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1. Introduction et problématique

La résolution de problèmes est à la fois une compétence disciplinaire en mathématiques et une compétence transversale dans le programme de formation de l’école québécoise (ministère de l’Éducation du Québec, 2001). L’enseignement de cette compétence se fonde sur l’hypothèse qu’apprendre à résoudre des problèmes transcende les disciplines scolaires en développant la pensée des élèves (Schoenfeld, 2016). Même si la résolution de problèmes n’est pas l’unique compétence à développer en mathématiques, elle est souvent étroitement liée à la réussite des élèves (Jitendra et coll., 2005). Le National Council of Teachers of Mathematics (2000, 2014) a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises le rôle majeur que doit occuper la résolution de problèmes dans l’enseignement des mathématiques aux États-Unis.

1.1 Les difficultés associées à l’apprentissage de la résolution de problèmes mathématiques

Malgré la place importante qu’occupe la résolution de problèmes dans les programmes scolaires et le temps qu’on y consacre en classe, les élèves éprouvent de grandes difficultés à l’apprendre (Fayol, 2008 ; Houdement, 2017 ; Schoenfeld, 2016). La résolution de problèmes serait encore plus difficile pour les élèves ayant de faibles résultats en mathématiques (Hanich et coll., 2001). Pour résoudre des problèmes, les élèves doivent mettre en oeuvre une panoplie de stratégies, entre autres des stratégies de compréhension et d’organisation (ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Ainsi, pour les élèves, le passage d’une tâche simple à complexe (comme la résolution de problèmes mathématiques) augmente sensiblement le niveau de difficulté. L’étude de Crahay et Detheux (2005) montre que la maitrise de procédures mathématiques particulières n’est pas suffisante pour résoudre des problèmes y faisant appel. Lorsque les tâches mathématiques proposées demeurent centrées sur les procédures (par exemple l’application d’un algorithme), les élèves réussissent généralement bien. Or, ce n’est pas le cas quand ces élèves doivent appliquer ces mêmes procédures dans un contexte de résolution de problèmes (Crahay et Detheux, 2005). Lorsque des problèmes mathématiques leur sont proposés, les élèves font face à des tâches complexes pour lesquelles ils ont du mal à mettre en place un processus de compréhension efficace, à reconnaitre les données implicites, à choisir et à suivre une stratégie ainsi qu’à analyser le problème de manière logique (Baraké et coll., 2015).

Puisque les problèmes mathématiques sont présentés aux élèves à partir d’énoncés pour la plupart écrits (Carter et Dean, 2006), le fait de ne pas maitriser les habiletés en lecture constitue un facteur de difficulté important (Voyer, 2006). La compréhension juste du problème écrit passe nécessairement par le décodage et la compréhension de l’énoncé. En effet, la lecture n’est pas un simple exercice de décodage ; il s’agit d’une activité de construction de sens où le lecteur s’engage activement dans un processus intentionnel de résolution de problèmes (Voyer et coll., 2012). Le lecteur se construit alors une représentation mentale cohérente de la situation en intégrant à ses propres connaissances et expériences les informations explicites et implicites contenues dans l’énoncé (Giasson, 2011 ; National Reading Panel, 2000). La compréhension peut être vue comme l’évolution de l’organisation mentale des données de l’énoncé du problème par l’élève. Dans ce processus de construction de sens, il arrive que les élèves ignorent la réalité contextuelle et excluent leurs connaissances du monde réel pour résoudre le problème.

Daroczy et ses collaborateurs (2015) ont fait une synthèse des difficultés des élèves dans l’activité de résolution de problèmes écrits mathématiques. Ces auteurs concluent que les difficultés, outre celles liées aux habiletés calculatoires, sont de nature linguistiques ou relèvent d’une interaction entre les habiletés numériques et linguistiques. D’autres chercheurs et chercheuses concluent également que des lacunes en lecture et en calcul seraient responsables des difficultés des élèves en résolution de problèmes mathématiques (Fung et coll., 2014 ; Muth, 1984). L’importance des habiletés en lecture en contexte de résolution de problèmes écrits mathématiques serait sous-estimée. Par ailleurs, l’habileté en lecture influencerait différemment la compréhension des élèves selon le type d’information contenue dans l’énoncé du problème mathématique. Dans une étude antérieure, Voyer et Goulet (2013) ont présenté différentes versions de trois problèmes écrits à des élèves du primaire. L’une d’elles, « avec explication », explicitait la relation entre les données numériques ; une version « avec situation » contextualisait le problème. Ils concluent que les élèves forts en lecture réussissent mieux les problèmes « avec situation », alors que les élèves faibles en lecture réussissent mieux les problèmes « avec explication ». Ils proposent comme hypothèse que les ajouts explicatifs, aidants pour les élèves ayant de la difficulté à lire, ne seraient pas nécessaires pour les élèves plus doués qui parviennent par eux-mêmes à comprendre les relations entre les données du problème.

