Recensions

Campbell, B. et Manning, J. (2018). The rise of victimhood culture: Microaggressions, safe spaces and the new culture wars. Palgrave Macmillan[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Université du Québec

Voici le livre par lequel tout aurait vraiment commencé : il y avait eu auparavant des pages Facebook rédigées par des étudiants inquiets, des gazouillis en ligne émis par des personnes se sentant victimisées, des séries d’accusations indignées publiées sur Internet ; mais les premières recherches sociologiques sur les microagressions furent réalisées par deux universitaires étatsuniens, Bradley Campbell et Jason Manning, dont l’article pionnier, paru en 2014 dans la revue Comparative Sociology, a été élargi pour devenir ce livre étoffé et fort bien documenté. En bons sociologues, avec un certain recul, ils analysent méticuleusement des comportements associés aux microagressions, sans prendre parti et en demeurant critiques. Leur but n’est pas de détecter les microagressions ni de juger ou de dénoncer la bigoterie, mais plutôt de saisir comment certaines personnes peuvent se sentir victimes ou au contraire être accusées – à tort ou à raison – de telles attaques. Des exemples de microagressions sont nombreux dans ce livre et certains d’entre eux sembleront inoffensifs – ou sans conséquences – pour beaucoup de gens qui ne se sentent pas constamment réduits à un stéréotype ethnique ou genré. Le premier chapitre en fournit plusieurs en les analysant individuellement. Pour certains, demander à quelqu’un « d’où venez-vous ? » ou encore « où êtes-vous né ? » se veut simplement une entrée en la matière, une « conversation starter » parfaitement inoffensive, mais d’autres se sentiront interpellés ou lassés de se faire constamment poser la même question liée implicitement à la couleur de leur peau. Même un compliment sincère et sans arrière-pensée pourrait être perçu comme une microagression par la personne qui le reçoit, par exemple « dire à une personne américano-asiatique qu’elle parle bien l’anglais » (Campbell et Manning, 2018, p. 4). Le terme même de « microagression » serait apparu durant les années 1970 sous la plume du psychiatre étatsunien Chester Pierce ; mais son usage courant est apparu durant les années 2010 avec le livre Microaggressions in everyday life (2010) de Derald Wing Sue qui les décrit comme des « indignités brèves et quotidiennes, verbales, non verbales ou comportementales, intentionnelles ou non, qui communiquent des attitudes hostiles (ou des insultes), dénigrantes ou négatives sur le plan de la race, du genre, de l’orientation sexuelle ou religieuse » (Wing Sue, 2010, cité dans Campbell et Manning, 2018, p. 3). Les coauteurs (2018) proposent leur propre définition du concept de microagression, tout en ajoutant qu’ils ne font que conceptualiser des témoignages et des descriptions déjà faites avant eux : « la microagression n’est pas notre concept » (p. 5), précisent-ils pour bien marquer que ce terme, ayant circulé spontanément et librement dans les réseaux sociaux, ne résulte pas de leur analyse ni d’une conceptualisation sociologique. Encore plus important, Campbell et Manning (2018) insistent sur le fait que la microagression « ne peut pas être considéré comme un concept scientifique en tant que tel parce qu’il ne réfère pas à un comportement clairement défini » (p. 5). Pour les coauteurs, être accusé de microagression n’implique pas forcément d’être vraiment coupable d’un tel geste, et c’est pourquoi ils apposent un bémol sur la définition initiale de la microagression proposée par Derald Wing Sue (2010, cité dans Campbell et Manning, 2018, p. 5). L’argumentation couvre huit chapitres sur les définitions, les exemples, la dynamique des microagressions, leurs activistes et propagateurs, l’influence et les conséquences de ce mouvement : de plus en plus, certaines universités adoptent des formations obligatoires de « conscientisation » des employés. D’autres enjeux sont débattus dans la dernière moitié, qu’il s’agisse de liberté académique, de liberté d’expression et de censure sur les …