Ferrarese pose, dans son dernier ouvrage, un regard critique et incisif sur la consommation éthique, exposant ses présupposés philosophiques et ses contradictions. S’inspirant de l’École de Francfort, ce livre met en lumière l’impuissance des pratiques de consommation responsable face au « [dys]fonctionnement systémique de l’économie de marché » (p. 14). Même s’il n’aborde pas directement la question de l’éducation à la citoyenneté, l’ouvrage invite tout de même à repenser la manière dont est enseignée la question de notre responsabilité face aux crises sociales et environnementales actuelles. En rompant avec la « conception individualisante et privatiste de la vie morale », Ferrarese donne des pistes de réflexion aux enseignant·e·s – en Culture et citoyenneté québécoise, entre autres – désireux·ses de transmettre une vision véritablement émancipatrice de la citoyenneté (p. 95-97). Ce court ouvrage compte quatre chapitres, le premier examinant le « principe de mesure » en tant que prémisse de la consommation éthique, et ce, de deux façons. D’une part, ce principe réfère à la modération et à l’autolimitation dans les comportements de consommation. L’ouvrage met notamment en doute la capacité de cette approche de répondre aux causes systémiques de la surconsommation. D’autre part, ce principe dénote aussi la volonté de combler l’écart entre la valeur marchande et le cout réel des biens. Cela se traduit par l’intégration des externalités négatives et la juste rémunération des personnes impliquées dans un échange commercial. Mais, pour l’auteure, une telle approche, en récupérant la « logique de la commensurabilité » voulant qu’il y ait « une métrique à l’aune de laquelle tout s’ordonne » (p. 41), ne fait que perpétuer la grammaire capitaliste. Le deuxième chapitre pose la consommation éthique en théorie rivale du marxisme, et met en évidence sa tendance à l’édulcoration des critiques marxistes. Car si la consommation éthique est en partie porteuse d’une critique du « fétichisme de la marchandise » – qui n’est pas sans rappeler celles de Marx, de Benjamin ou d’Adorno –, elle tend malgré tout à l’en purger de son potentiel subversif. Ceci mène à un « domptage » plutôt qu’à une véritable remise en question du capitalisme (p. 67). Le troisième chapitre examine la « privatisation de la faute », qui a pour effet « d’excuser, d’oublier ou de cacher l’action ou l’inaction d’autres acteurs [que les particuliers] » (p. 77). Le chapitre aborde certaines critiques internes au discours de la consommation éthique, telles que l’écoblanchiment (et autres formes de « dénonciation de formes insuffisantes ou suspectes de la vertu » [p. 79]). Pour Ferrarese, ces critiques, en ciblant l’insincérité des discours des entreprises, entrevoient les corporations à l’image des individus, responsables de corriger les travers de notre système économique, mais éclipsent complètement la question, pourtant cruciale, du « rôle de l’État dans la sphère économique » (p. 80). Le quatrième chapitre explore le rapport à l’écologie dans l’idée de consommation responsable. Celle-ci invite en effet l’individu à se réconcilier avec la Nature et du même coup avec sa propre nature comme personne. Or, cette perspective s’appuie sur un présupposé, hautement problématique aux yeux de Ferrarese, selon lequel il y aurait un équilibre possible dans l’économie de marché entre prospérité et santé écosystémique. Le plus grand mérite de l’ouvrage réside dans la mise en évidence des apories des stratégies dominantes d’opposition à la culture de la surconsommation. La conclusion centrale du livre est sans doute la suivante : espérer une « transformation du marché par la mesure » est une « erreur de catégorie » (p. 125). Un tel espoir se traduit nécessairement par des actions individuelles qui n’ont aucun effet tangible, et qui contribuent même …
Ferrarese, E. (2023). Le marché de la vertu. Critique de la consommation éthique. Vrin
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Jérôme Gosselin-Tapp
Université Laval
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