1.2 Le défi de l’enseignement de la résolution de problèmes mathématiques

Devant les nombreuses difficultés vécues par les élèves lors de la résolution de problèmes mathématiques, les enseignants ne savent pas toujours comment offrir un accompagnement approprié (Houdement, 2003, 2017). Rosales et ses collaborateurs (2012) ont montré que les enseignants qui résolvent des problèmes avec leurs élèves s’appuient davantage sur la procédure mathématique et laissent de côté une approche plus réflexive. Ils orienteraient les élèves vers la sélection des données numériques et le choix d’une opération, ce qui favoriserait une compréhension superficielle du problème. Un tel enseignement amènerait les élèves à utiliser ce que Hegarty et ses collaborateurs (1995) nomment la stratégie de traduction directe (direct translation strategy). Plus récemment, Polotskaia et ses collaborateurs (2015) y réfèrent en tant que pensée séquentielle (sequential thinking). En utilisant cette stratégie moins évoluée, l’élève repère les nombres et les mots-clés qui lui permettent d’induire une opération pour élaborer directement un plan de solution. L’enseignement devrait plutôt amener l’élève à réfléchir au problème de façon à ce qu’il se représente la situation, qu’il fasse des liens entre celle-ci et ses connaissances mathématiques pour ensuite choisir un plan de solution (Polotskaia et coll., 2015).

Pour Houdement (2017), il est impératif d’enrichir l’expérience de résolution de problèmes des élèves en bonifiant leur répertoire d’expériences de résolution réussies. En enregistrant ainsi plus de schémas de problème, l’élève sera donc plus à même de repérer des analogies avec d’anciens problèmes. S’il est facile de proposer des problèmes à résoudre aux élèves, il en va autrement pour en faire des expériences de résolution réussies. En effet, le temps de recherche d’une solution prend fin lorsque les élèves les plus rapides la trouvent. Par conséquent, les élèves qui ont des difficultés terminent rarement la résolution du problème. Souvent, le personnel enseignant croit que le fait d’assister à la correction favorisera de meilleurs résultats lors de la prochaine résolution de problème (Houdement, 2017).

Selon Boonen et ses collaborateurs (2016), on devrait davantage considérer le rôle des habiletés en lecture dans les interventions en résolution de problèmes écrits mathématiques. En effet, la représentation interne de l’élève du problème à résoudre est reconnue comme étant directement liée à la solution qu’il y donnera (Cummins et coll., 1988). Une compréhension plus approfondie de l’énoncé écrit du problème constitue une étape cruciale préalable aux opérations mathématiques (Boonen et coll., 2016). Que ce soit pour comprendre un texte écrit ou pour comprendre un problème écrit mathématique, l’élève doit faire les liens entre les informations qui lui sont fournies, mais aussi entre ces informations et ses connaissances. Cette habileté, essentielle en lecture comme en résolution de problèmes mathématiques, est la production d’inférences. La personne qui possède cette habileté peut faire des liens entre les informations explicites d’un texte et ses connaissances pour en déduire des informations implicites (Giasson, 2011 ; Kispal, 2008).

1.3 Les inférences au coeur de la compréhension en résolution de problèmes mathématiques

Comme la résolution de problèmes mathématiques représente un défi tant pour les élèves que pour le personnel enseignant, il est pertinent de se questionner sur les moyens à mettre en place pour l’améliorer. L’enseignement des inférences s’avérerait une avenue intéressante. En effet, des études tendent à définir les liens entre la lecture et les mathématiques en cherchant à préciser les habiletés en lecture susceptibles d’être mises à profit en contexte de résolution de problèmes écrits mathématiques (Boonen et coll., 2013 ; Fuchs et coll., 2006 ; Goulet et Voyer, 2014 ; Voyer et coll., 2012). Voyer et coll. (2012) ainsi que Goulet et Voyer (2014) ont mené deux études qui leur ont permis de vérifier l’effet de l’habileté en lecture sur le rendement en résolution de problèmes écrits mathématiques d’élèves du primaire. Ils ont constaté que l’habileté à émettre des inférences était positivement et significativement corrélée au rendement en résolution de problèmes écrits. Faire des inférences serait notamment utile à l’étape de la compréhension d’un problème écrit, c’est-à-dire au moment où l’élève doit faire des liens entre les différentes informations présentées dans l’énoncé et ses propres connaissances pour se créer une représentation mentale de la situation (Kintsch et Greeno, 1985). Indispensable à la compréhension en lecture, cette habileté serait donc l’une de celles utiles à la résolution de problèmes écrits mathématiques (Nathan et coll., 1992 ; Reusser, 1990).

En guise de prolongement à leurs études, Voyer et coll. (2012) ainsi que Goulet et Voyer (2014) émettent l’hypothèse qu’enseigner l’habileté à inférer en situation de lecture pourrait améliorer le rendement des élèves en résolution de problèmes écrits mathématiques. Ils arrivent à cette hypothèse au terme de deux études qui ont mis en évidence les liens étroits entre l’activité de lecture, l’habileté à faire des inférences et la résolution de problèmes écrits mathématiques. C’est dans cette optique que la présente recherche a été amorcée. Celle-ci tient compte des difficultés associées à la résolution de problèmes mathématiques tant du point de vue de l’apprentissage que de l’enseignement. Elle considère également que l’habileté à faire des inférences se situerait au point de rencontre entre l’habileté à lire et celle à résoudre des problèmes mathématiques (Capraro et coll., 2012 ; Goulet et Voyer, 2014 ; Voyer et coll., 2012) ; l’élaboration et la mise en place d’une intervention portant sur l’enseignement des inférences apparaissent donc doublement pertinentes. Nous posons donc la double question de recherche suivante : quel est l’effet d’une intervention axée sur l’enseignement des inférences 1) sur l’habileté en résolution de problèmes écrits de mathématiques et 2) sur la compréhension en lecture des élèves ?

