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La gestion axée sur les résultats s’inscrit dans le courant de la nouvelle gestion publique qui met au premier plan les exigences de reddition de comptes dans l’ensemble de l’administration publique. À travers une série de modifications à la Loi sur l’instruction publique entre 2002 et 2020 au nom de l’amélioration de la réussite des élèves, la gestion axée sur les résultats s’applique désormais en éducation. Ainsi, différents articles de cette loi déclinent le type de reddition de compte que doivent produire les écoles et les centres de services scolaires à l’intention du ministre de l’Éducation. Mais comment cette nouvelle réalité se vit-elle dans les écoles ?

C’est à ce questionnement général que s’attaque l’ouvrage en présentant une synthèse de différentes recherches menées à la Chaire de recherche du Canada en politiques éducatives, dont Maroy a été le titulaire de 2010 à 2017. Le corpus étudié se compose de données quantitatives (analyses descriptives), d’une analyse documentaire, mais surtout d’une centaine d’entretiens semi-dirigés conduits auprès d’enseignants, de directions d’école et de dirigeants de six écoles secondaires dans quatre commissions scolaires (avant le changement d’appellation) au Québec.

L’ouvrage se divise en sept chapitres. Le premier chapitre sert à contextualiser la gouvernance de l’école québécoise teintée par la nouvelle gestion publique et la reddition de comptes qu’elle exige. Le deuxième chapitre campe le cadre théorique au confluent d’une sociologie de l’action publique attentive aux acteurs et d’une sociologie des institutions qui tient compte des pressions et contraintes exercées par l’action publique. Il décrit également le cadre méthodologique qui explique la provenance des différentes données utilisées. Le troisième chapitre retrace la trajectoire d’élaboration de la gestion axée sur les résultats en contextualisant le paysage politique et éducatif québécois constituant un terreau fertile nourri par le discours néolibéral de la nouvelle gestion publique.

Après cette mise en contexte conceptuelle, les chapitres suivants présentent les données empiriques. Le quatrième chapitre décrit les logiques d’action en oeuvre dans les quatre commissions scolaires étudiées qui varient d’une logique d’amplification à une logique d’appropriation des modifications législatives mettant en place la gestion axée sur les résultats. Le cinquième chapitre aborde les divers types d’outils contractuels, statistiques et pédagogiques visant à implanter cette gestion en s’inspirant de la sociologie de l’instrumentation de l’action publique. Le sixième chapitre analyse ensuite les effets de cette instrumentation sur l’autonomie professionnelle des enseignants, après quoi le septième chapitre discute de la construction de sens des enseignants rencontrés à partir des diverses injonctions liées à la gestion axée sur les résultats et il dégage diverses formes de légitimité sur les plans moral, cognitif et pragmatique.

Après tout ce travail, Maroy (2021) conclut que la gestion axée sur les résultats « reste une politique contestée, controversée sur le terrain, une politique qui distancie les groupes professionnels au sein des écoles et des [commissions scolaires] » (p. 257). En effet, il constate que dans bien des cas, plutôt que resserrer les liens des membres de l’équipe-école, la gestion axée sur les résultats polarise la direction et le personnel enseignant, car les premières veulent bien souvent mobiliser les seconds dans l’implantation des outils de reddition de compte de cette gestion dans une manoeuvre pouvant s’apparenter au zèle des anciennes missions d’évangélisation.

En somme, cet ouvrage constitue une référence pour qui veut s’approprier la gestion axée sur les résultats, en comprendre les origines et sa mise en application dans des écoles québécoises. L’auteur écrit de manière claire et efficace, ce qui rend la lecture très agréable. Cette qualité permet au lecteur de s’approprier facilement un univers conceptuel et les origines de cette approche légalement imposée au monde de l’éducation et d’en comprendre la réception par les acteurs des milieux de pratique en leur donnant la parole.

Mais comme n’importe quel ouvrage, il comporte quelques lacunes. La première touche aux aspects méthodologiques et trouve peut-être son explication dans le format de l’ouvrage qui visait à prioriser l’enquête sans trop s’appesantir sur les questions méthodologiques. Par exemple, on ne trouve pas d’indications méthodologiques sur l’approche d’étude de cas préconisée. À part mentionner que c’est une étude de cas multiple, il s’avère impossible d’en savoir davantage sur les fondements de ce choix. On note aussi des décisions discutables sur le plan éthique, par exemple de demander aux directions d’écoles visitées d’identifier des enseignants qui répondent aux critères de la recherche (p. 89). Est-ce que les personnes rencontrées s’y sont senties obligées ? Est-ce que les directions ont omis de pister les chercheurs vers les personnes plus critiques de l’implantation de la gestion axée sur les résultats ? Des tensions dans certaines écoles ont d’ailleurs rendu le recrutement de participants très difficile, voire impossible.

La seconde lacune concerne le ton employé dans l’ouvrage. En effet, on devine une posture critique de la gestion axée sur les résultats dès la première page quand Maroy (2021) place entre guillemets le mot « défis » en présentant la position de l’Organisation de coopération et de développement économiques sur l’éducation, semblant signaler au lecteur qu’il ne partage pas l’avis de cet organisme. Ce faisant, la conclusion de l’auteur exposée plus tôt n’étonne guère, comme si elle allait de soi. Malgré cette apparente prise de position, toute l’analyse repose néanmoins sur un travail de recherche qui offre une critique légitime de la gestion axée sur les résultats. En fait, cette posture permet de contrebalancer le discours ministériel sur les prétendues vertus miraculeuses de cette gestion et s’avère, en dernière analyse, une force de l’ouvrage plutôt qu’une lacune !