemin suivi par Le Glaunec et adopté peu à peu les préoccupations de la droite conservatrice. Bien que l’auteur prenne soin de nous aviser qu’il « ne désire pas rabaisser Rioux en tant qu’intellectuel et journaliste » (p. 37), l’enquête ciblée qu’il mène, chapitre après chapitre, sur l’éthique journalistique de Rioux pourrait laisser croire le contraire. Aussi, si le titre du livre annonce une visée large sur le discours néoconservateur, la cible principale demeure Rioux, tout au long de l’essai. Qui plus est, un post-scriptum reprend le contenu d’une courte lettre adressée à Rioux, dans laquelle Le Glaunec l’invite au redressement idéologique : « Je suis persuadé que sous votre rhétorique se cachent un système de valeurs et […] un respect de l’histoire pour lesquels nous pourrions nous retrouver. » (p. 132) Il faut cependant louer ce désir de transparence de l’historien qui tout au long de son texte affiche ses partis pris et fait le choix d’expliciter d’où il parle, et ce, d’un point de vue autant idéologique que culturel.
La lecture de cette lettre/essai se révélerait certainement utile dans une multitude de contextes didactiques et pédagogiques. Les cours du niveau collégial en journalisme pourraient faire de cet ouvrage un objet stimulant pour réfléchir aux diverses stratégies de lutte contre la désinformation, en particulier la question du travail critique sur les sources. De plus, ce livre de Le Glaunec constituerait un sujet d’étude judicieux pour les historien⋅ne⋅s en formation universitaire qui souhaitent débattre des usages de l’histoire dans le journalisme ou encore du rôle de la morale dans la pensée historienne.