2. Contexte théorique

2.1 Les interventions portant sur l’enseignement des inférences

Plusieurs études ont porté sur l’enseignement des inférences dans le but d’améliorer la compréhension en lecture (Kispal, 2008 ; McGee et Johnson, 2003 ; Scharlach, 2008 ; Turcotte et coll., 2015). Dans l’étude de Turcotte et ses collaboratrices (2015), une approche d’enseignement des stratégies de compréhension en lecture a été utilisée auprès d’élèves de la quatrième année à la sixième année du primaire. Cette approche appliquait, entre autres, la stratégie de faire des inférences. Leurs résultats indiquent que les élèves du groupe expérimental ayant obtenu des résultats plus faibles en début d’année scolaire avaient rattrapé l’écart les séparant des élèves du groupe témoin à la fin de l’année. Scharlach (2008) arrive également à des résultats similaires. Dans son étude, les résultats des élèves de troisième année participant à une intervention centrée sur des stratégies de compréhension en lecture se sont améliorés de manière significative comparativement à ceux d’élèves ayant reçu un enseignement habituel. Le programme de l’intervention recourait aussi à des stratégies reliées aux inférences. Par ailleurs, quelques études ont tenté d’évaluer l’effet de l’enseignement des stratégies de compréhension en lecture, dont la stratégie de faire des inférences, dans les sciences, autrement dit dans une discipline autre que le français (Goldschmidt et Jung, 2011 ; Romance et Vitale, 2001). En mathématiques, Capraro et ses collaborateurs (2012) ont recensé les études quasi expérimentales ayant porté sur des modèles ou des stratégies liant la lecture aux mathématiques en contexte de résolution de problèmes écrits. Ils ont ensuite élaboré un modèle théorique mettant en évidence les composantes cognitives communes à la lecture et à la résolution de problèmes écrits mathématiques. Ils concluent que la compréhension inférentielle serait une composante commune à la lecture et à la résolution de problèmes qui contribuerait à expliquer le lien entre la lecture et les mathématiques. Ces constats sont cohérents avec les résultats de nos recherches précédentes : l’habileté à inférer est liée au rendement en résolution de problèmes mathématiques (Goulet et Voyer, 2014 ; Voyer et coll., 2012).

2.2 Le concept de résolution de problèmes mathématiques

Pour comprendre le concept de résolution de problèmes mathématiques, il convient d’abord de clarifier la notion même de problème. Bien que le monde de la recherche propose diverses définitions (Bair et coll., 2000 ; Houdement, 1998-1999 ; Mayer, 1992), deux caractéristiques font consensus : la solution ne doit pas être connue d’emblée et il doit s’agir d’un défi raisonnable au regard des connaissances de l’élève (Hayes, 1989 ; ministère de l’Éducation du Québec, 2001 ; Poirier, 2001). La notion de problème est donc relative, puisqu’un problème pour les uns n’en sera pas nécessairement un pour les autres (Lajoie et Bednarz, 2012 ; Picard, 2018). Les problèmes doivent amener les élèves à s’investir dans une démarche de recherche non connue à priori tout en étant un défi à leur portée en fonction de leur âge et de leurs connaissances (Goulet, 2018). En pratique, nous retenons cette définition : la résolution de problèmes renvoie à la description souvent écrite d’une situation menant à une ou des questions qui requièrent que l’élève mobilise ses connaissances antérieures et établisse des liens pour trouver la solution (Lash, 1985 ; Verschaffel et coll., 2000).

Dans les programmes actuels, au Québec et ailleurs, la résolution de problèmes se voit attribuer un double rôle en mathématiques : 1) elle est un objet d’étude (aussi appelée objet d’apprentissage) puisque les élèves doivent devenir de bons solutionneurs de problèmes ; 2) elle est une approche pédagogique (aussi appelée modalité pédagogique) puisqu’elle doit servir à enseigner de nouvelles notions mathématiques (Dionne et Voyer, 2009 ; Houdement, 2003 ; ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Ainsi, les problèmes sont un lieu d’application des connaissances, mais également la source même de la construction de connaissances nouvelles (Lajoie et Bednarz, 2012). Malgré les différentes terminologies associées à ces deux rôles, leur nature semble faire consensus (Fagnant et Vlassis, 2010). Le ministère de l’Éducation de l’Ontario (2006) réfère quant à lui à l’enseignement pour la résolution de problèmes (objet d’étude) et à l’enseignement par la résolution de problèmes (approche pédagogique). À travers ce double rôle attribué à la résolution de problèmes, il est donc souhaité que les élèves deviennent meilleurs pour résoudre des problèmes et qu’ils se servent de cette compétence pour apprendre de nouvelles notions mathématiques.

2.3 Le processus de compréhension d’un problème écrit mathématiques

Le processus de compréhension d’un problème écrit mathématique se divise en trois niveaux de représentation : la base de texte, le modèle de problème et le modèle de situation (Kintsch, 1998 ; Kintsch et Greeno, 1985 ; Reusser, 1990 ; van Dijk et Kintsch, 1983). La base de texte renvoie aux éléments et aux relations provenant directement du texte, c’est-à-dire aux informations explicitées dans le texte. L’élève doit faire des liens entre ces informations et ses connaissances sur la situation dans le but de créer le modèle de problème, qui est en fait le modèle mathématique. Ce niveau est une représentation quantitative de la situation. À partir de la base de texte, l’élève utilise ses connaissances mathématiques pour organiser les données numériques en tenant compte des liens entre les données du problème, et ce, dans le but précis de répondre à la question (Kintsch et Greeno, 1985). Enfin, le modèle de situation est une étape intermédiaire entre la base de texte et le modèle de problème. C’est en quelque sorte l’union de la base de texte et des inférences nécessaires à une interprétation plus riche (Kintsch, 1998). Il s’agit d’une représentation plus informelle et qualitative de la situation qui facilite la création du modèle de problème (Reusser, 1990). À ce niveau, l’élève a une image mentale de la situation qui ne comprend pas de données numériques (Nathan et coll., 1992). En somme, la compréhension d’un problème écrit mathématique passe par la création itérative de représentations en trois niveaux différents, mais complémentaires.

2.4 Le concept de compréhension inférentielle

Que ce soit pour créer le modèle de problème ou le modèle de situation, l’élève doit faire des liens entre les informations de l’énoncé et ses propres connaissances pour déduire ce qui n’est pas écrit explicitement. C’est ce qu’on appelle des inférences (Kintsch et Greeno, 1985 ; Reusser, 1990). Elles jouent un rôle important dans la compréhension d’un problème écrit mathématique (Nathan et coll., 1992). Nécessaires à la construction de représentations mentales complètes (Cain et Oakhill, 1999 ; Campion et Rossi, 1999), les inférences se retrouvent au coeur de la compréhension en lecture.

Afin d’évaluer la compréhension en lecture des élèves, deux types de questions sont généralement utilisés : littérales et d’inférences (Giasson, 2011). Les premières évaluent la compréhension littérale : l’élève doit trouver une information écrite explicitement dans le texte (Bowyer-Crane et Snowling, 2005). Les secondes évaluent la compréhension inférentielle : les réponses sont implicites et ne se retrouvent pas directement dans le texte (Giasson, 2011). Pour cette raison, les questions d’inférence sont plus difficiles que les questions littérales (Cain et Oakhill, 1999). D’ailleurs, la production d’inférences et la compréhension d’un texte sont deux habiletés intimement liées puisque l’habileté des élèves à inférer prédit la compréhension en lecture (Cain et coll., 2004).

Dans les écrits scientifiques, nous retrouvons différentes typologies pour classifier les inférences en situation de compréhension de texte. Une typologie utilisée depuis très longtemps est celle de Baker et Stein (1981) qui distingue deux types d’inférences : text-connecting (inférences de cohésion) et gap-filling (inférences basées sur les connaissances). Les inférences de type text-connecting nécessitent des liens entre les idées et les phrases du texte alors que celles de type gap-filling nécessitent que le lectorat mobilise ses connaissances générales pour combler un manque d’information dans le texte (Baker et Stein, 1981). En guise d’exemple, prenons l’extrait suivant tiré d’une activité de lecture conçue dans le cadre de l’intervention :

Nous travaillons au cirque Gonzo. Lorsque nous avons appris que le roi des animaux n’était plus dans sa cage, nous sommes allés le voir de nos propres yeux. Difficile à croire ! Comment un si gros félin avait-il pu disparaitre aussi rapidement ? Pourtant, Fabio et moi étions chargés de faire le tour du cirque le soir précédent. Nous nous étions assurés que le système d’alarme était bien enclenché.

Pour comprendre qui est Fabio (un employé du cirque), l’élève fait une inférence de type text-connecting, car il doit faire des liens entre les phrases du texte. Pour comprendre quel animal a disparu (un lion), l’élève fait une inférence de type gap-filling en combinant les idées du texte (roi des animaux, gros félin) à ses connaissances générales.

Ainsi, pour les deux types d’inférences, la personne qui lit un texte fait des liens entre les informations qui y sont explicitement mentionnées pour déduire des informations implicites. La différence réside dans le fait que les inférences de type gap-filling nécessitent de recourir à ses propres connaissances (Baker et Stein, 1981). Les inférences de type gap-filling , plus complexes que celles de type text-connecting, représenteraient une difficulté additionnelle pour les personnes qui éprouvent de la difficulté à lire (Bowyer-Crane et Snowling, 2005).

Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2009) utilise une typologie qui s’apparente à celle de Baker et Stein (1981), sans toutefois utiliser la même terminologie. En effet, le programme d’études en français définit les inférences logiques (qui s’apparentent aux inférences de type text-connecting) et les inférences pragmatiques (qui s’apparentent aux inférences de type gap-filling). Les inférences logiques amènent à « faire des liens entre des informations contenues dans le texte pour créer une information nouvelle » alors que les inférences pragmatiques amènent à « déduire une information sous-entendue ([par exemple,] sentiment, temps et lieux, cause/effet, problème/solution) » (ministère de l’Éducation du Québec, 2009, p. 73).

2.5 Hypothèse de recherche

L’objectif poursuivi par la présente recherche est de vérifier l’effet d’une intervention axée sur l’enseignement des inférences 1) sur l’habileté en résolution de problèmes écrits mathématiques et 2) sur la compréhension en lecture d’élèves du primaire. Puisque l’habileté à produire des inférences est essentielle dans la construction d’une bonne représentation mentale, nous croyons que l’intervention aidera les élèves à se construire une meilleure représentation des problèmes écrits et des textes écrits pour ainsi améliorer leur rendement en résolution de problèmes écrits mathématiques et leur compréhension en lecture.

3. Méthodologie

Une approche quantitative à devis quasi expérimental avec groupes témoin et expérimental a été utilisée pour atteindre l’objectif de recherche. Ce type de devis comprend deux groupes de participants répartis d’une façon qui n’est pas purement aléatoire : l’un participe à l’intervention (groupe expérimental), l’autre non (groupe témoin) (Fortin et Gagnon, 2016). Les deux groupes ont répondu à des questionnaires avant et après l’expérimentation.

3.1 Participants

Comme c’est à partir du deuxième cycle qu’on s’attend à ce que les élèves comprennent des éléments d’information implicites dans les textes (ministère de l’Éducation du Québec, 2001), nous avons choisi d’intervenir auprès d’élèves de quatrième année justement parce qu’ils sont en processus d’apprentissage. Une méthode d’échantillonnage non probabiliste a été utilisée pour la sélection des élèves. Notre échantillon se compose de 253 élèves de quatrième année du primaire (9-10 ans) provenant de six écoles francophones de la province de Québec, plus précisément de la région Chaudière-Appalaches. Douze classes ont participé à l’étude avec l’accord des enseignants. De ces élèves, 107 ont fait partie du groupe expérimental et 146 du groupe témoin. Les écoles participant au projet étaient comparables d’un point de vue socioéconomique (leur indice de milieu socioéconomique se situe entre 1 et 3 [ministère de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur, 2017]).

3.2 Instrumentation

Deux questionnaires ont été élaborés aux fins de l’étude : un prétest (avant l’intervention) et un post-test (après l’intervention). Ils ont été remplis par tous les élèves participant au projet. Ils visaient à évaluer l’habileté en résolution de problèmes écrits mathématiques et la compréhension en lecture des élèves. Les deux rencontres pour la passation des questionnaires, d’une durée approximative de soixante minutes chacune, ont eu lieu dans les classes respectives des élèves pendant les heures de classe. Aucune aide n’était autorisée.

Les questionnaires ont été préexpérimentés dans d’autres classes de quatrième année pour vérifier la durée, le déroulement et la compréhension des élèves. Afin de nous assurer de la fiabilité du processus de correction, une procédure d’accord interjuges a été utilisée. Ainsi, 10 % des questionnaires ont été corrigés par une deuxième personne. Le coefficient de corrélation intraclasse est de 0,998 pour le prétest et de 0,984 pour le post-test, ce qui confirme l’efficacité des critères utilisés.

Nous avons créé les questionnaires en nous inspirant des manuels scolaires, car les tests habituels en quatrième année évaluent peu l’habileté à générer des inférences. En effet, ces tests contiennent plus souvent des questions littérales ; l’habileté à inférer étant en cours d’apprentissage en quatrième année du primaire, elle doit donc être évaluée à partir du troisième cycle seulement (ministère de l’Éducation du Québec, 2009). Les questionnaires comportaient deux volets : lecture et résolution de problèmes écrits mathématiques.

3.2.1 Volet lecture

Les élèves devaient lire un texte narratif d’une page et répondre à six questions d’inférence. Un exemple est présenté à l’annexe. Les questions correspondent aux catégories proposées par Baker et Stein (1981) ; il y en avait trois de type text-connecting et trois de type gap-filling. Ces six questions nous permettent d’obtenir un score global en lecture pour chaque élève, auquel nous réfèrerons en tant que compréhension en lecture.

3.2.2 Volet résolution de problèmes écrits mathématiques

Le volet résolution de problèmes écrits mathématiques se divise en trois sections distinctes. Dans une première section, les élèves devaient résoudre quatre problèmes écrits d’arithmétique. Ce type de problèmes a été choisi puisqu’il est l’un des plus fréquemment utilisés en résolution de problèmes mathématiques. Les problèmes devaient respecter deux critères : 1) se résoudre par une opération connue des élèves de quatrième année ; 2) nécessiter la production d’une inférence. Voici un exemple (tiré du questionnaire) :

Sandrine et ses soeurs jumelles se rendent au magasin pour acheter un cadeau à leur mère pour souligner la fête des Mères. Elles veulent lui offrir une envolée en montgolfière. Si le prix de l’envolée est de 45 $ par personne, et qu’elles souhaitent accompagner leur mère, combien devront-elles payer pour vivre cette expérience ?

Afin de résoudre ce problème, les élèves doivent inférer le nombre de personnes participant à l’envolée en montgolfière.

Dans une deuxième section, les élèves devaient choisir l’opération qu’ils utiliseraient pour résoudre quatre problèmes, sans avoir à les résoudre. De cette façon, leurs habiletés calculatoires n’étaient pas sollicitées. Voici un exemple (tiré du questionnaire) :

Combien y avait-il de pommes dans un kiosque si 430 pommes ont été vendues et qu’il reste encore 760 ?

a) 760 + 430
b) 760 - 430
c) 760 × 430
d) 760 ÷ 430

La troisième section comprenait des questions de compréhension par rapport à des énoncés écrits de problèmes mathématiques. À nouveau, les élèves n’avaient pas à résoudre les problèmes. Voici un exemple (tiré du questionnaire) :

Un fermier possède 30 poules. Un jour, il se rend au marché organisé dans le village voisin. À son retour, il va dans le poulailler pour nourrir ses poules. En quittant le poulailler, il oublie de refermer la porte derrière lui. Durant la nuit, 10 poules s’enfuient. Le lendemain matin, le fermier réalise qu’il y a maintenant 45 poules dans le poulailler. Qu’est-ce que le fermier remarque dans son poulailler ?

a) Il y avait moins de poules que la veille.
b) Il y avait plus de poules que la veille.
c) Il y avait le même nombre de poules que la veille.
d) Il n’y avait plus aucune poule.

Ces trois sections ont été choisies pour évaluer le rendement selon différents aspects du processus de résolution de problèmes écrits : la compréhension (section 3) ; le choix de l’opération (section 2) et l’obtention d’une réponse finale (section 1). Ces trois sections nous permettent donc d’obtenir un score global pour chaque élève, auquel nous réfèrerons en tant que rendement en résolution de problèmes écrits. À notre avis, ce score global est plus représentatif de l’habileté réelle en résolution de problèmes mathématiques. Dans sa grille d’évaluation de la résolution de problèmes, Picard (2018) distingue d’ailleurs l’appropriation du problème de sa résolution. L’appropriation du problème comprend, entre autres, la capacité de lire et de comprendre un énoncé écrit alors que la résolution englobe, entre autres, la sélection de l’opération à faire, l’atteinte d’une réponse et la communication du problème.

3.3 Déroulement de l’intervention

Le projet de recherche s’est déroulé pendant neuf semaines, une période que nous jugions suffisamment longue pour permettre un apprentissage durable chez les élèves. L’intervention a eu lieu dans les classes du groupe expérimental au cours des semaines deux à quatre et six à huit, inclusivement. Les semaines un et neuf ont servi à la passation des questionnaires (tableau 1). À la suite de la passation du prétest, les élèves des classes témoins ont poursuivi leurs activités mathématiques selon les pratiques habituelles de la classe. Dans chacune des classes expérimentales, 12 ateliers ont été donnés à raison de deux ateliers par semaine pendant six semaines. Tous les ateliers, animés par un même membre de l’équipe de recherche, duraient une heure, soit la durée normale d’une période en classe. Les ateliers remplaçaient des périodes prévues pour l’enseignement de la compréhension en lecture et de la résolution de problèmes mathématiques.

Tableau 1

Déroulement de l’intervention

Déroulement de l’intervention

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Rappelons que l’intervention visait à amener les élèves à développer l’habileté à effectuer des inférences. Pour y arriver, nous avons choisi le thème des enquêtes, car il illustre bien l’habileté à inférer. En lisant, un lecteur utilise des informations explicites dans le texte et ses propres connaissances pour déduire des informations implicites. De façon similaire, un enquêteur utilise des indices ainsi que ses connaissances générales pour élucider des mystères. Afin de devenir de bons enquêteurs, les élèves ont appris quatre stratégies reliées aux inférences :

  1. Faire des inférences (stratégie générale de l’intervention) ;

  2. Sélectionner les inférences les plus importantes ;

  3. Ne pas sauter trop vite aux conclusions (accumuler suffisamment d’indices pour justifier l’inférence) ;

  4. Se poser les bonnes questions (pour faire les bonnes inférences).

Tout au long de l’intervention, les élèves devaient venir en aide à Monsieur Z, un enquêteur débordé de travail. Ainsi, à chaque atelier, une enquête était réalisée par les élèves à partir de différents textes rédigés spécialement pour l’intervention. Ces enquêtes menaient vers les quatre stratégies énoncées précédemment. Ces stratégies, apprises et enseignées dans un contexte de lecture, étaient ensuite réinvesties dans des problèmes écrits mathématiques.

L’intervention utilise l’enseignement par la résolution de problèmes (rôle d’approche pédagogique) pour apprendre la résolution de problèmes (rôle d’objet d’étude). Elle met l’accent sur l’évolution de l’organisation mentale des données de l’énoncé du problème par les élèves en leur donnant le temps nécessaire (pas uniquement aux élèves plus rapides) et les moyens d’intégrer la réalité contextuelle et d’inclure leurs connaissances du monde réel pour résoudre le problème. Dans le cadre de l’intervention, les élèves apprennent à reconnaitre les indices dans un texte et à faire des liens entre ces indices et leurs propres connaissances (Hall, 2016). Il s’agit d’amener les élèves à discuter des textes lus (Dupin de Saint-André, 2011), les faire verbaliser sur le moyen utilisé pour répondre à une question d’inférence (Richards et Anderson, 2003) et leur faire rédiger des questions par rapport au texte (Giasson, 2003). Ces aspects ont inspiré l’élaboration de l’intervention.

3.4 Méthode d’analyse des données

Nous avons effectué des analyses de covariance pour mesurer l’effet de l’intervention. Ce type d’analyse vise à tester l’effet d’une ou plusieurs variables indépendantes sur une variable dépendante indépendamment de l’effet d’autres facteurs appelés covariables. Nous avons pu équilibrer les groupes selon leurs résultats au prétest, nous assurant ainsi que les différences observées à la suite de l’intervention (s’il y a lieu) sont le plus possible dues à l’intervention et non pas à des différences entre les groupes avant l’intervention. Pour cette analyse, nous avons considéré trois types de variables. Le fait de participer ou non à l’intervention constitue la variable indépendante (groupe témoin et groupe expérimental), les résultats obtenus au prétest constituent les covariables et les résultats obtenus au post-test constituent les variables dépendantes.

3.5 Considérations éthiques

Comme l’intervention se déroulait dans le cadre des activités scolaires habituelles de la classe, elle ne comporte aucun risque pour les élèves. Étant donné l’âge des élèves, les parents ont dû signer un formulaire de consentement en guise d’autorisation. Les données ont été recueillies et traitées de façon confidentielle et les résultats individuels des participants n’ont jamais été divulgués.

4. Résultats

Nous avons comparé les groupes témoin et expérimental à la suite de l’intervention pour chaque volet du questionnaire, vérifiant ainsi l’effet de l’intervention sur le rendement en résolution de problèmes écrits mathématiques et la compréhension en lecture des élèves. Le tableau 2 présente les résultats des analyses de covariance. La différence observée entre le groupe expérimental et le groupe témoin est statistiquement significative pour le volet résolution de problèmes écrits (F(1,249) = 7,735 ; p = 0,006). Cette différence est à l’avantage du groupe expérimental. L’êta-carré partiel (η2 = 0,030), un indice qui permet de connaitre la taille de l’effet de l’intervention, suggère un effet faible à modéré (Cohen, 1988). Une fois ajustées selon le prétest, les moyennes au post-test des élèves du groupe expérimental au volet résolution de problèmes écrits (X̄ = 12,364) surpassent celles des élèves du groupe témoin (X̄ = 10,985). Pour le volet lecture (F(1,248) = 2,090 ; p = 0,150), la différence observée entre les groupes n’est pas statistiquement significative.

Tableau 2

Résultats des analyses de covariance concernant les volets lecture et mathématiques

Résultats des analyses de covariance concernant les volets lecture et mathématiques

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Pour mieux comprendre ce dernier résultat, des analyses supplémentaires ont été réalisées. Puisque le volet lecture comportait deux types de questions d’inférence (gap-filling et text-connecting), nous avons vérifié l’effet de l’intervention pour chacun d’eux. Le tableau 3 présente les résultats des analyses de covariance pour chaque type de questions d’inférence. La différence observée au regard des questions de type gap-filling est statistiquement significative (F(1,245) = 5,682 ; p = 0,018). Cette différence est à l’avantage du groupe expérimental. L’êta-carré partiel (η2 = 0,023) indique un effet faible à modéré de l’intervention (Cohen, 1988). Une fois ajustées selon le prétest, les moyennes au post-test des élèves du groupe expérimental pour les questions de type gap-filling (X̄ = 6,148) surpassent celles des élèves du groupe témoin (X̄ = 5,108). Pour les questions de type text-connecting, la différence observée dans l’échantillon n’est pas statistiquement significative (F(1,248) = 0,001 ; p = 0,979).

Tableau 3

Résultats des analyses de covariance concernant les types de questions d’inférences

Résultats des analyses de covariance concernant les types de questions d’inférences

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5. Discussion des résultats

À la lumière des résultats obtenus, nous pouvons conclure que l’intervention a eu un effet bénéfique sur l’habileté en résolution de problèmes écrits mathématiques des élèves. En effet, les élèves du groupe expérimental ont obtenu des résultats significativement supérieurs aux élèves du groupe témoin par rapport au rendement en résolution de problèmes. Ce constat est cohérent avec d’autres études qui mettent de l’avant l’importance de soutenir l’habileté en lecture dans les interventions en résolution de problèmes écrits mathématiques (Boonen et coll., 2016), et même, de manière plus précise, l’habileté à inférer (Goulet et Voyer, 2014 ; Voyer et coll., 2012).

Afin d’expliquer ce résultat, nous émettons deux hypothèses. Selon la première hypothèse, il est possible que l’exploitation simultanée des deux rôles attribués à la résolution de problèmes ait été bénéfique : l’intervention proposée permet d’enseigner une habileté utile en lecture et en résolution de problèmes en mettant de l’avant un enseignement par la résolution de problèmes. En effet, les enquêtes par lesquelles les élèves étaient amenés à apprendre l’habileté à inférer étaient en soi des problèmes. Les élèves ne connaissaient pas d’emblée la solution (Hayes, 1989), mais ils avaient tout le bagage nécessaire pour s’investir dans la tâche et la trouver stimulante. En utilisant ainsi le double rôle, les élèves étaient plongés dans un univers de problèmes (pour résoudre des enquêtes ou résoudre des problèmes mathématiques). Par le fait même, ils développaient des stratégies reliées à l’habileté à inférer pouvant être réinvesties en mathématiques et en lecture. Ils apprenaient à faire et à sélectionner les inférences pertinentes selon l’intention de lecture, à accumuler suffisamment d’indices pour justifier l’inférence et à se poser les bonnes questions pour comprendre ce qui est pertinent.

Notre intervention fait progresser les connaissances de façon originale. Grâce à l’enseignement par la résolution de problèmes, d’ailleurs peu connu par les enseignants du primaire (Goulet, 2018), les élèves ont développé leur habileté à inférer autant en lecture qu’en mathématiques. Guidés par un enseignement « implicite » mis en place par la thématique de l’enquête, les élèves ont eu le temps de faire ce travail. Un accompagnement adapté aux élèves axé sur l’acquisition et le perfectionnement des stratégies visées par l’intervention constituait l’aspect « implicite » de l’enseignement. S’il est vrai qu’il n’y a pas deux enquêtes ni deux problèmes identiques, il peut toutefois y avoir des éléments communs. Il est important, voire urgent selon Houdement (2017), d’enrichir la mémoire des problèmes de chaque élève. Nos enquêtes et les problèmes qui les suivaient visaient à fournir aux élèves un bagage d’expériences réussies de compréhension de textes et de résolution de problèmes mathématiques.

La seconde hypothèse de l’effet favorable de l’intervention sur l’habileté à résoudre des problèmes mathématiques repose sur l’enseignement des inférences. Pour enseigner l’habileté à inférer, il est conseillé de sortir du texte pour considérer ses connaissances générales sur le sujet (Hall et Barnes, 2017). De même, en résolution de problèmes, il faut nécessairement sortir de l’énoncé écrit pour trouver une solution. Par exemple, quand vient le temps de choisir une opération, l’élève doit faire les liens entre les idées présentées explicitement dans l’énoncé écrit et ses propres connaissances sur les opérations mathématiques, une tâche difficile pour les élèves du primaire (Capraro et coll., 2012). En étant amenés à aller au-delà des textes, les élèves ont pu transférer cette stratégie en résolution de problèmes mathématiques.

Pour ce qui est de l’effet de l’intervention sur la compréhension en lecture des élèves, les résultats semblent moins concluants au premier abord. En matière de compréhension générale en lecture, nous remarquons que la différence entre le groupe expérimental et le groupe témoin n’est pas statistiquement significative. Toutefois, une analyse plus fine fait émerger un constat intéressant. En différenciant l’habileté à faire des inférences de type gap-filling et de type text-connecting, nous constatons que les élèves ayant participé à l’intervention ont obtenu des résultats significativement supérieurs aux élèves du groupe témoin quant à l’habileté à faire des inférences de type gap-filling. Ces élèves ont été amenés tout au long de l’intervention à aller au-delà des textes et des problèmes mathématiques pour relever des indices, faire des liens entre leurs propres connaissances et ces indices et émettre des hypothèses. Ils n’avaient plus à chercher des réponses toutes prêtes dans le texte, mais ils devaient lire entre les lignes.

Dans cette optique, nous pensons que les élèves du groupe expérimental se sont distingués même dans la réalisation des questionnaires. Le fait que ces élèves se soient démarqués significativement aux questions de type gap-filling pourrait s’expliquer par cette capacité d’aller au-delà des informations fournies dans le texte. Rappelons que les inférences de type gap-filling requièrent justement une mobilisation des connaissances générales pour combler une absence d’information (Baker et Stein, 1981). Ce résultat est particulièrement intéressant, car les inférences de type gap-filling sont d’un niveau de difficulté plus élevé que celles de type text-connecting (Bowyer-Crane et Snowling, 2005). Il est possible que l’habileté à réaliser des inférences de type text-connecting, beaucoup moins complexe, a déjà été acquise par les élèves, ce qui expliquerait que l’intervention n’ait pas eu de résultats significatifs sur ce plan.

En somme, nos résultats suggèrent que l’intervention a été bénéfique sur l’habileté des élèves à résoudre des problèmes mathématiques, mais aussi sur l’habileté d’effectuer des inférences de type gap-filling. Ces résultats importent d’autant plus lorsqu’on sait que l’habileté des élèves à inférer serait un prédicteur de leur compréhension en lecture (Cain et coll., 2004) et de leur rendement en résolution de problèmes mathématiques (Goulet et Voyer, 2014 ; Voyer et coll., 2012).

L’intervention mise en place a créé un évènement s’articulant autour de la résolution de problèmes dans les classes expérimentales. Dans un tel contexte, il est possible que les élèves du groupe expérimental aient eu envie de s’engager davantage dans les tâches proposées comparativement aux élèves du groupe témoin qui ont fait de la résolution de problèmes à partir d’activités régulières pendant la durée de l’intervention. Conscients de l’intervention, les élèves des classes expérimentales ont peut-être montré une plus grande motivation, ce qui constitue une limite à la validité interne associée à l’effet Hawthorne (Fortin et Gagnon, 2016). Notons également que l’intervention et les questionnaires concernaient uniquement des problèmes écrits d’arithmétique. Nous ne pouvons donc pas nous prononcer sur l’effet de l’approche sur la résolution de problèmes de géométrie, de mesure, de statistique ou de probabilité.

Une avenue possible de cette étude serait d’approfondir l’effet de l’intervention auprès des élèves en difficulté d’apprentissage. Des études tendent à montrer que les élèves ayant des difficultés d’apprentissage font moins d’inférences que leurs pairs lorsqu’ils lisent un texte (Barth et coll., 2015 ; Denton et coll., 2015). À partir de ce constat, Hall (2016) conclut que l’enseignement des inférences serait particulièrement bénéfique pour la compréhension en lecture de ces élèves. Dans cette perspective, il y a lieu de se demander si de tels résultats pourraient être constatés dans le domaine de la résolution de problèmes mathématiques. Est-ce que l’enseignement des inférences serait plus bénéfique pour les élèves qui éprouvent des difficultés d’apprentissage en mathématiques ? Est-ce que la compréhension en lecture de ces élèves profiterait également de l’intervention ? Ces questions incitent à poursuivre les recherches pour mieux comprendre le rôle de l’enseignement des inférences dans les classes du primaire.

6. Conclusion

L’objectif de notre étude était de mesurer l’effet d’une intervention spécialement conçue pour enseigner les inférences sur l’habileté en résolution de problèmes écrits mathématiques et sur la compréhension en lecture d’élèves de quatrième année du primaire. À la lumière des résultats obtenus, nous pouvons conclure que l’intervention a eu un effet bénéfique sur l’habileté en résolution de problèmes écrits des élèves et sur leur habileté à générer des inférences de type gap-filling. Alors que d’autres études montraient que l’habileté à inférer est l’habileté en lecture la plus liée au rendement en résolution de problèmes écrits (Goulet et Voyer, 2014 ; Voyer et coll., 2012), notre étude a permis de préciser que l’enseignement de cette habileté peut avoir un effet positif sur l’habileté en résolution de problèmes des élèves. Un lien de cause à effet semble se dessiner.

Capraro et coll. (2012) ont explicité un lien réciproque entre la lecture et la résolution de problèmes écrits mathématiques. Notre étude tend à montrer la même chose. Nos résultats suggèrent qu’une intervention au regard de la compréhension inférentielle améliore effectivement le rendement en résolution de problèmes écrits. À notre avis, ce lien devrait être exploité davantage en classe. L’habileté à inférer est surtout développée en lecture, mais elle devrait également l’être en mathématiques. Bien plus qu’une habileté en lecture, faire des inférences nécessite de faire des liens. C’est une habileté cognitive essentielle à la compréhension. 

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Dominic Voyer
Professeur, Université du Québec à Rimouski

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Marie-Pier Forest
Professeure, Université du Québec à Trois-Rivières

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Isabelle Beaudoin
Professeure, Université du Québec à Rimouski